Il n'avait pas dormi aussi bien depuis le début de l'aventure, vraiment. Comme quoi d'avoir dormi sur le sol du gymnase avec Pia toute la semaine précédente n'avait pas eu que des désavantages, on retrouvait son lit avec un soulagement à peine voilé. Il savait bien pourtant que cela ne durerait pas, que d'ici ce soir il retrouverait ses mauvaises habitudes de sommeil et que cela durerait ainsi jusqu'à la fin de son séjour ici, ou jusqu'à la révélation de son secret s'il allait jusque là ; Que cela empirerait au fil du temps qu'il lui resterait avant son élimination, au fil des relations qu'il créait dans le nid. Son secret il l'assumait, qu'il le veuille ou non cela faisait partie intégrante de qui il était et il ne pourrait ni ne voulait nier cela, mais pour autant il ne ne portait pas avec fierté. Au contraire, il était de ces secrets que l'on portait en pénitence, et celle-ci n'en serait plus grande si elle devait gâcher ses relations avec certaines personnes ici. C'était stupide au fond, de se soucier à ce point du jugement de personnes qu'il ne connaissait ni d'Eve ni d'Adam il y avait encore de cela huit semaines, il en avait conscience, mais en réalisant qu'il tenait ici sa chance de se faire connaître tel qu'il était, sans étiquettes ou faux-semblants il n'avait pas hésité. Et maintenant il regrettait un peu, sans doute. Mais il n'y avait rien qu'il puisse faire contre ça, concrètement, alors il essayait de ne pas trop y penser ... Pas le choix. Il s'était levé à l'aube ce lundi matin, et sans le moindre mal puisqu'il avait bien dormi, alors profitant de ce que le soleil ne soit pas encore trop haut et la chaleur trop étouffante il était sorti courir, s'aérer le corps autant que l'esprit et accumulant les détours dans la forêt par simple plaisir. Et puis contre toute attente, plutôt que de rentrer ensuite à l'intérieur et d'enquiller douche et petit déjeuner il était allé s'échouer sur la plage, laissant un moment ses pieds glisser dans le sable avant d'y laisser tomber son tee-shirt, sa montre et ses baskets pour aller piquer une tête. Ce n'était pas trop son truc la baignade en eau de mer, il n'était pas particulièrement fan de l'eau salée et des vagues, mais après avoir couru cela faisait un bien fou et contre toute attente il avait nagé un moment. Jusqu'à ce qu'il ait froid, assez pour le persuader de retourner au sec et de s'allonger sur le sable pour se laisser sécher. Il avait faim, un peu, et risquait aussi le coup de soleil, mais tant pis. Un bras posé contre ses yeux pour se protéger du soleil qui commençait à l'éblouir il se laissait bercer par le bruit des vagues, assez pour se relaxer mais pas assez pour ne pas remarquer la présence nouvellement arrivée à côté de lui. Il n'avait pas bougé pourtant, sa mésaventure avec Lou lui avait servie de leçon et il essayait d'aller contre ses réflexes à ce niveau là. « Volim te. » Un sourire s'était étiré sur ses lèvres, malgré le pincement au cœur en entendant cette langue qui était la sienne, tandis qu'il reconnaissait la voix et prenait conscience de la présence de Tilda juste à côté de lui. Il avait gardé les yeux clos un court instant, sa main glissant jusqu'à Tilda et s'arrêtant à sa taille pour l'attirer contre lui « Je pas entendre ça depuis longtemps. » Sa langue natale tout d'abord, puisque de son point de vue à lui huit semaines c'était plus que long, mais ces mots-là encore plus, parce qu'on se doutait bien que ce n'était pas le genre de discussions qu'il avait avec ses collègues. « I ja tebe volim. » La dernière fois il avait répondu en bosniaque, cette fois-ci il répondait en serbe, preuve supplémentaire qu'il n'avait jamais trop su où se situer entre les deux. La dernière fois c'était un jeu, cette fois-ci c'était plus que cela, même s'il ne saurait pas vraiment dire dans quel sens ou jusqu'à quel point. S'appuyant sur l'un de ses coudes pour se redresser, il avait tourné le dos au soleil pour n'occuper son regard que par Tilda et laissé ses doigts quitter sa taille pour glisser le long de son bras « Il être comment, celui qui te apprendre ces mots ? » avait-il finalement demandé sans même chercher à camoufler sa curiosité. Il ne savait même pas pour quelle raison elle avait fait un séjour dans son pays, où à quand cela remontait-il. Il ne savait rien de tout cela mais il n'en était pas moins curieux.

Ce n'était pas spécialement par besoin d'être tout seul qu'Andreja restait sur la plage, plutôt que de se décider à rentrer à l'intérieur ; A cette heure-ci beaucoup de candidats devaient commencer à émerger, du moins il l'espérait. Mais sans l'avoir recherchée spécifiquement il avait finalement décidé de profiter de ce petit moment de solitude, parce qu'il était beaucoup moins difficile d'être tranquille maintenant que lors des premières semaines de jeu, et parce qu'il n'avait pas souvent l'occasion qu'on lui foute la paix lorsqu'il était à Chicago. C'était l'inconvénient au fait de vivre dans une ambassade, les uns et les autres se croyaient permis d'aller et venir dans votre chambre comme dans un moulin et il n'y avait presque aucun endroit où l'on ait l'assurance d'avoir la paix. Bientôt pourtant il avait tiqué sur le fait qu'il n'était plus aussi seul qu'il le croyait, mais en écoutant la voix et en reconnaissant les mots il n'avait eu aucun mal à deviner qui était la nouvelle arrivante, sans même avoir besoin d'ouvrir les yeux. Ça lui faisait un petit pincement au cœur, d'entendre parler sa langue, et puis l'accent de Tilda rendait la chose d'autant plus attachante. « Ne me dis pas que t'as pas d'admiratrice à Chicago qui te susurre des je t'aime longueur de journée, je n'en croirais pas un mot. » Il avait fini par ouvrir les yeux, et secoué doucement la tête tandis qu'un sourire amusé s'étirait sur ses lèvres. Elle n'avait assurément aucune idée du désert qu'était sa vie sociale depuis qu'il était à Chicago, la précarité de sa situation et ses difficultés avec l'anglais n'aidant en rien. « Pas le genre qui dire je t'aime, non. » Plutôt des filles comme Jessica à l'époque où il l'avait rencontrée. Des filles de passage, sans importance, des filles légères dont le seul point commun qu'elles avaient avec Andreja était de rechercher après un peu de chaleur humaine et du plaisir facile. Il n'avait jamais cherché ailleurs de toute façon, il ne courrait déjà pas après les relations sérieuses lorsqu'il vivait en Bosnie, alors encore moins depuis qu'il était à Chicago, alors que la situation était si peu idéale. Mais puisqu'il était question de relation et puisqu'il avait justement Tilda sous la main, au sens propre comme au sens figuré puisque ses doigts glissaient toujours le long de son bras, il avait questionné du bout des lèvres la jeune femme sur celui qui lui avait appris ces quelques mots dans sa langue natale. Elle avait laissé échapper un rire, léger, mais avait pourtant décidé de lui répondre « Déjà faut que tu saches que j'étais en Bosnie pour aider bénévolement dans un hôpital de campagne, mal barré. » Il s'était contenté d'un signe de tête, il voyait. A la frontière entre la partie république et la partie fédération sans doute, c'était là que les humanitaires étaient envoyés. C'était là qu'il se passait toujours des merdes. « C'était un patient, je l'ai recousu après une blessure assez grave au niveau de l'avant-bras. Il était assez hostile à ma personne mais moi bien entendu je le trouvais craquant et quand on me repousse j'ai tendance à encore plus aller vers l'autre. » Est-ce que cela l'étonnait, qu'elle soit du genre persévérante ? Pas du tout. « C'est le genre d'homme taciturne avec ses démons, ses problèmes et c'est souvent ceux là qui m'attire le plus d'ailleurs. » Et d'où sortait ce regard qu'elle lui lançait à présent, est-ce qu'il était supposé se sentir visé parce qu'elle venait de dire ? Tout le monde avait ses démons, et ses problèmes, lui essayait simplement de ne pas embêter les autres avec. Surtout ici, il profitait que les gens ne sachent pas, et il profitait bien. « Je plus me demander pourquoi tu choisir infirmière. » s'était-il contenté de faire remarquer d'un air taquin. Elles avaient ce truc en commun, les infirmières, cet désir latent de vouloir sauver tout ce qui pouvait l'être, et même ce qui ne pouvait pas l'être. Sa sœur était pareille. « Il est beaucoup plus beau que toi, si c'est ce que tu voulais savoir. » Non, ce n'était pas vraiment ce qu'il voulait savoir à vrai dire, mais se laissant entièrement retomber sur le sable en soupirant ses doigts avaient quitté le bras de Tilda et sa main était venue se poser contre son propre cœur, de manière théâtrale. « Tu juste briser mon cœur, voilà. Tu contente de toi ? J'espère tu te faire pardonner. » Il n'était pas assez bon comédien pour feindre la tristesse absolue, mais le regard de chien battu et le soupir profondément déçu cela ferait tout de même l'affaire. Et pour en revenir à l'amoureux transi de Tilda, donc, comment tout cela avait-il bien pu se terminer ? « On est resté ensemble un peu plus de six mois et puis ensuite je suis partie en Afrique. » C'est tout ? Elle était partie, comme ça ? Et pourtant elle continuait d'en parler avec une étincelle dans les yeux, comme si ce type l'avait plus marqué que ce qu'elle voulait bien dire. Peut-être que c'était le cas mais qu'elle préférait garder ce genre de détails pour elle, dans un coin de son palpitant, ou peut-être qu'elle était du genre à se souvenir de toutes ses anciennes histoires avec des étoiles dans les yeux. « Et toi alors, parles moi de la dernière fille à t'avoir dit « je t'aime ». » » Il avait laissé échapper un rire, à nouveau. Elle risquait d'être déçue si elle s'attendait à une histoire mignonne et palpitante comme celle qu'elle venait de lui raconter ; Après tout il lui avait déjà avoué n'avoir jamais été amoureux. Et n'avoir jamais fait d'effort particulier non plus, c'est vrai. Le voilà qui esquissait un sourire à nouveau, équivoque, tandis qu'il se redressait une nouvelle fois pour regarder entièrement Tilda « Hmm, brune. Jolie. D'accord, mieux que jolie. Italienne, je crois ... elle parle avec les mains, alors italienne. Elle chante, aussi. Oh et elle me demander de l'épouser un jour, mais je lui dire ça pas être possible si elle pas passer le test de mes sœurs, alors ... » Oh, quoi, ce n'était pas cette réponse là qu'elle attendait ? Au temps pour lui. Mais en théorie c'était bien elle, la dernière à lui avoir dit je t'aime, là, à l'instant. Bon, d'accord ... Et il supposait que ses sœurs justement, ou sa mère, ses nièces, bref tout cela ne comptait pas non plus dans sa question ? Bon. « D'accord. Ça être la sœur d'un adversaire à moi, y'a ... quatre ans ? Je crois. » Il ne se rappelait plus exactement, c'était loin maintenant. Il ne savait même pas ce qu'elle était devenue. « Elle surtout se intéresser parce que ça agacer son frère, je pense, au début. Mais elle être mignonne. Et elle avoir l'habitude aussi, avec son frère, alors elle pas me reprocher quand je revenir avec des bleus. » C'était peut-être pour ça qu'il l'avait gardée si longtemps, parce qu'elle ne couinait pas dès qu'il revenait avec un œil poché, des bleus sur les côtes ou le nez écorché, elle avait l'habitude, alors cela faisait un sujet de moins sur lequel s'engueuler. « Mais je te ai déjà dit, je jamais être "sérieux" avec quelqu'un. » Alors ses "je t'aime" au fond, ils avaient toujours été un peu à sens unique. Il la trouvait mignonne, comme il l'avait dit, et il avait apprécié sa compagnie le temps que cela avait duré, jusqu'à ce qu'elle comprenne qu'elle n'obtiendrait probablement jamais plus de lui, et qu'elle décide de s'en aller. Il n'avait pas cherché à la retenir, elle non plus.