On pourrait se demander ce que je fais toujours dans cette aventure alors que ma fille, l'être qui a donné un sens à ma vie, se trouve à l'extérieur. La réalité est que, nous sommes plus fortes que cela. Nous avons un lien qui ne se brise pas parce que nous sommes loin l'une de l'autre, notre amour est fort et je l'ai encore plus remarqué lorsque je suis rentrée chez moi après mon élimination. Ma fille est un trésor mais je ne peux rentrer pour le moment parce que j'aurai l'impression de ne pas finir mon aventure de la bonne façon. J'avais besoin d'être ici et surtout, j'avais besoin de révéler mon secret à l'ensemble des habitants. Je ne sais pas trop ce qu'ils en pensent, l'idée qu'ils se font de moi suite à cette révélation mais j'espère que cela ne change pas trop de l'idée qu'ils avaient déjà avant. Encore, je m'en fous de l'avis de certains mais l'avis d'autres comptent réellement. Andreja, que j'aperçois sur le balcon, fait parti de cette deuxième catégorie de personne. Et je prends d'ailleurs la décision de le rejoindre. Le bruit de la porte semble avoir attiré son attention puisque le bosniaque se retourne directement pour poser son regard sur moi. Je lui adresse un petit sourire, rien de très extravagant mais un sourire sincère. «Ça te dérange pas si j'viens un peu près de toi ? J'aimerais passé du temps en ta compagnie avant que nos chemins se séparent et que tu retournes aux USA.» Mes doigts s'accrochent à la rambarde sur laquelle je m'appuie sans aucune hésitation.  Mon regard se posent sur l'environnement dans lequel j'ai vécu si longtemps, sur ce nid que je ne reverrais plus après cette semaine. Dire que je suis déjà nostalgique, c'est fou. «Et je tiens à te féliciter pour ta place en finale... Tu la méritais.» Amplement même. Il était de loin, celui que je soutiendrais le plus et j'espérais qu'il le savait.

C'était leur toute dernière soirée dans le nid. Enfin, presque, il y avait encore le prime du lendemain soir mais ce ne serait pas la même chose ... Ce soir c'était leur dernière soirée de tranquillité, à profiter du nid, de ses pièces, de sa vue, et Andreja ne savait pas trop ce qu'il ressentait à propos de cela. Ce n'était pourtant pas son fort, la nostalgie, mais cela tenait peu-être au fait que depuis trois ans c'était la première fois qu'il se sentait vraiment bien quelque part. Oh il n'était pas malheureux au consulat, il fallait remettre les choses à leur place, et de toute façon tout était mieux que la cellule de huit mètres carrés du quartier d'isolement dans lequel il avait été enfermé pendant des mois, sans qu'il ne sache vraiment si c'était des autres ou de lui-même qu'on essayait de le protéger, du nouveau coup de sang d'un détenu trop heureux de faire le ménage, ou de sa propre tentation de suivre le même chemin que son frère, dont la vie s'était arrêtée pendue au bout d'un drap. Il n'était pas malheureux à Chicago, il avait conscience de la chance qu'il avait d'être sorti de prison alors que dix-huit années d'enfermement lui pendaient initialement au nez, mais pour autant il ne s'y sentait pas bien non plus ... Il n'était qu'un paumé là-bas, un étranger incapable de trouver sa place dans un pays au style de vie bien trop différent du sien. Il ne savait pas pourquoi il n'avait pas cette sensation dans le nid, peut-être parce qu'il avait pu être lui-même pendant onze semaines, sans les préjugés habituels. Il avait été interrompu dans ses pensées par l'arrivée d'Elsa sur le balcon, et lui avait adressé un sourire. Est-ce qu'elle aurait réagi de la même manière ce jour-là sur le parking, à Dublin, si elle avait su qui il était ? « Hey. » La suivant des yeux tandis qu'elle venait s'accouder à la rambarde il avait écrasé son mégot de cigarette contre le cendrier posé à côté de lui, et relevé les yeux vers l'australienne tandis qu'elle lançait « Ça te dérange pas si j'viens un peu près de toi ? J'aimerais passé du temps en ta compagnie avant que nos chemins se séparent et que tu retournes aux USA. » Le déranger ? Pourquoi au juste cela le dérangerait-il ? Ils n'avaient pas trop eu l'occasion de discuter la semaine précédente, seulement rapidement, et pourtant il avait été heureux de la voir revenir dans le nid. Il espérait que ce serait le cas, même si avec sa fille dehors il n'était pas certain qu'elle le ferait. Et puis, c'était surtout lui maintenant, qui avait peur de dérangé ou d'être indésirable, lorsqu'il cherchait la compagnie d'un des habitants. « Et je tiens à te féliciter pour ta place en finale ... Tu la méritais. » Il ne savait pas vraiment s'il méritait sa place, certains demi-finalistes la méritaient au moins autant que lui, alors c'est fou comme cela semblait se jouer à rien, parfois. « Merci. » s'était-il pourtant contenté de répondre, un fin sourire sur les lèvres, avant de se pencher vers elle et de déposer un baiser sur sa joue. « Je pas penser ça passer si vite ... enfin, je pas penser je rester ici longtemps comme ça, déjà. » Non, à vrai dire ses difficultés de langage lui faisait prédire une fin bien plus courte à son aventure, parce qu'on se laissait assurément vite de sa façon de parler comme un gosse de six ans. Et pourtant il était là, encore, il ne savait trop comment ... Et tout cela allait lui manquer, plus qu'il ne l'aurait pensé. « Tu vas me manquer. » C'était avoué d'un air triste, résigné. Parce qu'il savait bien qu'il ne reverrait pas la plupart des gens qu'il aurait rencontré ici ; Il reverrait Pia et Tilda, pour sûr. Lou aussi, par extension, parce qu'il avait bien prouvé qu'il avait besoin de Tilda dans sa vie. Mais à part ça ? Ce n'était pas une question d'envie, simplement une question d'opportunités, et si ces opportunités étaient déjà limitées de base, elles l'étaient encore plus lorsque l'on était comme lui limité dans ses mouvements, et dans l'incapacité de voyager. Elsa vivait à l'autre bout du monde, littéralement.