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Mercredi, 15h passé de quelques minutes. Pour Mylah, c’est l’heure de se mettre au ménage. Elle le fait chaque jour, en réalité, mais le mercredi est le jour consacré au bon entretien de son appartement ainsi que de ses affaires. Sauf qu’elle n’a ni l’un, ni l’autre sous la main en vue du contexte actuel. De plus, elle n’a pas vraiment les objets pour faire le ménage. Ce n’est pas pour autant qu’elle compte tirer un trait sur son activité du mercredi après-midi, qui va l’occuper jusqu’à 18h. Non, c’est impensable, elle sera perturbée et elle passera une mauvaise journée. Elle sera assassine envers les autres et elle doit faire ses preuves cette semaine, ce n’est pas le moment de montrer les crocs. Mylah commence par plier soigneusement le sac de couchage de la tente qu’elle partage avec Adélie. Ce n’est pas parce qu’elles ont un sac de couchage qu’il ne mérite pas d’être soigné, comme le serait une couverture de lit. Elle s’évertue à passer sa main à droite et à gauche pour enlever la terre qui s’est frayée un chemin jusqu’à l’intérieur de la tente. Puis, elle a une illumination. La tente mise en ordre en quelques minutes, elle se dirige d’un pas pressé mais toujours léger en direction de la cabane abandonnée, là où la nourriture est acheminée et stockée. Une fois à l’intérieur, une grimace d’effroi s’affiche sur son visage en voyant la nourriture disposée n’importe comment. Et puis, la grimace fait place à un maigre sourire, à l’idée d’avoir du travail et surtout de quoi s’occuper, sachant qu’elle déteste rester inactive. Il n’y a pas beaucoup de nourriture, le strict nécessaire, mais peu importe, elle a du travail et c’est l’essentiel. Elle s’affaire à déplacer les conserves, les fruits, les légumes, de droite à gauche, échangeant leur place, se reculant pour observer l’œuvre qui se dessine devant elle, avant d’échanger à nouveau une conserve avec une autre, d’en placer une sur l’étagère de droite plutôt que sur celle de gauche. Saveurs, dates, calories, couleurs, grandeurs, inclinaison de l’étiquette, tout y passe. Chaque détail, jusqu’à ce que les étagères lui plaisent, enfin.  C’est ensuite le tour des boissons, puis elle se tourne les fruits et légumes, qu’elle trie par couleur, afin d’en faire un dégradé agréable à l’œil. La jeune femme est tellement concentrée qu’elle ne remarque pas l’intrus présent dans la cabane. Elle lui prête attention uniquement quand elle a terminé avec les fruits et légumes, et quand elle réalise qu’il pose n’importe où la boite de conserve dont il vient de se saisir. « NON ! » Elle s’exclame, le visage déformé par une grimace d’horreur en apercevant ce que le candidat vient de faire. Il l’a insultée. Ni plus, ni moins. Il l’a insultée elle, l’éducation que ses parents lui ont donnée ainsi que son organisation impeccable. Il a déposé la conserve salée sur l’étagère des denrées sucrées. De plus, il l’a positionnée au-devant de l’étagère, ne respectant ainsi pas l’ordre établi par Mylah concernant les dates de péremption. Les plus aptes à périmer à l’avant, celles qui se conservent plus longtemps à l’arrière, gaspillage alimentaire évité au maximum, merci Mylah. « Ce n’est pas sa place. » Elle finit par ajouter, passant devant le candidat sans lui prêter attention, bien trop concentrée sur le fait de replacer la conserve à sa place et ce, le plus vite possible. « C’est classé par saveur, puis par date de péremption, nombre de calories et éventuellement pas grandeur de l’emballage. » Elle explique, comme si cela coulait de source. Il faut qu’elle éduque, où ils vont détruire son travail, chose impensable. « Tu vois, là tu as le sucré, là le salé, ici l’amer et enfin l’acide. » dit-elle en montrant à chaque fois l’étagère correspondante. « Les fruits sont classés par couleurs, tout comme les légumes. Et les bouteilles, c’est par grandeur. » Ce n’est que la partie immergée de l’iceberg, il n’a pas encore vu le réfrigérateur. « C’est enregistré ? » Elle demande, sans une once de méchanceté ou de reproche dans la voix, simplement pour s’assurer que sa manière de faire est compréhensible pour le commun des mortels. Ce n’est quand même pas compliqué d’être un peu ordonné, c’est un minimum quand on vit en communauté.

Mon ventre n’est pas content. Il n’y a qu’à voir la manière dont il grogne, on dirait qu’il m’engueule. Oui, je me fais engueuler par mon ventre. C’est vrai que j’ai l’habitude de manger beaucoup, tout le temps. J’ai un appétit d’ogre, tout le monde le sait. Et au cas où certaines personnes ne le savent pas encore, ils s’en rendront bien vite compte lorsqu’ils n’auront plus rien dans leur assiette parce que j’aurai tout englouti. Alors même si ça fait à peine une heure que je suis allé prendre quelque chose à manger, je retourne sans aucune gêne dans la cabane abandonnée. Il faut bien que je me nourrisse, n’est-ce pas ? Contrairement à la dernière fois où j’y suis allé, il y a cette femme qui range les fruits et légume. Je reste un instant bloqué sur ce qu’elle fait sans pour autant dire quoi que ce soit. Est-ce que ça se rangeait, même, des fruits ? Bon, de toute façon j’ai trop faim pour penser à ça. Elle pouvait bien faire ce qu’elle voulait, c’te bonne femme. Je replace la boîte sur l’étagère après m’être servi avant de sursauter face au cri de la jolie blonde. C’est ahuri que je la regarde, beaucoup trop choqué pour dire quoi que ce soit. Je n’en reviens pas. Bouche bée, je l’écoute déblatéré sa philosophie sur le rangement. « T’es c-complètement f-folle. » je fais remarquer dès qu’elle a fini de parler. Déjà, personne de normalement constitué ne pouvait être accroc à l’ordre comme ça. « C’est a-assez grave quand m-même, tu devrais c-consulter. » je rajoute, alors que j’attrape deux, trois conserves pour inverser leur place, histoire de voir sa réaction.

Elle est horrifiée quand le jeune homme présent dans la cabane dépose une conserve à une place qui n’est pas la sienne. Elle n’a tout de même pas fait tous ses efforts pour qu’un imbécile les réduise à néant. Alors elle le stoppe dans sa course, mais c’est trop tard. Elle s’empare de la conserve et prend soin d’expliquer au malotru le processus de rangement, afin qu’il ne fasse plus la même erreur. C’est rangé très simplement, selon elle, il devrait donc pouvoir s’y retrouver si elle lui donne quelques indications qui sont loin d’être compliquées ou impossibles à mémoriser. Il l’écoute sans rien dire et cela arrache presque un sourire de Mylah qui a l’impression d’être enfin comprise. Enfin, c’est jusqu’à ce que le brun reprenne la parole. Elle fronce les sourcils. Folle ? « Et toi, tu bégaies. » Un partout, la balle au centre. Pas qu’elle soit vexée par le fait qu’il la considère complètement folle, il n’est pas le premier ni le dernier à lui faire la remarque, mais elle ne l'apprécie pas pour autant. Ceux qui disent cela, ils sont jaloux de son sens inné de l’organisation. Ce n’est pas sa faute, à elle, si certaines personnes préfèrent vivre dans une porcherie. Quoi qu’il en soit, s’il se décide à lui faire une telle remarque, elle ne se gêne pas non plus. D’autant plus qu’il ne s’agit pas d’une moquerie, simplement d’un fait avéré qu’elle expose à voix haute. Il bégaie, c’est triste pour lui. Et triste pour les oreilles de Mylah qui vont probablement tiquer à chaque mot qu’il prononce. Ce n’est pas dur pourtant, d’aligner les syllabes correctement. « Je ne vois pas en quoi être un minimum organisée s’apparente à de la folie. » Elle ajoute malgré tout. Parce que ça l’énerve qu’on la traite de folle simplement parce qu’elle prend soin de l’environnement qui l’entoure et qu’elle veille à ce que celui-ci soit organisé. Cela a ses avantages, elle s’y retrouve bien mieux et surtout, elle ne participe pas au développement d’une nouvelle forme de vie. Il devrait la remercier, plutôt que de la traiter ainsi. Il ajoute qu’elle devrait consulter, ce à quoi elle lève les yeux au ciel avant de machinalement passer derrière lui pour reprendre les conserves qu’il vient de déposer à une place qui n’est pas la leurs pour les remettre à celle qu’elle leur a attitré. « Je n’en ai pas besoin, merci de t’en soucier. » Elle dit, se retournant à nouveau vers le jeune homme. « Tu cherches quoi ? » Parce que c’est certain qu’il cherche quelque chose, il ne déplace pas les conserves pour le plaisir de les déplacer. Et comme elle est en mesure de lui dire où tout se trouve, autant éviter qu’il réduise à néant ses efforts, car elle considère qu’il n’est pas le plus apte à s’approcher des étagères.  

Et moi, je bégaie. Quelle observatrice, c’te blonde. Alors la légende disait vraie, les blondes avaient le cerveau cramé et ça avait contaminé leur racine de cheveux, ce qui expliquait cette couleur. Quand je voyais c’te nana devant moi, je ne pouvais pas m’empêcher qu’effectivement, son cerveau avait complètement cramé, ce qui expliquait par conséquent cette décoloration de cheveux dû au choc. « F-folle et intelligente » je rajoute, ironique. Il fallait être sorti de Harvard pour remarquer que je bégayais. Par contre, il fallait être un peu plus minutieux pour remarquer qu’elle était folle. Mais bon, j’étais certain que beaucoup partagerait mon avis. Je ne peux pas m’empêcher de rire lorsqu’elle parle d’être « un minimum organisé ». C’était donc un minimum ? Parce que je ne voyais pas comment on pouvait être plus organisé que ça, en fait. Une vraie maniaque. « On peut être un m-minimum organisé, ou être une maniaque d-de l’ordre. T’es d-dans la deuxième c-catégorie ma j-jolie. » j’annonce avec un sourire aussi satisfait que d’habitude. Quoi qu’il en soit, je suis ni l’un, ni l’autre. Ni organisé, ni maniaque. Je me fiche pas mal que les choses soit en ordre ou non. Et c’est bien pour ça que je m’amuse de voir une personne qui est tout mon contraire sur cette question là. Je déplace même quelques boîtes de conserve pour voir sa réaction qui ne se fait pas attendre. Aussitôt, elle replace tout dans l’ordre. Une vraie folle, c’est moi qui vous le dis. Pourtant, ça me fait drôlement sourire. « Je v-veux la boîte d’haricot r-rouge qui périme le 15 a-avril à 16h38 et la b-banane avec une bosse en haut à d-droite et qui à un côté qui t-tire un peu au v-vert. » Oui, je me fous de sa gueule, et oui, ça m’amuse.  

Elle est folle, il bégaie, à chacun son tare. Elle aime être en position de force, Mylah, alors elle ne compte pas le laisser la traiter de folle et s’en tirer, et tant pis si sa réflexion n’a rien d’inédit puisqu’elle se contente d’appuyer sur un fait existant. Disons simplement qu’elle le trouve mal placé pour lui faire une réflexion sur sa façon de se comporter quand lui-même n’est pas capable d’aligner une phrase de huit mots sans buter sur la moitié de ceux-ci. C’est désespérant. Il a quoi, vingt-cinq ans ? Il aurait pu  s’occuper de son problème de locution. Il parait que cela marche très bien, la thérapie par le chant, pour les bègues. En voilà une idée qui n’aurait pas été mauvaise s’il était moins occupé à émettre des jugements sur les autres. « Tu n’as pas buté sur intelligente, c’est un bon début. » Et cela veut tout dire. Elle est intelligente et il l’a remarqué, bien que cela soit dit de manière ironique. Sauf que l’ironie, Mylah s’abstient de la comprendre quand cela l’arrange. Elle pourrait se montrer plus délicate par rapport à l’handicape du jeune homme, mais elle ne voit pas de raison de l’épargner. Il a un handicap, tant pis pour lui, ce n’est pas une raison pour peser ses mots. Il n’a pas eu de chance, elle ne va pas pour autant le persécuter mais elle ne va pas non plus le protéger. Quant à la possibilité qu’elle soit folle, elle ne tarde pas à le rectifier en expliquant qu’il ne s’agit que d’un minimum d’organisation. Bien-sûr, vu l’état des lieux, entre les déchets et les aliments balancés n’importe comment dans la réserve, elle se doute bien que c’est une notion que beaucoup n’ont pas. Maintenant, elle est une maniaque de l’ordre. Mylah lâche un soupir léger avant de se retourner en direction du jeune homme. « Parole d’un bordélique, je suppose ? » À ne pas douter. De toute façon, ça se voit sur lui. Elle est douée pour repérer les gens qui vivent dans la propreté, l’ordre, l’organisation et … les autres. Comme lui. Il déplace quelques boites de conserve et Mylah s’exécute machinalement pour les remettre à leur place. Elle finit par lui demander ce qu’il recherche précisément, ça l’évitera de devoir repasser derrière lui. « Tu le fais exprès ? » Elle demande accusatrice, tandis qu’elle se dirige vers l’une des étagères, se saisissant d’une boite de conserve. « Les haricots rouges en conserve ne peuvent pas périmer durant un si court laps de temps. » Il faut décidément tout leur apprendre. Elle se dirige ensuite vers l’étal des fruits pour se saisir d’une banane qui correspond à sa description. Et bingo, il y en a une. Elle arrive à saisir le second degré, en principe, mais quand il s’agit de l’organisation, elle en est incapable. Dommage pour elle, si elle avait su, elle n’aurait pas fait l’effort de tendre les deux aliments au brun. Sauf qu’il ne semble pas réagir tout de suite et que Mylah a une patience à peu près équivalente à celle d’un gamin de cinq ans dans ce genre de situation. « Il y a quelqu’un ? » Elle demande, lasse, bougeant ses mains pour le faire réagir. Elle va pas rester plantée ainsi durant dix minutes, le voilà prévenu.