Sayid n’avait pas bien dormi, perturbé par ces éliminations auxquelles il ne s’attendait pas un instant, par cette place en demi-finale qui lui paraissait trop belle pour être vraie, et par le retour d’anciens candidats dont certains avaient investi - ou réinvesti - la chambre Elvis dans laquelle il était pourtant tellement tranquille, maintenant. Parce qu’on ne pouvait pas dire qu’Adélie soit la plus embêtante des colocataires, et à elle il se faisait sans trop de mal ... il aurait simplement souhaité que cela reste ainsi. Levé à la même heure que pratiquement tous les jours depuis qu’il était ici, Sayid avait occupé sa matinée comme il le faisait également chaque jour, investissant la salle de bain avant qu’elle ne soit prise d’assaut par les autres candidats, ne coupant pas à sa balade journalière en forêt et regagnant l'intérieur en fin de matinée pour traîner un peu jusqu’à l’heure de manger. Le midi Sayid déjeunait généralement assez tôt, là encore toujours dans une volonté d'éviter les heures d’affluence, tant et si bien qu’il avait pris la direction de la cuisine un peu avant midi. L’odeur de brûlé qui s’en dégageait avait tout de suite retenue son attention, et avec méfiance il avait poussé le battant de la porte en se demandant bien ce qu’il allait trouver derrière, et surtout qui. Il n’avait pas eu tout de suite la réponse à cette seconde question, mais au bout de quelques instants une petite tête, penaude, était apparue derrière le plan de travail et le britannique avait sans mal reconnu les grands yeux de Gigi tandis qu’elle se redressait et semblait se chercher un air nonchalant pour justifier sa catastrophe. « J'ai essayé de faire quelque chose pour vous tous, mais je crois que c'est mieux quand je fais rien. Je vais tout jeter c'est même pas mangeable, je crois que pourrais tuer quelqu'un avec, genre c'est aussi dur qu'un cailloux. Pourtant je voulais mettre des petites paillettes là, c'est joli non ? » De son air convaincu elle avait désigné les paillettes alimentaires posées sur le comptoir, mais qui dans l'état actuel des choses serviraient à peine de cache-misère si elle décidait de les mettre malgré tout sur ses muffins carbonisés. « Tu aurais du demander de l’aide à Joey. » parce que parait-il la rousse était revenue, et qu’il ne comprenait même pas comment Gigi avait pu ne pas sauter sur l’occasion de lui demander de lui filer un coup de main. C’était elle l’experte en cuisine, après tout. Là le four s'était manifesté à nouveau et la jeune femme s'était exclamée d’un air dépassé « Ah non, pas encore. » avant d’entreprendre de sortir du four une nouvelle fournée de muffins carbonisés, laquelle avait terminé sur le sol en un clin d’oeil lorsque Gigi s’y était brûlée « Aïe, aïe, aïe. » Il y avait peut-être pire danger culinaire que Lamine, finalement. Contournant le plan de travail pour rejoindre Gigi il avait poussé avec sa chaussure le moule à muffins pour le dégager de leur passage, et murmuré « Viens là. » en entraînant la jeune femme vers l’évier, allumant l’eau et attrapant sa main pour qu’elle la passe en dessous. Elle avait l’air au bord des larmes, et il ne saurait pas vraiment dire si c’était de s'être brûlée ou bien d’avoir raté ses pâtisseries, mais Sayid en tout cas n’avait pas lâché sa main comme si c’était tout ce qui l'empêchait encore de fondre en larmes. Y’avait bien un truc sur lequel Akela avait raison, Sayid les larmes ce n’était pas vraiment son truc. « Je t’aide à ranger tout ça et ça restera entre nous. Ça te va ? » Il en était quasiment certain qu’elle n’avait pas envie qu’on la trouve ridicule, et que là justement elle se trouvait affreusement ridicule. Alors si y’avait que ça pour lui faire plaisir, bon.

Il n'avait pas spécialement faim, pour dire vrai, mais ses habitudes c'était un peu tout ce qui lui restait à mesure que les semaines passaient et qu'il avait l'impression de perdre un peu pieds dans cet environnement. Il était satisfait de pouvoir se hisser jusqu'en demi-finale même s'il avait un peu de mal à y croire, et il se contentait surtout de penser à la cagnotte qu'il avait possibilité de valider, mais cela ne l'empêchait pas pourtant d'avoir de plus en plus hâte de retrouver sa vie à l'extérieur. La réserve, son appartement, et même ses collègues, un peu, alors que rarement les gens lui manquaient vraiment ... Mais cela faisait plus de deux ans qu'il vivait avec eux tous les jours, pour lui qui n'avait plus aucune famille sur qui compter c'était un peu eux désormais sa famille. Il avait appris à les apprécier, presque à les aimer, même si son sentiment le plus fort il le réservait à ces animaux qu'il voyait grandir et évoluer depuis tout ce temps. Pour les autres l'attachement était un peu exagéré, pour lui il n'était qu'à la mesure de la confiance qu'il leur portait, cette confiance qu'il ne parvenait presque plus à accorder à un être humain par peur du retour de bâton. Il retrouverait bientôt tout ça, il en avait besoin, mais pour l'heure il était toujours enfermé ici et si les premières semaines cela relevait pratiquement de la punition il avait depuis appris à trouver un peu ses marques et à se sentir rassuré par certaines présences et certains lieux. L'odeur de brûlé s'échappant de la cuisine n'en faisait en revanche pas partie, et pressant un peu le pas il était entré dans la pièce sans trop savoir ce qu'il y trouverait ... Et en fin de compte ce n'était pas beau à voir, inutile de se mentir. A moitié cachée par le plan de travail Gigi avait néanmoins tenté de se justifier, ayant assurément l'air beaucoup moins détendue qu'elle voulait le faire croire. Pourtant il l'avait déjà entendu dire qu'elle n'était pas à sa place dans une cuisine, alors tout bêtement si elle voulait des muffins il se demandait pourquoi elle n'avait pas profité de la présence de Joey pour lui en demander. Cela ne semblait jamais lui avoir posé de souci jusqu'à maintenant. « Je voulais pas l'embêter, elle vient de revenir elle va croire qu'elle compte pour moi juste pour son talent culinaire. » Elle avait répondu cela d'un ton boudeur, et même si Sayid avait eu vis à vis de Joey cette impression de bienveillance qui le faisait peiner à croire qu'elle pourrait refuser d'aider Gigi si celle-ci le lui demandait, il comprenait aussi les motivations de la jeune femme à ne pas l'avoir fait. « Pourquoi tu ne prends pas des cours de cuisine, en sortant d'ici ? » Elle ne cessait de dire qu'elle s'ennuyait toute seule, et que malgré son confort matériel sa vie était un peu ennuyeuse, alors prendre des cours de cuisine c'était peut-être un moyen d'ajouter une corde à son arc et d'occuper ses journées. Sayid avait renoncé à l'idée de la persuader qu'elle méritait mieux que d'être coincée dans une vie qui ne la faisait pas rêver, puisqu'elle semblait l'avoir choisi, mais il ne tenait qu'à elle de trouver comment remplir ses journées autrement qu'en achetant des vêtements. Elle n'en était pas encore là en tout cas, pour le moment ils étaient toujours dans cet hôtel, et tout ce qu'elle venait de réussir à faire c'était de se brûler en ne faisant pas attention. Ne se préoccupant pas des muffins qui de toute manière semblaient difficilement mangeables, Sayid s'était plutôt employé à lui faire passer sa main sous l'eau en priant presque pour qu'elle ne se mette pas à pleurer. Ce n'était pas qu'il était insensible mais les larmes il ne gérait pas, sans doute parce que c'était un des rares trucs dont lui était totalement incapable. Tandis que la jeune femme murmurait « Merci. » lui cherchait donc un moyen d'alléger un peu sa contrariété. Il n'y avait pas de miracle pourtant, tout ce qu'ils pouvaient faire actuellement c'était ranger, et tout ce qu'il avait à lui proposer c'était donc de l'aider et de garder cet épisode pour lui. Personne d'autre n'avait besoin de savoir, au fond ... du moins si Akela ne se chargeait pas d'immortaliser l'instant. « Ok. » Elle ne semblait pas très sûre d'elle, pourtant il allait bien falloir s'y mettre si elle ne voulait pas que certains candidats - ou Cupidon lui-même - ne fasse une crise en voyant le chantier. « Je suis désolée, tu sais si t'as pas envie de nettoyer mes bêtises tu peux juste sortir de la cuisine et faire comme si t'étais jamais venu là, je me débrouillerais, je veux pas t'imposer ça. » Il doutait que ce soit véritablement ce qu'elle souhaitait, devoir ranger tout ce foutoir toute seule, mais c'était néanmoins mignon de sa part de lui proposer l'alternative. « Je n'aurai pas proposé si je n'avais pas envie de t'aider. » avait-il simplement répondu d'un ton calme, adressant même ) la jeune femme un léger sourire pour qu'elle cesse de s'inquiéter à ce sujet. Lui lâchant enfin la main, puisqu'il ne l'avait à vrai dire pas encore fait, il s'était saisi d'une éponge et avait annoncé « Je m'occupe du plan de travail, et toi de ce qui est par terre ? » Ce n'était pas véritablement une question en fin de compte, il préférait éviter d'avoir à se baisser ou se mettre vraiment par terre, de peur de ne pas réussir à se relever tout seul. Il ne tenait pas vraiment à demander de l'aide à Gigi pour se remettre debout, par principe. Attrapant une éponge il avait marqué un temps d'arrêt, et tenté du bout des lèvres « On devrait essayer de deviner un truc sur l'autre, chacun notre tour. » Il disait cela comme si c'était une obligation, alors qu'en fait il essayait juste de palier au fait de ne pas savoir faire la conversation en reprenant à son compte une idée que Maha avait eu avec lui quelques semaines plus tôt. « Par exemple ... je pense que tu es bien moins naïve que tu ne voulais nous le faire croire au début de l'émission. Et que le naturel revient au galop, petit à petit. » Ce n'était pas un reproche, loin de là, et même c'était quelque chose qu'il pensait avoir observé au fil des semaines et qui rendait à ses yeux Gigi plus intéressante.

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