Margaret, ô Margaret, je lui dédierais bien une chanson. Elle me faisait tellement d’effet, Margaret. Quand elle me servit une louche de soupe, c’est comme si toute l’humanité était morte dans son regard. Aujourd’hui, au menu, une soupe d’origine inconnue. Alors que je me dirigeai vers les tables pour aller m’installer, je tentai d’analyser les ingrédients  de ce mystérieux liquide en lui jetant plusieurs coups d’yeux suspicieux. Le bol était chaud, ça semblait déjà être un bon point puisque même si le goût était dégueulasse, ça me réchaufferait un peu de l’intérieur. Parce que honnêtement, ici en Irlande, il ne faisait pas chaud-chaud à cette période, comparé à la température de Mumbai. Je posai mon bol en vitesse sur la table que j’avais atteint car mes mains commençaient à ne plus pouvoir supporter la chaleur du récipient. Je distinguai une meuf à la chevelure flamboyante (@Scarlett), assise seule à cette table. « C’est pas réservé à un ami imaginaire, par hasard ? » lâchai-je en ricanant gentiment. Il n’y avait personne à coté d’elle et j’essayais de faire de l’humour.  Je m’accoudai à la table en attendant que le liquide verdâtre refroidisse et tandis que mes yeux scrutaient le bol pour en analyser sa composition et sa consistance, je continuai la conversation. « Ca va, la vie en cellule, tout ça, bien ou bien ? » demandais-je comme si je l'avais toujours connue alors que mes jambes commencèrent à s’écarter et se rapprocher de manière répétitive, comme il m’arrivait souvent de faire lorsque j’étais attablé. Je touillai dans mon bol avec ma cuillère et me risquai à goûter le délicieux nectar de Margaret. Not bad. J’affichai une moue dubitative mais pas dégoûtée. Ca ferait l’affaire, hein, je n’allais pas commencer à faire le difficile même si je ne pensais clairement pas être logé à cette enseigne-là. Un barbu (@Grey) se dirigea vers les tables du réfectoire et je captai son regard pour qu’il nous rejoigne, s’il en avait envie. Autant faire une table de conversation autour de ce potage, tant qu’à faire. Je suis certain que la chaleur de cette soupe nous permettrait de faire connaissance. Elle ne lésinait pas sur la puissance de sa cuisinière, cette sacrée Margaret.  

Bon dieu, ma mère fait des soupes plus appétissantes fut probablement la première pensée qui s'écrasa au fond de cette tasse lorsque le liquide verdâtre de notre chère Margaret se répandit dans le récipient. Avalant ma salive comme on avalerait un morceau de pomme bien trop gros, une moue presque enfantine, à la limite du caprice était venue dorer mon visage alors que celui de la femme en surpoids ne semblait pas broncher d'un millimètre. « Merci Mam's, la classe, comme toujours. » Mais ça, c'était simplement parce qu'avec son air à moitié endormi, je ne pouvais m'empêcher de la comparer à Grumpy Cat, faut dire qu'il y avait un paquet de ressemblances. Il ne manquait plus qu'une paire de lunettes noires et un cigare à la bouche pour qu'elle nous la fasse en mode Thug life. Heureusement, pour la crédibilité de l'émission, nous n'en étions pas encore à de tels extrêmes. Mon plateau me semblait bien vite, et ce alors même que je n'étais pas non plus un gros mangeur. Disons que j'aurais tout donné pour une part de pizza faite maison, dieu sait que j'en raffolais. Avec un peu de chèvre au miel, aussi, tant qu'à faire. Au lieu de ça, j'avais le droit à une soupe de légume, probablement aux épinards moulus ou quelque chose du genre. Limite, j'avais envie de pleurer quoi. Bon, peut-être pas. En m'avançant dans la salle, je repérais deux petites âmes en peine et me décidait à les rejoindre, en les saluant au passage par un « Hé Arnold, Brindacier. » et ce le plus naturellement possible. Je me souvenais vaguement de la conversation que j'avais eu avec la rousse lors du dernier prime. Vaguement parce qu'en toute honnêteté, toute cette soirée me semblait déjà bien loin. Seulement trois, quatre jours en prison et je n'en voyais déjà plus le bout. Tous les regards étaient portés vers Margaret. « Moi j'pense que c'est un robot. C'est pas possible autrement. Ou alors elle a été lobotomisée, ce qui expliquerait pas mal de choses. » répondis-je, légèrement pensif, avant d'ajouter. « Vous imaginez qu'elle a quelle genre de vie, à l'extérieur ? » Genre, elle sort d'ici parfois, au moins ?

La roussette a l’air d’être quelqu’un d’inhabituel si bien qu’on dirait qu’elle s’est fixée comme but dans la vie de ne jamais répondre aux questions qu’on lui pose mais bel et bien d’en reposer de nouvelles. J’haussai les épaules avec une moue résignée. « On était quatre » je commençai, en m’installant plus confortablement comme si j’allais raconter une histoire d’une heure. « Adhik, Charles et Makur, on faisait toujours plein de conneries ensemble, on se marrait bien » j’enchainai. « Sauf qu’ils étaient vraiment vivants » je terminai, sourire jusqu’aux oreilles. Je n’avais jamais vraiment été solitaire au point d’avoir le besoin de m’inventer des amis imaginaires. J’avais toujours été très entouré de ma petite clique. « Je pense que les acteurs se sentent bien mieux que nous » je répondis, du tac au tac, puisque ces acteurs dans les séries télé pouvaient, eux, entre deux prises, aller se rincer la bouche au champagne s’ils le voulaient. Le barbu accepta tacitement l’invitation à s’asseoir et nous rejoignit dans notre table de conversation sur notre bonne vieille Margaret, tout ça alors que nous étions en train d’essayer vainement de refroidir ce liquide provenant tout droit d’un volcan. Visiblement, il m’avait baptisé Arnold. Ca ne me dérangeait pas. « Moi j’parie que c’est une vieille meuf seule qui sort jamais de chez elle et qui adore les télé-réalités en tous genres. Ca a viré à l’obsession récemment et du coup, elle aurait accepté de venir nous faire à bouffer gratos juste pour pouvoir toucher à la télé-réalité de plus près. Une grosse malade quoi. Je l’aime bien cette Maggie. Elle va au bout de son rêve. » Maggie, c’est son petit nom qui circule au sein de la prison. Après tout, c’est devenu notre référence à tous, ici, notre jolie et bonne grosse Maggie. « J’aimerais bien fumer un joint avec elle, pour la dérider un peu. Histoire de voir si elle a des émotions derrière ce masque de désintérêt profond qui se lit sur son visage. » Mais ce serait difficile sans tabac, beuh ni briquet, putain. Je portai la deuxième cuillère de soupe chaude à ma bouche et goûtai à nouveau le délicieux met de notre maman à tous ici. Analyse plus poussée cette fois. Pas bon, ni mauvais. Juste potable. « Bon app’ » je leur dis, en continuant à boire.