Munie d’un énorme gilet en grosse maille je traine les pieds vers la salle de détente. Ca va être mon spot pour la journée je le sens. Il pleut des trombes sans s’arrêter, c’est vraiment un pays de merde. La production doit être composée d’une belle brochette de connards car après nous avoir mis en taule gratuitement, d’ailleurs je ne pense pas que tout ce bordel soit très éthique, ils sont pas foutus de nous fournir l’attirail nécessaire à la survie irlandaise. C’est bien beau de nous mettre un micro dans la douche et des draps en soie mais en attendant des bottes de pluie et un k-way ça aurait été bien plus utile. Moi j’ai juste pris des bottines en cuir, j’ai pas envie de les déglinguer juste pour leur plaisir. Fête foraine et tout le bordel ce sera sans moi tant qu’il pleuvra comme ça. Je boude en fait. Et je compte bien le faire en matant un film histoire que ce soit un minimum appréciable pour moi-même. Comme d’habitude quelqu’un a déjà pris le spot, on peut jamais faire ce qu’on veut quand on veut ici c’est dingue putain. En m’approchant je remarque qu’il s’agit de la partenaire de Clotaire, facile à retenir d’autant plus qu’on dort dans la même chambre. « Salut Enola. » Je m’assois non loin à l’extrémité du canapé, l’observant quelques secondes. Elle n'a pas l’air de vouloir utiliser la télé, c’est déjà un bon point. « T’as prévu de regarder quelque chose ? J’allais me mater Bob l’Eponge. » Au cas où ça l’intéresserait. J’ai déjà vu le film des dizaines de fois mais je m’en lasse pas c’est mon dessin animé fétiche. « Enfin sauf si tu veux qu’on fasse connaissance puisque tout le monde s'adonne à ça en ce moment. C'est le truc hype j'crois. » Je lui adresse un petit signe de surfeur digne de Brice de Nice au passage, en plus de mon air de blasée hautaine. Non parce que ça pourrait être impoli de préférer une éponge à une petite brune donc j'anticipe un quelconque apriori.

Encore une journée bien trop pluvieuse à son goût, en s'inscrivant à Fake Lover elle ne pensait certainement pas passé ses journées à l'intérieur du nid. Elle imaginait une île paradisiaque au soleil, certainement pas l'Irlande au mois de décembre. Seul point positif, le dépaysement était total pour une fille qui n'avait pas l'habitude de vivre dans un environnement pluvieux. Il ne lui reste plus qu'à traîner sa misère dans le nid comme dans les abysses, la combinaison orange en moins. La salvadorienne prend la direction de la salle de détente pour passer un petit moment relaxant devant un film histoire de laisser filer le temps de toute façon perdu pour perdu autant ne rien faire du tout. La jeune femme a à peine le temps de s'installer qu'une autre candidate, une petite tête blonde, vient interrompre son petit moment de détente. Décidément on ne peut pas rester tranquille plus de dix minutes dans ce nid. La jeune femme au visage de poupon la salue par son prénom, une chose qui ne manque pas de la surprendre, elle ne l'a jamais croisé cette petite c'est bizarre. " Oh ... salut, comment t'as fais pour retenir mon prénom ? Tu les as tous appris par cœur ?" Elle demande de but en blanc curieuse de connaître son secret, si elle pouvait lui filer un peu d'aide ce ne serait pas de refus. La salvadorienne est loin de connaître le prénom de ses petits camarades, elle ne sait même pas si elle y arrivera d'ici la fin de la semaine. Sa voisine semble être intéressée par la télécommande, elle lui cède sans hésitation même si lorsqu'elle lui parle de Bob l'Eponge la jeune femme a du mal à cacher sa surprise. " Tu es pas un peu grande pour regarder Bob l'Eponge ? " Non pas qu'elle ait l'air d'une vieille branche mais il lui semblait que les aventures de l'Eponge était plutôt destiné pour les enfants et non pour les jeunes adultes comme cette petite blonde. Elle propose une seconde alternative qui n'a pourtant pas l'air de l'enchanter, sa camarade est la reine de la provoc. " Vue ta tête j'en déduis que ça ne te botte pas trop". Tant pis, elle ne sait pas ce qu'elle loupe en refusant de s'intéresser à sa personne, pourtant Enola était loin d'être une fille inintéressante. " Tant pis nous resterons des inconnus l'une pour l'autre jusqu'à la fin de l'aventure, maintenant met ton film si ça peut te faire plaisir " Elle lui autorise, ele promet de ne pas trop râler devant ce film pour enfants.

Les gens aiment qu’on les appelle par leur prénom, c’est un fait connu qu’il s’agisse du mot préféré de tout être humain. Du coup je salue Enola sans pression même si on ne s’est jamais attardées à s’adresser la parole plus sérieusement qu’au détour d’une conversation collective. Visiblement ce n’est pas cette fois-ci que ça arrivera puisque j’ai enfin le loisir de pouvoir gérer les programmes de cette télévision. Une petite explication s’impose tout de même car je n’ai pas le mérite d’avoir retenu tous les prénoms. « Non je l’ai retenu parce que t’es la partenaire de Clotaire, et on dort dans la même chambre aussi. » Le barman est ma connaissance la plus poussée jusqu’à maintenant donc je me suis naturellement souvenue avec qui il faisait équipe. La brune n’a pas l’air d’apprécier mon choix de cinéphile niveau débutante. Je suis outrée. « Il n’y a pas d’âge. » Non mais elle sort ça comme ça, qu’elle s’estime heureuse que je lui colle pas un Jimmy Neutron. C’est bien parce qu’il n’a pas sorti de film, hein. Sinon si elle est du genre « Salut moi c’est Enola je suis brune et j’aime les fraises » on peut aussi la faire comme ça. J’en ai tellement eu plein la tête de ce côté-là la semaine passée que je suis lassée de passer par cette étape avec tout le monde. « Bah je trouve ça surfait, on a compris quoi. » Si j’avais su j’aurais fait un questionnaire que j’aurais soumis à tout le monde et personne ne m’aurait fait de réflexion. « T’es extrême. » Des inconnues jusqu’à la fin du jeu… dit comme ça ça me ferait presque culpabiliser. « Je trouve simplement qu’il est plus efficace et intéressant d’apprendre à connaître les gens au fur et à mesure au travers de choses du quotidien, pas au travers d’un questionnaire. Genre ça m’apporterait quoi de savoir que tu viens du Massachussetts et que t’es libraire ? Enfin sauf si c’est vraiment important. » La curiosité nait au détours de conversations, je ne vais pas faire semblant juste pour paraître dans la norme. La norme des fous en plus ? Non merci. « N’empêche que t’aurais aimé vivre dans le Massachussetts et être libraire ? » Voilà qu’est-ce que je disais, la curiosité nait au détour d’une conversation.

Elle est surprise quand elle entend la jolie petite blonde prononcer son prénom, il ne lui semble pas avoir discuté avec elle depuis le début des abysses. Son visage ne lui est pas inconnu mais le timbre de sa voix l'est totalement. Il n'y a donc que deux possibilité : soit elle retenue particulièrement son prénom soit elle a une mémoire extraordinaire. Finalement c'est la première option qui l'emporte, la petite blondinette lui annonce qu'elle a retenu son prénom parce qu'elle est la partenaire de Clotaire, oui vu comme ça tout prend son sens. " Tu l'aimes bien Clotaire ?". Elle l'interroge, mieux vaut savoir si elle risque d'en prendre plein la tronche parce que la tronche de son partenaire ne lui revient pas. C'est con mais les gens font vite des raccourcis alors elle se prépare au pire surtout que la jeune femme n'a pas la langue dans sa poche et a une âme de grande enfant, il n'y a qu'à voir son choix de film. Bon la Enola ça la botte pas trop, voir une éponge faire son cinéma pendant le temps d'un film c'est pas son délire. Mais soit, qu'est-ce qu'elle en sait elle ? Elle n'a jamais regardé de dessins animés étant petite, peut être qu'ils ont de nombreuses vertus et ce jusqu'à l'âge adulte. " Si tu le dis, j'ai jamais été habitué à ça" . Dans son enfance elle n'a pas connu la télé, ils avaient déjà assez de mal à nourrir toute une fratrie alors pas question de gâcher le peu d'argent que son père ramenait avec son petit salaire pour acheter un poste de télévision. Enola est bien obligée de capituler quand elle voit que sa camarade, dont elle a totalement oublié le nom, n'a pas envie de faire connaissance avec la salvadorienne. Bon elle en fait des caisses comme toujours parce qu'elle ne peut pas s'en empêcher., que c'est dans sa nature de jouer les drama queen. Toujours dans l'excès, toujours dans l'extrême, jamais dans la retenue. " C'est ce qu'on me dit bien trop souvent". Elle lui donne raison même si le fait d'être un peu excessive ne lui a jamais posé problème, c'est ce qu'elle est point barre. Elle comprend totalement le point de vue de la petite tête blonde qui a tendance à préférer apprendre à connaître les gens au détour des conversations et d'être surprise par les personnalités qui composent ce nid. "Bon vu comme ça, tu ne risques pas de vendre du rêve. Mais je suis plus intéressante qu'une libraire dans le Massachusetts rassure toi, sans vouloir me vanter.". Elle ajoute roulant des billes face à sa camarade. Et puis elle lui pose une question qui a la don d'attiser sa curiosité, si elle aurait aimé être libraire au fin fond des Etats-Unis ? "Certainement, c'est beaucoup trop chiant d'être libraire. Passer sa vie à ranger des bouquins au find fond de la cambrousse, non merci. ". Elle répond toujours aussi excessive dans ses réponses, elle joue pas dans la demi-mesure ça c'est certain. " Si Lino et Zélie m'entendaient, il me lapiderait avec des bouquins c'est sûr". Elle poursuit se rappellant soudain que ses deux camarades exerçaient un métier très semblables et qu'ils n'hésiteraient pas à fusionner pour faire passer leur message.

Enola me questionne à propos de son partenaire. Sa question n’a pas l’air désintéressée, dans le sens où je sens que la fille est tellement accommodante qu’elle av adapter son discours à ma réponse. Je cracherai bien sur la gueule de Clotaire juste pour voir mais ça servirait à rien. J’hausse les épaules pour signaler l’évidence. « Ouais il est cool. J’aurais bien aimé avoir un mec de son genre en partenaire. » Bon Owen c’est très bien aussi… enfin non c’est « bien » tout court. Je tique à la réponse de la brunette quant aux dessins animés car j’ai bien du mal à croire qu’il soit possible de n’avoir jamais été fan au moins une seule fois dans sa vie, enfance comprise. « Tu n’as jamais regardé un seul dessin animé avant d’aller à l’école par exemple ? Ou en revenant, en même temps que le goûter. » Mais c’est pas une française alors peut-être que mes paroles sont dénuées de sens pour elle. Ou alors elle exagère, ça a l’air d’être son dada d’en rajouter des caisses. La fille part beaucoup trop loin, elle-même le confirme. Enola la drama queen, donc. A noter que j’aurais pu la qualifier de folle elle aussi mais je ne l’ai pas fait… je crois que je commence à me faire une raison : les gens sont normaux. Ma rage est passée. Du coup je veux bien la croire lorsqu’elle me dit être plus intéressante qu’une libraire lambda. « C’est déjà une bonne chose. » Autant pour elle que pour moi finalement. J’acquiesce doucement de la tête, laissant échapper un rire lorsqu’elle évoque sa prétendue lapidation. « Espérons pour toi que cette séquence ne passe pas dans leurs JT de prime. » L’appellation exacte ne me revient pas. « Et donc du coup tu fais quoi? Tu m’as rendue curieuse. » Je me tourne un peu plus vers elle, repliant mais jambes sous mon postérieur. Finalement ce n’est pas très compliqué d’attiser ma curiosité, sauf qu’une fois qu’elle est là il est difficile de s’en débarrasser.