CAN'T BUY ME LOVE
@lloyd-snö

Ce matin-là Khadija a exprimé, de la façon la moins discrète qui soit, son désir d'aller faire une balade dans le parc. Il n'était peut-être pas dix heures quand elle a commencé à manifester son envie de promenade. À moitié endormi, mais le cerveau parfaitement capable de formuler un marché qui satisferait chacun d'eux, Lloyd a alors laissé échappé : « Laisse-moi une demie-heure de plus de sommeil et je promets qu'on fera ce que tu veux, toute la journée. » Une promesse qu'il tient maintenant, parce que Snö tient ses promesses quoiqu'il lui en coûte. Parce que Lloyd est un homme de parole et de justice. Plaider lui manque un peu, moins que lui manque le reste de sa vie, mais lui manque tout de même. L'odeur de la cour aussi d'ailleurs. Leur marche post-déjeuner les amène à l'enclos des animaux. Un coin que Lloyd n'a pas exploré parce qu'en dehors des chats et des chiens il ne voue aucune vénération au règne animal. La faune masculine du nid suffit largement à son appétit visuel pour qu'il n'éprouve le besoin de venir caresser un âne ou une chèvre. Khadija au contraire semble totalement dans son élément et elle donne déjà à bouffer à l'âne que la production a dit capable de manger tout ce qui lui tombe sous la dent. Protecteur de sa partenaire adorée, Lloyd souffle un avertissement : « Attention à ce qu'il ne te croque pas un doigt au passage. » Elle aurait pas l'air bête avec un doigt en moins parce qu'un bougre d'âne a confondu la carotte avec une phalange. Elle est en adoration devant eux et même si ça lui échappe, Lloyd ne dit rien. Chacun ses fétiches et ses points faibles. Lui ce serait plutôt les mots de sa fille, toujours sensés mais parfois d'une naïveté enfantine adorable, qui lui procurent des réactions pareilles. « Oui ? » fait-il alors qu'elle murmure son prénom. Il s'attend à tout, ou presque, parce qu'elle arrive à le surprendre. L'idée est farfelue et, en bon avocat, il ne peut pas la soutenir sans prendre en compte ce qu'elle engage. « Euh... ça consiste en quoi l'adoption d'un âne ? Parce que je suis pas sûr d'être prêt pour ça. » demande-t-il à sa partenaire, franchement intrigué par la folle proposition. Il n'y avait que Khadija pour penser à un truc de ce genre. Puis, sans prévenir, il est pris d'un besoin de s'asseoir un peu en retrait de la réserve, près de la mangeoire. « Tu crois que tu serais prête à être maman ? Je veux dire, d'un bébé humain quoi. » l'interroge-t-il conscient que la question est sensible pour certaines personnes. Vocaliser ses pensées lui noue un peu la gorge et il se renferme sans s'en rendre vraiment compte. Ce n'est que lorsque ses yeux s'embuent à la pensée de sa fille le jour où ils l'ont accueillie à l'aéroport. Luttant contre les larmes, il finit par s'excuser auprès de Khadija pour ce comportement, conscient qu'il peut la mettre mal à l'aise. « Désolé, je veux pas être aussi émotif. C'est juste que ça me fait penser à Mei... »

Mouais, ça lui semble pas très intéressant comme deal. Déjà parce que l'âne à l'air totalement idiot et qu'il ne comprendra pas qu'il reçoit un traitement de faveur et puis parce qu'ils ne seront pas là pour le lui donner, ce sera un ou une inconnu(e) qui récoltera les fruits de leur adoption. De toute façon, il ne peut pas décider de ça sans consulter Arthur. L'argent et sa gestion c'est plus son domaine, Lloyd se contente en général de dépenser ce qu'il gagne pendant qu'ils utilisent le salaire d'Arthur pour vivre. « On peut attendre qu'Arthur donne son avis à ma sortie pour prendre une décision ? Les choix qui engagent la santé financière de mon foyer sont généralement prises de concert... La vie de marié, boriiing. » fait-il avec un petit clin d'oeil, histoire que les caméras comprennent qu'il plaisante. Il voudrait pas inspirer à Akela une nouvelle rubrique « la vie maritale en danger de Lloyd » alors qu'il n'y a aucune fondation pour un tel truc. « T'es pas pressée de toute façon. » assure-t-il à sa partenaire qui est encore dans la fleur de l'âge et peut attendre l'homme de sa vie encore quelques années avant de vraiment devoir s'y mettre. Il rigole en imaginant un bébé faire du surf à côté de Khadija, un peu en mode Lilo & Stitch. « J'espère pour toi qu'il n'aura pas peur de la mer... Mei a eu pas mal de difficulté à aller dans l'eau quand on l'a amenée au bord de l'océan. La piscine elle adore, l'étendue dont elle voit pas le bon elle dit nope. » Leur semaine en Californie avait eu une autre allure que celle qu'ils pensaient quand ils avaient découvert sa phobie pour les grands espaces. Depuis ça allait mieux, mais l'Océan restait un big no-no pour la petite fille. « Ouais... t'as raison. » parvient-il à dire la gorge serrée avant que son esprit ne soit emporté par les projets d'adoption d'un petit second qu'Arthur et lui ont mis en place. « On y songe, on fait plus qu'y songer, on a déposé des dossiers dans des agences d'adoption, mais ça prend beaucoup de temps. En plus on a deux chambres vides alors même si on en gardait une pour les invités... une de plus occupée par un bébé ça serait pas de refus. » il raconte alors avec un petit sourire. Il a adoré toutes les phases de sa vie de père, mais avoir un autre bébé à la maison, revivre toutes ses premières fois, qu'elles soient toutes premières ou simplement les premières avec eux, serait un bonheur sans nom. Il se souvient encore des premiers temps avec Mei, quand elle ne parlait pas anglais du tout et qu'elle commençait à associer les mots à leur sens. La première fois qu'elle les a appelés Papa... « Si tu veux visiter Chicago sans te ruiner pour l'hôtel, tu peux toujours passer hein ! » propose-t-il pour se changer les idées et parce que ça lui ferait plaisir d'accueillir des gens dans leur appartement de standing.

Quand Khadija annonce le montant qu'il faudra verser pour entretenir l'âne Lloyd frôle l'étouffement. Il pensait vraiment pas que ce serait aussi cheap. Pas qu'il s'en plaigne, non, pour vingt euros par mois il n'y a aucune raison qu'Arthur émette ne serait-ce qu'une objection. « Ah ? Moi je pensais qu'on allait lui faire vivre une vie de débauche ! » fait-il mimant l'indignation. Il ne sait pas ce qu'est une vie de débauche pour un âne. Peut-être des carottes bios et de la paille extradouce ? Peut-être qu'il aurait le droit à une étable perso, quoique s'il est en couple avec l'ânesse miniature peut-être qu'il faudra leur construire une étable trois étoiles, avec bain pour sabots et compagnie ? Quand Khadija parle des enfants il a l'impression de voir la scène, une fois il a vu un gosse se casser la figure magistralement, avaler un demi kilo de sable dans sa chute et se rattraper, à quatre pattes pour sauter dans la mer. Mei non. Mais il s'en fiche, elle fonce le matin dans leur chambre pour sauter sur le lit. Elle n'a pas peur du noir, elle est parfaite. « Les enfants ont une façon très particulière d'intérioriser les peurs de leurs parents. Je pense que le fait qu'on soit inquiet pour nos gosses leur file des angoisses inutiles. Bon après il y a des enfants pétochards aussi, mais en général ils récupèrent les peurs qu'on leur donne. » Lloyd sait bien qu'à vouloir trop la protéger, ils finiront peut-être par lui donner des insécurités, mais même lui qui ne pensait jamais devenir un papa poule a découvert, avec une certaine surprise cela va de soi, qu'il est un angoissé chronique. La perdre de vue dans la foule une seconde suffit à le rendre chèvre, ce qui compte tenu du fait qu'il vit à Chicago est peut-être simplement du bon sens quand on y réfléchit. Accoucher sous l'eau est une idée qu'elle a envisagée et il n'y voit pas de contre-indication majeure. « C'est une technique comme une autre, beaucoup moins douloureuse il paraît. Je me suis toujours demandait si c'était pas dangereux que le bébé prenne sa première inspiration sous l'eau, mais je pense que les accompagnateurs savent ce qu'ils font. Accoucher debout aussi c'est pas mal il paraît, beaucoup plus rapide parce que l'attraction terrestre tout ça. » explique-t-il s'emmêlant un peu les pinceaux peut-être il faut dire qu'il a toujours été du côté en amont de la procréation, jamais dans la partie accouchement et livraison du colis. C'est plus le rôle des chirurgiens et compagnie ça. « On a passé quelques entretiens, ils étaient contents de nous, donc ça viendra peut-être. D'ici un an ou deux. » raconte-t-il, le temps qu'a pris la première adoption était d'à peu près trois ans et il sait qu'ils ont été chanceux, certains mettent cinq ans ou plus. C'est un combat à la fois administratif et émotionnel de longue haleine. Mais offrir à Mei un petit frère ou une petite sœur vaut le coup. Offrir à un enfant qu'ils aimeront de tout leur cœur la chance de grandir dans une famille aisée dans un des plus beaux pays du monde, semble une raison suffisante de mener ce combat. « De chez moi au lac Michigan il y a... vingt minutes à pied ? Donc oui, on baladera dans le coin. » Pas qu'ils y aillent souvent, le Lac Michigan comme toutes les attractions devient un peu banal quand on vit à dix minutes en voiture. Mais si Khadija veut le voir, il le lui montrera. « On empruntera le bateau d'un couple d'amis et on ira jusqu'à Milwaukee comme ça ! » propose-t-il emballé par l'idée.