Il pleut dans son cœur comme il pleut sur le nid. Cette journée, quoique plus monotone, n'est pas différente des autres et parce qu'ils sont enfermés dans ce qui semble être une boîte à chaussures pendant les jours les plus froids de la saison Lloyd éprouve le besoin de trouver du réconfort de toutes les façons que ce soit. La salle de détente semble ainsi être une option évidente, un peu trop peut-être pour être originale et donc un choix qui lui assurera un peu de tranquillité. Avait-il envie d'être seul ? Cette question restait à débattre. Fake Lover a tendance à le perturber, à le mettre dans un état de constant tourment quant à ce qu'il désire et ce qu'il se veut fuir. Les candidats, tous plus intéressants ou agaçants les uns que les autres sont partout, où que se pose son regard noir il trouve des gens assis, en pleine discussion ou au contraire la bave aux lèvres au milieu d'une sieste. Par moments Lloyd mourrait de se nourrir des expériences et caractères de ses camarades, à d'autres il n'avait qu'une envie : s'exiler dans un coin reclus. À l'évidence, il n'a pas choisi le bon endroit pour ça, en un jour couvert, il ne se souvient pas d'une occasion où il a trouvé la salle de détente vide. Et pourtant la chance semble lui sourire et le home-cinema éteint, pas un bruit de conversation. Parfait. S'installant au piano il fit courir ses doigts sur l'ivoire, sans produire de son. Jouer lui demander de la concentration, inspirant profondément, redressant sa colonne vertébrale, il positionne ses doigts sur les touches. Puis, comme si de rien était entame un de ses morceaux préférés, il n'a pas joué depuis près d'un an et il sent rapidement que ses doigts ont perdu en souplesse et les fausses notes lui arrachent des petites grimaces de désapprobation. Lloyd n'a jamais été un pianiste talentueux, il est bon, mais n'a aucun talent, c'est par la force d'heures et d'heures de travail plutôt que par des prédispositions, qu'il maîtrise des morceaux difficiles. Mais ils manquent toujours, comme disent les critiques et spécialistes, d'âme. Sa façon de jouer du piano est très mécanique, pas assez sensible. Son annulaire conclut les trois minutes de répit et lève les yeux pour découvrir Sara. « Burmüller... il était torturé le pauvre homme. » Pas autant que son jeu le faisait paraître cela dit. « Un petit blind test ça te dit ? » qu'il propose spontanément, il connaît assez bien son instrument pour mimiquer des chansons populaires et ça peut être drôle comme occupation, ne nécessitant pas forcément qu'ils s'embarquent dans des discussions profondes et se contentent d'un moment de détente.

Sara le complimente et ça lui arrache un petit sourire désabusé. Lloyd est conscient de son niveau, la vérité c'est qu'il est conscient qu'elle est probablement sincère et qu'elle trouve ça agréable de l'écouter. Ça ne fait que prouver son manque de connaissance dans le domaine. Parce que n'importe qui avec un peu d'oreille pour le piano saurait rapidement dire que Lloyd n'est bon qu'à appuyer sur les touches sans vraiment savoir ce qu'il fait. « T'as rien raté, je viens de commencer et de toute façon je suis sûr qu'il y a bien plus doué que moi dans le nid. » fait-il en toute humilité. Faut dire que c'est assez peu probable que la production ait mis le piano dans le nid rien que pour lui. Ils doivent bien être au moins deux ou trois à en jouer. L'enthousiasme de Sara pour le blindtest le fait rire et Lloyd s'empresse de la rassurer. « Oh non, ne t'en fais pas, je vais jouer des trucs contemporains et pas du classique, c'est beaucoup trop compliqué quand on sort des trucs que tout le monde connaît. » Parce qu'il pourrait l'assommer avec du Bach ou du Arensky, mais ça ne serait pas aussi drôle pour lui à jouer -parce que beaucoup plus difficile- et elle n'aurait aucune chance de trouver la bonne réponse. En somme ça serait foncièrement inutile. Le dernier commentaire avant qu'il ne se mette à jouer le perturbe un peu. Elle ne s'attendait pas au piano. Il ne sait pas exactement ce que ça veut dire. Est-ce qu'il passe pour le gros bourrin qui boit de la bière avec ses potes le vendredi soir devant les matchs de basket, puis le samedi devant les matchs de football américain ? Ce n'est pas grave en soi que les gens se trompent sur lui, Lloyd s'en moque, il ne pensait juste par dégager l'image de quelqu'un dont l'ivoire du piano serait étranger. Enfin bon. Il préfère répondre à la question de Sara plutôt que de s'attarder sur des considérations psychiques trop longues et improductives. « Je suis très bon pour faire des desserts suédois ? Non mais sérieusement le piano, je peux paraître impressionnant si tu ne sais pas en jouer, mais je suis vraiment pas très doué. C'est juste beaucoup d'années de pratique pour faire plaisir à mes parents quand j'étais petit, avant d'y prendre goût.  » Ses parents les avaient tous forcés à prendre des cours d'un instrument. Althea avait choisi le violon, Elliot la guitare et Uli... parce qu'elle voulait faire le plus de bruit, la batterie. Lui avait choisi le piano quand il était âge de cinq ans environ et en avait joué jusqu'à ses seize ans, jusqu'à ce qu'il obtienne son diplôme de fin d'études et parte à la fac. Là, il avait tout simplement arrêté de prendre des cours pour jouer seul. Histoire de ne rien perdre. « Prête ? Celle-là est facile. » dit-il à moitié dans sa rêverie alors que ses doigts caressent les touches. Les notes sortent, d'abord douces, puis l'instrumental pur s'arrête et histoire de donner plus de facilités à Sara, de la main droite il joue les notes qui correspondent aux paroles de la Reine de la Pop. Il joue de mémoire, en pensant à ses frères et sœurs, au groupe qu'ils auraient pu former si Elliot n'avait pas passé plus de temps à utiliser sa guitare pour draguer les filles, si Althea n'avait pas abandonné le violon pour le judo dès qu'elle en avait eu l'occasion et si Uli et lui n'avaient pas été dénués de tout talent. Ils étaient passés si près d'une aventure fraternelle unique. Enfin, si près, pas si loin plutôt.