@JADE

Elle devait se demander où j'avais bien pu être. Oui, c'était ça qui avait du l'amener à moi, du moins, dans un premier temps. Elle savait que je l'avertissais toujours lorsque je mettais un peu de temps à venir, et en l'occurrence, ce soir là, je ne l'avais pas prévenu. Je ne lui avais pas dit que passé minuit, je serai encore là, dans ce bus à trier mes pensées, mes sentiments, comme l'ont trierait un tas de lettres sur un coin de bureau. Ma tête était un bordel, mon coeur une épave, et franchement, j'aurais tout donné pour réussir à comprendre ce qui était entrain de m'arriver. Ou de tout effacer, comme une mémoire numérique, que l'on pourrait réinitialiser à volonté. Mais ça n'était pas le cas. « Désolé. » c'était comme un réflexe, je n'avais même pas eu le temps de réellement y réfléchir. « J'me sentais pas d'aller me coucher, là tout de suite. » Assis sur l'une des banquettes du bus, tout au fond, mes ongles grattaient une tâche qui ornait la fenêtre, comme si elle avait toujours été là, alors qu'elle n'était au final qu'une invité, comme je pouvais l'être dans cette nacelle. « Ça me saoule. » Voilà, je crois que c'était à peu près tout ce qui pouvait résumer mon état actuel. L'idée même d'affronter la réalité, de le dire à haute voix pouvait être douloureuse. « J'réalise, et j'me sens con parce que... » Parce que j'avais l'impression que tout défilait trop vite dans ma tête, et que je ne maitrisais absolument rien. « Parce que, je sais plus ce que je veux. » Ici, comme dehors. Tout est entrain de devenir trop compliqué, je ne sais même pas à quoi ressemblera ma vie dans les prochains mois, ni même à quoi elle pouvait ressembler avant d'entrer ici. J'me sentais juste con, isolé.

Je n'oserai pas dire que je n'arrive pas à m'endormir sans Grey, mais je ressens son absence dans le lit. J'ai froid. Ma main tâtonne le matelas et ne fait que danser avec le vide. Il n'est pas là. Là, vu l'heure, ça pourrait presque commencer à m'inquiéter. On a pris un peu nos habitudes, lorsqu'il y déroge, je ne peux m'empêcher de me poser des questions. Vêtue de mon bas de pyjama, j'enfile un pull pour partir à sa recherche en tentant de quadriller le Nid de façon stratégique. Je le retrouve au fond du bus. Je pousse un léger soupir de satisfaction pour le coup. Il s'excuse et je me contente d'hausser les épaules. « C'est pas grave » je souffle simplement en restant immobile, plantée à quelques mètres de lui. Je sens que ce n'est pas le moment de partir mais je ne suis pas sûre de vouloir m'imposer à tout prix à ses côtés. Je ne sais pas quelle solution choisir. Ce qu'il ajoute achève de me décider à rester. Je me vois mal le quitter maintenant pour aller m'endormir sans que la culpabilité ne me ronge. « Raconte-moi» je lui demande de ma voix fine en esquissant quelques pas dans sa direction. Je prends délicatement place sur ses genoux alors que mes prunelles, inquisitrices, s'en vont se planter dans les siennes. Mes bras s'enroulent autour de son buste, pour le protéger ou le consoler, je n'en sais rien. « Si tu ne m'expliques pas, je ne peux pas essayer de t'aider » je laisse simplement d'échapper d'entre mes lèvres. Je pense qu'on connaît l'essentiel l'un de l'autre, suffisamment pour que j'essaie de lui faire voir clair mais j'ai besoin qu'il cible un peu plus le problème.

Pris au piège dans un nid d'épines, j'avais la nette impression de ne pas pouvoir faire le bon mouvement, de ne pas réussir à retrouver le chemin pour grimper en haut de cette colline et m'éloigner définitivement de tout ce qui pourrait me nuire. Non, là, au moindre geste, mon corps se retrouvait en souffrance, presque autant que mon esprit. Peut-être était-ce mieux que Jade soit arrivée, peut-être saurait-elle exactement quoi me dire. Elle et moi, on n'était pas forcément les plus doués pour les mots, ou pour les exprimer nos sentiments, mais je crois que d'une manière plus que maladroite, on arrivait à se comprendre. Je crois même que je n'aurais pas voulu d'autre partenaire. Elle me rejoignait, se déposant sur mes genoux alors que ses bras enveloppait mon buste, mon index venant instinctivement jouer avec l'une de ses mèches de cheveux, une flamme autour de mon doigt, sans pour autant en venir à me brûler. « C'est juste que... j'crois que je me pose trop de questions. Sur ce qui va venir, sur ce que je voulais en entrant ici. » qu'il s'agisse de ma venue dans cette émission, comme de celui que j'étais, celui que j'allais devenir. « Au final, je sais ce que je veux. Je ne sais juste pas si c'est raisonnable, ou même réalisable. » Difficile de lui expliquer plus en détails, mais je pense qu'elle comprendrait, ou du moins, une partie. « (...) Lawrence, il te plait ? » ses paroles s'étaient échappées comme un rien, mais pourtant, elles n'étaient pas si intéressées que l'on pourrait le croire. « Enfin, je veux dire, c'est possible que quelqu'un puisse plaire aussi rapidement ? J'ai l'impression que tout va tellement vite ici, et que je vais prendre la porte d'ici une semaine. » C'était un scénario tout à fait probable après tout, on ne savait pas trop ce qu'il pouvait se passer d'une semaine à l'autre. Et peut-être m'égarais-je légèrement, et qu'elle ne serait pas à-même de me suivre.

Je comprends instinctivement que ce n'est pas le moment de fuir Grey. Déjà c'est assez rare qu'il s'isole ainsi, et il est toujours joyeux habituellement, ce qui n'est pas vraiment le cas. Je m'installe au plus près de lui. Mes pulpeuses frôlent un instant sa tempe lorsque je l'écoute d'une oreille plus qu'attentive. Je ne peux qu'approuver, je crois qu'il se prend trop la tête, mais on a tous tendance à le faire, malheureusement. « Tu n'es pas obligé de décider maintenant » je me contente de lui dire, en arquant un sourcil. Qu'est-ce qui le presse ? Ce n'est pas si urgent. C'est surtout nos choix qui font ce que nou sommes, c'est assez difficile d'essayer de se définir, à l'avance. « Ton envie de te projeter t'étouffe » je lui glisse simplement, de ma voix cristalline. Parce que c'est une réalité et il sait que je sais de quoi de je parle, vu qu'il connaît mon état. Je fronce simplement les sourcils face à sa question. Mes prunelles bleutées captent les siennes pendant un poignées de secondes. Que vient faire Lawrence dans la conversation ? « Il pourrait » je me contente simplement de répondre en cherchant un rapport avec tout cela. J'attends qu'il s'explicite, parce que je sais qu'il le fera. « Oui c'est possible, tout est ... décuplé ici, on est enfermé et on est obligé de cohabiter, alors forcément, on développe des affinités ou non avec les autres » j'imagine que je ne suis pas la seule à le penser en plus. Enfin, j'espère. « Arrête de trop réfléchir et profite de ce qu'on vit » je lui demande en passant une main délicate dans sa chevelure sombre. « Tu me dis ça parce que quelqu'un te plait ou je suis à l'ouest là ? » je l'interroge d'une voix blanche, ce ne serait pas la première fois. Genre Naveen, à tout hasard.

Je me sentais obligé oui. Et peut-être avait-elle raison, peut-être que cette envie dévorante de me projeter ne faisait au final que me freiner. Il y avait des chances. Mais une part de moi ne pouvait s'empêcher de tenter de regarder derrière le rideau, comme pour en deviner la suite, chose que j'étais bien incapable de faire. Et de toute façon, j'étais même bien incapable d'avoir raison quant à mon avenir, devinant toujours les mauvaises choses, un miracle que je n'ai pas tiré quoi que ce soit de particulièrement mauvais à la roulette russe. Lawrence pourrait lui plaire. « Je l'ai à l'oeil. » et ça n'était même pas une plaisanterie. Evidemment, ça ne serait très certainement pas au même degré que Scarlett, car je n'étais pas son frère, mais quelque part, je me sentais comme responsable du bien-être de Jade au sein du nid. Elle et moi ne faisions qu'un ici, c'était normal que je prenne soin d'elle. « Mais c'est un bon choix. » Je pense que tout le monde serait d'accord pour l'affirmer à vrai dire. Pour ce qui était de tout ressentir, trop vite, ma partenaire marquait bien un point. Je me posais trop de question. Toujours. Et forcément le tout venait à faire barrière. Elle me demandait finalement si quelqu'un me plaisait, et je haussais les épaules. « Tu le sais déjà. » soufflais-je comme une évidence. Parce qu'elle me connaissait un minimum et que l'on passait mine de rien pas mal de temps ensemble, assez pour que j'en devienne prévisible, contrairement à elle. « Naveen... » Je me sentais presque con de lâcher son nom comme si de rien n'était, me remémorant directement la présence des caméras tout autour de nous. « Mais c'est pas moi que de sauter sur l'occasion, comme ça. J'sais pas... Et lui non plus n'a pas l'air de savoir, d'ailleurs. » Il n'étais pas venu m'en parler de lui même depuis, et de ce que j'avais compris, d'autres personnes étaient susceptibles de lui plaire. « J'ai toujours peur d'être le plan B. Et j'pense pas renvoyer la bonne image non plus, celle qui pourrait séduire, lui ou autre. » Parce que je n'avais jusqu'ici jamais envisagé quoi que ce soit dans le nid. Je sortais d'une relation, et même si je donnais l'impression d'être sûr de moi, je n'étais pas de ceux qui se prenaient au sérieux, ou qui pensaient réellement être au dessus du lot. Chose que les autres ne réalisaient pas forcément, me prenant parfois au mot. « Ça te semble stupide, non ? » Elle me le dirait.