Si l'indien n'accordait généralement pas trop importance à l'image que la production cherchait à donner des protagonistes qui occupaient le parc d'attractions – parce qu'elle était rarement très positive – il devait bien avouer qu'aujourd'hui, le clown qui officiait en bas de la grande roue et que l'on disait « triste » avait droit de sa part à une certaine compassion. Sans doute parce que lui-même était morose depuis dimanche soir, et que face à ce type qui ne respirait pas la joie de vivre, il avait presque l'impression d'aller bien. Et pourtant, il n'y avait pas un instant où il ne repensait pas au choix qu'il avait du faire, et à ses conséquences. La nomination de Salvador resterait le détail qui avait entaché trois semaines d'aventure, et la seule raison pour laquelle il n'était plus aussi désemparé que dimanche soir, c'est parce que ses deux dernières nuits avaient été éprouvantes au point qu'il n'avait pas fermé l’œil une seule seconde, si bien qu'il s'était finalement écroulé en fin d'après-midi. Et à présent qu'il n'était plus sous le coup d'une fatigue nerveuse accablante, l'indien parvenait à relativiser un peu plus facilement. Il s'en voulait toujours atrocement mais n'en était plus à retenir douloureusement ses larmes, ce qui pour lui tenait clairement du progrès. Malheureusement, le choix qu'il avait du faire n'était pas la seule chose qui le travaillait, depuis la fin du prime. Le contenu des rubriques l'avait atteint, une fois de plus. Que ce soit la Météo des relations et sa référence à son échange avec Salvador, l'Action ou vérité qui elle l'avait envahi d'une culpabilité différente, mais pas moins intense, ou encore le On a vu, et certaines révélations plutôt troublantes. Alors non, quelques heures de sommeil n'amélioreraient pas son moral, et à vrai dire il commençait à avoir l'habitude de passer des débuts de semaine difficiles. Pour autant, lorsque son regard croisa celui de Khadija au moment où il daigna porter son attention sur autre chose que le clown qui lui faisait face, un détail hautement plus réjouissant lui revint enfin à l'esprit. La brune s'approcha alors et c'est un Naveen à fleur de peau qui s'avança vers elle et qui l'enlaça sans articuler un mot. La gardant tout contre lui pendant quelques secondes, il déposa un baiser dans le creux de son cou puis se recula, laissant ses mains enserrer les siennes. « Tu as eu tort de t'en faire. » Il souffla, dans un doux sourire, et le regard brillant d'une émotion différente de celle qu'il subissait depuis deux jours. Cette fois, c'était le soulagement de la savoir encore dans l'aventure qui y faisait naître une lueur optimiste. « Et cette semaine, tu as toutes les raisons d'être sereine. » Parce qu'elle avait remporté une immunité sur le prime, et qu'à l'inverse de la semaine passée où elle s'était tant inquiétée de son sort, elle pourrait cette fois aborder les prochains jours avec sérénité. Et l'indien, lui, se réjouissait que la chance semble enfin tourner pour Khadija, parce qu'il préférait la voir le sourire aux lèvres que la mine inquiète. « Est-ce qu'on prend le risque ? » Il lui demanda finalement, en vrillant son regard au sien, et dans un sourire. Est-ce que lui était prêt à risquer de se retrouver coincé à plusieurs mètres de hauteur, simplement parce que le gérant du manège devait être aussi lunatique que lui ? Pas sûr. Mais l'aura de Khadija était telle qu'à choisir de se retrouver dans cette situation en compagnie de quelqu'un, il aimait autant que ce soit elle.

« Fake Lover décline toute responsabilité en cas de chute malencontreuse », hein ? Elle relève la tête du panneau et croise le regard de Joe, le clown triste. D'un geste du pouce, elle lui désigne la pancarte d'avertissement. — Sympa, comme assurance... Elle tente un sourire en coin, que Joe ne lui rend pas, se contentant de la contempler, mélancolique. Khadija, d'un pas aérien, se rapproche de lui et s'appuie sur le rebord de sa cabane de bois. Sans aucune peur en elle (bien des gens ont peur des clowns, mais il faut arrêter de regarder des films d'horreur, les gars), elle observe le forain. — Ton maquillage est dément, tu le fais tous les matins ? Elle entame la conversation avec Joe, qui ne doit pas avoir l'habitude tant les candidats s'empressent souvent de grimper dans la roue avec leur camarade sans accorder plus d'importance que ça à celui qui fait bouger les rouages. Khadi n'est pas de cet avis. Ça, c'était la semaine dernière, quand elle a fait la connaissance de Joe, qui, lorsqu'on apprend à la connaître, se révèle un forain passionnant. C'est un ancien clown du Cirque (??), un des plus grands cirques du monde. Vous le saviez ? Ses ancêtres étaient ce qu'on appelle en France, des bohémiens. Beaucoup sont partis aux Etats-Unis. Khadija et Joe se sont bien entendus, et Joe avait l'air content de pouvoir discuter avec une candidate. Aujourd'hui, elle y revient, pas pour Joe mais à la recherche de Veen. Enola lui a dit qu'elle le pensait en direction de la fête foraine, aussi Khadi avait-elle pris ce chemin. Ce n'était pas vers la roue qu'elle s'était rendue en premier, imaginant mal Naveen en faire sa destination première. Elle avait eu tort, puisque c'est là qu'elle le trouvait après avoir parcouru le parc de long en large. Elle adresse un signe de la main et un sourire à un Joe tout morose, et se rapproche de Naveen. Ce dernier se retourne et lui jette un regard étincelant. Sans un mot, il l'enlace pour un câlin inattendu et bienvenu. Pourtant pas très tactile au demeurant, Khadija se laisse volontiers enserrer par les bras d'un Naveen fébrile – sans doute le prime. Aucun prime ne laisse Naveen heureux, parce que Naveen ne veut faire que le bien, et que le prime les oblige à répandre un peu de mal entre eux. Elle frisonne au bisou que Naveen dépose dans son cou et, à son tour, passe ses bras autour de lui et caresse son dos. Naveen lui murmure qu'elle n'avait pas à s'inquiéter, et elle acquiesce, plus heureuse que jamais. — C'est tellement bien d'être encore là, souffle-t-elle en essuyant d'un revers de manche un peu d'eau salée perlant au coin de ses yeux. — Tu n'as pas à t'en faire non plus, dit-elle en pressant sa nuque dans sa main d'un geste tendre. — Salva ne va pas sortir, c'est un gagnant, elle affirme d'un ton qui ne souffre aucune réplique. Désigné comme capable d'aller très loin dans le jeu pendant tout le prime par ses camarades, Salvador ne doit pas s'inquiéter, elle en est certaine. C'est vrai, Naveen parle avec sagesse, cette semaine ne souffrira d'aucune perte de moral de sa part. Elle voudrait entrainer son Veen dans la même joie qu'elle. Aussi, c'est l'air rusé qu'elle suit son mouvement vers la pas-si-grande roue. — On ne se pose même pas la question, répond-elle le regard brillant. Dès qu'il y a un truc piquant à tenter, il peut compter sur elle. — Une seconde ! Elle se retourne et court jusqu'à Joe, et lui murmure en désignant Veen d'un signe discret de la tête : — Joe, coince-moi avec lui tout en haut, ok ? Un rare sourire se dessine au coin des lèvres rouges du clown, qui acquiesce en silence. Ravie, Khadija retourne vers Veen, ouvre le petit portillon permettant d'accéder aux sièges de la roue. — Après vous, Sir, dit-elle sur le ton de la plaisanterie en lui laissant la première place. Tandis que Veen grimpe et ne peut la voir, elle adresse un clin d'oeil à la caméra qui la fixe depuis le cabanon du forain. Une fois bloqués en haut, elle fera croire à Veen qu'elle n'a aucune idée de ce qui se passe, ce qui devrait faire son petit effet sur l'Indien... En espérant que la plaisanterie ne dépasse pas son cadre de... simple plaisanterie, évidemment.

Dimanche soir, lors d'un prime jonché de révélations déstabilisantes et de choix impossibles, il y avait eu une bonne nouvelle. Une nouvelle si réjouissante que l'indien en avait oublié ses tourments, et s'était concentré sur l'heureux dénouement qu'il avait tant espéré voir se produire, mais qu'une partie de lui avait malgré tout redouté de voir lui échapper jusqu'au dernier instant. Khadija avait réintégré l'aventure, et encore maintenant, tandis qu'il s'était approché d'elle et l'avait enlacée dans un élan d'émotion palpable, c'était encore le seul détail susceptible de lui faire oublier le reste. Salvador et sa nomination d'office, Lawrence et ses confessions, et tout ce qui lui avait doucement mais sûrement miné le moral ce soir-là, et qui continuerait de le faire si elle n'était pas là, tout contre lui. A sa remarque, Naveen esquissa un sourire doux, qui témoignait mieux qu'aucun mot de combien il pouvait lui-même se réjouir de ce retour, et de la perspective d'avoir encore un peu de temps à passer ensemble. Quelques jours, au minimum. Mais son sourire s'atténua doucement lorsque Khadija sembla deviner que bien des choses le tracassaient, à commencer par le choix qu'il avait du faire, et ses conséquences. « C'est ce que j'essaie de me dire, même si ça ne m'aide qu'à moitié. » Lui aussi pensait que le public ne se passerait pas d'une personnalité comme celle de Salvador, mais si ça tendait à le rassurer quant à l'issue des votes, ça ne l'empêchait pas de culpabiliser. « Toi qui le connais sûrement un peu mieux que moi, tu crois … qu'il est très rancunier ? » De ce qu'il avait pu observer durant son échange avec le candidat, Salvador était quelqu'un d'assez impulsif, et il serait tout à fait normal qu'il lui tienne rigueur de son choix. Mais Khadija, qu'il avait cru voir en sa compagnie à plus d'une occasion, devait le savoir mieux que lui. Finissant en tout cas par lui proposer de monter dans la nacelle, et de prendre ainsi le risque de se retrouver bloqués à plusieurs mètres du sol, l'indien ne fut guère étonné que la brune manifeste un enthousiasme flagrant. Cependant, lorsqu'il la vit courir en direction de Joe, il fut subitement intrigué. Alors, lorsqu'elle revint vers lui, il ne résista pas à l'envie de la questionner. « Vous êtes intimes ? » Ses lèvres étirées en un sourire amusé, il ne faisait évidemment pas preuve d'un très grand sérieux. « Tu comprends, j'aime mieux le savoir avant de mettre ma vie entre ses mains. » Mais bon, quand bien même il y aurait quelque chose entre Khadija et Joe, le fait de monter en compagnie de la brune devrait a priori lui éviter de subir les foudres d'un amant jaloux. Du moins, c'est ce qu'il préférait se dire. Prenant alors finalement place dans la nacelle, il poussa un soupire légèrement angoissé. « Bon, c'est parti. » Ils commencèrent alors à s'élever dans les airs, Naveen ne faisant plus tellement le fier à mesure qu'ils quittaient la terre ferme. « Je crois que j'ai … comment vous dites, déjà ? la chair de poule ? » Cette expression faisait partie de celles avec lesquelles il ne s'était pas encore familiarisé, mais toute occasion était bonne pour se coucher moins bête le soir. Seulement, maintenant qu'il était là, en compagnie de Khadija, et qu'ils étaient comme isolés du reste du monde, son esprit se remémorait certaines parties du prime, et l'une d'elles en particulier. Lino et Khadija, allongés l'un à coté de l'autre, et partageant des confessions inattendues, tout du moins pour lui. Alors, doucement, l'indien tourna complètement son visage vers le sien. « Khadija. » Il souffla, parvenant pour le coup à faire abstraction du vide qui se dessinait tout autour d'eux. « Tu n'as rien à me dire ? » Son ton était bel et bien interrogatif, parce qu'il se demandait réellement si elle estimait devoir lui confier certaines choses. Le rapprochement qui s'était initié entre Lino et elle, en l’occurrence. « Parce que … je crois que notre ami le clown a de la concurrence. » Il osa finalement formuler, un peu moins sérieux, mais sans plus la quitter du regard, comme s'il avait besoin d'être témoin de la première réaction que ses paroles afficheraient sur le visage de la brune. « Je peux faire comme si je n'avais rien vu, mais … j'aimerais autant que tu m'en parles. » Sans doute parce qu'il avait tendance à penser qu'ils pouvaient tout se dire. Lui, il avait bien évoqué des choses intimes, pas plus tard que la semaine passée. Des choses qu'il lui avait confié parce qu'avec Khadija, livrer ce qu'il avait sur le cœur lui paraissait toujours naturel. « Mon frère dirait sans doute que je cherche à vivre une belle histoire par procuration, et c'est peut être vrai. » Ses lèvres s'étendirent en un sourire un peu triste, tandis qu'il haussa doucement les épaules, forcé d'admettre que ce qu'il avait entendu de la bouche de Lino, à l'égard de Khadija, c'était précisément le genre de choses qu'il aimerait qu'on lui dise, un jour. « Mais j'aimerais surtout savoir ce qu'il se passe, là-dedans. » Dans son cœur, comme le geste qu'il initia ensuite le lui indiqua. Pour avoir discuté avec elle des sensations qu'elle associait aux sentiments amoureux, à ceux qui étaient véritables, il se demandait si c'était ce qu'elle vivait, lorsqu'elle pensait à Lino, ou lorsque comme ici elle était amenée à l'évoquer. C'est ce qu'il lui souhaitait, c'est certain, mais il aurait le sentiment d'être exclus d'une partie de sa vie si elle se contentait de ressentir ça en secret, sans lui faire profiter de son petit bonheur.

L'angoisse de Veen au sujet de Salva est légitime, mais aux yeux de Khadija, il n'appuie pas au bon endroit. Songeuse, elle entraine Naveen à sa suite sur la nacelle, aux petits soins pour lui – comme il l'a été pour elle lorsqu'elle était sur le point de vivre un « prime de nomination ». Il a su l'apaiser, elle se doit d'en faire de même, c'est une question qui ne se pose pas. Elle lui adresse un regard tendre, touchée par sa manière de s'inquiéter de tout, de tout le monde. Un homme précieux, Naveen, plus innocent qu'un enfant (ouvrons enfin les yeux sur les vices des gosses, par pitié), plus généreux que la plupart des êtres vivants, parce qu'il l'est sans rien en retour. Khadija n'affirmera pas « connaître » Salvador, mais elle l'a apprécié et l'apprécie encore, aussi peut-être se permettre de donner son avis. — Salvador n'est pas rancunier, mais il a une fierté, comme moi, dit-elle à Naveen en touchant de la main sa propre poitrine, du côté de son cœur. — Je suis sûre que ce qui le blesse le plus, ce n'est pas le résultat hasardeux de ta réponse à un jeu de prime, mais l'idée que tu puisses le dénigrer, le condamner pour ce moment que vous avez passé ensemble et que la production a diffusé, explique-t-elle d'une voix calme sans quitter Veen du regard. — Tu n'as pas à t'excuser de ce que Fake Lover inflige à ses candidats. Mais tu devrais aller vers lui comme si tu ne l'avais jamais rencontré, une nouvelle fois. Nous devrions agir ainsi avec toutes les personnes qui nous ont déplues une fois. Leur donner une seconde chance en repartant de rien. De la plus totale méconnaissance. — Il y a de fortes chances pour que tu rencontres un de ces héros brisés et en armure que tu as tant aimé lire enfant... Elle sourit en le caressant des yeux. Salvador, à sa manière, était aussi un Lawrence. Naveen ne l'avait simplement pas abordé de la bonne manière, et inversement. A la question sur Joe, elle éclate de rire. — Ce mec est fantastique, parle avec lui un jour, il a vécu des trucs dingues avec sa troupe de cirque ! Elle se penche alors vers lui et baisse d'un ton. — Mais je crois qu'il a laissé derrière lui sa... femme, ou sa fiancée, je n'ai pas bien compris mais crois-moi, il a de bonnes raisons de faire la gueule, ajoute-t-elle pour clore le sujet « Joe ». Ils grimpent et le moteur démarre, la roue s'élève avec une lenteur modérée. Khadija s'avance et appuie ses mains sur la rambarde de métal blanc, fascinée par le monde en-dessous qui rétrécit. — J'adore ! Elle se tourne vers Naveen pour observer d'elle-même ses bras, puis rit. En effet, les avant-bras de Veen sont parsemés de petits ronds de peau qui hérissent ses poils. Hilare, elle passe un index dessus avant d'imiter la poule pour l'embêter. — Côt côôôt côt côt... Elle se moque avec tendresse en lui jetant un regard plaisantin. Mais la conversation devient plus sérieuse quand Naveen prononce son prénom. Elle cesse de rire et le regarde dans les yeux, ses billes vertes rivés sur lui, toutes à son attention comme si rien ni personne n'existait plus à cet instant hormis lui. Si elle n'a rien à lui dire ? Elle ouvre la bouche, silencieuse, incapable de comprendre ce qu'il attend d'elle. Notre ami le clown... De la concurrence... ? Elle bat des cils, cherche désespérément ce que Veen insinue. Faire comme s'il n'avait rien vu ? Mais qu'a-t-il vu ? Une... Une histoire d'amour ? La main de Veen désigne le cœur, et elle secoue la tête, incomprise. — C'est quoi cette histoire ? Soudain, le visage de Lino se dessine nettement dans sa mémoire. Elle plaque une main contre sa bouche. — Attend, Lino ?! Elle rejette la tête en arrière, un sourire prenant la place de sa moue perplexe. — Tu n'y es pas. Elle respire à nouveau, regarde au-dessous d'eux le parc tout entier devenu si petit qu'on le croirait dessiné sur une carte. — J'ai passé un moment d'abord très tendre avec Lino, dans le bus... Je dormais et il était là à mon réveil. Il m'avait déposé son manteau comme couverture, c'est adorable, non ? Elle cherche l'approbation de Veen. — Et puis, il est venu près de moi, a posé sa tête sur mon épaule... J'étais vraiment bien, comme ça, sans... sans rien, juste ensemble, comme si... Comme si ça avait toujours été comme ça entre nous. Ses sourcils se froncent légèrement. — J'étais nominée et inquiète... J'avais peur que le public me déteste... Je lui ai demandé ce qu'il pensait de moi et... il m'a dit « tu me plais ». Elle pose sur Veen un regard plein de questions restées sans réponses. — Je ne sais pas si je lui plais... plus que toutes les autres, ou si nous lui plaisons un peu toutes à la fois... Ses mains se crispent légèrement autour de la barre de métal qui les retient tous les deux. — En tout cas, je sais que si j'apprends qu'il a laissé croire à Jade, ou à Scarlett, qu'elles aussi lui plaisaient particulièrement... il ne pourra pas me plaire. Je... Je ne veux pas faire de mal à qui que ce soit, je ne veux pas m'attacher à un séducteur à tout va, confie-t-elle, un peu gênée, à un Naveen tout à l'écoute, avant de reposer sur lui son regard anxieux. — Tu penses que je suis trop exigeante ? Ou orgueilleuse ? Orgueilleuse d'exiger être la seule ? Elle baisse les yeux à ses pieds. — Je sais que je suis orgueilleuse, murmure-t-elle, penaude. Soudain (elle en avait oublié ce détail...), la grande roue ayant atteint son sommet s'arrête nettement. Leur nacelle se balance quelques secondes avant de s'immobiliser dans le vide. Khadija retrouve vite son regard coquin. — Tiens tiens... Elle jette un œil à Naveen, ravie que Joe l'ai suivie dans sa plaisanterie. — Mais que se passe-t-il donc ?!

Oui, Salvador avait tout d'un candidat que le public pourrait soutenir, et voudrait certainement voir évoluer sous l’œil des caméras pendant encore plusieurs semaines. Sa personnalité ne pouvait laisser personne indifférent, et ça l'indien en avait bien conscience, c'est pourquoi il avait lui aussi tendance à ne pas trop s'inquiéter pour lui. Mais ça ne l'empêchait de craindre que son camarade lui tienne rigueur de son choix, car ce qui l'embêtait, lui ce n'était finalement pas tant d'avoir mis sa place en danger, que de lui avoir peut être donné l'impression de l'avoir fait pour de mauvaises raisons. Khadija le connaissait mieux que lui, c'était certain, et bien qu'au départ elle réduise sa potentielle rancune à une simple fierté, ce qu'elle laissa ensuite entendre confirma les doutes de l'indien. « Mais toi, rassure-moi, tu sais que ce n'est pas vrai, que … que jamais je ne condamnerais quelqu'un suite à un seul échange ? » Il lui demanda alors, avec le besoin évident d'être rassuré, parce que si Salvador était en droit d'en douter compte tenu du fait qu'ils se connaissaient encore peu, Khadija ne le pouvait décemment pas, elle. « On m'a proposé cinq noms, et je devais mettre l'un d'eux en premier. Ça ne pouvait pas être le tien, ni ceux de Cody et de Lloyd-Snö. Et ça ne pouvait pas non plus être celui de Colin, parce que ça n'aurait pas été un choix logique, compte tenu de ce que j'ai pu lui dire. » Du fait qu'il ait laissé entendre qu'il ne lui reprochait pas son comportement et cherchait simplement à ce qu'il montre d'autres choses que ce qui avait peut être tendance à rebuter ceux qui croisaient son chemin. « Alors j'ai choisi Salvador. Mais ça n'avait rien à voir avec la question qu'on m'a posé. J'aurais fait le même classement si on m'avait demandé quel candidat ne méritait pas de cadeau à Noël, ou … d'avoir accès à la pièce secrète. » Parce qu'il s'agissait d'un choix par défaut. Ça ne voulait pas dire qu'à ses yeux il ne méritait pas sa place dans le jeu, car jamais il ne s’octroierait le droit d'estimer une telle chose, à son sujet comme au sujet de n'importe qui d'autre. « Je le ferai, mais … je préfère laisser passer quelques jours. Parce que si comme tu l'imagines il s'est mépris sur le sens de ma réponse, je devrai lui expliquer certaines choses et … je ne suis pas certain que j'en aurai le courage, cette semaine. » Parce qu'elle devait l'avoir remarqué, le moral de l'indien n'était pas au beau fixe. A cause de cette histoire, justement, mais aussi pour d'autres raisons qui impliquaient qu'il soit morose et dépité. Face à un Salvador qui sans doute espérerait de concrètes explications, il risquerait alors d'avoir un peu de mal à trouver ses mots. Quant au fait que Khadija ait par la suite couru en direction de Joe, il est vrai que c'eut tendance à intriguer l'indien. Il n'y avait vraisemblablement rien entre ces deux-là, pour autant la jeune femme était bien informée. « Tu en sais des choses ! » Naveen s'étonna alors, dans un rire, presque tenté de lui demander de plus amples informations. « On devrait l'inviter à manger un morceau au stand de confiseries, un de ces quatre. Je suis sûr que ça lui remonterait le moral. » Il proposa toutefois, en lançant un regard attendri en direction du clown. Ils montèrent ensuite à bord de la nacelle et l'indien afficha une petite grimace à la douce moquerie de Khadija, suite à l'appréhension qu'il manifesta. Et puis, sans qu'il puisse vraiment se l'expliquer, un détail du prime lui revint à l'esprit. L'échange entre Khadija et Lino avait été diffusé et avait éveillé en lui beaucoup de questions, alors oui, il se décida à évoquer le sujet. Sa camarade manifesta alors une certaine surprise, lui précisant qu'il « n'y était pas », ce qui lui valut de froncer les sourcils. Il porta alors une attention toute particulière à ses explications, mais aussi aux doutes qu'elle exprima, la couvant d'un regard protecteur, et compréhensif. Et à la question qu'elle lui posa, il ne put qu'afficher un sourire bienveillant. « Si c'est être orgueilleux que d'avoir peur de souffrir et de faire souffrir, alors … j'imagine qu'on l'est tous un petit peu, non ? » Il souffla, avec une tendresse égale à celle qu'il aurait destiné à sa jeune sœur, si elle s'était confiée à lui sur sa vie sentimentale. « Khadija, écoute-moi. » Il reprit toutefois, d'un ton un peu plus déterminé, parce qu'il désirait lui ouvrir les yeux sur une chose qui lui paraissait évidente, à lui. « S'il t'a dit que tu lui plaisais en te regardant dans les yeux, qu'il t'a soufflé des choses aussi belles que celles que j'ai pu entendre dimanche soir … tu crois vraiment qu'il pourrait aller trouver Jade, Scarlett, ou une autre, et faire la même chose avec elles ? » Il mouva doucement la tête pour lui indiquer que non, lui ça n'était pas ce qu'il pensait, puis il continua. « Lino est un garçon charmant, et il ne peut qu'avoir conscience de ce qu'il dégage, mais … un séducteur ? Non, je ne pense pas qu'il en soit un. Depuis que je le connais, j'ai comme l'impression qu'il pèse chaque mot qu'il prononce, par sagesse sans doute, mais aussi peut être par pudeur, alors … s'il t'a dit tout ça, c'est qu'à mon avis tu n'es pas une fille parmi d'autres pour lui. » Et comment pourrait-il en être autrement ? Jade et Scarlett étaient ravissantes, pleines de charme, mais .. Khadija, c'était forcément une évidence pour un homme comme Lino. « Et tu ne peux pas dire qu'il ne te plaira que si tu as la certitude que tu es la seule, pour lui. Ça ne fonctionne pas comme ça, ce n'est pas … aussi simple, et tu le sais. » Son sourire s'atténua quelques peu, tandis qu'il haussa doucement les épaules. « Même moi, je le sais. » Alors qu'il y a encore quelques semaines, il était pour la première fois confronté à des personnes divorcées, séparées, dont les histoires d'amour s'étaient terminées. Aujourd'hui, il était un peu plus lucide, un peu plus conscient de la réalité des sentiments amoureux, et de leur variabilité. Est-ce que pour autant il ne croyait plus au grand amour ? Bien sûr que si, même plus que jamais, parce qu'il se savait capable d'aimer quelqu'un sur des années, des décennies, et encore davantage. Mais aujourd'hui son cœur s'emballait en présence d'un être qui le troublait, qui l'envahissait de sentiments inédits, et pourtant il n'avait encore aucune certitude que ces sentiments seraient partagés. Il l'espérait, bien sûr, mais n'en savait rien. Parce qu'il lui plaisait, c'est tout. Sans condition. C'est en tout cas un Naveen à nouveau fébrile qui constata bientôt que leur nacelle s'était figée, sans crier gare. « Qu'est-ce que … » Subitement angoissé, il regarda tout autour de lui, avant de reporter son regard sur Khadija. « Je te l'avais dit qu'on prenait un risque en montant, je ne la sentais pas cette roue. » Parce qu'il n'avait pas l'habitude des engins de ce genre, et qu'il gardait dans un coin de sa tête que peut être Joe avait manigancé quelque chose, raison pour laquelle il reprit bientôt. « Je suis désolé, mais même s'il n'y a rien entre vous … moi je pense que Joe est amoureux de toi. Parce que ça, ça m'a tout l'air d'être la réaction impulsive d'un prétendant jaloux. » Bon d'accord, il ne se basait là que sur les bouquins qu'il avait pu lire étant plus jeune, mais il fallait bien avouer que le timing était un peu douteux. « Tu devrais lui dire que je ne me mettrai pas en travers de son chemin. Ne lui parle surtout pas de Lino, mais … dis-lui que moi, je ne suis qu'un ami. » Oui, voilà, qu'un ami qui n'avait eu aucune idée derrière la tête en lui proposant de monter avec lui. « D'ici, est-ce que tu peux le lui crier ? » Pas sûr qu'il l'entende, vu la hauteur qu'ils avaient pris, mais ça valait peut être la peine d'essayer. Non ? « Ou alors, on peut attendre que quelqu'un approche, mais … moi je n'ai prévenu personne que je venais ici. » Et puis, quand bien même quelqu'un les verrait bloqués en haut de la roue, si Joe n'avait pas l'intention de les faire redescendre, il était peu probable que qui que ce soit y parvienne. Se penchant en tout cas pour observer le clown de là où il se trouvait, il plissa les yeux et tenta d'analyser ses mouvements – avec un peu de mal, forcément, d'autant plus qu'il ne voyait pas très bien de loin. « Oh, attends, on dirait qu'il bouge … il va appuyer sur un bouton ? … non … ah si ? … ah non, peut être pas … » Le clown semblait s'agiter, du moins c'est l'impression qu'il avait d'ici, et l'indien ne savait pas tellement s'était censé s'en réjouir, ou craindre un autre rebondissement. Mais quoi qu'il fasse, dans le fond, qu'il le fasse vite.

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