“ and I'd sing a song,
that'd be just ours ”

w/krisjana

Qu'on se le dise, ça n'était jamais bon signe quand Jorah marchait avec un sourire bête accroché aux lèvres et les mains liées derrière le dos, comme un personnage de cartoon très stéréotypé qui aurait une idée bien vaseuse à l'esprit. C'était en fait un peu son cas, à cet instant précis, tandis qu'il se rendait dans la bibliothèque, où il lui avait semblé voir entrer Krisjana une petite demi-heure plus tôt. Disons qu'il se savait particulièrement en danger cette semaine, et que cette histoire de trois éliminés n'était pas pour le rassurer, ainsi donc il partait du principe que s'il voulait se donner les moyens de se rapprocher encore plus concrètement de la brune, c'était maintenant ou jamais. Parce que oui, il avait toujours dans l'idée de lui faire la cour, comme il l'avait laissé entendre la semaine dernière. Ça n'était pas maintenant qu'il s'était convaincu qu'il ne perdrait rien à tenter sa chance qu'il allait revenir sur ses bonnes résolutions. Parce qu'en dépit du fait qu'il continuait de se poser quelques questions au sujet de sa relation avec un certain brun, il ne comptait pas perdre le peu de confiance en lui qu'il avait récemment développé. Alors il était entré à son tour dans la bibliothèque, discrètement dans un premier temps, s'était emparé d'un livre complètement au hasard et s'était posé en silence dans un coin pour y glisser un petit bout de papier. Il se renseigna alors sur l'allée de livres dans laquelle se trouvait Krisjana, et se déplaça au sein de l'allée voisine, jusqu'au point où il fut possible de croiser son regard en écartant deux livres entre lesquels il passa brièvement sa tête. « Psssst » qu'il fit, pour attirer son attention, avant de faire passer son livre par le trou de manière à ce qu'il lui arrive entre les mains. Inévitablement, le petit mot dépassant des pages entre lesquelles il l'avait glissé, elle eut rapidement tout le loisir de lire un « T'as pas trop mal aux pieds de t'être baladée dans mes rêves toute la nuit ? » parsemé de cœurs très approximatifs, complété du regard excessivement lubrique qu'elle put trouver en relevant la tête. Vous avez dit flippant ? « Quand je parlais de te faire la cour, je t'ai pas précisé que j'étais un ado de quinze ans coincé dans un corps de trentenaire ? » qu'il lâcha sur un ton faussement embêté, avant de hausser les épaules, chose qu'elle ne put sûrement pas voir. « Ah, je pensais. » Heureusement qu'il ne draguait pas réellement comme ça, ce serait inquiétant. Non mais, qu'elle se rassure, c'était juste une entrée en matière empreinte d'un peu de légèreté. Bon, il voulait lui faire un peu peur, aussi, c'est vrai.

La lecture fait passer le temps. Principalement parce que personne ne s'aventure dans la bibliothèque, cela ne les intéresse pas. Par contre, les candidats sont partants pour créer des embrouilles, signer un pacte de l'amitié éternelle mais lorsqu'il faut prendre le temps de lire plus de deux pages d’affilée, il n'y a plus personne. C'est autant effrayant que pitoyable, j'ai envie de dire. Je me rends donc à la bibliothèque, déserte, et je pars à la recherche du livre qui pourra me captiver et m'aider à finir ma soirée tranquillement. Automatiquement, je cherche et je mise sur des auteurs norvégiens, par instinct. Je m'aventure dans l'une des allées. Concentrée par la lecture rapide des tranches du bouquin, Jorah a le don de me faire sursauter, non, je ne m'y attendais pas. Que veut-il ? J'arque un sourcil lorsque je vois un bouquin apparaître par magie, un papier attire mon attention. Okay. Je m'en empare avant de lui jeter un coup d'oeil.  « Ne me regarde pas comme ça » je balance, amusée, avant de placer une main au niveau de ses yeux pour les cacher, de l'autre, je tiens son petit mot, en l'air, que je prends le temps de le lire. Qu'il est con ! Il faudrait que je lui apprenne à dessiner des coeurs dignes de ce nom, parce que c'est problématique là. Je l'écoute avec attention, un ado de quinze ans, effectivement, si j'ai le droit à des mots de ce genre, c'est exactement cela ! « Ça nous fera que cinq ans d’écart alors, c'est gérable, on a connu pire » je remarque avec un sourire narquois en levant les yeux au ciel. Oui, parce tout le monde met un point d'honneur à nous rappeler qu'il y a dix bonnes années qui nous séparent, rien que cela, oui. Personnellement, je préfère me dire qu'il est mentalement plus jeune et moi mentalement plus vieille, ce qui fait qu'au final, on peut dire que ça se compense non ? Je ne sais pas si c'est une bonne explication mais bon, tant qu'elle me convient.  Alors c'est le principal. Je lui fais signe de ne pas bouger, posant deux doigts sur sa bouche pour qu'il arrête de dire des conneries avant de filer au bout de l'allée pour en changer et finir par le rejoindre. « Pour en revenir à ta question, mes pieds se portent très bien mais c'est toujours très impressionnant et stressant de savoir que je suis ta muse nocturne » je lui réponds alors tout en avançant vers lui.

Si au lycée Jorah avait déjà aimé des filles en secret, il ne s'était jamais risqué à leur écrire ce genre de petits mots, sûrement parce qu'il était resté longtemps à ne pas oser prendre les devants. Et quand il était devenu un homme un peu plus à même de gérer sa vie sentimentale, il n'avait pas réservé ce genre de démonstrations puériles aux jeunes femmes qu'il avait voulu séduire. Ici, il n'était en soi question que d'une plaisanterie censée prouver à Krisjana qu'en dépit de tout ce qu'il avait pu lui confier récemment, il savait faire preuve de second degré, comme au début de leurs échanges, quand ils avaient commencé à se rapprocher. Il se doutait qu'elle aurait tendance à le prendre avec le sourire, et c'était précisément ce qu'il voulait. La brune lut alors son petit mot, et fit un commentaire qui eut le mérite de l'amuser. « Ah oui, et ça ce sont tes chiffres qui te le disent ou c'est ton "instinct" ? » qu'il lâcha sur un ton complice, en référence à leur discussion de la semaine dernière. En ce qui le concernait, qu'ils aient cinq ou dix ans d'écart, ça ne l'inquiétait pas. Il fallait vivre avec son temps, et si l'on était encore suffisamment étroit d'esprit pour grimacer face à genre de petites différences d'âge, c'était préoccupant. Parce qu'être attaché à une jeune femme de dix ans de moins que lui, et bien non, ça ne lui paraissait pas être de l'ordre du politiquement incorrect. Krisjana lui intima alors de ne pas bouger de là où il était, et le fait qu'elle pose deux doigts sur sa bouche le fit sourire. Docile, il l'attendit donc sur place le temps qu'elle fasse le tour, l'observant se rapprocher lorsqu'elle arriva dans sa rangée. Le fait qu'elle revienne sur le contenu du mot lui tira un rire. « Figure-toi qu'avant ce rôle était tenu par Jouko, mais quelque chose s'est brisé entre nous le jour où il m'a attaqué à coup de corn-flakes » qu'il souffla, sur un ton excessivement dramatique, toutefois avec un sourire en coin. Il avança en tout cas d'un ou deux pas pour se rapprocher d'elle. « Et puis, je crois que j'ai gagné au change, mes rêves sont étrangement plus enivrants depuis que l'une des deux filles les plus sexys du nid y a élu domicile. » Une façon comme une autre de laisser entendre que lui, il trouvait cet award particulièrement légitime. Il s'adossa finalement à l'étagère, les yeux rivés vers les siens. « Si je te propose un rencard, tu me réponds quoi ? » qu'il finit par demander, spontanément. Là, ça ne rigolait plus. Car quand il parlait d'un rencard, il parlait d'en avoir un là, tout de suite. La bibliothèque, c'était le must du glamour après tout, c'était bien connu.

Il ne croit pas en mon instinct, ça se sent, je lève les yeux au ciel en affichant un léger sourire. « Les deux » je réponds simplement en haussant les épaules avant de ranger son magnifique petit papier dans la poche arrière de mon jean. Oui, je compte bien le conserver. Je finis par le rejoindre en changeant d'allée. Il évoque Jouko. Quoi ? Je feins un air surpris. « Hm je vois, je ne suis qu'une doublure en fait ? C'est bon, tu peux le dire, je suis prête » je lance en poussant un soupir à fendre l'âme, c'est très dur de n'être qu'un second choix. Je n'ai jamais aimé être reléguée dans les seconds rôles ! « Ne compte pas sur moi pour réparer ce lien mystique entre vous qui me dépasse complètement » je souffle alors avant de lever la tête au ciel, m'arrêtant une seconde comme si j'étais illuminée par la lumière divine. Au contraire, je me ferais un plaisir d'enfoncer la chose. Sinon, la prochaine fois qu'il l'attaque avec des céréales, il faut juste l'enfermer dans le cellier, ça le calme pendant un bon moment. Mais je ne suis pas sûre de pouvoir partager ma technique avec Jorah, je ne suis pas sûre qu'il la mérite. « Jouko était ta muse ? Dois-je m'inquiéter ? » je ne peux pas m'empêcher de relever en fronçant les sourcils, bon, il m'aurait dit Apolline, Babou ou une autre fille, j'aurais compris mais bon, Jouko est tout sauf inspirant, qu'on se le dise. Il m'apprend que ses rêves sont montés d'un grade grâce à ma présence. J'esquisse un vague mouvement de la main. « Tu m'étonnes » je lâche en toute modestie avant de réaliser un magnifique mouvement à la L'Oréal, envoyant ma longue chevelure ondulée sur l'une de mes épaules avant de lui offrir mon plus beau regard de tombeuse, comme les mannequins sur les photos. Evidemment, je ne tiens que cette mimique ridicule qu'une poignée de secondes car je ne suis pas habituée, et je ne le serais jamais, qu'on se le dise. Mes prunelles claires se posent sur lui lorsqu'il s'installe et se cale contre une étagère, du coup, je me mets en face de lui, cachant mes deux mains dans mon dos, je scrute un instant son visage. Un rencard. « Oui, mais ici ? Maintenant ? » je l'interroge simplement, hm, il a occulté qu'on était à la bibliothèque, entourés de livre ou comment ça se passe.

Ainsi donc, c'était à la fois les chiffres et son instinct qui l'avaient convaincu que leur histoire était viable en dépit de leur soit-disant cinq ans de différence d'âge. Jorah n'irait pas remettre ça en question et confia plutôt qu'avant elle, c'était Jouko qui était chargé d'animer ses rêves, mais que depuis un sombre jour où il s'était permis l'inadmissible, ça n'était plus possible. « Alors là, pas du tout ! Si tu veux tout savoir, t'étais mon premier choix, mais à l'époque tu devais être occupée à en faire rêver un autre. Heureusement pour moi, quand est venu le moment de remplacer ce traître de Jouko, tu étais de nouveau disponible. » Le prochain commentaire de Krisjana le fit sourire, tandis qu'il mouva la tête d'un air résigné. Il s'amusa de la suite, parce qu'on aurait vraiment dit qu'elle se posait subitement quelques questions sur son orientation sexuelle. « J'en sais rien, tu verrais un coté inquiétant à ça ? » qu'il demanda, expressément pour répondre à sa question par une autre question. Il n'était pas certain qu'elle soit vraiment sérieuse en disant ça, mais si c'était le cas, ça lui plairait de savoir à quel moment elle penserait nécessaire de s'inquiéter. Même si lui préférait penser qu'elle ne l'avait pas pris au sérieux dès le départ. De toute façon, comme il le disait si bien, ses rêves avaient gagné en sensualité depuis qu'elle y figurait. Sa réaction lui tira un rire, parce que s'il y avait bien quelqu'un chez qui ce genre de mimiques caricaturales dénotaient, c'était Krisjana. Finalement, il se cala contre l'étagère et lui proposa de but en blanc un rencard. Ce n'était pas sorti comme une idée en l'air, ça restait dans la logique de lui faire la cour. C'est sûr qu'une bibliothèque, c'était pas le lieu idéal, mais ça avait son potentiel. A la question de Krisjana, il avança d'un pas et attrapa sa main. « Ici, maintenant » qu'il affirma, en la tirant doucement pour l'amener à se déplacer le long de la rangée, avant de se stopper d'un seul coup et de se retourner vers elle. « Dickens, Salinger et les autres ne nous ennuieront pas, je te le promets » qu'il lui souffla, dans un sourire taquin, avant de reprendre sa marche jusqu'à arriver plusieurs rangées plus loin, pour s'éloigner un peu de l'entrée, et s'asseoir à même le sol, en l'invitant à le rejoindre. « Le lieu importe peu, ce que je veux moi c'est qu'on se découvre. Je suis sûr que tu te dis qu'un mec comme moi peut pas te comprendre, pourtant je demande que ça. » Ils n'avaient pas un tempérament semblable, c'était un fait, mais il était convaincu qu'en en sachant un peu plus sur elle, il la cernerait plus facilement. « Ce que je te propose, c'est qu'on se questionne l'un-l'autre, et qu'on voit ce que ça nous apporte. Un rencard, c'est d'abord s'intéresser à l'autre, du moins c'est comme ça que je le vois. » Il n'était pas dans la séduction à tout prix, et même s'il n'excluait évidemment pas l'idée de saisir quelques occasions pour se rapprocher d'elle, il voulait surtout percer un peu le mystère qu'elle était pour lui. « Si y'a un sujet à éviter, il faut que tu me le dises. » Vu que la dernière chose qu'il voulait, c'était créer un malaise, mais elle devait s'en douter.

Il se rattrape. Bizarrement, il m'avait pas dis tout cela au début !  « Hm ouais ouais, tu t'en sors bien va » je lâche en faisant la moue, pas super convaincue pour autant. Il s'en tire bien, mais juste cette fois-ci. On rebondit sur le sujet Jouko. « On ne répond pas à une question, par une autre, cela ne se fait pas » j'annonce avec un sourire moqueur, en roulant des yeux. Non, faut pas croire que je vais y répondre, hein. Docile, je le suis sans rien dire, dépassant quelques allées. Je m’assois sur le sol, en face de lui, je crois que je n'ai pas le choix, en l'écoutant avec attention. Il veut en savoir un peu plus sur moi, c'est peut-être légitime. On ne peut pas dire que je me sois beaucoup ouverte sur ma vie aux autres, la seule anecdote ou bride de ma vie que j'ai accepté de confier, c'était à Jasmine, la semaine dernière. « Je n'ai pas besoin d'un rencard pour m’intéresser à toi » je me permets de relever avec un léger rictus en coin avant d'étendre mon bras dans sa direction, mes doigts effleurant ses siens pendant quelques secondes seulement. Je m’intéresse à ma façon, on peut dire. Mais il n'a pas tord, on ne connait rien l'un de l'autre. Complètement rien. J'ai simplement noté qu'il a évoqué deux fois sa mère et jamais son père. C'est tout. C'est très mince quoi. Parfois mon manque d’intérêt pour le passé et la vie des autres me parait réellement consternant. On va se questionner mutuellement. Ça me va. Il prend la précaution de me demander si je ne veux pas parler d'un sujet précis. Ramenant mes genoux vers moi, je m'autorise quelques secondes de réflexions, nombreux sont les sujets sur lesquels je n'ai pas envie de m'étendre, mais de là à ne pas les évoquer du tout. « Non c'est bon » je lâche à voix basse en vrillant mon regard clair au sien. Bon, je lui retourne pas la question, il me l'aurait dis d'emblée, je pense. Non ? « Jorah, quand est-ce que tu as fréquenté quelqu'un pour la dernière fois ? » je ne peux pas m'empêcher de demander, parce que je repense encore à notre conversation sur la plage. Comme quoi il n'avait plus l'âge de perdre son temps ... Ce n'est pas de la curiosité malsain, j'ai simplement envie de savoir à quoi il faisait référence, exactement. Hm et s'il s'agissait d'un sujet délicat qu'il ne voulait pas aborder, et bien je crois que c'est officiellement trop tard.

C'est fou comme parfois, Jorah était capable d'improviser une explication qui tenait presque debout. Il fallait simplement tenir compte du fait que de toute façon, cette histoire de muse était plus nébuleuse qu'autre chose, vu que ça n'était pas comme s'il avait pu rêver de Jouko, pas de la façon dont il l'avait suggéré et qui amena Krisjana à se poser des questions. Qu'elle se rassure, s'il avait du lui faire une révélation croustillante, ce serait déjà fait, en l'occurrence elle savait de ses attirances tout ce qu'il y avait à en savoir. Donc oui, il répondit à sa question par une autre question, des fois qu'elle veuille lui dire ce qu'il y aurait de si inquiétant dans l'idée qu'il puisse avoir rêvé de Jouko, mais mademoiselle sembla aussi peu disposée que lui à fournir une réponse constructive. « En attendant, ça t'arrange bien » qu'il souffla alors, taquin, avant de saisir sa main pour l'emmener quelques allées plus loin. Une fois arrivés suffisamment loin de la porte d'entrée - vu que l'idée d'un rencard, était quand même d'instaurer une certaine intimité - il s'assit à même le sol et invita la jolie brune à faire de même. Là, il lui parla de son idée, à savoir d'en apprendre un peu plus l'un sur l'autre, parce qu'il n'était pas venu avec l'idée fixe de se rapprocher très concrètement de Krisjana. Bien sûr qu'il en avait envie, mais avant toute chose il voulait qu'ils puissent dire qu'ils n'ignoraient pas tout de la vie de l'un et de l'autre. Parce qu'ils s'étaient rapprochés, mais pas découverts à ses yeux. La réponse de la jeune femme le fit sourire, tandis que par réflexe il passa une main contre sa nuque, sûrement parce que c'était le genre de choses qu'il aimait entendre et qui du coup l'embarrassaient un petit peu. Lorsque ses doigts effleurèrent les siens, ses yeux à lui ne quittèrent pas ceux de la brune. Il aurait pu lui dire qu'il en allait de même pour lui, mais c'était évident. Finalement, il laissa entendre qu'ils pourraient se poser des questions, ainsi donc que s'il y avait un sujet à ne pas évoquer, il fallait qu'elle le dise, parce qu'il respecterait le fait qu'elle puisse ne pas vouloir discuter de certaines choses. Elle disait que non, et ce fut la brune qui posa la première question. Se pinçant la lèvre, Jorah se mit à réfléchir. « Ça remonte à une dizaine de mois, je dirais » qu'il articula alors, les yeux toujours rivés vers les siens. « Oui, un peu moins d'un an. Ça a été une belle histoire, mais elle ne s'est pas terminée très glorieusement. » Il afficha un timide sourire, témoignant du fait qu'il gardait beaucoup de regrets quant à cette dernière histoire en date. Puis ce fut à son tour, alors il enchaîna. « Pour qui as-tu le plus de ressentiment à ce jour ? » Il ne savait pas ce qu'elle pouvait pardonner et ce qu'au contraire elle était incapable d'excuser, mais il désirait savoir s'il y avait quelqu'un pour lui avoir fait tellement de mal qu'aujourd'hui encore sa rancune en était tenace.

Je me pose en face de lui, braquant mes prunelles inquisitrices sur les siennes lorsque je lui pose ma question, pour que rien ne m'échappe. Il y a à peine dix ans. Pardon ? Je m'attendais à pire en fait, genre par exemple quatre ans, une durée de cette échelle là. Je l'écoute avec attention. C'était une belle histoire. Je me doute. Je me doute. Suite à l'air qu'il affiche, je ne peux pas m'empêcher d'embrayer. « Et tu regrettes votre relation ? » je l'interroge, j'ai bien avoir des réponses précises et complètes. Et là, ce n'est pas vraiment le cas. Ça lui manque après dix mois ? Juste pour savoir. On doit apprendre à se connaître, apparemment, si ma question le dérange, il ne peut que s'en prendre à soi-même. « Ça ne compte pas comme une question, hein, c'est juste un bonus de la précédente » je précise avec un sourire narquois parce que je n'ai pas envie de me faire avoir non plus. A qui j'en veux le plus ? Bonne question.« Je dirais mon père » je balance d'une voix inexpressive. De toute façon, ce n'est plus un secret, même l’intéressé le sait, c'est pour dire.  « Mais je t'arrête tout de suite, je ne suis pas une enfant battue, hein» je précise alors en le regardant, esquissant un léger sourire un peu forcé. Non, c'était un peu plus complexe que ça. Non parce qu'au détecteur de mensonge, j'avais répondu à une question de ce genre là, alors je ne veux pas qu'il s'imagine des choses. « Ma mère est un légume, mentalement parlant, et quand j'ai atteint la majorité, je suis partie, il a été infecte parce qu'il disait que je quittais le navire ...» je commence, non mais quand je dis infecte, je pèse mes mots quoi. « ... cette situation» je complète en haussant les épaules. Franchement, ce n'est pas complètement faux non plus, je veux bien l'avouer. Il avait fait même changer les serrures pour que je ne puisse pas revenir récupérer mes affaires, raconter des conneries à ma mère qui dans son état mental, un gosse de six ans, n'était pas capable de faire la part des choses. Et maintenant qu'il a trouvé le courage de divorcer de ma mère, il veut que je reviens habiter chez lui, mais bon, tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir. « Quelle est la personne que tu apprécies le plus, en dehors de ta famille, à l'extérieur ?» je lui demande à mon tour.

Près de dix mois, c'était long pour certains et un peu moins pour d'autres. Lui, il n'avait connu personne depuis que cette histoire s'était achevée, et même si ces derniers temps il n'avait vraiment pas eu beaucoup de temps pour lui, il lui arrivait quand même d'être pesé par cette solitude qu'il n'avait qu'à moitié choisie. Krisjana embringua alors sur une question qu'elle présenta comme le simple désir d'obtenir une petite précision quant à la réponse qu'il venait de lui donner. N'y voyant aucun inconvénient, il lui sourit et hocha la tête, avant de poser son regard sur le sol. « Si tu veux savoir si mon ex me manque, la réponse est non, plus aujourd'hui » qu'il souffla, pensant que c'était peut être ce qu'elle essayait de savoir, quand elle parlait de regretter cette relation. « Ce que je regrette, c'est qu'elle m'ait jeté comme elle l'a fait, sans assumer de le faire pour une autre raison que celle qu'elle m'a donnée. » La fin d'une relation, c'était déjà rarement évident, mais quand en plus elle s'arrête sur un mensonge, c'est pire. Toujours est-il qu'il lui posa à son tour une question. Krisjana évoqua son père, et il en vint à se dire que dans le cas inverse, c'est très certainement la réponse qu'il aurait donné lui aussi, alors il l'écouta avec attention, affichant un demi-sourire lorsqu'elle le rassura sur un fait : elle n'était pas une enfant battue. Il mouva la tête de façon à dire qu'il ne l'aurait pas forcément supposé, mais que c'était rassurant de le savoir, avant d'afficher une moue compatissante. Là, l'exercice prenait tout son sens, car il découvrait une autre Krisjana, et il comprenait mieux certaines choses en ayant écho de sa situation familiale nettement difficile. « Est-ce que ça va ? » qu'il se permit de demander, parce que ces choses qu'elle confiait devaient constituer une période de sa vie loin d'être évidente et même si elle n'avait pas précisé que c'était des choses qu'elle ne voulait pas évoquer, il préférait s'assurer qu'en parler ne lui faisait pas du mal. La brune enchaîna alors avec une autre question. « Yalim, un adolescent qui est venu faire un stage dans mon atelier il y a deux ans et que j'ai un peu pris sous mon aile. Même si on ne se voit plus que rarement, je me suis beaucoup attaché à lui parce que je suis longtemps resté fils unique et que j'ai un peu vu en lui un petit-frère. » C'était un peu ridicule dit comme ça, mais lui il avait longtemps souffert de n'avoir eu personne avec qui grandir. Il avait de toute façon tendance à facilement s'attacher aux autres, plus encore quand il partageait avec eux sa passion. Dans un sourire, le brun décida d'enchaîner. « Où et comment est-ce que tu te vois dans dix ans ? » Celle-là, elle ressemblait un peu aux question bateaux qu'on trouvait dans des quizz, mais ça l'intéressait de savoir si elle avait des projets à concrétiser, si elle parvenait à se projeter. A noter qu'il aurait pu lui demander avec qui elle s'y voyait, aussi, mais ça il n'était pas certain de vouloir le savoir.

Je réclame certaines précisions, qui ne semblent pas venir automatiquement. Bon au mois j'ai eu une durée, dix mois, c'est déjà pas mal, il faut quand même dire que certains hommes n'arrivent pas à tenir aussi longtemps. Malheureusement. Je l'écoute avec attention, non son ex ne lui manque plus. Ce qui sous-entend quand même qu'elle lui avait manqué pendant une certaine période. On est d'accord ? J'ai tendance à imaginer le pire, par exemple qu'elle l'ait quitté en lui disant que ça ne fonctionnait plus entre eux alors qu'elle voulait simplement vivre avec quelqu'un d'autres, une histoire comme ça ... J'évoque pendant une poignée de secondes mes parents, rapidement. Il me demande si ça va. J'arque un sourcil. J'ai l'air de mal le vivre ? En tout cas, je ne suis pas sûre d'apprécier le regard rempli de compassion qu'il vient de m'adresser. Voilà pourquoi je ne parle jamais de mes géniteurs, ça amène toujours ce genre de réactions, je trouve cela dégradant. Je crois que je préfère inspirer des sentiments négatifs que cette espèce de compassion couplée à de la pitié. « Bien sûr, tu me prends pour qui » je balance d'une voix posée en m'installant en tailleur, cette fois. C'est plus confortable. « Faut pas tomber dans le mélo, il avait raison, mais ce n'était pas ce que j'avais envie d'entendre à l'époque, c'est tout » je précise en haussant les épaules. Je suis la première à dire que je suis profondément égoïste, et c'est vrai, habituellement, il y a moi et les autres très loin derrière. Jorah gravite entre les deux, c'est déjà assez pour me perturber.  En dehors de sa famille, il est donc attaché à un jeune qui avait suivi un stage. J'arque simplement un sourcil, perplexe avant que je n'ai le droit à une autre question. Je pince mes lèvres en une petite moue pensive. Hm. Trop difficile pour moi. « Aucune idée, j'ai déjà du mal à me projeter pour la semaine prochaine, alors tu penses bien que dans dix ans ... » je réponds en affichant un léger sourire.  « Hm, pour le lieu, n'importe où, tant que ce n'est pas en Norvège, après dans un boulot où je ne m’ennuierais pas trop » je commence alors, incertaine. « C'est encore très vague, comme tu peux le voir » je lance alors avec l'esquisse d'un sourire, j'ai simplement envie de dire: on verra bien hein. « Si tu pouvais modifier ou effacer un évènement, ça serait  ... ? » je lui demande, bon j'avoue que mes questions ne volent pas non plus super haut. J'admets.