Une tradition est sur le point d’être installée, je me suis promis de le faire dans l’hypothèse ou Naveen était sauvé par les téléspectateurs à l’issue du prime. Je n’ai pas été surprise par son sauvetage, en seconde position tout juste derrière Grey. J’appréciais @Cody au même titre que @Zélie, dommage qu’ils aient été éliminés. A ce stade du jeu on ne peut néanmoins pas trouver quelque chose à redire sur les éliminations, elles seront de plus en plus difficiles et nous y passeront tous tôt ou tard, le jeu commence véritablement maintenant et les derniers debout seront ceux qui pourront se hisser en finale. Mon tour viendra mais je compte bien pleinement profiter de mes journées en attendant ce moment fatidique qui, je l’espère, arrivera le plus tardivement possible. Je n’ai pas spécialement envie de faire mes valises, je dirais même que j’ai l’impression d’avoir trouvé ma place parmi mes camarades. Il était temps… A défaut de détenir les recettes de cuisine que Naveen a promis de gentiment me donner pour que je puisse me frotter à la cuisine indienne j’ai décidé de taper dans ce que je maitrise qui a rapport à l’Inde, du moins de par ses épices et de rester dans le thème du sandwich. De ce constat j’ai pas mal cherché avant de mettre le doigt sur la parfaite petite recette, du poulet tandoori, j’ai apporté du tandoori parmi ma petite trousse d’épices, parfait, ils en avaient au début de l’aventure dans la cuisine mais je n’en ai pas retrouvé depuis. Une vingtaine de minutes me sont nécessaires pour que le poulet puisse reposer dans ma préparation à base de tandoori, yaourt nature, sel, poivre et zeste de citron. J’en profite pendant ce temps pour couper une baguette de pain parce que j’ai décidé de me la jouer française, leur pain est délicieux, en quatre, nous aurons ainsi plusieurs petits sandwichs à déguster. Moment de génie ou stupidité intense, un détail concernant nos sandwichs de la semaine passée me frappe, végétarien. Ne suis-je pas en train de faire cuir du poulet ? « Qu’elle est con celle-là ! » Je commence à m’insulter en terminant malgré tout la cuisson de mon poulet qui, une fois terminée, va rejoindre la salade et une sauce légère sur ce pain croustillant et dont j’ai déjà englouti l’intégralité de la mie de pain. « Plan B au cas où, plan B… réfléchi Greta… » Nouvel éclair de génie, des samossas végétariens ? Ni une ni deux je fonce dans le cellier et, par chance, trouve tous les produits qui me seront nécessaires. Des lentilles corail, des pommes de terre, des poivrons, oignons, du massala, de la coriandre, un peu d’ail, un bouillon de légumes et une bonne petite dose de piment. Parfait. Deux heures moins vingt plus tard et je sors du four le gâteau au chocolat très léger au cœur fondant que je viens de préparer et insère les samossas qui n’ont plus qu’à dorer quelques minutes pour parfaitement pouvoir être consommés. De quoi me laisser le temps d’appeler Naveen dans les escaliers, il me semble qu’il est au-dessus. « Naveen, rendez-vous dans le jardin… Ou dans la cuisine si tu veux m’aider à tout apporter là-bas ! » J’aurais bien besoin d’un petit coup de main pour transporter le tout.

Parmi les choses dont l'indien se réjouissait d'avoir l'occasion de profiter suite à son retour dans l'aventure, la perspective de profiter à nouveau d'un repas en compagnie de Greta était l'une des plus appréciables, car leur échange de la dernière fois lui avait permis de la découvrir un peu plus précisément, et qu'il avait d'ors et déjà développé une profonde sympathie pour la jeune femme, qu'il trouvait particulièrement touchante. Il apprécierait donc de déjeuner une fois encore avec elle, d'autant plus que cette fois c'était à sa camarade de préparer le repas qu'ils dégusteraient, et qu'ils avaient notamment convenus qu'elle réaliserait pour l'occasion un gâteau au chocolat des plus prometteurs. C'était l'un des points qui rendaient l'indien le plus impatient, car sans être à la base un grand amateur de chocolat, il avait toujours été relativement gourmand, la faute à la cuisine de sa mère qui lui avait appris le goût des bonnes choses. C'est donc avec enthousiasme qu'il avait attendu que sonne l'heure de son déjeuner avec Greta, celle dont ils avaient approximativement convenu, tandis qu'il se trouvait jusqu'à lors à l'étage, qu'il quitta sans le moindre regret lorsque sa camarade l'invita à descendre. Et loin d'avoir l'intention de la laisser se débrouiller seule, il ne manqua pas de faire un détour par la cuisine. « Bien sûr, oui, je viens t'aider. » Parce qu'avoir vu son père mettre les pieds sous la table pendant trente ans ne lui avait jamais donné envie de lui ressembler, à ce niveau-là du moins. Il avait aidé sa mère pendant des années, il pouvait bien aider Greta. S'approchant alors de sa camarade, à qui il adressa instantanément un sourire enthousiaste, il se permit de jeter un coup d’œil au repas avant de penser à s'emparer des plats. « Je vois que tu as pensé au gâteau. » Il fit alors remarquer, dans un sourire qui en disait long sur la satisfaction qui était la sienne, avant que sa mine se fasse un peu plus amusée. « Mais ce que je me demande, c'est si tu as pensé aux trois kilos qu'on va prendre d'ici la fin du repas ? » En vérité, s'il n'avait jamais pris un gramme avec la cuisine de sa mère, ça n'était pas un gâteau au chocolat qui aurait raison de son improbable métabolisme, pour autant il éviterait l'indigestion en tâchant de rester relativement raisonnable. « Il a l'air délicieux. » C'était le moins que l'on puisse dire à la vue de ce gâteau, qui en plus sentait remarquablement bon. S'intéressant finalement au reste du repas, c'est bientôt une expression partagée entre la surprise et l'émerveillement qui gagna son visage lorsqu'il crut reconnaître un mets bien de chez lui. « Et tu as fait des samoussas ? » C'est ce qu'il en concluait, car il en avait si souvent mangé qu'ils les reconnaîtrait entre tous, et ceux-là ressemblaient en l'occurrence à ceux dont il avait l'habitude de se nourrir. « Attention, tu prends le risque de souffrir de la comparaison avec ma mère. » Il se permit de faire remarquer, dans un léger rire, en référence à ce dont ils avaient parlés la dernière fois, au sujet des compétences culinaires de sa mère et du fait que peu de monde lui arrive certainement à la cheville, pas même son fils. « Je plaisante, je suis certain qu'ils sont très réussis. D'ailleurs la pâte est impeccable, et parfaitement bien pliée. » Et c'était suffisamment rare pour être noté, car même chez lui tout le monde n'avait pas forcément le même coup de main. Rubina, par exemple, n'avait jamais eu la patience nécessaire pour s'appliquer à les plier correctement, à l'inverse de sa mère qui soignait jusqu'à la touche finale. Repensant plus précisément à leur discussion de l'autre jour, il finit par sortir quelques feuilles de papier de la poche arrière de son pantalon. « Oh, d'ailleurs, voilà les recettes que je t'ai promises. » Les recettes de spécialités typiquement indiennes, mais aussi et surtout de plats que sa mère maîtrisait, car c'était par elle qu'il les avait obtenues. « Par contre, je parle mieux l'anglais que je ne l'écris, alors il y a certainement quelques fautes. Mais s'il y a un mot que tu ne comprends pas, n'hésite pas à me demander. » Il pensait cependant être parvenu à retranscrire les recettes de sa mère, mais il est vrai qu'il partait à la base de recettes écrites en tamoul, que c'était lui-même dans cette langue qu'il les avait mémorisées, alors l'exercice de la traduction n'avait pas été des plus évidents.

Il y a des détails que l’on ne doit jamais ô grand jamais oublier lorsque l’on fait la cuisine pour quelqu’un. Dommage que je sois parfois si tête en l’air, en préparant mes sandwichs à base de poulet tandoori je n’ai pas pensé une seule seconde à cette très forte probabilité pour que Naveen soit végétarien. La semaine dernière les sandwichs concoctés par ses soins ne contenaient pas la moindre trace de viande, tous végétariens et je m’étais promis de prêter attention à ce détail loin de ne pas avoir d’importance pour ne pas faire des bêtises lorsque mon tour viendrait de lui faire à manger. Autant vous dire que j’échoue lamentablement mais que j’ai au moins à cœur de me rattraper avec les samoussas préparés en quatrième vitesse entre deux cuissons. Je pense être habilement parvenue à rattraper le coup, du moins je l’espère, avec mes petites pièces végétariennes et très relevées, s’ils sont aussi délicieux que le cœur que j’ai mis à l’ouvrage nous ne devrions pas avoir de problèmes, je croise les doigts. A quelques secondes de voir sa frimousse toute mignonne me rejoindre dans la cuisine je me sens paniquée, et si ma cuisine ne lui plaisait pas ? C’est un sacré pari que j’ai décidé de relever en lui proposant un menu quasiment indien, à l’exception du moelleux au chocolat. Par chance le jeune homme ne tarde pas à me sortir de mes pensées, plus d’inquiétudes, ce n’est pas quand on a fait dans sa culotte qu’il faut serrer des fesses de toute manière, on verra bien. Il me donne un bon coup de paluche en prenant deux des plats sur lesquels j’ai disposé les sandwichs au cas où et les samoussas. Je le suis à la trace avec plusieurs bouteilles d’eau, des serviettes, des couverts pour couper le gâteau et ce dernier. Naveen ne tarde pas à me féliciter pour avoir pensé à le préparer, de quoi me faire sourire un peu plus encore. « Je compte sur ce gâteau pour te faire changer d’avis sur ma cuisine au cas où j’aurais complètement raté mes sandwichs et mes samoussas ! » On ne sait jamais, il a l’habitude d’en manger et il sera donc plus à même de juger que moi. S’il venait à ne pas pleinement apprécier le goût, le côté positif c’est que j’aurais le temps de m’améliorer et de lui en resservir une fournée au plus vite pour attester de mes progrès. « On ira faire du sport après… Si nous n’avons pas explosé avant ! » J’ai clairement eu les yeux plus grands que le ventre, tant pis, nous aurons de quoi nous sustenter sans avoir peur de manquer de quoique ce soit. Comment ne pas avoir la pression lorsqu’il me fait remarquer que j’entre directement en concurrence avec sa mère qui doit gérer le samoussa à la perfection. « Si elle voit ses images j’espère qu’elle le prendra comme un hommage, je veux bien devenir son élève. » Avec de bons conseils, un peu d’entrainement et une bonne dose de partage je devrais être capable de parvenir à la surprendre elle aussi, ce sera mon objectif si j’ai un jour l’honneur de la rencontrer. « Merci, j’en ai bavé, j’ai recommencé plusieurs fois certaines pièces tellement j’étais insatisfaite. » Autant être honnête, je n’étais pas très contente de mes samoussas et j’ai plutôt bien réussi à les rattraper. Nous nous installons et Naveen en profite pour m’offrir les fameuses recettes mentionnées la semaine dernière, de quoi me rendre heureuse, très heureuse, mes yeux pétillent, le plus beau cadeau du monde. « Merci beaucoup, je ne jugerais pas l’anglais du moment que je le comprends ! » Je le rassure au passage, super contente de constater qu’il a tenu sa parole. « Je te ferais signe dès que j’aurais testé l’une des recettes. »

Si l'indien et sa camarade avaient convenu que Greta préparerait le repas de ce midi, comme lui l'avait fait quelques jours plus tôt lorsqu'elle l'avait rejoint pour un pique-nique au milieu du jardin, il ne voyait pour autant aucun inconvénient à l'aider à transporter les plats qu'elle avait pu dresser, et ne se fit pas prier pour la rejoindre dans la cuisine au moment où il l'entendit l'appeler. C'était une question de principes, d'aider quelqu'un qui avait la gentillesse de vous préparer de quoi manger, et ce même si ça n'était pas exactement le genre de modèle qu'il avait eu, lui, aussi bien avec son père qu'avec deux de ses frères. Parce que chez lui, les femmes de castes moyennes étaient le plus souvent conditionnées à faire de parfaites femmes au foyer, et c'était un rôle pour lequel peu d'hommes se sentaient de les épauler. Son père avait beau aimer sa mère depuis plus de quarante ans, il ne lui serait jamais venu à l'idée de l'aider à dresser une table ou à transporter un saladier, même maintenant qu'il ne travaillait plus. Car des années durant il était rentré à des heures tardives de son épicerie et avait mis directement les pieds sous la table, mais même aujourd'hui il n'avait pas l'intention d'aider en cuisine ou de soulager sa femme d'un peu de ses corvées. Parce que son père, malgré la tolérance qu'il prêchait parfois, était attaché à certaines idées sur lesquelles son troisième fils et lui n'étaient jamais tombés d'accord. C'est ainsi que l'indien finit par arriver près de Greta, le sourire aux lèvres, puis qu'il s'empara de deux plats qui eurent déjà pour effet de lui ouvrir l'appétit, avant d'arriver à destination et de s'attarder tout particulièrement sur ce gâteau au chocolat qui ne manquait pas de lui faire envie. « Vu combien ce gâteau m'a l'air appétissant, tu pourrais m'annoncer que tu as mis le feu à ma garde-robe qu'à mon avis il rattraperait absolument tout. » Déjà parce que l'indien n'était pas connu pour être quelqu'un de rancunier – disons qu'il fallait vraiment le vouloir pour baisser dans son estime, ce qui expliquait que personne ne s'y soit encore vraiment risqué – et ensuite parce que la bonne cuisine, il n'y avait rien de tel pour rapprocher et mettre ses querelles de coté. Pour autant, ce gâteau au chocolat allait probablement leur valoir d'enfler légèrement, ou disons que ce ne serait probablement pas la chose la plus diététique qu'il ait jamais mangé. « Greta, comment te dire ... » Il souffla en tout cas, dans un rire franc, suite à la réflexion de sa camarade. « Le sport et moi, ça n'est pas … enfin, disons que ça n'est pas vraiment mon truc. » Oui, c'est ainsi qu'il résumerait les choses. Car on ne pouvait pas dire qu'il fréquente souvent les salles de sport ou les terrains de football. Son sport à lui, dans un sens, c'était la méditation. Mais c'était un sport plus cérébral que physique, ce qui dans le fond lui convenait très bien. Quant aux samoussas préparés par Greta, il est vrai qu'ils auront la lourde tâche de concurrencer ceux de sa mère. « Il y a peu de chances qu'elle les voit, mais si elle est dans de bonnes dispositions à mon retour au pays, je lui dirai qu'une amie à moi a honoré sa cuisine. » Parce que sa mère, il veillerait quand même à la ménager, lorsqu'il rentrerait chez lui. Il aurait beaucoup de choses à lui dire, mais il ne pourrait décemment pas tout lui révéler en une seule fois, et en l'occurrence elle ne verrait pas forcément d'un très bon œil que leur culture se répande sur des terres qu'elle jugeait hostiles. « C'est plus évident quand on est deux, tu aurais du m'appeler pour me demander un coup de main, ça ne m'aurait pas dérangé. » Il reprit ensuite, au sujet du pliage de la pâte à samoussas auquel Greta s'était manifestement essayée avec succès s'il se fiait à l'apparence impeccable des beignets. « En plus, je peux te dire que j'ai développé une sacrée technique, à force d'en avoir manipulé. » Chez lui, chacun avait plus ou moins sa façon de procéder, dans ces cas-là. Lui, il n'était peut être pas aussi rapide que sa mère pour ce qui était de les plier, mais il restait plus efficace que plusieurs de ses frères et sœurs. Se rappelant finalement qu'il avait sur lui les recettes qu'il avait promises à sa camarade, l'indien les sortit afin de les lui tendre, avant d'émettre quelques doutes sur la qualité de l'anglais qu'il avait rédigé – la faute au fait qu'il ait du traduire les recettes qu'il connaissait mentalement. « De toute façon, j'ai veillé à écrire les proportions en chiffres, alors à ce niveau-là il y a peu de chances que je me sois trompé, et toi que tu fasses une erreur de dosage. » Au niveau du reste, il était néanmoins possible qu'il ait fait quelques fautes, mais si Greta essayait l'une de ses recettes dans les prochains jours, il devrait être encore en jeu et donc susceptible de l'aider à déchiffrer son écriture. « En parlant de recettes, cette fois c'est à moi de te demander ce que tu as mis dans tes sandwichs. » Son sourire se fit plus malicieux tandis qu'il les examina du coin de l’œil, pas tellement en mesure de deviner de quoi il était question, avant de froncer doucement les sourcils, en repensant à un détail qui tout à l'heure l'avait légèrement intrigué. « Mais j'y pense … j'ai cru t'entendre jurer, tout à l'heure. J'espère que tu ne t'es pas blessée en préparant le repas. » Il ne se souvenait plus précisément de ce qu'elle avait dit, mais il lui avait semblé entendre l'écho de sa voix depuis l'étage, et il savait qu'il culpabiliserait inévitablement si elle lui disait qu'elle s'était coupée ou brûlée en tentant de lui faire plaisir.

En temps normal j’ai l’habitude de toujours tout faire moi-même, je me bats pourtant quotidiennement pour que les femmes soient plus considérées au sein de la société et qu’elles ne soient pas prises pour des boniches par les hommes. Je n’ai pas été avec un homme sur une durée plus longue que quelques semaines depuis le père de mon fils et avec lui je n’avais pas vraiment le choix. Il m’a fait vivre un calvaire que plus jamais j’accepterais de revivre, peut-être est-ce pour cela que je n’ai jamais laissé à un homme la chance de percer la carapace qui me permet de me préserver, peut-être bien que ceci explique pourquoi j’ai tendance à fuir avant de trop m’être attachée. La grande gueule que je suis a peur, comme tout le monde, et ma peur est des plus primaires, liée à des traumatismes enfouis profondément. Je n’ai plus personne à la maison depuis quelques années, depuis que mon fils a pris son envol mais je ne l’ai jamais trop embêté pour qu’il vienne me donner un coup de main. Je me suis habituée à ce rôle de mère célibataire qui comble le manque d’un père pour son fils par un surplus d’affection. Aujourd’hui, puisque je sais que Naveen ne le prendra pas mal, je demande un petit coup de main maintenant que la cuisine est faite pour transporter le tout jusqu’au jardin. J’aurais pu le faire toute seule, c’est ce que je prévoyais au départ, mais je me suis éparpillée et je ne me sens pas le courage de faire plusieurs allers retours les bras chargés alors qu’un gentil garçon ne refusera jamais de me venir en aide. Je suis même persuadée qu’il serait du genre à s’indigner du contraire, il a des valeurs qui correspondent à ce que j’ai essayé d’enseigner à mon fils pendant toute son enfance. Il est ce que j’espère que mon fils représentera dans quelques années, une sorte de modèle même si je me doute qu’il a ses défauts également. Ils ne m’ont pour le moment pas frappée. Je profite de sa remarque sur le gâteau au chocolat que j’ai particulièrement bien réussi pour improviser une moue inquiète, apeurée. « Puisque tu en parles… J’ai eu un petit souci avec la machine à laver et… » Je me plonge dans le silence, tâchant de fuir son visage et surtout son regard au maximum. « Tes vêtements ils… » Difficile de lui avouer cela, il risque de m’en vouloir pour le restant de ses jours. « RIEN DU TOUT, JE BLAGUE ! » Il n’y a probablement que moi que cette blague fera rire mais son air inquiet m’a vraiment fait rire intérieurement, une telle expression devrait être immortalisée par des photos, qu’il puisse en profiter lui aussi. Nous risquons de prendre du poids avec de tels plats additionnés les uns aux autres mais je n’ai aucunement peur de cela, un peu de sport et les calories seront évacuées comme il se doit. Naveen ne semble pas du même avis, le sport ne semble pas avoir fait naitre de vocations chez lui, il semblerait qu’il ne soit pas du tout branché par les activités physiques. Je le détaille rapidement du regard, dégoutée. « Tu peux te le permettre toi, t’as vu comment t’es fait ? La vie est injuste ! » Si je ne pratiquais pas autant de sport par le biais de la danse je ne serais probablement pas faite ainsi, pas aussi musclée, avec surement bien plus de cellulite et de bourrelets. J’ignore si sa mère appréciera de me voir proposer des plats traditionnels à son fils mais sait-on jamais, elle pourrait m’être de très bons conseils si je venais à la rencontrer un jour. Je respecte d’entrée une femme comme elle pour avoir élevé plusieurs enfants et avoir réussi à leur inculquer les valeurs essentielles à mes yeux. Je n’ai pas eu la chance de faire la connaissance des frères et sœurs de Naveen mais je me base sur lui et je ne peux qu’avoir une image positive en tête. « Je n’allais pas te demander de l’aide alors que l’objectif est de t’impressionner voyons ! » Je me défends en souriant, l’objectif n’était pas aussi explicite dans ma tête mais on va dire que je souhaitais le surprendre et qui sait, peut-être même lui permettre de se sentir à la maison par le biais de ma cuisine. « N’hésite pas à me montrer comment tu plies les samoussas cela dit, ça peut toujours servir. » Je ne dis jamais non à quelques bons tuyaux qui iront à la perfection avec les recettes de cuisine qu’il vient de me donner, il y a de quoi cuisiner pendant un moment et me permettre de varier les plaisirs. « Je n’hésiterais pas à venir t’embêter si je trouve l’une de tes indications pas super claires ! » Il me demande ce que j’ai mis dans mes sandwichs et… Grand moment de solitude pour moi, j’hésite, pas certaine de vouloir admettre mon erreur. Encore plus lorsqu’il fait référence aux injures qu’il a pu m’entendre prononcer tout à l’heure. « C’est-à-dire que… » Don’t be a child Greta ! « … J’ai oublié que tu étais végétarien, j’ai préparé des sandwichs au poulet tandoori… » Je baisse la tête, honteuse, heureusement que je m'en suis rappelé assez tôt pour improviser les samoussas, vous imaginez le moment gênant sinon ?

C'est de bon cœur que l'indien avait rejoint la cuisine dans l'optique d'y aider Greta à transporter le repas qu'elle leur avait préparé, parce qu'il aurait probablement culpabilisé de mettre les pieds sous la table alors qu'elle se serait donnée doublement du mal : d'abord en cuisinant, et ensuite en transportant tous ces plats. Ainsi avaient-ils été installer ce qu'ils auraient le plaisir de manger, et notamment ce fameux gâteau au chocolat que Greta lui avait promis quelques jours plus tôt mais qui avait de grandes chances de se révéler encore plus savoureux qu'il se l'était imaginé. De ce qu'il en voyait, en tout cas, il était suffisamment appétissant pour qu'il puisse tout rattraper, aussi bien le reste du repas s'il n'égalait pas le dessert – mais il était certain que Greta se sous-estimait – qu'un malheureux accident si par exemple elle devait lui avouer avoir mis le feu à sa garde-robe. C'est bien sûr avec amusement qu'il le laissa entendre, toutefois sa mine redevint sérieuse lorsque celle de la jeune femme devint penaude, et que celle-ci laissa entendre qu'elle avait rencontré un petit souci avec la machine à laver. « Un … petit souci ? » Il demanda, un peu fébrile, parce qu'il n'envisageait pas toujours qu'on puisse se moquer de lui – Colin était l'un des seuls qu'il voyait venir de loin, à ce niveau-là – avant que Greta n'évoque ses vêtements et qu'il retienne un instant sa respiration. Heureusement, elle reprit la parole et il fut bientôt soulagé. « Oh, d'accord, je … je t'avoue que j'ai eu un petit peu peur. » Il s'amusa alors, forcé d'admettre qu'elle était parvenue à l'inquiéter, pendant quelques secondes. « Je ne suis pas matérialiste, mais je ne sais pas ce que je me serais mis sur le dos si j'avais du dire adieux à tous mes sherwanis. » Il ne mettait pas toujours que ça, mais ça restait sa tenue la plus courante, même en dehors du plateau des primes. Ceux qu'il portait au quotidien étaient moins habillés, un peu moins colorés aussi la plupart du temps. « Entre nous, tu devrais peut être éviter ce genre de blagues avec certains. Je crois que le fait que certaines affaires disparaissent du dressing met déjà pas mal de monde sur les nerfs. » Et c'était compréhensible dans la mesure où personne n'aimait perdre la trace de ses affaires, qui plus est quand il s'agissait rarement d'un simple t-shirt dont on ne se souciait pas particulièrement. Si ce gâteau les faisait grossir, en tout cas, il était peu probable que l'indien investisse la salle de sport, car faire de l'exercice n'était pas vraiment son truc, ce qu'il ne tarda pas à lui faire comprendre. « On est tous comme ça, dans ma famille, personne n'a jamais pris un gramme. Seulement, certains ont compensé en prenant un peu de muscle. » Ses deux grands frères, notamment, parce qu'Abbhay et lui jouaient dans une autre catégorie. Surinder restait inégalable parce qu'il avait une carrure assez impressionnante, à quarante ans comme lorsqu'il en avait vingt, et Vishal n'était pas vraiment en reste non plus. Sa mère, en tout cas, ne verrait probablement pas ces images, mais peut être oserait-il lui dire que Greta s'était essayée à préparer des samoussas, et à faire honneur à sa cuisine. Tout dépendrait de ce qu'il jugerait bon de lui dire, une fois de retour chez lui. Il était en tout cas bien placé pour savoir que le pliage de ces beignets demandait de temps, ainsi Greta aurait pu lui demander de l'aide, il aurait accepté avec plaisir. « Je t'assure que tu serais quand même arrivée à tes fins. » Il souffla, dans un sourire, conscient qu'elle avait voulu l'impressionner mais sachant qu'elle y serait parvenue de toute façon, même s'il avait du découvrir ce repas un peu plus tôt. A sa prochaine remarque, il hocha vivement la tête. « On pourrait même organiser un atelier, si on en a l'occasion. Je te montrerais comment je fais, et on en profitera pour cuisiner pour tout le monde. » Parce qu'à deux, ils auraient vite fait de préparer une cinquantaine de samoussas, ce qui leur permettrait d'en faire profiter leurs camarades. « Avant un prime, par exemple. Il n'y a jamais grand chose à grignoter, à ces occasions. » Et puis, le dimanche, tout le monde était généralement occupé dans le dressing ou dans la salle de bain, ils auraient certainement la cuisine pour eux tous seuls. Esquissant ensuite un nouveau sourire lorsque Greta parla de lui demander de déchiffrer les recettes dont il lui avait fait cadeau, dans l'hypothèse où quelque chose serait incompréhensible, il s'intéressa à la composition des sandwichs, avant de repenser à ce qu'il avait cru entendre tout à l'heure, et qui l'avait intrigué. Greta sembla à nouveau embarrassée, et s'il fronça les sourcils avec un peu d'inquiétude au départ, bientôt c'est une mine faussement grave qu'il arbora. « Ah. » Il souffla, avec un brin de mystère dans la voix, avant d'ajouter. « C'est très grave, ça, Greta. » Mouvant doucement la tête, il garda un air sérieux pendant quelques secondes, avant de laisser ses lèvres s'étirer en un large sourire. « Rassure-toi, ça ne fait rien. Tu t'en es rendue compte avant de me les servir, c'est le plus important. » Son erreur n'était pas dramatique puisqu'il n'avait rien mangé qu'il n'était pas censé avaler. Et même dans le cas contraire, sans doute ne lui en aurait-il pas voulu, même s'il n'aurait pas nécessairement su comment se faire vomir. « Lorsque je suis monté à New Delhi pour commencer des études, beaucoup des personnes que j'ai rencontré mangeaient de la viande, et notamment du poulet tandoori. J'ai souvent été amené à décliner des invitations à déjeuner parce que ce n'était pas toujours évident de trouver des restaurants végétariens qui soient abordables. » Parce que le nord du pays était un peu moins végétarien que l'endroit où il avait grandi. Sunil était l'un des seuls qui aient partagé ses habitudes alimentaires, là-bas. « Il y a des gens qui ne comprennent pas mes motivations. Le fait que je ne mange pas de viande par conviction religieuse, mais aussi par principe, pour des raisons éthiques et écologiques. » Et pourtant, lui, il ne demandait à personne de suivre son régime. Il avait de bonnes raisons de se priver de viande, tout comme certains avaient sûrement de bonnes raisons d'en manger. « Qu'est-ce que tu en penses, toi ? » Il l'interrogea, en posant sur elle un regard empreint de douceur. De ce qu'il croyait savoir, Lino et lui étaient les seuls végétariens qu'ait compté le nid, cette saison, et même si personne ne lui avait jamais fait de réflexion, il s'était souvent demandé ce qu'en pensaient ses camarades, quel regard ils pouvaient poser sur ce genre d'habitudes, si c'était une source de scepticisme, de curiosité ou bien d'indifférence pour eux.