Ils ne sont plus que quatorze, treize s'il ne se compte pas, douze sans Khadija. Le décompte infernal continue et ils perdent petit à petit des gens que Lloyd connaît. Qu'il connaît pour de vrai, sans que son affection pour eux ne vienne teinter son jugement. Après plus d'un mois et demi de cohabitation, ils se connaissent. Qu'ils s'aiment ou se détestent, qu'ils passent leurs journées ensemble ou soient indifférents les uns aux autres. Ils doivent en arriver à la même conclusion. Ils se connaissent. Cependant ce n'est jamais assez pour Lloyd, infatigable curieux, qui non-content de connaître ses camarades veut les savoir, fouiller dans leurs mots pour comprendre la moindre motivation qui les pousse à agir. La salle de contrôle a donc cet effet de miroir multi-faces ouvrant sur une infinité réduite de possibilités. Assis, son carnet de notes sur les genoux, il observe les gens dans le nid. Khadija le rejoint et il lui sourit. « C'est ironique qu'on regarde la télévision alors qu'on est nous-même dans la télévision des téléspectateurs. Ça veut dire que ceux qu'on regarde sont dans la télé dans la télé dans le salon. Et si big brother surveille les gens qui nous regardent, ils sont dans la télé, dans la télé, dans la télé. » note-t-il, relevant la mise en abyme somme toute divertissante une fois mise en mots.

Khadija sort son Iphone, celui que la production a mis à leur disposition, et ajoute un degré de projection. « Pas mal. » acquiesce Lloyd, le cerveau déjà en ébullition. Après quelques secondes de réflexion, il déclare : « J'ai mieux. Si on trouve la chaîne qui diffuse ce qu'enregistre la caméra de la salle de contrôle. On pourra voir le film du film, du film, du film d'un film. Je crois. » Les téléspectateurs pourront voir Khadija et lui, en train de filmer l'écran dans lequel ils sont en train de filmer l'écran. Bref, un empilement d'univers parallèles que Lloyd n'a pas envie de perturber. Elle le fait rire quand elle dit qu'il n'y a de programme de cul sur aucune chaîne. Il doit bien admettre que cette saison-ci les candidats sont un peu des mijaurées. À moins que tout ne se passe dans la love room à laquelle il n'a pas accès...« Si tu regardes les archives de l'enclos de Galipette t'en auras forcément. » propose-t-il faute de mieux. Et parce que la possibilité de voir Colin se faire sauter dessus et courir après l'amuse profondément. Le pauvre. Khadija doit vraiment être en manque de sexe parce qu'elle l'interroge sur les garçons avec qui il aurait pu couché s'il avait été célibataire. Pas effrayé par le côté cru de la question, c'est ainsi que certains le voient ici alors autant faire honneur à leurs adjectifs et à son award. « Peut-être ouais... avant qu'il ne fasse sa déclaration à Naveen par contre. J'aime pas trop l'idée de passer en second dans le lit d'un gars, faute de mieux. Sinon, si on nie complètement les caractères, les orientations sexuelles et qu'on parle de pulsion basée uniquement sur le physique il y a Lawrence qui est quand même extrêmement agréable à regarder. » Parce que bon, il a vu son corps et il n'y a pas photo. Grey a probablement des yeux plus intéressants, mais pour le reste... Lawrence est au-dessus sur un plan physique. « Et toi ? T'as la libido qui te démanges ? Je sais pas quand c'est la dernière fois que j'ai été abstinent pendant plus ou moins deux mois... » plaisante-t-il avant de claquer des doigts. « Ah si. J'ai trouvé, j'avais quinze ans je crois... » Depuis il a enchaîné les aventures, les relations de courtes durées, une histoire relativement sérieuse, puis le mariage.

Elle demande s'il pense qu'ils sont capables de détruire la chaîne de mondes qu'ils ont créé, si Lloyd pense qu'une partie de la succession de réalités est destructible, l'ensemble lui semble difficile. « Faudrait qu'on arrive à éteindre le courant chez les téléspectateurs partout dans le monde, qu'on coupe les caméras ici... na... je crois que c'est pas possible.  » conclut-il au bout de sa réflexion. Puis pour tout couper, ils devraient même supprimer la réalité du nid, leur réalité. Un travail colossal et qui passerait probablement par leur propre élimination. Elle minaude autour de l'idée que Naveen aurait été le second choix de Grey et que lui, Lloyd, aurait été le premier choix qu'il ne pouvait pas avoir parce qu'il est marié. Ce serait presque flatteur si ce n'était pas insensé. Grey a toujours manifesté pour Naveen un intérêt très particulier. « Joue pas à la plus fine avec moi. Grey je l'intéressais pas pour un truc sentimental. Puis faut dire ce qui est Naveen est le genre de garçon dont on peut tomber amoureux, moi je suis pas du tout accessible et crois-moi, je l'étais pas beaucoup plus quand j'étais célibataire. » avoue-t-il en se remémorant la personne qu'il était près de sept ans plus tôt. Un garçon comparable à de l'eau tant il est insaisissable de peur de se faire blesser, préférant couler sur la peau que s'y attarder. Le danger causé par l'absence de sécurité l'a mené à demander conseil à des spécialistes et à se marier à l'aveugle. Pour le meilleur. Khadija évoque un besoin de tendresse dont Lawrence souffrirait et une incapacité à en donner, ce qui fait sourire Lloyd pour deux raisons. Il ne pense pas Lawrence incapable de donner quoi que ce soit, simplement prudent, et surtout ça donne l'impression qu'elle pense qu'il -Lloyd- a besoin qu'on prenne soin de lui. « T'as raison, m'occuper de Lawrence me semblerait un enfer à traverser... ou pas.  » fait-il ironique et laissant les sous-entendus faire le reste. Mais c'est quand Khadija commence à énumérer les parties qui constituerait la personne idéale pour elle dans le nid que Lloyd éclate de rire. « Une drôle de chimère... mais elle a un joli derrière c'est déjà ça. » note-t-il tout de même. Il a du mal à visualiser tout ça mais il est sûr que le résultat de ce mélange serait un spectacle à voir. « C'est étrange d'avoir envie de rester dans le nid mais de mourir d'impatience de voir l'extérieur. On va avoir tellement de chose à rattraper... » lâche-t-il loin du ton plein d'entrain de la conversation. Il n'est pas triste d'être là. Il se demande juste à quel point le monde aura changé quand il sortira, le temps qu'il mettra à remettre les pieds sur terre, à comprendre l'actualité.

Khadija semble étonnée du fait que Lloyd n'ait pas toujours été aussi chaleureux et bienveillant vis à vis de sa vie de couple. Ça ne le surprend pas, les gens ont tendance à penser qu'en matière de relations amoureuses on ne change pas. Si on est un incurable romantique on le restera et inversement. Lloyd a connu des périodes très différentes et si la seule qui le comble vraiment est celle qu'il vit maintenant, de l'amoureux transi au premier regard au garçon difficile à avoir, de l'éternel romantique au mec qui consomme les hommes plus qu'il ne les savoure. « Pas craintif, juste prudent. La seule vraie relation que j'ai eue avant Arthur a fini... disons pour faire simple qu'après ça j'ai eu du mal à accorder ma confiance. Puis un jour j'ai réalisé qu'être seul ne m'aidait pas à être et j'ai décidé de tenter ma chance dans une émission qui promettait, si j'étais sélectionné, de rencontrer un homme qui soit compatible avec ma personnalité et mes attentes. » explique-t-il. Cette opportunité, qu'il a failli ne pas saisir parce que l'idée, la possibilité qu'il n'avait pas envisagée avant de s'inscrire aux castings, a changé sa vie. Il a dû apprendre à se penser et s'imaginer « mari » et non « petit-ami » et ce changement psychologique a été étrangement facile pour lui, découvrant alors qu'une relation privilégiée avec un homme un peu plus expérimenté et plus marqué par la vie que lui était tout ce dont il avait besoin. Il a trouvé Arthur sur des coïncidences disent certains, d'autres croient que c'était leur destin. Lloyd n'a pas d'avis sur la question, il est juste heureux. Khadija devient soudain grave, presque effrayée à l'idée qu'on les maintienne écartés du monde, de son actualité. « Je pense oui. Je ne crois pas que l'émission continuerait si le monde était au bord du gouffre. Par contre je ne sais pas si on nous informerait si... par exemple quelqu'un dans nos familles venait à mourir. La décence voudrait qu'ils le fassent, mais les contrats qu'on a signés stipulent bien qu'on sera privé de contact avec l'extérieur... alors je ne sais pas, ils ont légalement le droit de ne rien nous dire. » lui explique-t-il sans chercher à la rassurer mais plutôt à lui donner la vérité qu'il entrevoit. « Je suppose que ce sera la surprise à la sortie. » dit-il en haussant les épaules. La machine est infernale, il en a bien conscience et s'il ose espérer qu'on préviendrait quelqu'un dont la famille souffre une perte, il ne peut rien assurer à Khadija. Ne voulant pas lui mentir, il préfère s'en tenir aux faits.