Les circonstances dans lesquelles l'indien avait découvert la salle d'interview étaient un peu particulières. Parce qu'il y avait rejoint Sara, quelques semaines plus tôt, son carnet à la main, avec l'espoir d'éclaircir avec elle certains détails. Il l'avait perturbée ce jour-là, il l'avait bien vu. Et maintenant qu'il y repensait, il est vrai que les choses qu'il avait pu lui dire, et la façon qu'il avait eu de le faire, auraient inquiété n'importe qui. Il n'avait pas toujours conscience de la façon dont il pouvait parfois mettre les gens mal à l'aise, en évoquant des choses qui pour lui n'avaient aucune raison de créer le moindre malaise, mais qui pour d'autres semblaient sortir de nulle part. Il l'avait aussi bien constaté avec Sara qu'avec Salvador, deux semaines plus tôt, quand il avait évoqué l'idée de récupérer l'une de ses mèches de cheveux, pour en faire don à sa sœur. C'était une requête improbable pour beaucoup, mais lui il l'avait laissé entendre avec sérieux, encore une fois parce qu'il ne réalisait pas nécessairement que ce qui pour lui était naturel et censé, ne l'était pas pour ceux qui auraient vite fait de se méprendre sur ses intentions. Et la raison pour laquelle il avait rejoint la salle d'interview, en ce début de soirée, c'est parce qu'il croyait y voir vu entrer Colin, quelques instants plus tôt. Colin qui lui aussi avait fait l'objet d'une requête surprenante, de la part de l'indien, quand celui-ci lui avait proposé de méditer en sa compagnie. Il tendait donc à penser qu'il comptait parmi ceux qui lui trouvaient un coté « étrange », pour autant leur échange de la semaine passée l'avait rassuré sur le fait qu'il n'ait rien contre lui, et pas seulement parce que le jeune homme avait affirmé qu'il ne l'avait pas nominé de bon cœur. Alors oui, il l'avait rejoint, et c'est précisément à la fin de leur conversation de la semaine passée que l'indien fit référence dès son entrée dans la salle d'interview, lorsque son regard se posa sur Colin. « Je n'ai pas répondu à ta question, la dernière fois. Lorsque tu m'as demandé qui j'aurais nominé, moi, si j'avais eu les pleins pouvoirs. » Il n'y avait pas répondu parce qu'il aurait été incapable de lui donner la moindre réponse, et ce même s'il avait bien compris que Colin comptait beaucoup dessus et y voyait même un moyen de l'« endurcir ». « Et je n'ai pas l'intention de le faire, parce que … c'est précisément le genre de situations auxquelles je ne veux pas me retrouver confronté un jour. Et le genre de choses que je n'avais pas pris en considération en arrivant ici. » Il l'admettait sans mal, s'il avait eu conscience d'intégrer un jeu, il n'avait pour autant jamais envisagé l'idée de devoir un jour prendre des décisions aussi compliquées. Il n'y avait qu'à voir comment il avait vécu le fait de nominer Salvador, l'autre soir. « Alors pour cette fois, j'aimerais … utiliser un joker ? » Il n'avait pas à faire à Rowan, c'est vrai, mais il avait l'espoir que Colin accepte qu'il passe son tour. « Mais je te donne la possibilité de me poser une autre question, celle de ton choix. Et celle-ci, je te fais la promesse que j'y répondrai. » Ce n'était peut être pas le cas de tout le monde ici, mais il tendait à faire confiance au jeune homme, parce qu'il continuait de vouloir voir plus loin que ce qu'il pouvait montrer de lui. Et si le détecteur de mensonges lui avait bien prouvé une chose, c'est qu'il avait toutes les raisons de continuer.

La salle d’interview est une pièce que l’américain ne connait que trop bien, pour la fréquenter environ une fois par semaine dans le cadre de l’interview des nominés. Il n’a, jusqu’ici, eu le droit qu’à une seule semaine de répit et il n’est pas certain qu’un tel cas de figure se reproduise à nouveau. Nous ne sommes que lundi, mais il ne serait pas étonné d’être à nouveau convoqué dans cette pièce d’ici la fin de la semaine, d’autant qu’ils se font de moins en moins nombreux et qu’il a un train de retard par rapport à ses affinités, contrairement à la plupart de ses camarades qui se proclament déjà « meilleurs amis pour la vie ». Alors il se prépare à l’éventualité que son prénom soit prononcé par Alix jeudi, avant d’être convoqué par Rowan dès le lendemain. La pauvre, à force d’avoir le droit à son tête-à-tête avec lui quasiment chaque semaine elle ne doit plus pouvoir le voir en peinture, en plus d’être à court de question à lui poser. Il faut dire qu’il ne lui donne pas vraiment matière à être créative, le même schéma se répète presque chaque semaine et être sur le banc des nominés, c’est plus ou moins sa seule façon d’être impliqué dans le jeu. Il n’attend que d’appuyer sur le buzzeur, mais il se veut réticent à cause du manque d’indices puisqu’il ne peut se permettre d’y aller en tâtonnant et prendre ainsi le risque de dilapider sa cagnotte, il en a trop besoin pour ça. Il y a bien son amitié avec Salomée qui fait jaser, mais il se passerait volontiers des ragots distribués par les animateurs par le biais de leurs différentes rubriques. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas dans le cadre de l’interview des nominés qu’il se retrouve dans cette pièce, simplement par ennui. En parlant de la chasse aux secrets, justement, il se dit qu’il devrait servir cette pièce pour ce à quoi elle sert, mais avec un autre candidat à la place d’un animateur en interlocuteur. La semaine dernière, il a trouvé un moyen de soutirer des indices à Lloyd – bien qu’il doit quant au crédit qu’il doit accorder à ceux-ci – alors pourquoi ne pas passer à l’étape supérieure, après tout. Mais ne comptez pas sur lui pour donner rendez-vous à quelqu’un, non, ça le ferait passer pour plus désespéré qu’il ne l’est réellement. À vrai dire, il ne compte pas s’éterniser dans cette pièce si celle-ci est vide, d’ailleurs c’est ce qu’il remarque après avoir fait quelques pas à l’intérieur et c’est alors qu’il s’apprête à quitter les lieux que Naveen fait son entrée. Un fin sourire satisfait naît sur ses lèvres tandis que l’indien revient sur leur conversation de la semaine dernière. Colin fronce légèrement les sourcils, tente de replacer les choses dans leur contexte ; il n’est pas vraiment de ceux qui ressassent une conversation durant plusieurs jours, mais avec les indications de Naveen il finit par se souvenir du contenu de leur conversation. « Ouais d’ailleurs j’te félicite pas, j’ai pas réussi à dormir pendant plusieurs jours tellement j’cogitais sur quelle aurait été ta réponse. » Il soupire, croisant les bras sur son torse en secouant la tête. « Des heures de sommeil perdues… » Il termine pour ajouter un effet dramatique. J’espère que tu peux vivre avec ça sur la conscience Bollywood, hm. L’américain esquisse une moue boudeuse que son camarade lui apprend qu’il ne compte pas y répondre. Mauvaise réponse. « C’est pas parce que tu l’as pas considéré de ton côté que tu vas pas t’retrouver face à cette situation, ça t’es arrivé il y a deux semaines et ça t’arrivera peut-être à nouveau. » Qu’il ne le veuille pas est une chose, mais il ne pourra pas pour autant refuser de répondre à un dilemme imposé par Cupidon. « Surtout que tu te dérobes quand il est question de ça, alors si j’étais de toi j’me préparerais à ce que Cupidon me mette dans une sale situation, car il va en profiter un jour ou l’autre. » Il n’est pas connu pour sa gentillesse l’angelot, alors forcément, en voyant Naveen refuser l’idée même de penser à un tel cas de figure, nul doute qu’il prendra plaisir à l’y confronter lors d’un prochain prime. « Enfin, tu fais bien ce que tu veux après tout, j’voulais juste te coacher pour devenir un champion de la décision vache. » Il ajoute, s’approchant du candidat pour appuyer sur ses épaules comme un coach de boxe le ferait à son jeune poulain. « M’enfin, faut savoir accepter l’échec parfois. » Il soupire tristement en se détournant du candidat. Son poulain a échoué, il n’a plus qu’à se reconvertir. « D’accord, alors ton gage sera de te jeter un verre d’eau à la figure. J’suis sympa, elle a pas besoin d’être glacée. » Il répond à sa remarque concernant l’usage d’un joker. Dans ce cas, s’ils la jouent à la blondasse fadasse, Colin doit logiquement lui donner un gage. « Intéressant. » Il lui désigne la chaise de la main pour l’inviter à s’asseoir, tandis qu’il prend place face à lui, l’observant intensément avec le regard d’une Oprah Winfrey prête à dénicher le scoop de l’année. « Si tu devais jarter un candidat sur le champ, ce serait qui ? » Il l’interroge, très sérieux. Hé, la situation évoquée par Naveen auparavant englobait les pleins pouvoirs et donc les nominations, pas un cas de figure avec élimination immédiate. Il n’a pas explicitement posé de véto concernant une question de la sorte. Et il a fait la promesse d’y répondre, alors. « Ça va, reste avec nous, j’plaisante. » Il précise après quelques instants, quand il aperçoit un Bollywood au bord de la syncope. « T’as pas l’impression que tu manques de recul par rapport à cette émission ? Et que du coup tu risques des désillusions ? » Il le questionne sans brutalité dans sa voix, simplement il a remarqué que Naveen prenait les choses trop à cœur et que ce n’est pas vraiment la meilleure façon de faire dans une aventure comme celle-ci. Bon, ça fait deux questions, mais rien ne l’interdit de sélectionner celle qui l’arrange le plus. Ou de répondre aux deux, tout simplement.

Dire que Naveen culpabilisait facilement, ce serait un euphémisme. Il n'y avait qu'à voir combien la nomination dont Salvador avait écopé par sa faute avait pu peser sur son moral, et sur sa conscience, la semaine passée. Nuire aux autres était une chose dont il ne voulait pas se rendre coupable, parce qu'il avait été élevé par des personnes bienveillantes et qu'on lui avait toujours appris à soulager les autres de n'importe quel poids mais de ne surtout pas leur en rajouter. Et dans le contexte actuel, que ce soit celui d'une Inde en proie à toutes sortes de problèmes, ou celui d'un Monde qui lui donnait l'impression de basculer du mauvais coté, il avait le sentiment que sa façon de voir les choses, et de vouloir aider les gens plutôt que de les accabler, n'était peut être pas si critiquable, après tout. Ici, bien sûr, ça lui compliquait la vie dans la mesure où il avait conscience de ne pas avoir les épaules pour prendre des décisions compliquées, pour autant il y avait certaines situations dans lesquelles il ne voulait vraiment pas se retrouver. Et l'une d'elles, c'était précisément celle qu'avait connu Colin, la semaine passée, raison pour laquelle il n'avait pas répondu à la question que lui avait posé son camarade, à la fin de leur dernier échange. Il avait cherché à savoir ce qu'il aurait fait, lui, à sa place. Quels candidats il aurait mis en danger. Mais il n'avait pas pu se résoudre à lui répondre, parce qu'il préférait penser qu'il n'aurait jamais à faire un tel choix. Il semblerait en tout cas que Colin ne lui en tienne pas trop rigueur, lui qui semblait prendre la chose avec un certain humour, et un second degré qu'il lui connaissait bien. Sa remarque eut même le don d'afficher un sourire amusé sur les lèvres de l'indien. « Je te crois quand tu me dis que tu as regretté de ne pas obtenir de réponse, mais … Colin, il en faut sûrement un peu plus pour rendre un garçon comme toi insomniaque, non ? » Il souffla, dans un sourire teinté de bienveillance, parce qu'il n'en attendait pas moins de lui et qu'il commençait même à le voir arriver de loin, avec ce genre de taquineries. Il est vrai que l'indien tombait facilement dans le panneau, néanmoins avec Colin il commençait à avoir l'habitude, et donc à se montrer de moins en moins crédule. Pour autant, ce que son camarade laissa ensuite entendre lui valut d'afficher une mine tracassée. « Tu crois ? » Il l'interrogea alors, accordant cette fois beaucoup plus de crédit à ses propos. « Tout ce que je demande, c'est à ne plus avoir à placer qui que ce soit dans une situation délicate. » Il savait bien, oui, que la production pourrait profiter du fait qu'il ait des scrupules pour les utiliser contre lui, mais il aimait croire qu'on se mettrait à sa place, ce qui sans doute était aussi naïf qu'idiot. « Je me plie aux règles quand il faut nominer, mais … moi, individuellement, je n'estime pas être en droit de décider du sort de quelqu'un. » Et c'est bien pour ça qu'il avait si mal vécu d'avoir nominé Salvador, qui plus est suite à une question à laquelle il avait répondu à contre cœur, et qui sans doute avait donné l'impression qu'il ne le pensait pas légitime en tant que candidat, ce qui était parfaitement faux. « Tu comprends ce que je veux dire ? » Ses yeux rivés vers les siens, il lui posa la question alors qu'il avait une petite idée de la réponse qu'il obtiendrait, mais là encore il aimait penser qu'on ferait preuve de compréhension à son égard, et à l'égard de ses principes. Colin reprit quant à lui la parole et amusa à nouveau l'indien, lorsqu'il posa ses mains sur ses épaules. « Je sais que tu souhaites que je m'endurcisse, et même si je me méprends peut être sur tes intentions … je trouve ça gentil de ta part. » Il savait que Colin risquait de se sentir aussi concerné que lorsqu'il lui avait avoué qu'il n'aurait pas pu donner son nom, à la question qui lui avait été posée l'autre soir, mais il était sincère et il se devait d'avouer que ça le touchait, dans le fond, que Colin semble vouloir l'aider à vivre un peu mieux ce genre de situations. Ce n'était pas un mauvais bougre, il continuait de le penser. Finissant par soumettre l'idée d'utiliser un joker pour ne pas avoir à répondre à sa question de l'autre fois, il mouva doucement la tête à sa proposition. « Moi, je n'ai pas parlé d'un gage. » Il le corrigea, un sourire toujours accroché à ses lèvres, pas franchement emballé à l'idée de se renverser un verre d'eau sur la tête, ça va de soit. « Et sans vouloir t'offenser, tu es un petit peu moins impressionnant que Rowan. » Il le fit remarquer en lui adressant un clin d’œil, simplement pour lui faire comprendre que s'il aurait tendance à se plier aux exigences de l'animatrice, ici il n'avait pas l'impression de courir le moindre risque en refusant d’exécuter son gage. Offrant en tout cas à son camarade l'occasion de lui poser une question à laquelle il répondrait sans faute cette fois, l'indien afficha une mine déconfite quand il eut droit à une interrogation encore plus perturbante que la dernière fois. Baissant légèrement la tête, il se pinça les lèvres avec nervosité, désireux de tenir sa parole, mais pour autant incapable de lui donner ce qu'il voulait. Ainsi, c'est un Naveen soulagé qui apprit par la suite que Colin n'était pas sérieux. « Tu peux te vanter de m'avoir mis encore plus mal à l'aise que la semaine passée. » L'indien fit alors remarquer, dans un sourire un peu plus timide, et d'un ton empreint d'un véritable soulagement. Il attendit alors que Colin lui pose sa véritable question, et lorsque ce fut le cas, il l'accueillit avec un léger haussement d'épaules. « Si, certainement. » Colin était dans le vrai, l'indien avait conscience de ne pas adopter la meilleure des attitudes vis à vis du jeu, et de ses règles. « J'ai conscience de prendre beaucoup de choses à cœur, alors que la plupart d'entre vous prêtent à peine attention à ce qu'on peut dire d'eux, ou de leurs liens. » Notamment à travers les rubriques, quand plus d'une fois il avait été touché par une allusion, ou un commentaire, tout en ayant pourtant conscience que personne ne cherchait à se montrer délibérément méchant ou critique à son égard. « C'est un tort, je le sais. J'ai découvert le mécanisme de la télé-réalité lorsque j'ai découvert l'émission en elle-même, alors … il y a beaucoup de choses que j'avais sous-estimées, ou idéalisées. » Et le fait qu'il soit sensible n'arrangeait rien, il n'y avait qu'à voir combien certaines remarques ou allusions avaient pu l'atteindre, ici comme dehors. «  Toi, par exemple, j'imagine que ça ne te fait pas grand chose que ta relation avec Salomée ait été étudiée et décortiquée par plusieurs animateurs ? » Il osa à son tour lui demander, pas tant par curiosité que parce que ça allait dans le sens de ce qu'il essayait de lui faire comprendre. A sa place, il est certain que Naveen aurait été gêné qu'on s’immisce ainsi dans l'une de ses relations, et qu'on cherche à lui écrire une suite avant même qu'elle n'ait eu lieu. Mais Colin, lui, devait avoir le recul qu'il lui manquait, et pour une fois son comportement devait lui rendre service.

Que Naveen esquive sa question la dernière fois et ne donne ainsi pas de réponse à celle-ci n’avait pas dérangé Colin outre-mesure. Il aurait évidemment apprécié que Naveen prenne, pour une fois, un risque en y répondant, puisque cela l’aurait obligé à sortir de sa zone de confort qui lui interdit de mettre quiconque dans une situation peu enviable – il n’y avait qu’à voir la réaction de l’indien après la nomination de Salvador dont il est responsable – ni même d’y songer en réalité, l’américain ne s’était pas pour autant formalisé en sachant qu’il ne pourrait forcer son camarade à se mettre à sa place et à lui donner le nom des deux binômes qu’il aurait souhaité mettre en danger. Ce n’est tout simplement pas dans sa nature, et même si ce côté-ci du caractère de Naveen a parfois tendance à exaspérer le benjamin, il n’avait pas jugé utile d’insister ou de remettre le sujet sur le tapis en croisant l’indien au détour d’un couloir. Raison pour laquelle il met quelques instants à replacer les choses dans leur contexte, puisque de son côté il n’avait eu aucun mal à passer à autre chose et à se satisfaire – malgré tout – du manque de coopération de Naveen. Mais Colin ne serait pas Colin s’il n’exagérait pas ses propos, ainsi juge-t-il nécessaire de donner mauvaise conscience au candidat, en l’informant des conséquences néfastes qu’a eu son refus de répondre. Une fatigue extrême causée par une impossibilité à fermer l’œil durant plusieurs jours. Malheureusement pour l’américain, son camarade ne tombe pas dans le panneau, sans quoi il aurait peut-être pu profiter de lui en lui quémandant un massage ou la préparation d’un en-cas, lui permettant ainsi d’être parfaitement détendu et d’enfin retrouver les bras de Morphée. La prochaine fois, peut-être. « Détrompe-toi, un rien peut m’empêcher de trouver le sommeil. Mon oreiller n’est pas parfaitement aligné à celui de Gael ? J’dors pas ! Tu t’rends pas compte du nombre de trucs qui occupent mon esprit, c’est fatiguant d’être moi. » Il soupire en affichant une mine attristée. Reprenant son sérieux, Colin juge utile de mettre en garde son camarade par rapport au sadisme de la production. Lui ne peut pas et ne veut peut-être pas considérer certaines options du jeu, mais Cupidon sera toujours là pour lui rappeler ses obligations, et peut-être de la pire manière qu’il soit. Si Naveen se retrouve un jour confronté à une situation indélicate en plein milieu du prime avec un temps considérablement réduit pour prendre une décision qui risque d’impacter l’aventure de quelqu’un, ce n’est pas sûr qu’il s’en sorte vivant en pensant de la sorte. Il faut qu’il s’y prépare, c’est pour son bien. « J’en suis sûr. Tu veux protéger tout le monde, alors imagine le pic d’audience si on te demande d’éliminer quelqu’un sur le champ. La tension sera à son comble pour voir si tu arrives à te décider ou si tu préfères te sacrifier. Et si tu fais pas un syncope en direct, aussi. » Il précise avec un léger sourire moqueur sur les lèvres. « Sauf que t’en demandes trop, et maintenant que tu viens bien de le formuler à voix haute, j’ferais gaffe si j’étais toi. » La production va s’en servir, c’est obligé. Bollywood lui explique se plier aux règles quand cela est nécessaire, mais il ne s’estime pas être en droit de décider, seul, du sort de quelqu’un. « J’partage pas ton avis, mais ouais, j’comprends. » Il précise, avant de poursuivre. « Tu sais, j’connais un peu cette émission, ça arrive genre chaque saison qu’un candidat sorte sur décision d’un autre. » Sans être un fan assidu de l’émission, Colin a déjà suivi du coin de l’œil une saison ou deux, il se souvient d’éliminations arbitraires. « Si j’étais toi, j’y songerais. Juste histoire que tu sois préparé. » Ça ne veut pas dire qu’il sera un jour confronté à une situation aussi extrême que de décider du sort d’un de ses camarades, mais il faut sérieusement qu’il envisage toutes les possibilités qu’englobe cette aventure. « D’ailleurs, s’tu viens à découvrir un secret, tu feras quoi ? Parce que tu piqueras quand même la cagnotte entière de quelqu’un, et il sera forcément handicapé au niveau du jeu. Tu tournes la roulette, mais tu feras quoi le jour où tu nomineras Cody ? » Après tout, une situation délicate n’implique pas forcément une nomination causée d’office ou une élimination décidée par ses soins, mais aussi une perte d’argent et la mise en danger de son partenaire. « Bon, sache que si ce jour arrive, tu seras mon héros. » Carrément. Finissant toutefois par admettre que Naveen peut bien réagir de la façon dont il préfère, il s’approche de l’indien pour remuer légèrement ses épaules, comme le véritable coach qu’il est, même si c’est plutôt mal barré pour l’instant. « Nan, tu t’méprends pas, j’veux faire de toi un vrai dur à cuire. Bon, y’a du boulot, j’te le cache pas. » Il précise en se reculant. Il préfère ne pas rebondir sur le fait que ce soit « gentil » de sa part, ça ressemble surtout à une occupation pour faire passer le temps. « Premier objectif : que d’ici deux semaines tu tiennes plus la porte à personne. » Faut commencer doucement. Mais Colin y croit, c’est l’essentiel. S’inspirant de la blondasse fadasse, Naveen use d’un joker pour cette question. Quitte à s’inspirer de l’animatrice, autant faire les choses à fond, Bollywood doit, en toute logique, écoper d’un joker. Colin ayant le cœur sur la main, il a une idée pour son  camarade. Ce dernier semble toutefois récalcitrant. « Hé, c’est la règle, qui dit joker dit gage. » Il n’invente rien. « Nan, t’inquiète, tu m’as pas offensé, t’as juste détruit mon amour propre. » Qu’une femme qui se contente de balancer des gages stupides via un écran ait plus d’influence que lui, c’est terrible, vraiment terrible. Quand l’indien lui offre la possibilité de lui poser une question en s’assurant cette fois-ci d’obtenir une réponse, Colin ne manque pas de corser celle-ci, puisqu’après tout Naveen ne peut pas se dérober. Ceci dit, l’américain n’est pas sérieux, comme il le précise assez rapidement, avant de se retrouver avec un Naveen à terre, nécessitant d’être réanimé. « Ah top, va falloir que je mette les bouchées doubles si j’veux encore faire mieux la semaine prochaine. » Là, tout de suite, il n’a pas d’idée, mais il va y réfléchir, c’est presque un défi à ses yeux. Reprenant son sérieux, Colin lui pose une question qui lui semble moins difficile, sans pour autant être évidente, le but étant de chambouler légèrement l’indien, après tout. À vrai dire, Colin a déjà une idée quant à la réponse et il ne s’est pas trompé. L’indien prend effectivement les choses trop à cœur. « Pourquoi tu es venu dans un jeu comme celui-ci ? » C’est un peu se faire du mal, les déconvenues sont fréquentes dans une émission comme celle-ci. « T’as pensé à la possibilité d’être déçu par Khadija, Lawrence et les autres ? Si ça se trouve elle c'est une veuve noire et lui un tueur à gages, hein. » Mais les deux candidats cités semblent être ceux dont il est le plus proche et dont il risque d’être le plus déçu, notamment au moment de la révélation de leur secret respectif. Il pose beaucoup de questions, mais c’est le but de la pièce après tout. Et pour une fois qu’il daigne montrer de l’intérêt pour quelqu’un d’autre que sa petite personne, hm. « Mouais, non, ça me saoule quand même. » Il répond par la suite à la question de son camarade. « J’sais qu’ils me vouent un culte et que j’suis leur petit chouchou, donc ils veulent forcément me permettre d’avoir mon heure de gloire, hm. Ils peuvent dire ce qu’ils veulent, ça c’est pas le problème parce que ça m’passe au-dessus de la tête, j’sais qu’ils inventent des trucs pour l’audience, donc bon, j’comprends. » C’est ainsi que la télévision, et plus particulièrement la télé-réalité, fonctionne. « Le truc, c’est que même si elle est cool et que je m’entends bien avec elle, à la base j’suis ici pour le fric, pas pour copiner avec tout le monde et j’ai l’impression que les animateurs essaient de m’coller cette image et de me dire comment j’dois agir ou ce que j’dois faire et j’aime pas du tout ça, j’ai pas envie d’être tout le temps associé à elle ou d’être dirigé par une bande de frustrés, ça m’arrangerait d’exister par moi-même pour une fois. » Il termine en soupirant. « T’as fait quoi comme incantation pour me faire parler ? J’aime pas du tout que tu uses de tes pouvoirs sur moi. » Il ajoute, en plissant les yeux, après avoir réalisé qu’il s’était montré un peu trop honnête. Peut-être parce que, pour une fois, il ne voyait rien de cassant à dire. « Y’a intérêt à ce que ça reste entre nous. C’est une menace et Rowan c’est un ange à côté de ce que j’peux te faire. » Il a donc tout intérêt à être muet comme une tombe.

C'est vrai, l'indien était crédule. Crédule au point de toujours accorder un peu trop de crédit à ce qu'on pouvait lui dire, autant parce qu'il avait appris à faire naturellement confiance aux autres que parce qu'il n'envisageait pas facilement qu'on puisse vouloir se moquer de lui. Mais avec Colin, depuis le départ, il avait souvent à faire à de petites plaisanteries qui tendaient à lui ouvrir les yeux. Sa tendance à raconter des bêtises pour faire culpabiliser les autres, par exemple, il la connaissait. Tout comme il le savait du genre à faire dans l’exagération. Alors oui, à force, il avait tendance à voir clair en ses intentions, si bien qu'aujourd'hui il émit quelques réserves quant à ce que laissa entendre le jeune homme. Qu'il ait pu regretter de ne pas obtenir de réponse de sa part, l'autre jour, ça lui paraissait réaliste. Mais qu'il n'ait pas fermé l’œil pendant plusieurs nuits à cause de ça, déjà un peu moins. Parce que s'il y avait bien une chose qu'il croyait savoir à propos de Colin, c'est qu'il ne se laissait pas atteindre facilement, et qu'à l'inverse de lui, il en fallait sûrement un peu plus pour le priver de son sommeil. A la réplique de son camarade, en tout cas, l'indien esquissa un sourire amusé. « Jusqu'ici, je ne faisais pas partie de ceux qui avaient tendance à plaindre ta partenaire, mais … tout compte fait, je me dis qu'elle ne doit pas rigoler tous les jours. » Il laissa entendre, sur un ton qui n'avait rien de très sérieux non plus, ayant de toute façon constaté que la candidate ne se se plaignait pas de l'avoir pour partenaire, elle, et restant conscient que Colin le faisait marcher. C'est toutefois un Naveen un peu moins rassuré qui prit doucement conscience que Colin était peut être dans le vrai lorsqu'il disait que la production aurait tout intérêt à le placer face à un choix impossible, sachant qu'il aurait le plus grand mal à décider du sort de quelqu'un. Pour autant, ça restait une éventualité qu'il préférerait ne pas voir se réaliser. « Peut être, mais … moi, je préfère penser qu'ils se diront que j'ai trop de scrupules pour leur offrir une séquence intéressante. » Ça l'aidait il est vrai à se rassurer, même s'il se voilait sûrement un peu la face. « Tu sais, je vais finir par croire que tu es de mèche avec eux et qu'ils t'ont envoyé pour me préparer psychologiquement à ce qu'ils sont sur le point de me réserver. » Il ajouta ensuite, d'un ton un peu plus léger, bien qu'une certaine inquiétude persiste au fond de lui. « Mais ne t'inquiète pas, je … j'entends bien ce que tu me dis. » C'était sa façon de faire comprendre à Colin qu'il tenait compte de ses mises en garde, et que ça tendait à lui ouvrir légèrement les yeux. Il préférait penser que leur discussion ne donnerait aucune idée déplaisante à la production, mais tout ça l'avait finalement plus ou moins préparé au pire. A la prochaine question de son camarade, l'indien se pinça les lèvres. « Je ne suis pas sûr que découvrir un secret soit dans mes capacités, mais j'imagine que ça me mettrait mal à l'aise de dérober la cagnotte de quelqu'un, et que je sauterais sur la première occasion de l'aider à renflouer sa cagnotte. » Il est vrai qu'il ne croyait pas vraiment en ses chances de démasquer l'un de ses camarades, mais dans l'hypothèse où il subtiliserait une cagnotte, il est certain qu'il ferait en sorte de se racheter ensuite, et pas seulement par mauvaise conscience. « La roulette est plutôt gentille avec moi depuis le début, et j'ai l'espoir que ça reste comme ça. Je sais que tu ne portes pas Cody dans ton cœur, mais moi c'est l'une de mes hantises, de nominer mon partenaire. » D'abord parce qu'il n'avait pas la moindre envie de faire ça à Cody, et ensuite parce qu'il ne voyait aucune raison pour que son partenaire se retrouve nominé individuellement. Colin admit en tout cas qu'il espérait aider l'indien à s'endurcir un petit peu, et celui-ci lâcha un léger rire lorsque le jeune homme parla de lui apprendre à ne plus tenir la porte à qui que ce soit. « Je ne suis pas certain que tu puisses combattre vingt-neuf ans d'une éducation plutôt rigoureuse, mais … tu peux toujours essayer. » L'indien admettait sans mal que son éducation avait été sévère, parce que c'était une chose normale dans son pays et dans sa culture, d'élever ses enfants de façon à ce qu'ils ne commettent aucun impair, mais aussi et surtout parce que ses parents étaient des modèles de détermination. Naveen proposa en tout cas à son camarade d'utiliser un joker, cependant il n'était pas d'accord avec le fait de se voir attribuer un gage. Et à la différence de Rowan, Colin ne l'impressionnait pas suffisamment pour qu'il cède. « Je suis désolé, ça doit être son rôle qui m'impressionne un peu. » Il souffla alors, dans un sourire partiellement amusé, parce qu'il voyait bien que Colin était un peu vexé. « Chez moi, ce n'est pas commun de mettre le moindre pouvoir entre les mains d'une femme. » Que ce soit dans le cadre d'une émission ou d'autre chose, non, il n'était pas courant de voir une femme pouvoir influer sur le destin de qui que ce soit. Alors c'était certainement ce qui tendait à l'impressionner, en plus du caractère affirmé de la blonde. L'indien manifesta en tout cas une vive inquiétude lorsque Colin opta par la suite pour une question des plus perturbantes, qui lui valut du coup d'être profondément soulagé lorsqu'il comprit que son camarade n'était pas sérieux. Car clairement, il pouvait se vanter de lui avoir fait une sacrée peur, une fois encore. « Sans l'effet de surprise, ça risque quand même d'avoir un peu moins d'impact, non ? » Il s'amusa suite à la remarque de Colin, parce que si ça avait marché ce coup-ci, il était probable qu'il le voit arriver de loin la prochaine fois. Se voyant finalement poser une toute autre question, il tâcha de livrer une réponse des plus honnêtes. Oui, il avait conscience de manquer de recul sur le jeu et de prendre certaines choses un peu trop à cœur. Mais il n'y pouvait rien, cet univers lui était encore assez étranger, et il avait sous-estimé la réalité des choses en arrivant ici. « Pour plusieurs raisons. Pour découvrir votre culture, pour pouvoir apporter des réponses aux questions que beaucoup de gens se posent en Inde, et puis pour moi aussi … » Pour lui, oui, à différents niveaux. Parce que cette aventure lui apportait beaucoup de choses et qu'elle était aussi sa chance de trouver des réponses à ses propres questions. Lorsque Colin l'interrogea à nouveau, il fronça doucement les sourcils. « J'y ai pensé, mais ce sont certainement les seuls dont je ne pense pas pouvoir être déçu, ici. » Il confia, au sujet de Khadija et Lawrence, avant de hausser les épaules. Pour les autres, il ne pouvait pas être aussi certain pour le moment. « C'est sûrement naïf, mais je ne pense pas que leur secret puisse changer quoi que ce soit à ce que je partage avec eux. Tout comme j'aime penser que le mien ne changera rien non plus. » Rien à ce qu'ils pensaient de lui, rien à la façon dont ils le voyaient et rien à la complicité qu'ils avaient développé. « J'ai une confiance aveugle en eux, mais j'imagine qu'à tes yeux c'est plus inconscient qu'autre chose. » Il imaginait sans mal que Colin, qui était plus rationnel que lui sur des bien des points, trouverait improbable de se fier autant à des personnes qu'il ne connaissait pas il y a quelques semaines. Mais Khadija et Lawrence n'étaient pas n'importe quels candidats pour lui. Osant à son tour interroger Colin, il supposa que le jeune homme ne devait pas se formaliser du fait que les animateurs s'intéressent à sa relation avec Salomée, et ce qu'il commença par insinuer lui valut d'afficher une mine à la fois surprise et amusée. « Oh ? C'est vrai qu'ils sont tous en âge d'avoir des enfants, alors peut être qu'ils se laissent attendrir par ... ta jeunesse ? » D'accord, il n'était pas tellement sérieux et voyait ici une occasion de se moquer gentiment de Colin. Car sans nier le fait que le candidat doive passionner les animateurs, il n'était pas sûr de pouvoir parler de lui comme d'un « chouchou ». Face à ce qu'il confia ensuite, l'indien esquissa un sourire bienveillant, et mouva doucement la tête. « Tu sais, Colin, je pense que personne ici ne s'imagine que tu te laisseras dicter ta conduite par qui que ce soit. » Parce qu'il ne donnait pas l'impression d'être particulièrement influençable, autant le dire. « A mon avis, les animateurs espèrent simplement que Salomée aura une bonne influence sur toi, et qu'elle … adoucira, en quelques sortes, ton tempérament. » Il ne voulait pas lui donner l'impression de le juger d'une quelconque manière, c'est pourquoi il usait là d'un certain tact. « Je crois qu'on l'espère tous, ici. » Il avoua cependant, dans un nouveau sourire, parce qu'il faisait partie de ceux qui croyaient à l'idée que le candidat soit beaucoup plus que ce qu'il montrait de lui, et qu'il avait l'espoir, c'est vrai, que sa relation avec Salomée l'aiderait à faire ressortir ses bons cotés. La suite, en tout cas, l'amusa à nouveau. « Tu n'y es pas. J'ai simplement versé quelque chose dans ton verre, tout à l'heure, au dîner. Tu peux d'ailleurs remercier Salvador d'avoir enfin accepté de me donner l'une de ses mèches de cheveux. » Il prétendit, l'air un peu énigmatique, avant d'être trahi par le sourire qui gagna ses lèvres. « Je plaisante. » Il aimait mieux le lui préciser, parce que ça l'embêterait que Colin se mette à le fuir parce qu'il se serait mis en tête que l'indien avait le pouvoir de lui délier la langue – un pouvoir qui toutefois ne lui déplairait pas. « Eh bien, je crains que tu n’aies pas choisi le meilleur endroit pour te confier. Si ça ne tenait qu'à moi, ça resterait entre nous, mais tu les connais … ce genre de choses risquent de les intéresser. » Pour le coup, c'était à son tour de le prévenir, car ce genre de confessions donneraient probablement envie aux animateurs de s'intéresser à leur échange. « Est-ce que tu me tiendras quand même pour responsable si Akela diffuse notre conversation ? » Il osa du coup demander, car la menace du jeune homme avait attiré son attention. Et le connaissant, il ne ferait sûrement pas de différence. « Si oui, je vais peut être éviter les escaliers pendant une semaine, boire seulement l'eau du robinet et … ne dormir que d'un œil la nuit. » Oui, voilà, c'était le meilleur moyen de minimiser les risques, car un accident est si vite arrivé, après tout. « Ton amour propre se porte un peu mieux ? » Il reprit cependant, dans un nouveau sourire, parce qu'encore une fois ses échanges avec Colin avaient tendance à soigner sa crédulité, si bien qu'il parvenait à user du même ton que lui, à force. Il ne doutait pas du tout fait que le jeune homme puisse avoir un esprit un peu vengeur, mais de là à craindre pour sa vie, non, quand même pas.