Se faire comprendre des autres, cette semaine, ça n'était définitivement pas une tâche évidente. Car passe encore que l'indien doive refouler tout ce qui aurait tendance à franchir la barrière de ses lèvres s'il ne faisait pas attention – lui qui livrait toujours ce qu'il avait sur le cœur avec une facilité déconcertante – mais l'idée d'être potentiellement ridicule chaque fois qu'il tâchait de remplacer un mot par un geste, c'était déjà un peu plus embêtant. Parce que si certains se seraient peut être légèrement isolés des autres pour ne pas avoir à mimer tout et n'importe quoi à chaque fois qu'il leur aurait pris l'envie de s'adresser à quelqu'un, l'indien lui n'avait pas envisagé une seule seconde de mettre la moindre distance entre ses camarades et lui, ce qui expliquait qu'on ait pu le retrouver dans des situations un peu compliquées à plus d'une reprise, notamment lorsque comme hier il n'avait rien trouvé de mieux que de lancer une chaussure sur Lloyd-Snö. Heureusement pour lui, si tous ses camarades n'avaient pas les mêmes facilités de compréhension, la plupart lui avaient jusqu'ici facilité la tâche, et même plus ou moins rassuré quant à ses talents de mime. Mais si en début de semaine il pensait avoir tout pris en compte, il y avait un détail qui tendait à compliquer encore un peu plus le gage qu'il subissait : les forains du parc d'attractions. Car s'il ne pensait pas compter parmi les candidats avec qui ces derniers n'étaient pas forcément en excellents termes, il y a fort à parier pour que son interdiction de parole le place dans une situation assez inconfortable vis à vis de chacun d'eux, étant donné qu'ils n'étaient jamais à court de commentaires, de leur coté, et que Margaret, par exemple, attendrait certainement longtemps avant de lui servir la gaufre dont il avait envie si elle ne l'entendait pas formuler clairement sa demande, et encore moins l'en remercier. C'est pourquoi il s'était approché du stand de confiseries, mais n'avait pas encore tenté d'initier le moindre échange avec la gérante, pensant qu'essayer de lui faire comprendre qu'il avait faim mais qu'il n'était pas dans la capacité de le lui dire clairement représenterait une perte de temps, pour l'un comme pour l'autre. Il se contentait alors de lui lancer quelques regards furtifs, reprenant toujours l'air de rien lorsqu'il la voyait froncer les sourcils et se demander ce qu'il pouvait bien faire, à deux mètres de son stand, alors qu'il n'était même pas venu lui commander quoi que ce soit. Mais lorsque son regard fut bientôt attirer par une autre présence sur les lieux, celle d'une Scarlett qu'il n'avait pas vu arriver avant qu'elle ne s'approche à son tour du stand de confiseries, c'est un sourire enthousiaste qui gagna ses lèvres, car peut être sa camarade était-elle sa chance de ne pas garder le ventre vide jusqu'au repas de ce soir, qui lui semblait encore bien loin. Ainsi s'approcha-t-il de la rousse, et posa-t-il une main sur son propre ventre pour lui faire comprendre qu'il avait faim, avant de désigner le stand – et Margaret – d'un signe de la tête, puis de mettre un doigt devant sa bouche. Comprendrait-elle qu'il essayait de lui dire que son gage l'empêchait de demander à Margaret de lui servir un petit quelque chose ? Dans le doute, c'est la machine à gaufres qu'ils pouvaient d'ici apercevoir que son doigt pointa, avant que sa main ne s'empresse de retrouver le long de son corps, car c'était le genre de gestes auxquels il n'avait recours qu'en cas d'extrême nécessité. Et puis, repensant à leur échange de la semaine dernière, où il l'avait trouvé dans un état particulier et s'était fait beaucoup de souci pour elle, l'indien laissa sa main trouver le bras de Scarlett et le frotter quelques instants, sans trop savoir s'il espérait qu'elle lui dirait qu'elle allait mieux, ou s'il préférait ne pas obtenir directement de réponse, dans l'hypothèse où ce ne serait pas celle qu'il espérait.