Dire qu’il a la gueule de bois serait l’euphémisme du siècle. Il a l’impression qu’un éléphant s’est assis sur sa gueule, qu’un bûcheron lui a planté un coup de hache entre les deux lobes, qu’un cuisinier thaïlandais a versé de sriracha sur la plaie et qu’un médecin fou a recousu le tout pour laisser mijoter. Un bien beau mélange qui le laisse presque titubant de douleur et ce malgré l’eau qu’il a bue et le doliprane qu’il a pris. Faut croire que, comme souvent, son corps n’appelle qu’à une seule chose quand il est dans cet état de décrépitude : de la nourriture italienne. C’est étrange comme Gio est capable de retrouver ses moyens pour faire des gestes devenus des automatismes à force de les répéter et de les observer quand il s’agit de cuisine de chez sa mère. Il ne sait pas si ses lasagnes sont meilleures quand il décuve ou si son corps est juste moins regardant, mais il n’y a rien de plus enviable à ses yeux à cet instant qu’un câlin de sa Nonna et une tranche épaisse de lasagnes de sa mère. Il sort tous les ingrédients, grimaçant à chaque fois qu’un couvert fait trop de bruit en claquant sur le marbre du plan de travail. « Shhh ! » intime-t-il d’un ton de reproche à la louche qui a cru bon de réveiller tout le nid. Inutile de préciser que la cuisine est suffisamment loin des chambres pour qu’il ne réveille personne, même à neuf heures et demi. Il commence par la sauce tomate, comme toujours, c’est sa partie préférée parce qu’il pourrait manger la garniture des lasagnes à la cuillère à soupe sans le reste tellement il aime ça. Gio lance la cuisson du ragù d’abord la carotte, qu’il épluche et découpe en fines lamelles, probablement pas aussi fines que César aurait aimé, mais bon, c’est pas non plus dramatique. C’est un plat de maman, pas de chef, c’est le côté rustique qui le rend bon. Il continue avec l’oignon quand Rhéa pointe le bout de son nez. « Vuoi aiutarmi ? Sto preparando delle lasagne ! » Il avait bien précisé, qu’il parlait italien automatiquement quand il se mettait à cuisiner. Et là qu’il est encore bourré de la veille, ça aide pas. Elle a pas l’air d’avoir dormi des masses, mais Gio le remarque pas tant il est concentré sur ce qu’il fait et qu’il a pas les yeux en face des trous. Si ça s’trouve c’est pas du tout Rhéa en face de lui, ce qui rendrait sa proposition un peu étrange.

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Elle lui répond en italien et immédiatement le ton chantant de la langue lui tire un sourire. Ça pourrait presque soigner sa gueule de bois si Rhéa parlait pas aussi fort. Gio met un doigt devant sa bouche et siffle tout doucement pour lui faire comprendre qu'elle peut parler moins fort. « Perfetto! Iniziamo la cucina. » dit-il de bon cœur en se décalant pour laisser à Rhéa à la place de cuisiner aussi. Elle lui dit qu'elle était pas venue pour des lasagnes et il comprend, faut dire tout le monde n'a pas bu de façon excessive hier soir et donc tout le monde n'a pas besoin de manger un truc consistant et qui va lui permettre de se sentir mieux. « Bere succo d'arancia è per i deboli di cuori! » taquine-t-il en découpant à la main la chair à saucisse qui viendra se mélanger à la viande hachée de bœuf plus tard. L'odeur des oignons qui caramélisent à côté de lui -et qu'il surveille d'un regard d'aigle malgré sa difficulté à se concentrer- flirtent à ses narines et il salive d'avance. Quand Rhéa lui demande s'il va bien et qu'elle lui fait remarquer qu'il aurait pu demander son aide pour la picole, Gio lève les mains comme pour se rendre à un flic qui l'aurait arrêté sur l'autoroute. « Penso che sono ancora ubriaco. È la colpa di Cesar! È venuto da me con la tequila e non ho potuto dire no. » explique Gio, plaidant son dossier comme s'il était devant une cour de justice et que Rhéa était le jury, le juge et le bourreau, tout à la fois. « Giuro sulle lasagne di mia madre che ti chiamo per unirti alla prossima volta che mi ubriaco. » promet-il en lui faisant les yeux doux... ou en essayant, si ça s'trouve il louche et il bave sans s'en rendre vraiment compte.

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Elle a pas l'air d'accord avec son affirmation concernant le jus d'orange. Faut dire que ça fait très Health Public Announcement, bien manger des fruits et des légumes pour rester en bonne santé, tout ça. Ce que Gio fait, mais quand il fait la fête, il boit ses fruits mélangés à de l'alcool, c'est beaucoup plus pratique et ça demande moins d'effort de sa part. « Di solito bevo il tè, ma in occasioni speciali téquila. O qualsiasi altra bevanda alcolica. » plaisante-t-il à moitié. C'est vrai que parfois un petit coup et ça repart, alors que s'il décide de faire la chose sensée et d'attendre que la gueule de bois disparaisse avant de reboire, il se retrouve à être sobre pendant des jours en voyage avec ses amis, ce qui défie complètement la raison même des voyages. Découvrir le monde et s'éclater tous ensemble. Explorer un pays sans faire au moins une tournée des bars qui les laisse KO pendant une journée c'est même pas envisageable. Surtout quand ils voyagent dans les pays de l'Est où la vie est vraiment pas chère et qu'ils arrivent à se foutre en l'air pour l'équivalent d'une dizaine de livres sterling. « Devo avvertirti, Cesar e io, siamo di peso quando si tratta di alcol. » dit-il avec un sourire pendant qu'il la regarde manger son pain au chocolat comme si elle avait pas mangé depuis six mois. Ok, elle a été malade en fin de semaine mais Gio pensait pas que la bouffe solide lui avait autant manqué.« Qual è la tua bevanda preferita? » demande-t-il en retirant du feu la poêle dans laquelle reviennent les oignons, ils sont juste comme il faut, moins et ça serait trop craquant, plus et ils disparaîtraient complètement après la cuisson au four. Il attrape le saladier dans lequel repose la viande hachée et frôle de le renverser tant son monde tangue encore. Se rattrapant au comptoir, il souffle un coup avant de mélanger les deux types de viandes. Il a tellement faim qu'il pourrait manger ça cru, même s'il est presque certain que la viande de porc crue c'est pas une bonne idée, genre il va choper un ver solitaire et mourir.

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Apparemment Rhéa ne tient pas la cadence que César et Gio s'imposent, ce qu'il peut comprendre. « Ti lasceremo bere l'acqua tra due téquila. » dit-il avec compassion, il ne veut pas non plus la faire vomir après une heure de soirée ou être accusé d'être la cause de son coma éthylique. « Sei magra e piuttosto corta, quindi l'alcol deve influenzarti più di quanto non faccia per noi. » tente-t-il, pas sûr que ce soit scientifiquement vrai mais il parle de son expérience, les filles fines et pas très grandes qu'il connaît ont tendance à moins tenir l'alcool que les hommes d'un mètre quatre-vingt et qui sont bien bâtis. Il ne veut pas propager des préjugés et des stéréotypes, ce n'est que son expérience, même ses potes masculins qui sont bien plus petits que lui tiennent moins bien l'alcool que ceux qui sont plus grands, donc il a fait un lien. Elle lui dit qu'elle aime la téquila paf il s'esclaffe : « Il moi tipo di ragazza ! » en rigolant parce qu'il aurait été bien embêté si elle avait dit que son alcool de prédilection c'était le cointreau ou un truc du genre. Il s'imagine déjà une soirée à picoler avec elle et il a hâte de remettre le couvert parce que sa tête est en manque d'alcool à cet instant précis et qu'il sait que boire une toute petite gorgée de téquila le ferait repartir sur les chapeaux de roues. Elle lui ordonne de boire de l'eau pendant qu'elle s'occupe de la viande, parce qu'il a failli tout casser et il obtempère en bougonnant un peu, pour la forme. Il se sert un verre et le tombe d'une traite avant d'en remplir un second et de boire une gorgée avant de se retourner et de claquer de la langue. « Perché stai usando un cucchiaio? Devi mescolare le carni con le tue mani! Non ha un buon sapore se non lo fai. » la réprimande-t-il gentiment en finissant son verre d'eau. Il ne va pas la laisser ruiner la recette non plus, il est encore un peu saoul mais pas au point de ne pas savoir que sa mère va le crucifier s'il ne suit pas la recette à la lettre et puis, mettre les mains dans la tambouille c'est la moitié du plaisir de cuisiner.

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Rhéa semble partante pour tout et c'est ce qu'il aime chez elle, elle n'est pas le genre de fille que l'on doit supplier pour s'amuser. C'est facile de s'entendre avec Rhéa parce qu'elle n'est pas compliquée, elle dit ce qu'elle pense et pense ce qu'elle dit sans pour autant être désagréable ou brutalement honnête, c'est une juste balance qu'elle manie avec dextérité. « Possiamo fare un round adesso, se vuoi. » propose-t-il avec un sourire, parce que ça ferait du bien à son cerveau de prendre une dose d'alcool pour ne plus comprendre qu'il est déshydraté et croire qu'il tourne à plein régime et parce que cuisiner bourré c'est toujours plus fun, même si le résultat est pas toujours aussi bon que lorsqu'on a toutes ses capacités -quoiqu'une fois bourré on fait pas la différence niveau goût-. Elle s'excuse presque d'avoir commis une bourde et d'avoir failli ruiner la totalité de leurs efforts -ok c'est un peu exagéré mais l'idée est là- et Gio décide de la taquiner pour cet affront à son plat qu'il réalise avec amour. « Tu dovresti vergognarti di te stesso! Sto scherzando, succede al meglio di noi. » nuance-t-il quand même parce que bon, une fois il a quand même confondu sucre et sel en préparant un gâteau au chocolat et que le résultat avait été... intéressant pour ne pas dire catastrophique. Elle se lave les mains et revient en demandant si elle peut s'y mettre, Gio n'a pas le temps de dire : « Puoi e dovresti. » qu'elle a déjà les mains dans le cambouis alimentaire. Il la regarde faire d'un air appréciatif, elle a l'air de savoir y faire, c'est pas la première fois qu'elle fait ça. « Cucini spesso con tua mamma o tua nonna? » demande-t-il du coup, histoire de voir si elle a des histoires et des recettes de famille à partager.

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