ARTIE

Il faisait froid. Trop froid. J’étais d’une nature frileuse, il suffisait d’un petit courant d’air pour me hérisser les poils et mon bus était toujours surchauffé. Je rêvais de déménager dans un pays où les températures tournaient constamment autour des vingt-cinq degrés et où je pourrais glisser mes pieds dans le sable chaud après une journée de travail. Mais je savais que je ne le ferais pas, tout simplement parce que je n’avais pas le temps. D’ailleurs, je ne partais jamais en vacances. C’était triste, si on y pensait bien, de ne même pas prendre de temps pour m’occuper de moi. C’était donc emmitouflée dans un pull de laine que je me dirigeais vers ce qui ressemblait à une grange, édifice qui éveilla tout de suite en moi des souvenirs d’enfance. Ma tante avait la même, dans le village de dix habitants –vaches comprises- où elle résidait. J’ouvris la porte en espérant y trouver un peu de chaleur, et je n’imaginais pas à quel point je serais récompensée. « Oh mon dieu ! C'est pas la même grange que chez tatie là . . . » laissai-je échapper à la vue de ce petit coin de paradis. Je jetai un œil en arrière comme un chercheur d’or qui vient de trouver une pépite qu’il ne désire partager avec personne, refermant soigneusement derrière moi. Je détaillai les alentours avec une pointe de regret. En fait, je n’avais pas la moindre idée de l’effet produit par toutes ces choses. J’avais pénétré dans un sauna une fois dans mon existence, et en étais ressortie aussitôt avec la sensation d’étouffer. Ou bien était-ce le hammam, je n’étais jamais parvenue à les distinguer. Je n’étais pas le genre de femmes à me prélasser dans des établissements de soins, pour ça non plus je n’avais pas trouvé le temps. Pourtant, avoir quelqu’un pour s’occuper de vous et de votre corps une journée entière, ce devait être particulièrement confortable. Je jetai mon pull sur une table installée dans un coin, attirée par une espèce de bain de boue duquel je m’approchai sur la pointe des pieds, restant à une bonne distance de sécurité, juste au cas où un monstre en sortirait pour m’attraper les chevilles. Enfin quelque chose de naturel. C’était celui-là que je voulais. Un coup d’œil furtif me signala que j’étais toujours seule, je ne me fis donc pas prier pour retirer mes vêtements. Heureusement je n’avais pas opté pour des sous-vêtements affriolants qui auraient excités les pervers devant leur poste de télévision. Un ensemble vert plutôt passe partout, qui aurait d’ailleurs aisément pu concurrencer un maillot de bain. Je glissai mes orteils dans le liquide visqueux avec appréhension, juste au moment où le grincement de la porte parvint à mes oreilles. « Merde. Merde. Merde. » Ce furent les seuls mots que je prononçais avant de me glisser entièrement dans la boue comme on se jette dans une piscine, histoire de ne pas me présenter à moitié nue devant un candidat. C’était idiot quand on y pensait, étant donné que des centaines de personnes m’avaient aperçue à travers leur téléviseur . . . Mais un face à face, c'était quand même une autre paire de manches.

Les premiers jours avaient été riches en découvertes. Faisant la rencontre d’une multitude de gens, Artie se sentait plutôt comme un poisson dans l’eau. Ils avaient nouer quelques relations avec le peu de candidats qu’il avait cotoyé ces deniers temps, mais cela suffisait à le rassurer. Réveillé comme toujours par l’activité brusque des habitants, le jeune barron de Mayfair se frotta les yeux et se dirigea furtivement vers la salle de bain, là-bas, il pouvait s’accaparer la totalité de la salle à lui tous seul, il devait être à priori le dernier à s’être levé ce matin. Il se mit alors devant la glace et brossa tout d’abord les dents puis se coiffa légerement, enfila son pantalon chino beige et sa chemise à carreau pour rejoindre le hall et prendre son petit-déjeuner. Une fois son repas terminé, notre jeune homme se guida vers l’exterieur, voulant à tout prix découvrir ce qu’il y’avait dehors. Il faut dire aussi qu’il n’avait pas mit le pieds dehors et ceci depuis son arrivée. C’était en autre l’ocasion de visiter les lieux exterieurs qu’il n’avait pas eu l’occasion de contourner.

Arrivant par coinsidence près d’une grange, il entendit un bruit solitaire et décida de s’y aventurer. Poussant lentement la porte, il fit entrer tout d’abord sa tête pour ne pas trop avoir l'effet surprise, puis une fois la zone reconnue – c’était à priori une sorte de salle de bain, mais en plus occidental- il fit rentrer la totalité de son corps… Une forme féminie glissa malheuresement dans le liquide visqueux et cacha par la même occasion la totalité de son corp. Dressé devant elle, Artie se prononça d’une manière tout à fait naturel « Excuse moi, je ne suis là que pour visiter la demeure, je n’allais surement pas te rejoindre… » La jeune femme allait surement parraître soulager après cette afirmation, ce qui ne l’étonnerait pas vraiment. N’ayant, par malheur, pas put reconnaitre celle qui s’enfonçait de plus en plus dans son bain, il se permit d’ajouter « Puis-je savoir qui est- tu ? En ce qui me concerne, je me nomme Artie… J’ai malheuresment été dans l’incapacité de me présenter avant je crois, je veux dire durant la soirée… pourrais tu te montrer un peu plus ? Tu n’es pas obligé tu sais ! » Il clôtura sa réplique incertaine avec un petit geste de la main, un geste qui ne signifiait vraiment rien…

Olala, j’étais en train de brûler littéralement. Je n’avais pas retenu de mes lectures sur la fangothérapie que la boue s’appliquait chaude sur la peau, et que cela se faisait la plupart du temps de façon progressive. Je le payais de mon propre corps, par la faute d'un visiteur inopiné. C’était le Lord qui m’avait interrompue, le type qui parlait avec un léger accent anglais. Je me l’imaginais parfaitement siroter un thé devant un bon livre, tranquillement installé dans un fauteuil de la bibliothèque, habillé d’un gros pull de laine fait main. Mais s’aventurer dans une grange sans savoir ce qu’il allait y trouver . . . un véritable aventurier ! Je ne pus réprimer un sourire à cette pensée. J’étais pleine de préjugés, mais cela me permettait au moins d’aborder cette rencontre plus amusée que gênée. « Je pourrais presque prendre ça pour insulte. » lui rétorquai-je d’un ton faussement froissée. Ben oui quand même, quand on affirmait à une femme que l’on ne désirait sûrement pas la rejoindre dans un bain –même de boue-, c’était légèrement vexant. Mon ton était cependant ironique, puisque je savais parfaitement que ce n’avait pas était son intention –du moins l’espérais-je-. Il ne connaissait même pas mon identité. Peut-être, aussi, préférait-il les hommes. Bref, me montrer un peu plus ? Ce type faisait-il exprès sous ses airs de gentleman ou bien était-il vraiment maladroit ? Au vue de sa dernière exclamation un peu cafouilleuse je pariais sur la seconde solution. Je me retournai dans mon bain d’où ne dépassait qu’une tête intacte de toute « souillure », ancrant le bleu de mes yeux dans son regard clair. « Encore une fois, cela pourrait être mal interprété. » Un sourire flottait sur mes lèvres malicieusement étirées. « Je suis Sixtine, enchantée Lord . . . » Je suspendis volontairement ma phrase afin qu’il puisse y glisser son nom, son prénom, ou toute autre identification. D’un geste innocent, je levai ma main droite dans les airs afin qu’il vienne s’en saisir pour formaliser les présentations, comme si je n’avais pas remarqué qu’elle était pleine de boue. Après tout, c'était lui qui avait souhaité que je me montre un peu plus. Eh bien très cher, voici une main.

Artie pensa à un moment qu’il n’était pas devant le genre de femme qu’il s’imaginait être. Il croyait dur comme le fer que cette forme féminine carrément enterrée dans cette marre de boue avait essayé de cacher quelque choses. Voulait-elle garder son corps intact de tout œil malsain ou bien avait elle quelque chose à dissimuler sous cet aire de pigeon lilliputien ? Fallait dire aussi que le contexte de la rencontre ne l’avait pas trop aidé et que ce n’était pas ce qu’il espérait voir, le moment ou il enfonça sa tête dans ces lieux et envoya son regard sur la jeune femme. « Je pourrais presque prendre ça pour insulte. » Oula, elle était complètement passé à travers, le faisait elle exprès pour mettre notre jeune brun dans une situation plus que complexe, ou bien le pensait elle vraiment.. Il fallait mettre les choses au clair car tomber dans le piège du quiproquo atroce faisait bien trop de peur que de mal « Tu interprètes mal on dirait… Ce que je voulais dire c’est que je me voyais mal entrer dans cet endroit nauséabond et infâme, je n’étais qu’un visiteur hardi et audacieux… Hors le coin que je parcours en ce moment n’est pas très convenable… J’apprécierais vraiment ta compagnie, mais dans un endroit plus calme et plus enjoué, comme par exemple une piscine, un jacuzzi, un jardin… Le château est trop vaste alors pourquoi se limiter à cet endroit... » Mettant les choses au clair, il fit mine de s’approcher dans le seul but de mieux cerner la personne physiquement. C’est vrai qu’on ne pouvait rien voir en ce moment vu que la jeune femme persistait à rester cacher dans son bain, ne révélant rien de particulier, mais on pouvait décerner quelques marques de beauté naturelle notamment son joli teint, ses cheveux immaculés et affriolants, sans oublier ses yeux provocateurs qui lui donnait cet air de chasseur, jusqu'à maintenant, elle arrivait d’une manière très certaine à le garder en haleine, bonne chose pour elle. « Artie… combien faut-il te le rappeler pour que tu te résultes enfin à le retenir ? » et toujours avec son éloquence fortement prononcée, il répondit à l’appel de sa main qu’il empoigna délicatement, essayant de garder le maximum d’écart entre lui et le bain de peur de ne salir sa belle panoplie…

Une longue, très longue tirade suivit mes paroles, déclenchant sur mon visage un sourire à peine voilé. Il paraissait évident qu’il n’avait pas saisi toute l’ironie de mes propos, sans quoi il se serait passé de cette justification, cependant je le laissais s’exprimer sans l’interrompre. Je n’avais guère besoin de tant d’explications et me sentie presque gênée qu’il s’obligeât à préciser les choses, refreinant un désir chatouilleux de plaquer ma main boueuse sur ses lèvres afin de le faire taire. « Excuse-moi, un peu de boue a du malencontreusement glissé dans mes oreilles » précisai-je à sa dernière réplique. Parmi les informations qu’il m’avait fournies, son identité était passée entre les gouttes. Il avait du me prendre pour une idiote, à le faire répéter ce qu’il venait juste de me dire. Peu importait, je ne devais pas être la seule à ramer au milieu de tous ces prénoms. Je fus étonnée de sentir sa main entre la mienne, m’emprunter un peu de ce liquide gris qui me collait à la peau. Plutôt téméraire le garçon de bonne famille. Je remarquai ses yeux surtout, ce regard d’un bleu aussi effrayant que fascinant. Un peu comme celui de mes propres iris, il fallait le souligner. « Allez détends-toi un peu Lord Artie, dis-moi ce que tu juges ‘‘pas très convenable’’ ? » repris-je une fois les présentations scellées dans cette poignée de main. Cela m’intriguait, à vrai dire. Quel être humain décemment constitué pouvait trouver à redire à un tel endroit ? N’était-ce pas ce dont tout le monde rêvait ? Il était vrai que pour ma part j’avais horreur de ces choses dans lesquelles on restait enfermé à transpirer, et que j’étais bien trop chatouilleuse pour profiter des massages, mais j’estimais valablement être une exception. Et même moi, j’avais trouvé mon bonheur dans ce bain atypique. « Une fille à moitié nue recouverte de boue –bon je te l’accorde ce n’est pas du chocolat-, entourée de saunas, de hammams et de tables de massage . . . ça ne te plaît pas ? » Je lui jetai à nouveau ce regard espiègle avant de reprendre un air parfaitement neutre et innocent. A bien y réfléchir, c'était peut-être justement tout cela qu'il jugeait peu convenable . . .

La jeune femme ne s’était point rendu compte qu’elle avait répondu à sa propre question d’une manière presque autonome. Une femme à moitié recouverte de boue le gênait, peut être moins que la boue elle-même mais devoir parler à une entité pareille dans un tel état n’était pas très commode pour lui. Il était assez complexe et très exigeant question hygiène. Autant dire qu’il détestait la saleté mais cela était commun pour tout être humain, sauf preuve du contraire. D’ailleurs, il se précipita pour se frotter les mains pour enlever les résidus qui lui collaient entre les mains, choses qui ne marcha pas vraiment… Il se contenta d’oublier « Oui tout à fait, ce décor ne me plait pas vraiment, je vais devoir te laisser, on se reverra surement après… » Impatient de sortir ce cet endroit qui n'était d'ailleurs pas le sien, il se précipita d’ajouter « Ce soir y’a une soirée, y’aura moyen de te rencontrer à nouveau, tu mérites qu’on s’intéresse à toi… » Toujours avec son clin d'oeil habituel, il installa une amitié temporaire entre les deux. Il l’espérait de tous son coeur. Cette soirée allait les relier à nouveau, il le sentait, dans des tenues cette fois-ci plus adéquates et dans un décor plus chaleureux… Parlant de chaleur, il se rua vers la porte car cette même chaleur le gêna par moment, mais avant de fermer complètement la porte, il rajouta « A ce soir belle demoiselle… Sixitine ! J’y tacherais de m’en souvenir ! » Son nom avait déjà été gravé dans sa mémoire et il n’était pas prêt à l’oublier celui là…

Lorsque le jeune anglais annonça son départ j’esquissai une moue déçue. Oh ben non, il n’allait pas me laisser seule dans la boue quand même, après tout, c’était de sa faute si je m’y étais plongée en premier lieu ! En vérité je n’étais pas contrariée qu’il me laissât seule –il fallait avouer que je rêvais de me prélasser au milieu du liquide brûlant en fermant les yeux-, cependant j’avais eu d’autres plans le concernant. Le voir repartir avec les mains propres ne me plaisait guère, j’aurais bien aimé salir un peu le Lord Artie . . . A l’évocation de la soirée mes traits reprirent aussitôt un air enjoué. « J’y compte bien très cher, nous célébrerons notre victoire ensemble. » Parce que dans mon esprit il n’y avait pas le moindre doute quant à ce détail. Si j’avais su à quel point je me trompais, j’aurais sans doute gardé cette marque d’assurance pour moi. Lorsqu’il me quitta définitivement je lui adressai un signe de la main, accompagné d’un charmant sourire. Lord Artie m’inspirait une vive sympathie, mais il faudrait vraiment faire quelque chose à propos de ce balai qu’il avait collé dans le derrière. Je m’écartai du bord pour nager un instant dans la boue, puis disparus sous la surface. Moi, ça ne me faisait pas peur.