W/ EVEY
mercredi 25 janvier, 16h02.

Jamais Milan n'aurait imaginé que ce genre de pièce puisse exister dans un vieux château dégueulasse comme celui-ci. Là, alors qu'il se tapait une petite promenade dans le parc du domaine, v'là qu'il se retrouvait devant une... grange ? Oui, une grange. C'était bel et bien une grange. Ils allaient, genre, devoir s'occuper des porcs et tout? Voilà qui dénotait plutôt du reste du décors. Puis ça lui semblait tellement bizarre, qu'il s'était senti obligé de vérifier. Peut-être quelqu'un avait-il pris la peine, durant le prime d'ouverture, d'expliquer qu'il s'agissait en réalité d'une sorte de spa géant, mais il devait avoir eu une absence à ce moment de la soirée. Et n'ayant pas encore pris la peine de visiter toute la bâtisse et ses environs - la flemme ? - c'est avec stupeur qu'il se retrouva face à hammam, sauna, table de massage et tout le toutim. Eh bah. Heureusement pour lui, l'endroit était désert, lui épargnant ainsi l'humiliation d'être un vrai puceau des spas. Curieux de voir si c'était aussi agréable que ce qu'on disait, le jeune irlandais revint sur ses pas, allant chercher l'attirail nécessaire à ce genre de distraction Lorsqu'il fut de retour, il constata qu'il n'était désormais plus seul. En effet, la porte d'un des saunas était fermée, et on voyait très nettement la vapeur faire perler des gouttelettes sur la vitre. Haussant les épaules, il se dirigea sans y penser vers la cabine occupée. Autant ne pas jouer les autistes, pas vrai? S'introduisant dans la cabine, il distingua une jeune femme blonde qui se trouvait déjà là. « Je peux ? » S'approchant sans attendre de réponse - c'est pas elle qui allait le faire dégager, de toute façon - et s'installa simplement. « J'avais jamais mis les pieds dans un truc pareil. C'est pas une blague » se sentit-il obligé de préciser. Il était sûrement le seul con à ne jamais avoir fait ni sauna, ni jacuzzi, ni quoi que ce soit d'approchant. Avec tout ça, il en oublia même de se présenter.

J’avais savourée à maintes reprises les bienfaits d’un spa, ce n’était donc pas étonnant que je me sois mise en tête de fréquenter ce dit-lieu plus souvent qu’à l’ordinaire. Vu les prix exorbitants que coutait les séjours dans ces petits havres de bien-être, je me réjouissais d’avoir le tout à porter de main, et ce, sans dépenser un seul sous. Bon, ce n’était jamais moi qui se chargeait de la facture – merci papa – mais quand même. C’était le genre de liberté qui se savourait sans rechigner. M’installant dans l’un des saunas, revêtu dans ma tenue la plus naturelle et d’une simple serviette, je montais le thermomètre à son maximum et fermait la porte derrière moi, persuadée que m’attendait là des précieuses minutes de relaxation. Grave erreur. « Je peux ? » C’était pas la peine de demander si tu ne comptes pas attendre de réponse, chéri. Car c’était exactement ce qu’il venait de faire, le jeune homme, en s’introduisant dans cette cabine sans attendre mon consentement. Que pouvais-je y faire? Le jeter dehors à coup de pied? Trop forçant. Aussi bien dire adieu à ma belle solitude pour le moment. Et pour les prochaines semaines tant qu’à faire. Me laissant choir contre le mur derrière moi, je fermais les yeux. Comme ça, j’avais un peu l’impression d’être seule. Un rêve qu’il ne se tarda pas à ficher en l’air. « J’avais jamais mis les pieds dans un truc pareil. C’est pas une blague. » commenta-t-il comme si ces propos m’intéressait. « Quel inculte tu fais. » laissais-je entendre, sans même broncher, d’une voix neutre, désintéressé.

Malgré tout ce qu'on pouvait lire dans livres, voir dans les films, la plupart des gens ne le remarquent pas lorsque quelqu'un les regarde de loin. La plupart des gens n'ont pas ce sentiment étrange et inconfortable d'être épié, d'être à nu, que prétendent avoir les personnages d'un roman ou d'une série. C'est le genre de détails stupides et irréalistes que les auteurs ajoutent pour faire avancer l'intrigue, mais dans un soucis de conformisme, les personnes réelles se rendant compte qu'ils sont observés ressentent aussitôt un sentiment de malaise qu'ils mettent sur le compte de l'intérêt qu'avait l'individu pour eux. Ce n'est qu'après que l'on se persuade de l'existence de cette impression désagréable, comme un placebo, ou comme les soit-disant "rêves prémonitoires" qui n'avaient rien ni d'un rêve, ni de prémonitoire. C'est pour ça qu'une fois assis, jambes tendues et chevilles croisées, épaules appuyées contre le mur, Milan eut tout le loisir de jauger la demoiselle qui occupait le sauna avant son arrivée. Elle avait fermé les yeux et rien, à présent, ne pouvait lui indiquer qu'elle était l'objet des regards de Milan. Ses traits arboraient une expression insupportable qui le dissuada de la laisser en paix, après qu'elle lui ait de répondu de façon tout à fait claire. « C'est gentil de ta part de prendre la peine d'me répondre alors que t'as qu'une envie, me taper dehors à coup de pied au cul » roucoula-t-il faussement. Qu'elle le juge idiot, chiant, tout ce qu'elle voulait, à la première impression, lui importait peu. C'était son caractère sarcastique qui l'empêchait de se contenir.

Je n’avais pas besoin d’un pressentiment pour savoir qu’à ce moment précis, j’avais face à moi un petit curieux qui se faisait grand plaisir de me reluquer de la tête au pied, croyant, à tord, qu’il le faisait en toute liberté, sans risquer de se faire prendre. Désolé, mais je connaissais trop les hommes et leurs faiblesses. Comment résister au corps d’une femme, surtout lorsque se trouve à être moins habillé encore que Cupidon lui-même. Difficile. C’était bien connu : il ne réfléchissait pas avec leur tête, mais plutôt avec leur… Bref, vous voyez ce que je veux dire, j’vais pas être vulgaire. « J’espère que le paysage te plait. » laissais-je entendre, question de lui faire savoir que je n’étais pas née de la dernière pluie et que j’avais pleinement conscience que son regard était rivé sur moi. « C’est gentil de ta part de prendre la peine d’me répondre alors que t’as qu’une envie, me taper dehors à coup de pied au cul. » J’esquissais l’ombre d’un sourire. Tant d’ironie dans sa voix, à l’image de ma propre réplique. « Oui, c’est à peut près ça. T’es devin, peut-être? » Non, mais j’étais pas idiote au point de croire qu’il arrivait à lire dans ma tête, mais je trouvais quand même étonnant qu’il ait su deviner exactement ce qui m’était m’avait traversé l’esprit, qu’il était tombé pile dessus.

Si Milan n'était pas sûr, au début, d'apprécier la chaleur et l'odeur étouffantes du sauna, maintenant qu'il commençait à s'habituer, il ne pouvait nier que c'était agréable. La vapeur parfumée qui l'assommait à chaque respiration l'apaisait et le température n'était pas dérangeante dans la mesure où le but de la manœuvre était quand même de suer. Pas sûr qu'il retente l'expérience dans les prochains jours, cependant. C'était le genre de truc, un peu de temps en temps, d'accord, mais pas quotidiennement. C'était pour finir complètement siphonné. Le regard dans le vide, quelque part près du corps de la fille, sa voix le tira de ses pensées. Ben voyons. « J'espère que ton narcissisme n'est pas trop difficile à vivre » rétorqua-t-il aussitôt, avant d'enchaîner. D'accord. Donc en gros, cette nana se prenait pour il ne savait qui. Bof, de toute façon, il n'était pas exclu que l'image qu'il se faisait d'elle change au fil du jeu. Même si elle n'y mettait pas vraiment du sien pour se faire apprécier, ce n'était pas en trois répliques que Milan pouvait se faire un avis. Bref, sa réplique le laissa de marbre. Devin, hein ? Peut-être lui serait-il utile de revérifier la définition de ce mot au dictionnaire. « Peut-être. Et c'est encore plus efficace quand le sujet ne prend pas la peine de faire preuve de diplomatie ou d'amabilité. Cela dit, au moins, on ne peut pas t'accuser d'être hypocrite. Voilà qui doit faire ta journée. » Fermant les yeux à son tour, il soupira légèrement et se laissa aller la tête contre le mur. C'était... oui, agréable. Et ce n'était pas l'antipathie de la gosse, ni aucune de ses remarques faussement acerbes qui allaient le gêner.