► Le 24 janvier, 16h33, en compagnie de Esther.
Síomha était en pleine réflexion. Elle s'interrogeait sur l'utilité d'une cave dans un jeu pareil. A vrai dire, elle se demandait pourquoi la production avait pensé bien d'enfermer trente-cinq jeunes gens dans un vieux château miteux qui sentait l'humidité et laissait filtrer de l'air glacial à certains endroits. Se plaindre? Loin d'elle cette idée. Elle ne faisait que constater. La production devait manquer d'argent. D'où le taudis dans lequel ils avaient placé les candidats. Elle ne se plaignait pas. Vraiment pas. Elle constatait l'ampleur des dégâts. Cupidon avait dû se cogner la tête quelque part. Une cave? Sérieusement? Eh bien, elle n'était pas au bout de ses surprises. Soupirant, elle passa une main dans sa chevelure soyeuse avant d'attraper son paquet de cigarettes. La clope ne tue pas. Elle vous empêche de vous suicider ou de tuer quelqu'un. Elle sauve des vies. Trente-cinq pèlerins. Trente-cinq pauvres types qui n'avaient rien de mieux à faire de leur vie. Quand on y pense, c'est super triste. Et désespérant. Comment qui que ce soit peut avoir l'idée et l'envie de regarder cette émission? Bonne question. Elle ne se demanderait même pas pourquoi elle était là. La réponse serait sans doute trop dur à trouver. Toujours est-il qu'elle s'était vautrée sur le matelas qui stagnait là depuis cent cinquante ans tandis qu'elle aspirait doucement les bienfaits de sa cigarette avant de relâcher un nuage de fumée. Qu'on lui apporte une bouteille de vodka et ça serait parfait! Non, attendez, c'était une blague, ne faites descendre personne par ici... Trop tard. Síomha entendait clairement la porte se refermer. Soupir. Pas moyen d'être tranquille ici. Elle ne regarda même pas qui arrivait. Parce qu'elle s'en foutait royalement.

Mon Ipod dans mes oreilles, je me déhanchais sur le rythme de la musique, chantonnant légèrement. Je n’avais pas la plus belle voix, mais ce n’était pas non plus un supplice pour les oreilles. Enfin, passons. Je continuais mon exploration des lieux, ne trouvant rien de mieux à faire en cette fin d’après-midi. Le sous-sol m’attira irrévocablement et je franchis la porte, descendant les marches d’un pas lent, continuant à danser. Heureusement que personne ne me voyait et ne m’entendait ! «Babyyy I got a plaaaaan. Run away fast has youuuuu caaaan.» Ouais, bon. Raté sur ce coup, puisque je me rendis compte qu’une jolie blonde occupait déjà l’endroit, me lançant un regard de glace. Je venais de déranger sa solitude, cela en crevait les yeux. «Oups. Désolé ! Je... je pensais être seule !» dis-je immédiatement. Retirant les écouteurs de mes oreilles et lui faisant un sourire léger. «Tu prépares des mauvais coups ?» demandais-je idiotement, ne sachant pas trop quoi dire et me sentant quelque peu mal à l’aise, de un, parce que je l’avais dérangée et de deux, je venais de me ridiculiser en me trémoussant les fesses comme une mauvaise danseuse sur l’acide.

Pitié, qu'on abatte cette fille. En plus d'être un supplice pour les oreilles, elle dansait affreusement mal et n'avait aucune grâce, même quand elle se dandinait. Et ne parlons pas de sa tête, elle avait trop abusé de la chirurgie esthétique. Ses joues étaient tellement énormes qu'elles pourraient être confondues avec son cul. Bref, venir troubler son moment de paix était une très mauvaise chose. On l'avait déjà tellement empêchée d'être tranquille pendant la journée qu'elle risquait forcément d'être moins conciliante. Soupir. « Visiblement, tu pensais mal. » trancha-t-elle de sa voix douce de poupée. Le mieux qu'elle pourrait faire serait de rebrousser chemin en faisant autant de bruit qu'une souris rejoignant son trou. Dommage, ça ne semblait pas faire parti de ses plans. Elle reprit la parole. Síomha n'eut d'autre choix que de lever les yeux au ciel. Avait-elle vraiment l'air si vicieuse? « Oui, je prévois de te tuer pour te bouffer. » fit-elle, d'un air indifférent. Question con, réponse con. Elle tendait le bâton pour se faire taper dessus aussi, là. Si Síomha faisait bien des choses, soyez bien certain que préparer des mauvais coups n'était pas son truc. Elle avait autre chose à foutre. Comme fumer, par exemple.

Je perdis mon sourire lorsqu’elle m’adressa la parole, d’une façon terriblement glaciale. «Visiblement, t’as une humeur de merde.» répliquais-je aussitôt, levant un sourcil devant tant d’antipathie. Non pas que cela m’affectait réellement. Je n’allais pas me mettre à pleurer, bah non. Je trouvais presque cela amusant. Je ne lui avait rien fait après tout. J’avais autant le droit qu’elle de venir visiter les lieux. J’avoue, si elle avait envie de solitude, ce n’est pas ce qu’il y a de plus agréable de voir une fille débarquer en chantant. Mais je ne vais pas me sentir mal. Puis, à ma question idiote, elle me répondit une pire connerie. Je m’y attendais un peu en même temps. Je n’avais pas posé la question en m’attendant à la réponse de génie. «Le cannibalisme, c’est cool. Je n’aurais pas pensé que c’était ton genre...» dis-je en lâchant un petit rire, mettant mes mains dans les poches, montant et descendant sur la pointe de mes pieds. C’était une manie que j’avais, lorsque j’étais un peu nerveuse. C’est à dire tout le temps. «Bon, tu ne vas pas m’en vouloir parce que je danse et que je chante d'une façon dégueulasse ? Au fait, moi c’est Esther.

« Merci. » Qu'elle profite de ce remerciement, elle risquait de ne pas en avoir beaucoup d'autre. Et oui, elle la remerciait pour avoir critiquer son humeur du moment. Un problème? Eh bien tant mieux pour vous. Par la suite, elle avait répondu une énormité aussi grosse que la sienne. Elle n'y pouvait rien, c'était automatique. A l'entente d'une question ou remarque idiote, elle ne pouvait rien faire de mieux que répondre sarcastiquement. Que ça plaise ou non, c'était comme ça. Et regardez ça, si ce n'était pas magnifique. Elles avaient un point commun: le cannibalisme. Parfait comme sujet de conversation dans une cave. « Ramène ton cul par ici, que je te montre à quel point c'est mon genre. » Ce n'était pas son genre. Son esprit de contradiction était juste plus fort que tout. D'autant plus qu'elle devrait pouvoir trouver de quoi mordiller sur son corps de poupée tout juste sorti de l'emballage. Si elle allait lui en vouloir? Non. Elle n'en voulait à personne. Ne détestait personne. Elle se contentait de rester particulièrement indifférente. Ce qui était bien différent. Elle lui apprit son prénom dans la foulée. Esther, donc. Tant mieux pour elle. « Síomha. » se présenta-t-elle entre deux nuages de fumée. Qui a dit qu'elle était totalement asociale?

Je ne comprenais pas réellement pourquoi elle me remerciait. Peut-être qu’elle appréciait les personnes franches. Oui, ce devait certainement être ça ! Elle avait l’attitude d’une personne franche. J’aimais ça. Remarque, moi j’aimais tout le monde ou presque alors ça ne changeait pas grand chose. Je lui souris doucement puis levai très haut les sourcils en l’entendant me demander de ramener mon cul près d’elle. Cela me fit rigoler bêtement, et s’en trop réfléchir, je m’approchai d’elle, les mains toujours dans les poches de mon jeans. «Je veux bien, mais tu trouveras pas grand chair après mon cul. À ce qui paraît, j’aurais quelques kilos à prendre» C’était la vérité. Le médecin me l’avait clairement dit. Il m’avait même demandé si je n’étais de ces jeunes femmes boulimiques qui passaient la moitié de leur journée au dessus d’un bol de toilette. Ce n’était pas mon cas. J’étais juste maigre de nature. Enfin, je vais peut-être prendre un peu de poids dans l’aventure, puisqu’il y a de la bouffe pour s’en mettre dans les oreilles. J’allai m’asseoir à ces côtés, sur le vieux matelas pourrie, lui adressant un second sourire. «La cigarette va te tuer. Et le plus dégeux, c’est que je ne pourrai pas te manger parce que t’auras un goût de charogne à cause de toute cette fumée.» Et voilà. Je me remettais à dire des bêtises.

Elle était sérieuse. Les traits de son visage le restaient aussi. Elle demandait avec un aplomb incontestable à Esther de bouger ses fesses et de venir les poser sur ce matelas, à côté de la blonde. Puisqu'elle allait s'essayer au cannibalisme, bien entendu. Sa camarade lui fit tout de même savoir que ses fesses n'étaient pas des plus rebondies et qu'il y manquait même un peu de chair. Dommage. Mais Síomha ne doutait pas de pouvoir trouver de quoi manger ailleurs. Regardez-moi ces grosses joues. Elle pourrait commencer par là, par exemple. « T'inquiète, je trouverais ailleurs. » lança-t-elle en la regardant avec insistance, comme pour lui signifier qu'elle ferait mieux de se dépêcher de bouger jusqu'au matelas. Quand la blonde dit quelque chose, eh bien, ce n'est pas contestable. Il lui arrivait d'avoir une attitude de tyran, parfois. Lorsqu'elle fût finalement assez près, Síomha tendit la main en lui disant: « File ton bras. » Elle était très sérieuse. Et elle allait se faire un plaisir de dévorer la peau de sa camarade. Ne soyez pas stupide, elle n'allait pas réellement la ronger jusqu'à l'os, elle se contenterait de s'occuper de sa chair d'une manière bien plus sensuelle. Que voulez-vous: chassez le naturel, il revient au galop. Elle ne perd jamais le nord, la belle blonde. Esther lui fit alors savoir que la clope finirait par avoir raison d'elle. Et que l'odeur ô combien attirante de la fumée la rendrait immangeable. Quel dommage. Elle passa une main dans sa chevelure blonde alors que sa cigarette trônait fièrement entre ses lèvres puis expira de nouveau de la fumée une fois la clope de nouveau entre ses doigts. « Tu ne perds rien, je ne suis pas comestible de toute façon. » ronronna-t-elle de son habituel ton détaché.

Je savais qu’elle était sarcastique, j’étais naïve, mais pas idiote. Ce que je me demandais, c’étais jusqu’à quel point elle allait jouer le jeu de la cannibale. Je devais l’avouer, cela me troublait quelque peu. Ou c’était peut-être l’effet de la cave... je ne sais pas. Mais une fois à ses côtés, je répondis à sa demande, déposant mon bras dans sa main tendu. J’espère qu’elle ne me ferait pas trop mal tout de même. Je lui souris toujours de la même façon, franche et droite, même si je ressentais un peu de gêne et d’inconfort à ce moment même. Je ne savais la cernée. Je crois que c’était la première que je rencontrais une fille aussi distante et froide. Elle répondit à mon affirmation, m’avouant qu’elle n’était, de toute façon, pas comestible. «Je n’aurais pas goûté ta peau, en effet. Je suis sur qu’elle a mauvais goût. Enfin... je crois.» je m’approchai de son épaule pour sentir celle-ci, m’étouffant légèrement à cause de toute la fumée qui les entourait. C’était définitivement un drôle de première rencontre, tout de même !

Docile. Esther l'était. Et c'était sans aucun doute mieux pour elle. Síomha n'aurait aucun scrupule à la bousculer un peu si jamais elle n'obéissait pas. D'accord, elle n'irait sûrement pas jusque-là, puisqu'au moment même où elle arrêterait de jouer le jeu, la blonde ne serait plus intéressée. Elle se lasse vite. Il faut continuer de la divertir si on souhaite en tirer quoi que ce soit. Toujours est-il que sa poupée de camarade lui donna volontiers son bras alors qu'une lueur de fierté naissait dans le regard de l'irlandaise. Elle tira une dernière fois sur sa cigarette avant de la jeter à terre, la laissant se consumer d'elle-même sur le sol poussiéreux. Esther s'était doucement approchée de la belle afin de la renifler. Elle sentait la clope. Elle assumait. Et considérait que ce n'était pas si terrible que cela. Son odeur naturelle n'était pas bien loin, il suffisait de passer outre la cigarette. Prête à la mettre au défi, elle ramena sa chevelure blonde sur le côté droit de son visage, laissant son cou à découvert. « Je t'autorise à me goûter. » fit-elle. Esther irait-elle jusqu'à toucher sa peau de ses lèvres? Elle n'en savait rien, mais avait presque hâte de voir si elle en était capable. En attendant une quelconque réaction de sa part, elle décida d'occuper ses lèvres sur le bras de sa camarade, commençant par le mordiller doucement, pinçant délicatement sa peau, mais bien vite, ces gentilles morsures se transformèrent en baiser alors qu'elle remontait doucement mais sûrement vers l'épaule nue de la petite Esther.

« Je t'autorise à me goûter. » Et je faisais quoi moi, là, maintenant ? J’allais goûter sa peau ? Je ne savais plus. Au début, je plaisantais, je voulais entrer dans son jeu. Maintenant, le jeu c’était retourner, les paroles n’avaient plus le même sens. Et dans cette situation, je me posais une tonne de question, auquel je savais, elle ne voudrait pas répondre. Me laisser embarquer dans cette histoire de cannibalisme avait été une bien mauvaise idée. Pourtant, je continuais. Je frissonnai en sentant ses dents contre la peau de mon bras. Puis, ses mordillements se transformèrent en baisers, ce qui ne me déplut pas. Il y avait de la sensualité, dans sa froideur. Hésitante, je finis par franchir les quelques centimètres et je mordillai la peau de son épaule. Doucement, tout doucement. Cela avait un goût de clope, je ne m’étais pas trompé. Mais c’était moins pire que je ne l’aurais pensé. Puis, comme la jeune fille, je commençai à déposer quelques baisers sur son épaule, puis son cou. Ce n’était pas la première fois que j’avais une tel proximité avec une demoiselle. J’étais peut-être jeune, mais j’avais déjà vécu beaucoup d’expérience. Reste qu’il y avait un certain inconfort chez moi. «Ça goûte la clope et la vanille» murmurais-je d’une petite voix, entre deux baisers sur son cou.