ft. sweet sixteen.

Continuer à larver dans mon lit ou daigner me lever? J'hésite longuement, tente de sortir un pied de ma couette, me rétracte bien vite tant le froid m'en tiraille l'épiderme. Note à moi-même: éviter de dormir à moitié à poil par cet hiver glacial, bien que cela chamboule mes habitudes. Assume le fait que tu sois frileux et que tu aies demander des couvertures en plus au staff de l'émission Caesar, assume. Je souffle, prêt à voir une épaisse fumée s'échapper de mes lèvres: rien. Alors, prenant mon courage à vingt-six mains, je sors de mes quarante-deux draps, me jette sur le premier sweat, le premier jean. Brossage de dents et lavage de main amorphe, je retourne dans la chambre, enfile une vieille paire de 6.0. Je baille, me frotte les yeux, avance à l'aveuglette vers je ne sais trop où: l'appel de l'estomac me mène directement à la cuisine. Fuck triple suprême, quelqu'un squatte déjà le plan de travail. Une petite blonde que je ne connais que de réputation. Le pas furtif, je m'approche de la petite Sixtine, manifestement appliquée aux fourneaux, me penche par-dessus son épaule bien que je sois bien plus grand qu'elle, observe son saladier d'un sourcil relevé. C'quoi? Je ne la laisse pas articuler la moindre parole, trempe mon doigt dans sa mixture jaunâtre afin d'y gouter. C'est... C'pas très bon. Faux. La préparation a beau être crue, elle en reste terriblement bonne. Je ricane, espérant qu'elle est compris la pique déguisée et bon enfant. Un peu de second degré voyons donc.

C’est la deuxième fois que je me décide à me mettre aux fourneaux, avec une conviction moins importante que la précédente. J’ai déjà raté des muffins au chocolat, mais je compte bien réussir ma pâte à crêpes. Voilà pourquoi cette fois je garde mon calme, contenant mon excitation habituelle, suivant attentivement les instructions. Je m’affère depuis quelques minutes déjà, et la pâte est bientôt prête, ne me reste qu’une pincée de sel pour achever mon ouvrage. Mais voilà que le chieur débarque dans mon espace vital pour polluer ma recette avec ses sales doigts d’adolescent. J’écarquille les yeux un instant, bouillant de rage devant un tel gâchis. « C’est de la pâte à crêpe, sale morveux ! » Je ne peux m’empêcher d’utiliser un gentil surnom, il vient quand même de tremper sa saleté dans ma nourriture sans s’être lavé les mains. Dé-geu-lasse. Si c’est mauvais, c’est de sa faute. Il ne tarde d’ailleurs pas à me le faire savoir, avec une expression qui se veut provocatrice. Mais quel . . . connard. « C’est peut-être parce que tu viens de te laver le doigt avec. » Je lui fais cette suggestion tout en entourant le saladier de mes mains, comme pour le protéger de toute nouvelle intrusion indésirable. Un sourire naît sur mes lèvres, je viens d’avoir une idée relativement peu intelligente afin de clouer le bec à cet impertinent. J’attrape calmement une longue cuillère qui sert à touiller la soupe, la plantant dans ma mixture. Je la remplis à ras bord, puis me tourne soudain vers Caesar en lui projetant la pâte à crêpe en plein visage. Yeah, pour une fois que je vise bien. Le gamin va pisser rouge, c’est sûr. Il va même peut-être se mettre à pleurer. Je m’esclaffe, particulièrement fière de mon coup. « C’est meilleur catapulté, non ? » Je le nargue ouvertement, me permettant même de lui tirer la langue. Après tout, faut bien s’abaisser à son niveau, non ?

Manifestement, la demoiselle n'a pas compris la subtilité de ma critique qui, au final, n'en était absolument pas une. Je soupire, lassé par le fait que dans ce château, le moindre second degré soit pris pour attaque au patrimoine génétique et/ou ancestral de telle ou telle personne: merde, sortez-vous ce putain de balai du cul. Sixtine m'insulte âprement, gueule peut-être aussi fort que j'ai pu le faire entre ces murs: sans rire, elle s'est vraiment vexée, jusqu'à la moëlle qui plus est. Ses accusations sont tellement stériles que je n'y prête même pas attention, le regard mort et les lèvres closes, attendant patiemment qu'elle en ait fini de ses revendications à deux balles. Deux minutes. Il lui a fallu en tout et pour tout deux minutes pour rompre mon semblant de sympathie à son égard. Dommage. Je roule des yeux, lève les mains comme pour témoigner de mon innocence. Eh, calme-toi, j'déconn- Elle ne me laisse pas finir et, pour toute réponse, me balance une louche de pâte à crèpe à la gueule. Infiniment choqué par cette soudaine violence alimentaire, je reste amorphe quelques secondes pour finalement m'essuyer le visage du dos de la main. Garde ton calme Caesar. ...Si t'avais pris la peine d'me laisser finir, t'aurais p't'êt' compris que ta putain d'pâte n'avait rien de dégueulasse et qu'je DECONNAIS. Sans la moindre animosité, j'attrape un oeuf sur le plan de travail et le lui explose tout simplement sur le haut du crâne, sans un mot. Fier de mon travail, je lui souris de toutes mes dents. T'es tellement plus belle comme ça! Je m'approche alors et, du bout des doigts, remet ses cheveux en place avec les mimiques d'un coiffeur supraefféminé cherchant la coupe approprié à une telle mise en scène. Par-fait.

Effectivement, je n’ai guère compris qu’il plaisantait. Il faut dire qu’avec lui, je pars avec un sacré à priori. A force de passer son temps à gueuler comme un putois, les candidats du château le prennent –pour la plupart- pour un morveux sans cesse en train de chouiner pour un oui ou pour un non. Alors quand il essaie de faire de l’humour, difficile de le détecter. « Oh merde. Désolée mec ! » Je mets une main devant ma bouche en me mordant la lèvre. Non sérieux, il a du me prendre pour une grosse mégère du coup. Cependant il a critiqué ma nourriture, un sujet particulièrement sensible étant donné que c’est la première bonne chose qui sort de mes mains. Ca aurait été n’importe qui d’autre, j’en aurais été vexée tout autant. Je ris un peu devant sa tête souillée par la pâte à crêpe. Je suis désolée de l’avoir envoyé sur les roses avec si peu de sympathie, mais je ne suis pas du tout navrée, en revanche, de lui avoir repeint le portrait. Faut avouer que c’est plutôt marrant, et j’éprouve un certain bonheur devant cette légèreté. Contre toute attente il ne se met pas à brailler, et je me dis que je l’ai vraiment sous-estimé. Si j’avais eu un fouet je me serais mutilée avec, version j’expie mes péchés, mais il se charge de me punir en poursuivant le combat. Il m’écrase un œuf sur la tête, comme si c’était normal, et je constate que je suis la deuxième candidate à être transformée en omelette vivante. Maintenant, je comprends la douleur de Moore injustement attaquée, sauf que moi je l’ai bien cherché. « Sale traître. » Je laisse uniquement échapper ces quelques mots tandis qu’il entreprend de me recoiffer. J’attrape un tube de ketchup qui traîne par là, faisant glisser mes doigts sur le plan de travail pendant qu’il se concentre sur mes cheveux blonds. Il n’a pas le temps de voir venir ma prochaine attaque. Je fais jaillir la substance rouge de son contenant, qui s’étale un peu partout sur les vêtements du gamin, puis j’attrape la poche de glaçons que j’ai sorti pour m’appliquer sur le crâne où une petite bosse trône encore, et lui saute sur le dos sans prévenir. Il doit faire à peu près la même taille que Syssoï, j’ai donc de l’entraînement en ce qui concerne les sauts en traître. J’écarte son t-shirt au niveau du torse, toujours accrochée à ses épaules, et verse les morceaux gelés à l’intérieur. « Un petit rafraîchissement Karl. » Lagerfeld, en référence à ses manières. Puis je descends tranquillement de mon perchoir et me dirige vers ma pâte, les cheveux dégoulinant de blanc d’œuf cru. Berk, c’est vraiment répugnant. « Bon, on se les fait ces crêpes, oui ? Pour une fois que j’arrive à faire un truc mangeable . . . » Je tente une trêve en espérant qu’il morde à l’hameçon, parce que je n’ai aucune envie de me retrouver décorée comme un arbre de Noël.