Oona

Aaah. Rien de tel qu'un peu d'air frais, de nature et de soleil pour oublier à quel point la semaine qui débutait s'annonçait pénible. Baptiste avait quitté le nid il y a deux jours, Artie également. Franchement ça m'avait fait mal au coeur de les voir sortir. Ils avaient tous deux leur place dans ce nid, à mes yeux. Mais le public en avait décidé autrement. Une décision que je ne comprenais pas, d'ailleurs. Levé aux aurores ce matin, comme lundi dernier suite au départ la veille de Céleste, je pris vite fait bien fait mon petit déjeuner avant de me rendre au parc. J'avais besoin de marcher un peu, de prendre un bon bol d'air frais en pleine tronche. Il faisait bon, un léger vent décollait mes cheveux de mon crâne. Après avoir marché quelques instants du nid au parc, j'aperçus à quelques mètres seulement quelqu'un, assis sur un banc. En m'approchant je finis par reconnaitre Oona. La jeune femme était seule, ne semblait rien faire de bien spécial si ce n'était se morfondre. Je pouvais la comprendre, le départ d'Artie dimanche soir l'avait laissée totalement dévastée. Elle avait perdu la personne qui comptait le plus à ses yeux ici, ce qui pouvait expliquer la petite mine d'Oona ce matin. Je fis quelques pas, avant de m'arrêter devant le banc où celle-ci était assise. « Bonjour. Je peux m'assoir ? » fis-je alors, en désignant d'un geste de la main le banc en question. « Tu vas bien, je veux dire, tu tiens le coup ? Je peux te laisser si tu préfères être seule. » Je n'en avais pas franchement envie, très honnêtement. Elle était mal, cela se voyait, et je voulais lui tenir compagnie. J'étais moi aussi d'humeur morose, ce matin. Seulement je pouvais bien laisser ma tristesse de côté quelques minutes, car Oona semblait vraiment avoir besoin de soutien.

J’avais cru que la pire semaine fut celle où Sixtine s’en était allée. Puis finalement, comme elle était revenue – pour mon plus grand plaisir – ce fut la semaine suivant le départ de mon premier partenaire, Lukas. Nous étions proches et ne plus dormir avec lui ou contre lui comme une petite fille attachée à son doudou m’avait franchement attristée. Finalement, je me rendais compte que la tristesse que j’avais ressentie n’était rien, comparée à celle qui me faisait frissonner. Personne dans le château n’était capable de palier l’absence qu’avait crée le départ du Sir et de Baptiste. Pour différentes raisons, ils m’ont été tout les deux indispensables et éliminé bien trop tôt à mon goût. C’est comme cela que je me rendais compte que les prochaines nominations allaient être de plus en plus difficiles. J’avais surtout cette impression que ma place ne tenait que sur un fil. Je comptais parmi les personnes encore en danger pour les nominations à ma grande surprise – oh ironie quand tu me tiens – et je ne pouvais plus me fier au célèbre diction du « jamais deux sans trois ». Trois fois j’avais été sauvé, je ne le serais pas à la quatrième fois. Oui. Le peu d’optimisme que j’avais emmagasiné (si tant est que j’en avais emmagasiné réellement) venait de s’en aller. Réveillée depuis un bon moment, ou plutôt, ne m’étant pas réellement endormie, je traînais des pieds jusque la machine à café, puis une fois ma tasse vidée, je m’en allais à l’extérieur du château. Dix heures. C’était une bonne heure pour respirer et méditer au calme, sans se soucier de ce que les autres pensent. Je m’asseyais sur un banc, ramenant mes genoux sur ma poitrine. Ce n’était pas vraiment le meilleur endroit en fait. C’est à cet endroit même que j’avais adressais pour la première fois la parole à Artie. À mon grand étonnement, j’eus un léger sourire en coin à cette idée, avant de poser mon menton sur mes genoux, mon visage redevenant neutre. Ou plutôt attristé. J’eu à peine le temps de fermer un œil, qu’une voix me le fit ouvrir immédiatement. « Bonjour. Je peux m'assoir ? » Comme il me montrait le banc, je tournais ma tête vers la place à côté de moi, hochant une fois la tête de haut en bas pour lui donner mon accord, avec un timide sourire en coin. « Tu vas bien, je veux dire, tu tiens le coup ? Je peux te laisser si tu préfères être seule. » J’avais reporté mon regard au loin devant nous, tandis que Ruben c’était assis à côté de moi. J’haussais les épaules, tournant de nouveau mon visage vers lui. « Je pense... » J’avais l’impression de tenir le coup, tout en ayant constamment envie de pleurer. Même un petit peu. D’ailleurs j’essuyais au coin de mes yeux, ce qui me semblait être un début de larmes. « Si t’es là parce que je te fais pitié, tu peux t’en aller. Sinon, tu peux évidement resté… » J’espérais que ce ne soit pas le cas… J’avais horreur de ce sentiment qui pouvait naître chez certaines personnes. J’espérais aussi que les téléspectateurs n’avait pas eut pitié non plus de moi. Ce serait franchement l’horreur pour moi. Je laissais mes yeux balayer le paysage que nous offrait le parc du château, avant de reposer mes yeux sur Ruben. « T’étais proche de Baptiste non ? »

Je n'avais pas pour but ce matin de venir déranger Oona. La jeune fille semblait très affectée par le départ d'Artie, ce qui était tout à fait compréhensible. Moi c'était le départ de Baptiste qui me rendait particulièrement triste. Mais nous ne pouvions rien y faire, le public avait tranché et alors que nous nous morfondions pour eux, Artie et Baptiste avait déjà regagné leurs foyers respectifs. Nous n'avions plus qu'une solution : accepter leur départ, même si cela serait assurément très difficile. Je m'étais approché du banc sur lequel Oona était assise. Je lui avais demandé la permission de m'y assoir, histoire de lui tenir compagnie. La demoiselle me fit un signe de la tête que je pris pour un "oui", et je pris finalement place à côté d'elle. Ma principale préoccupation était de savoir si elle allait bien, et surtout si elle tenait le coup. « Je pense... » Je voyais bien qu'elle était en petite forme. Seulement je ne pouvais rien y faire. Rien du tout. Je pouvais toujours tenter de lui redonner le sourire, mais il y avait une chose que je ne pourrais pas lui redonner, Artie. « Si t’es là parce que je te fais pitié, tu peux t’en aller. Sinon, tu peux évidement resté… » Ah, j'avais il me semble déjà eu droit à cette même remarque de la part de la jeune femme, il y a de ça quelques semaines dans la chambre. Mon intérêt pour elle n'était aucunement dû à quelque forme de pitié que ce soit, non, j'avais de la peine pour elle, mais pas pitié. « Je n'ai pas pitié de toi, je sais que tu es forte et que tu finiras par passer outre. C'est une question de temps, il te faut juste accepter le fait qu'Artie est bel et bien parti. » Je ne voulais pas me montrer brutal, lui exposer trop rapidement les choses telles qu'elles étaient mais je ne voulais pas non plus la ménager. Elle devait aller de l'avant, c'était ce que j'essayais de faire, moi, pour supporter le départ de Baptiste. Je ne disais pas que ce n'était pas difficile, par contre. Oona posa alors le regard sur moi. « T’étais proche de Baptiste non ? » Baptiste, mon Baptistou à la crème... Il me manquait ce saligot, surement pas qu'à moi d'ailleurs. « Oui très proche. Je l'aimais beaucoup ce gamin, le meilleur cuistot de tout le nid. » Ses fameuses spaghettis étaient à vous donner l'eau à la bouche... Sa façon d'être et sa joie de vivre allaient me manquer. Il était mon rayon de soleil, ici. « Je peux te poser une question ? » Une question qui me gênait un peu, il fallait bien le dire, mais elle me tracassait depuis un petit moment maintenant. « T'étais réellement amoureuse d'Artie ? » Loin de moi l'envie de la mettre mal à l'aise. Je voulais juste savoir si j'étais le seul, ici, à ressentir de véritables sentiments amoureux pour une personne. Selon moi c'était quand même loin d'être le cas, et quelques noms me venaient automatiquement à l'esprit lorsque je pensais à tous ses sentiments inavoués qui demeuraient pour le moment cachés... Qu'attendaient-ils, tous, pour passer aux aveux comme je l'avais fait ?

Je n’étais pas habituée à me morfondre pour quoi que ce soit. Je suis du genre à renfermer la moindre de mes émotions au plus profond de moi. Pourtant, j’étais en train de faire exactement le contraire de mes habitudes. J’avais cette nette impression que de vivre dans le château, loin de la réalité, me changeait totalement. Mon caractère, ma façon d’être. Si au moins j’avais pu changer en bien… « Je n'ai pas pitié de toi, je sais que tu es forte et que tu finiras par passer outre. C'est une question de temps, il te faut juste accepter le fait qu'Artie est bel et bien parti. » Ruben avait totalement raison. Je me focalisais trop sur le fait qu’il soit partit et non sur le fait que le jeu continuait. C’est vrai quoi, j’étais bien dans Fake Lover à la base pour l’argent et donc par conséquent, gagner le jeu, et non pour me faire des amis. Encore moins pour trouver l’amour. Une philosophie que j’avais bien eu du mal à tenir en sa présence. Maintenant je pouvais me concentrer de nouveau sur mon but premier… mais c’était bien plus facile à dire qu’à faire. « Ouai, mais j’arrive pas à l’accepter… » C’était l’entière vérité. J’en voulais toujours aux téléspectateurs d’avoir préféré sauver certaines personnes, au lieu d’Artie… et de Baptiste. Parce que lui aussi allait terriblement me manquer, ses rires et ses larmes. Le frère que je n’avais jamais eu. Il me semblait qu’il était tout de même proche de pas mal de personnes, Ruben y compris. « Oui très proche. Je l'aimais beaucoup ce gamin, le meilleur cuistot de tout le nid. » J’osais esquisser un sourire quand les yeux de Ruben ne me fixaient pas. Baptiste et ses petits plats. Baptiste et ses hamburgers plutôt. Il m’avait préparé le meilleur hamburger de toute ma vie et ce n’est pas exagéré… j’en salive encore en parlant de ça. « Je peux te poser une question ? » Mes yeux n’avaient pas quitté le visage du doyen du nid. J’acquiesçais de la tête pour lui signifier qu’il pouvait. De toute manière, quoiqu’il puisse me demander, je n’étais pas dans l’obligation de lui répondre après tout… mais la situation me disait qu’il n’allait pas me demander un truc horrible… « T'étais réellement amoureuse d'Artie ? » Je ne m’attendais absolument pas à ce qu’il me pose cette question. En général, je ne pensais pas qu’un jour on me le demanderait : qui ça pouvait bien intéresser après tout ? Je baissais les yeux, me mordillant légèrement ma lèvre supérieure. Répondre à la question de Ruben, revenait à avouer à celui-ci une chose que je n’avais pas eu le temps de dire au Sir. Ca revenait aussi à m’ouvrir à lui, alors que je n’étais vraiment proche de lui et Dieu sait que j’ai du mal à m’ouvrir aux autres. Je sais que Ruben ne cherchait pas à me gêner, mais je ne pu pas retenir mes mains de se crisper autour de mon tee-shirt, que je serrais pour m’empêcher de trembler. Je pris une sorte d’inspiration en fermant les yeux, pour lui répondre un simple « Oui ». J’hochais un peu de la tête pour appuyer ce oui, à défaut de pouvoir ajouter quelque chose d’autre. J’avais déjà l’impression d’avoir trop mis à nu ce que je ressentais au plus profond de moi. Mais oui, j’étais et je le suis toujours, amoureuse d’Artie… et je ne lui ais jamais dit de vive voix, contrairement à lui, il y a trois semaine.

Même si les départs de Baptiste et d'Artie seraient aussi difficiles à accepter pour Oona comme pour moi, nous devions désormais nous faire à l'idée qu'ils ne reviendraient pas, qu'ils étaient bel et bien dehors et que, probablement, ils suivraient nos aventures via leur poste de télévision. Alors bien sur, savoir qu'ils ne seraient plus à nos côtés dans ce nid nous mettait dans un état pas possible, cependant j'avais tout de même l'impression que je parvenais mieux à l'accepter qu'Oona. Sans doute parce que la jeune femme était très proche d'Artie, et de Baptiste également. Moi aussi, bien sur, mais j'étais peut-être moins sensible qu'elle à la base. Ces deux-là allaient assurément beaucoup lui manquer, et c'était la raison pour laquelle Oona semblait avoir du mal à voir les choses en face, à se dire qu'il valait maintenant mieux aller de l'avant plutôt que de continuer à regarder derrière elle. J'avais donc voulu lui ouvrir les yeux, lui faire comprendre que ce qu'elle avait maintenant de mieux à faire, c'était encore de se montrer forte et de trouver le courage de passer outre. « Ouai, mais j’arrive pas à l’accepter… » Je pris sa main, comme pour la soutenir. J'avais de la peine pour elle de la voir comme ça. Il semblait évident qu'il lui faudrait un peu de temps avant de pouvoir l'accepter. Même moi je ne l'avais pas accepté. Certains ici pensaient que j'étais fort, que je pouvais supporter ce genre d'épreuves, mais honnêtement je me morfondais encore à cause du départ de Céleste. C'était dire à quel point certains ne me connaissaient vraiment pas. « Je sais. En tout cas, si tu as besoin de quoi que ce soit, une épaule sur laquelle t'appuyer, n'importe quoi, je suis là d'accord ? » C'était l'occasion de lui montrer que malgré notre petit différent de début d'aventure, j'étais à ses côtés et prêt à l'épauler. Entre candidats dégoutés, on pouvait bien se soutenir mutuellement non ? Car dégoutés, c'était évident que nous l'étions. En vouloir aux téléspectateurs ne servirait peut-être à rien en fin de compte. Et puis surtout ça ne ferait pas revenir Artie et Baptiste. Je m'étais permis de poser une question assez délicate à Oona, une question que j'avais aussitôt regretté de lui avoir posé. Celle-ci visait à lui demander si elle était réellement tombée amoureuse d'Artie. Je vis bien que ça n'était pas facile pour elle de répondre, mais elle y parvint finalement. « Oui » répondit-elle difficilement. Je savais qu'Artie était autant amoureux d'elle qu'elle l'était de lui. C'était ça le plus dégueulasse dans cette histoire : deux personnes qui s'aimaient avaient été séparées, et ça n'était pas normal. « Je t'apprendrais rien en te disant qu'Artie t'aimait, lui aussi. » Non c'était certain, elle le savait déjà. Mais voilà, c'était ma manière à moi de lui rappeler que si il y avait bien une personne pour qui elle devait désormais se battre, c'était Artie. « Continues cette aventure pour lui, vas jusqu'au bout pour lui. Il n'en sera que très fier, et je pense surtout qu'il veut te voir profiter pleinement de ton aventure et non te morfondre pour lui. » Oona ne devait pas penser au passé, elle devait profiter du présent, de chaque instant qui lui était donné de vivre au sein de ce nid. Plus que des encouragements, mes paroles sonnaient comme une volonté de réveiller la jeune fille, afin qu'elle ne perde pas pied et qu'elle se rende compte que, même sans Artie, Fake Lover continuait.

C’était plutôt difficile de concevoir le départ de personnes que l’on apprécie, surtout quand on ne s’y attend pas et que l’on a à peine le temps de leur dire au revoir. C’est en ce sens que le jeu est dur et pourtant nous étions entrés dans le nid en connaissance de cause. Le truc c’est que, une fois la réalité sous nos yeux, ce n’est vraiment plus pareil. Nous sommes confronté depuis le début à des départs de candidats, mais celui-ci est bien le plus pénible. La main de Ruben se referma sur la mienne, ce qui décrocha un léger sourire en coin de reconnaissance. Je n’avais nullement envie de soutiens, de réconfort, de la part des autres et pourtant j’appréciais son simple geste à mon égard. « Je sais. En tout cas, si tu as besoin de quoi que ce soit, une épaule sur laquelle t'appuyer, n'importe quoi, je suis là d'accord ? » Mon sourire s’accentua un peu et je fis un léger hochement de la tête. Ca faisait bizarre de se dire que je me rapprochais de Ruben, alors que notre relation avait plutôt mal commencé au début de l’aventure : mais ça prouve au moins que l’on peut changer de la perception que l’on a des autres et ne plus se fier à ce que l’on a pensé au début. Ruben est passé du connard susceptible, au mec sympa sur qui je peux compter et ça fait tout de même un bon changement. « D’accord… merci… » Soufflais-je, en serrant un peu sa main. Je me sentais un peu plus en confiance en sa présence. Certes, il ne pourrait pas remplacer Baptiste, avec qui j’étais vraiment très franche sur mes sentiments, mais Ruben était quelqu’un de confiance. Il venait de me le confirmer. Je ne m’attendais pas à un intérêt de sa part, pour mon histoire avec Artie, ce qui me gêna sur l’instant. Personne ne s’était franchement intéressé à ce que je ressentais pour lui, mis à part Moore, mais simplement parce qu’il était son partenaire. Et encore, je ne lui avais jamais rien dit clairement pour ma part. Ruben s’ajoutais alors à cette liste et lui, fut « chanceux » d’avoir une réponse de ma part : très simple, un seul oui qui voulait tout dire. « Je t'apprendrais rien en te disant qu'Artie t'aimait, lui aussi. » Je resserrais un peu la main de Ruben dans la mienne. Effectivement, il ne m’apprenait rien puisque le Sir m’avait clairement dit qu’il m’aimait – aussi éphémère soit son je t’aime comme il me l’avait expliqué – et puis, malgré mon statut de malade des sentiments, j’avais bien sentis que quelque chose se passait entre nous. Je me gardais bien de dire à Ruben qu’il m’avait dit ces deux mots qui m’ont apeuré. Je me contentais de secouer mollement la tête de droite à gauche pour lui signifier qu’il ne me l’apprenait pas. D’ailleurs, sur le coup, je me demandais comme Ruben pouvait bien le savoir… mais finalement ça m’importais peu. Tout le monde dans le château devait être au courant maintenant. « Continues cette aventure pour lui, vas jusqu'au bout pour lui. Il n'en sera que très fier, et je pense surtout qu'il veut te voir profiter pleinement de ton aventure et non te morfondre pour lui. » J’écoutais attentivement les paroles ces paroles. À l’annonce de son départ, mon cerveau c’était braqué contre les téléspectateurs et malheureusement un peu contre les autres candidats aussi, me ressassant constamment qu’il me manquait beaucoup trop. Je n’avais pas vu les choses comme Ruben me les étaler. J’étais là, triste, mais j’avais un risque de m’en aller et je n’aurais même pas profité de mes derniers instants dans le nid. « T’as raison… j’avais pas vu les choses comme ça… » Je ne m’étais même pas dis qu’il pourrait être fier de me voir aller loin. Je me sentais en cet instant très égoïste aussi, à me montrer très abattue par son absence à la télévision, alors qu’Artie pourrait être triste lui de me voir ainsi. « Il faut que je me change les idées… » Je portais mon attention vers Ruben, à qui j’adressais un sourire en prenant une petite inspiration. Je m’approchais de lui, posant ma tête contre son épaule. Un frisson souleva les poils de mes bras à ce contact… il m’avait dit qu’il était une épaule sur laquelle je pouvais m’appuyer, non ?

Qui aurait cru, il y a encore quelques semaines, que j'en viendrais à soutenir Oona alors qu'au début de l'aventure, nous nous étions querellés comme pas possible ? Il fallait croire que nous étions tous amenés à changer. Pour le coup c'est moi qui avais changé de comportement, car à la base j'étais en tord. Oona n'avait fait que répondre aux attaques d'un mec franchement con qui se mettait dans tous ses états pour un pauvre verre de menthe à l'eau. C'était quand même franchement pathétique, non ? Cela pouvait expliquer pourquoi aujourd'hui, serrant la main d'Oona et la soutenant suite au départ d'Artie, ça me faisait tout drôle. La situation en elle-même était loin de l'être, mais c'était étrange de voir que ce genre de choses, à savoir les départs successifs de nos camarades du nid, pouvaient à ce point nous rapprocher. Je ne pouvais que m'en réjouir, moi qui voulait à tout prix que nous ne restions pas, Oona et moi, sur cette histoire absolument regrettable de menthe à l'eau. J'avais signifié à la jeune fille qu'en cas de besoin, elle pouvait sans hésiter venir me voir. « D’accord… merci… » répondit-il elle, tout en serrant ma main. Nous avions par la suite évoqué les sentiments d'Artie envers elle. Je savais ne rien lui apprendre en lui disant qu'il l'aimait, lui aussi. Je n'avais pas eu besoin qu'Artie le dise haut et fort pour le comprendre, le voir regarder Oona de la manière dont il le faisait m'avait suffit. Le regard d'un homme amoureux ne trompe pas, je m'en rends compte aujourd'hui. Je supposais donc arborer le même regard que celui d'Artie en présence d'Oona quand Moore était à mes côtés. Oui, sans doute. À présent le meilleur conseil que je pouvais encore donner à Oona était de profiter de son aventure, en l'honneur d'Artie. Elle ne s'en rendait peut-être pas contre, mais celui-ci ne voulait probablement qu'une chose : qu'elle aille le plus loin possible, qu'elle se montre déterminée. « T’as raison… j’avais pas vu les choses comme ça… » affirma-t-elle, avant de poursuivre « Il faut que je me change les idées… » C'était en effet ce qu'elle avait à faire, désormais. Se changer les idées. Ma foi j'étais disposé à l'aider pour cela, car je savais qu'avec du soutien et de la volonté on pouvait accomplir de grandes choses. Oona avait posé sa tête contre mon épaule. Je lui avais proposé cette même épaule pour qu'elle puisse s'y appuyer, ce qu'elle avait fait. Parfait, j'avais au moins l'impression de servir à quelque chose. « Que dirais-tu, pour te changer les idées comme tu dis, de jouer aux devinettes ? » Ne rigolez pas, j'étais on ne peut plus sérieux. Un petit jeu, ça pouvait peut-être lui redonner un peu le sourire. Et puis ça n'était pas tous les jours que j'acceptais de jouer à ce genre de jeux, dont honnêtement j'avais passé l'âge. Seulement quand il s'agissait de redonner le sourire à une demoiselle qui en avait besoin, je me foutais pas mal de l'âge que j'avais et des jeux auxquels j'étais amené à jouer. « Que fait monsieur crocodile lorsqu'il aperçoit madame crocodile ? » Oui, ça volait très haut aujourd'hui. Et ça ne m'étonnerait d'ailleurs pas qu'elle ait la réponse. Je m'échauffais, hein, j'en aurais sans doute de bien mieux et de bien plus compliquées par la suite. Chaque chose en son temps si vous le voulez bien.

Mon Dieu, parler de sentiments avec quelqu’un me paraissait tellement insensé et surnaturel. Même de sentiments qui ne sont plus vraiment secret. Ruben, malgré sa question, avait bien deviné que de l’amour se tramait entre le Sir et moi. Pourtant, ça me gênait toujours de devoir faire face à ce que je ressens, surtout quand ce que je ressens est vraiment tout nouveau pour moi. Je n’ai pas envie de m’étaler un peu plus à lui, même s’il me paraissait digne de confiance et que, comme Baptiste, il pouvait être une personne a qui je pouvais parler librement. Je pense tout de même avoir déjà bien étalé mes sentiments devant les foutues caméras du nid, maintenant je me contente de laisser ma main dans celle de Ruben et d’essayer d’aller de l’avant, sans me retourner. Ma tête posée contre son épaule, je me permis de fermer les yeux durant quelques secondes. « Que dirais-tu, pour te changer les idées comme tu dis, de jouer aux devinettes ? » J’ouvris de nouveau mes yeux pour pouvoir le regarder, mes sourcils se plissant légèrement d’étonnement. C’était marrant de voir Ruben me proposer ça, mais il fallait bien commencer par quelque chose après tout. Je fis mine de réfléchir, me frottant légèrement le menton, comme si cette question était franchement existentielle et qu’elle méritait une grande réflexion. « Je n’y vois aucune objection ! » Lui répondais-je, avec toujours cette petite moue déformant discrètement mes lèvres. Comme il le disait si bien, ça pourrait me changer un peu les idées et chasser de ma tête mes idées noires. « Que fait monsieur crocodile lorsqu'il aperçoit madame crocodile ? » Mes yeux s’arrondirent un peu et mes lèvres formèrent un « o » parce que je connaissais cette devinette, mais que la réponse m’échappait totalement. Je déliais ma main de la sienne pour venir tapoter mes genoux. La réponse était sur le bout de ma langue, je la sentais nettement et finalement, après deux minutes de réflexion, je lâchais une sorte de soupir… « Je sais ! Il l’accoste ! ... C’est ça ? » J’attendais sa réponse, le léger sourire se formant au coin de mes lèvres annonçant que j’en attendais une autre, ensuite.

Mon objectif pour ce matin était de redonner le sourire à Oona, et pour cela je connaissais un remède efficace bien qu'assez atypique, surtout venant de moi : le jeu des devinettes. Ne riez pas, ma mère m'y faisait jouer lorsque ça n'allait pas fort, lorsque j'étais gamin. Et j'avais eu l'occasion de vérifier que lorsque l'on était amenés à réfléchir, on n'avait même plus le temps de penser à nos problèmes. Ma question à Oona avait donc été la suivante : un petit jeu de devinettes la tentait-elle, histoire de se changer un peu les idées ? « Je n’y vois aucune objection ! » Voilà qui était parfait. La jeune femme était partante, et je n'avais pas perdu une seconde pour lui poser la première devinette ; "Que fait monsieur crocodile lorsqu'il aperçoit madame crocodile ?". Je me doutais qu'il était fort probable qu'Oona ait pu avoir la réponse à cette devinette-ci. Elle était assez célèbre. Elle mis un petit moment pour réfléchir, comme si la réponse peinait à sortir mais qu'elle l'avait sur le bout de la langue. Et puis finalement, Oona s'écria « Je sais ! Il l’accoste ! ... C’est ça ? » Un sourire vint étirer mes lèvres, puisqu'elle avait trouvé la réponse attendue. Pour ceux qui n'auraient pas capté le truc, il y avait là une référence à la marque "lacoste" dont le logo, je ne vous l'apprendrais pas, n'était autre qu'un crocodile. Bref. « Bravo ! Alors, attention, en voici une autre... » répondis-je, avant de continuer de plus belle pour lui poser la devinette suivante. « Comment appelle-t-on des chaussures d'enterrement ? » Celle-ci non plus n'était pas bien compliquée à vrai dire, et n'était pas franchement de très bon goût. Seulement je la trouvais assez marrante, et bien trouvée. Alors rien ne m'empêchait de la lui poser. Tout en souriant, j'attendais désormais la réponse d'Oona.

Même si je n’étais peut-être pas prête à le lui dire franchement, j’étais heureuse de savoir que Ruben voulait me remonter le moral. Il était attristé par le départ de Baptiste, mais soyons clair : c’est moi qui ai tout perdu lors du dernier prime. Je ne comptais pas le lui dire, non, mais il pouvait être sûr que je lui en étais reconnaissante. Je ne suis pas du genre à consoler les gens et, pour tout dire, je ne sais même pas comment fait-on. À sa place, je n’aurai pas prit la peine de venir s’asseoir là où il est et à me lancer des devinettes. D’ailleurs, j’aimais beaucoup avoir à en résoudre. N’étant pas forcément dotée d’une super mémoire, je pouvais oublier la moindre ridicule devinette. Parce que celle-ci ne volait franchement haut, mais elle me faisait déjà réfléchir. Bon, pour cette fois, à en croire le sourire de Ruben, je ne m’étais pas lamentablement trompée : « Bravo ! Alors, attention, en voici une autre...» Je le regardais, attendant la suite, mes mains serrant mes genoux. « Comment appelle-t-on des chaussures d'enterrement ? » Je fronçais de nouveau les sourcils. Je ne la connaissais pas celle-ci, alors je levais un peu le visage au ciel. Des chaussures d’enterrement… rien qu’à entre Ruben prononcer ce mot me fit frissonner, pour toutes les connotations que celui-ci cachait. Mais là n’était pas la question justement… Après quelques minutes, mon visage s’illumina de nouveau : « Non ! Des pompes funèbres ? » Lui demandais-je, avec un sourcil relevé.