W/ SIOMHA

Bras légèrement écartés, l'équilibre plutôt précaire, Milan était perché sur la rambarde du balcon, que tout le monde pensait suffisamment large mais qui ne l'était au final pas tant que ça, il pouvait en témoigner. Mais tester sa dextérité l'amusait, bercé par les morceaux qui passaient de façon aléatoire dans le casque de son iPod. Occupation plutôt puérile, idiote, totalement sans utilité, mais à l'aube de la dixième semaine, il devenait de plus en plus difficile de s'occuper de façon décente dans le nid. Alors pour passer le temps, le voilà qui répétait inlassablement ses allers-retours d'un bout à l'autre du balcon, se demandant vaguement quand il allait basculer et s'exploser la face sur la pelouse du jardin. Sixtine avait peut-être raison de le penser suicidaire refoulé en fin de compte. Mais non. Mais non, Milan n'avait pas du tout l'intention de se bousiller, il s'emmerdait juste royalement. C'était à peu près le seul désavantage au fait de ne pas avoir un vrai petit groupe de potes, ou ce qui s'en approchait du moins, du genre de celui qui semblait gouverner sur la maison, Sixtine, Syssoï, Moore, tout ça. Il était plus un électron libre parmi les électrons libres, lui. Et ça lui convenait parfaitement. Moins de contraintes. Et l'idée d'être catalogué ne lui plaisait pas tant que ça. Bref, alors qu'il avançait encore d'un pas ou l'autre, un mouvement tout au bord de son champ de vision lui fit adresser un regard furtif en direction de la porte. Ah, Siomha. Dommage pour elle, il n'était pas franchement d'humeur à se laisser aller au plaisir charnel avec elle, alors il se contenta de l'ignorer totalement, ce qui ne changeait pas tellement du reste du temps.

La blonde avait terriblement besoin d'un truc, là, maintenant. Et non, ne faites pas comme si elle était prévisible et que vous la connaissez par cœur, puisque c'était loin d'être le cas et que ce dont elle avait besoin ne ressemblait pas, de près ou de loin, à du sexe. Bande de nases. Tout de suite, elle a la réputation de trainée donc la moindre chose qu'elle veut, c'est baiser. Faux. Certes, en temps normal, ça fonctionne ainsi, mais pas dans l'immédiat. Tristement, son envie lui paraissait terriblement con. Et elle se surprenait elle-même d'avoir envie une chose pareille. Non, vraiment, elle avait vraiment des envies de merde. C'était totalement con. Elle secoua la tête de gauche à droite, comme pour chasser ces quelques pensées idiotes. Si c'était pour réfléchir à des conneries, mieux valait encore que son cerveau se fasse vide. Ouais, d'ailleurs, celui-là, il pouvait pas se faire vide plus souvent ? Alors au lieu d'y penser davantage, elle suggéra de s'occuper. Sauf que ouais, d'accord, mais comment ? Pas que les activités se faisaient rares mais bon... disons qu'un peu quand même, hm. Cela dit, il lui suffit de poser le regard sur son paquet de clopes pour qu'une petite ampoule quelque part dans l'arrière de son cerveau s'allume, clignotante, éblouissante, irrésistible. Fumer. Noté. Paquet de clopes en main. Chandail sur les épaules. Direction le balcon. Quelques minutes de marche lente lui suffit largement pour retrouver le fameux lieu. Lieu qui se trouvait déjà être occupé. Milan, étant déjà présent. Milan, qui jouait à l'équilibriste. Milan qu'elle regarda un instant avant de fixer l'horizon, une cigarette pincée entre ses lèvres, farfouillant dans sa poche, souhaitant y trouver son briquet. Ta gueule, l'envie à la con.

Il se passerait quoi si un candidat ou une candidate claquait en plein milieu de l'émission ? Sérieusement ? Genre ils déguiseraient le drame en faux départ arrangé ? Ils laisseraient la personne là, ne faisant rien, de peur que ce soit une fausse alerte ? Ou alors ils couperaient aussitôt les caméras genre lignes multicolores avec écrit "OFFLINE" et tout ? Plus son regard était attiré par le vide, plus Milan se posait la question. Sérieusement, il était curieux de savoir. Peut-être que la chanson pas trop joyeuse de Pink Floyd qu'il écoutait y était pour quelque chose, aussi. Il changea de morceau pour voir, même si ça le tuait de couper en plein milieu. C'était un truc qu'il ne supportait pas. Couper une chanson en plein milieu. Bref, le truc bizarre, c'est que Siomha restait là. Levant finalement un regard neutre vers elle, il l'observa un quart de seconde. Clope. Pas si bizarre que ça, finalement. Merde, il avait envie de tirer maintenant. En tout cas, comme il était tout de même sympa et tout, tout en continuant son numéro d'équilibriste, il sortit son propre briquet de sa poche et le lui lança avec adresse, le regard éloquent. Par chance, elle regardait dans sa direction, parce qu'il ne se sentait pas de la siffler ou un truc du genre. Elle aurait sans doute préférer mourir plutôt que d'accepter son briquet s'il l'avait sifflée. Ça aurait été drôle.

Qu'est-ce qu'elle en avait foutu, de ce briquet ? Elle était pourtant persuadée qu'il était quelque part dans une de ses poches. Non, elle ne perdait pas tout le temps son briquet, arrêtez de dire n'importe quoi. Cela lui arrivait de temps à autre, certes. Mais pas tout le temps. Merde. Voilà. Peut-être dans l'autre poche. Mais non. Oh, un briquet volait vers elle. Elle l'attrapa sans mal, puis leva les yeux vers Milan. « Merci. » Elle s'impressionnait parfois elle-même avec la politesse dont elle faisait preuve. Quoi qu'il en soit, sa clope allumée, elle alla s'asseoir sur un banc, déposant le briquet à côté d'elle. Puisque, à moins de vouloir faire basculer Milan en le lui envoyant maladroitement et faire en sorte qu'il s'écrase la face dans le jardin, elle faisait sans doute mieux de garder ce briquet là où il était. D'autant plus qu'elle avait la mauvaise habitude de piquer les affaires des autres, briquets inclus, alors si elle pouvait le lui taxer, à la rigueur, elle ne se ferait pas chier. Qu'importe. De la fumée glissait d'entre ses lèvres et se perdait dans l'air tandis que les prunelles de la blonde fixaient un point, devant elle, sans réellement le regarder, plus absorbée par ses propres pensées qu'autre chose. Mine de rien, c'était chiant de penser. Elle devrait arrêter de faire un truc pareil. Ça serait bien plus amusant si elle pouvait faire en sorte que son cerveau soit totalement incapable de produire la moindre pensée cohérente. Dommage, il n'y avait pas d'alcool dans le coin. Au moins, ça aurait aidé. Un peu. Soupir.

Parler? Pourquoi parler? Le monologue incessant des chanteurs dans son casque lui parlait plus que n'importe quelle personne au monde. Alors pas la peine d'ouvrir la bouche pour balancer des conneries à quelqu'un qui n'en avait d'ailleurs absolument rien à foutre. Haussant seulement les épaules à un "merci" qu'il devina sortir de ses lèvres sans l'entendre, il ne fit même pas attention au briquet qu'il lui avait envoyé. C'est bon, des briquets, il en avait d'autres. Il se baladait jamais sans en avoir au moins un dans sa poche. Sale habitude. Pratique, n'empêche. La preuve. Putain, ça tourne. Ça tourne, brusquement. S'arrêtant net dans ses allers et retours idiots, il se laissa pronto tomber de sa balustrade. Ça arrivait, des fois. Que ça tangue un peu. Faut dire que tourner en rond n'aidait pas. Pas qu'il avait une mauvaise santé, au contraire. J'sais pas. Bref, il inspira profondément, fourra une main dans sa poche et en sortit une clope qu'il cala précipitamment entre ses lèvres. Ah ouais. Briquet. Du coup, il tourna les talons vers Siomha et s'approcha pour choper son foutu briquet. Tirant fébrilement et avidement un coup sur sa sèche, il se laissa tomber en tailleur sur le sol du balcon. Pas très loin de la blonde, pas trop près non plus. Putain ce que c'était libérateur. Sérieux. Les non-fumeurs avaient beau critiquer cette merde, et c'était une putain de merde, fallait l'avoir, Milan ne s'en voulait pas de s'être laissé aller au vice, à la base parce que ça le stressait de ne rien avoir dans les mains. Si si. Freud disait que de ne pas fumer, c'était se priver d'un des plus grands plaisirs de la vie. Le blond était plutôt d'accord.

Clope. Pensées. Horizon. Mouais. Ce n'était pas certain que le tout soit un bon mélange. La clope, ça, si, c'était agréable. Pour ne pas dire indispensable. Le paysage, par contre... Ouais, c'était plaisant, à la rigueur mais elle pourrait faire sans. Par contre, les pensées, elle s'en passerait très clairement. Parfois, son simple esprit l'agaçait. La moindre chose qui passait par cet espace étrange qu'était son esprit suffisait à lui donner envie de ne plus jamais penser. Putain, qu'est-ce qu'elle pouvait penser trop. Trop mais sans vraiment le faire. C'était chiant en plus d'être étrange. Tss. La clope, elle devait se concentrer sur la cigarette. Ce qu'elle fit. Un petit moment. Puis son regard fut attiré par un mouvement non loin d'elle. Milan qui récupérait son bien. C'était légitime. Surtout s'il voulait s'en griller une. Il s'installa au sol. Et la blonde allait sans doute se haïr – plus qu'elle ne se haïssait déjà, ouais – pour ce qui allait suivre. Pourtant, il lui fallut environ une minute uniquement pour lier cette putain d'envie de merde et le fait qu'il y avait quelqu'un, là, à disposition. Ouais, que Milan était clairement à sa portée. Quelques secondes de plus. Elle tira une nouvelle fois sur sa cigarette. Encore quelques secondes. Puis elle se leva, allant s'asseoir à côté de lui et cerise sur le gâteau, posa sa tête sur son épaule. Ouais, comme ça. La clope entre les lèvres, le regard inexpressif, les genoux près de la poitrine. Il n'y avait rien à comprendre ou à supposer avec ce geste. C'était juste un geste, comme ça. Une envie soudaine. Ouais. Putain, que c'était con. Ça paraissait déjà con dans son esprit mais alors là... Putain, c'était vraiment super con.

Loin d'être naïf, Milan ne s'était pas assis où il s'était assis pour mieux pouvoir apprécier la compagnie de Siomha. Nan. Du tout. Il s'était assis là parce qu'elle se trouvait actuellement en possession de son briquet, et qu'il avait la flemme de retourner sur sa balustrade. Et qu'il ne le sentait pas. Vraiment pas. Après, l'un ou l'autre se barrait bien sans dire un mot. Sans doute elle. Peu importait. En attendant, il continuait à tirer sur sa sèche. Il ne se lasserait jamais de ses sèches, non. Comme toujours, presque toujours, lorsque clope rimait avec pensées lointaines sans début ni fin, il se laissait à souffler quelques ronds de fumée, petits, grands, imbriqués les uns dans les autres, machinalement, sans intérêt. Dans son champ de vision cependant, il la vit bouger, se lever et se poser juste à son côté. Hm. Lorsqu'il sentit sa tête se poser sur son épaule, s'il ne la repoussa ni ne poussa un hurlement de surprise, il fut un peu étonné, ne le montra pas pourtant. Il se contenta de pivoter légèrement le visage dans son sens pour l'observer un instant, réflexe idiot, avant de laisser basculer le dos de sa tête contre le bord du banc, fermant les yeux et tirant sur sa clope. Non, il ne la dégageait pas. Pourquoi l'aurait-il fait? Elle ne le dérangeait pas spécialement, et c'était sûrement la seule fois de sa vie où elle souhaitait autre chose de quelqu'un que son corps ou son absence totale. Et encore, souhaitait. Ça ne l'empêcha pas de rester silencieux. Il n'avait rien à dire, et elle ne voulait à coup sûr rien entendre dont elle n'ait choisit la teneur elle-même. Alors le silence, c'était tout aussi bien.

Siomha avait souvent des envies étranges et à vrai dire, elle ne s'en cachait pas. Elle faisait toujours tout ce qu'elle voulait, c'était bien clair. Si ça ne plaisait pas ? Elle s'en foutait. Alors on pourrait croire qu'elle pensait d'une telle façon que la seule personne qui importait était elle. Elle n'était pas si narcissique, mais elle supposait être libre de faire ce qu'elle souhaitait. Et que le regard des autres ne la dérangeait pas, quoi qu'il arrive. C'était ainsi. Et là, elle n'avait pas pu réfréner son envie. Oui, celle de déposer sa tête sur l'épaule de son camarade. Pourquoi ? Elle ne savait pas. Ou peut-être que la raison lui semblait absurde. Comme si elle avait besoin de se bercer de l'illusion, l'espace de quelques minutes, que quelqu'un dans ce monde ne la détestait pas. Au moins une personne. Le temps de trois minutes. Oui, disons cela. C'était sans doute con. Puisqu'elle n'avait jamais réellement eu ce besoin auparavant. Pourtant, là, maintenant... Quoiqu'il en soit, Milan ne bougea pas. Il ne la repoussa pas. Ne cria pas au scandale pour ce simple geste. Ne fit pas connaître un éventuel sentiment de surprise. Tant mieux. Elle n'avait pas attendu une réaction particulière, pour tout dire. Ce n'était pas à propos de lui, de toute façon. Ça aurait pu être n'importe qui d'autre que ça aurait été la même chose, sans doute. Peut-être pas, certes. Peut-être que ce geste semblait plus évident puisque leur relation avait toujours davantage porté sur le tactile qu'autre chose. Oui, forcément, ça serait encore plus étrange d'aller soudainement faire cela avec... Ruben ou Syssoï disons, pour n'en citer que deux. Peu importe. Elle n'esquissa pas non plus le moindre mouvement, restant ainsi encore un court instant. Juste quelques secondes de plus. Ou quelques minutes. Toujours la clope au bec avant d'expirer de la fumée. Toujours le regard perdu dans le vide. Avec juste cette illusion, un court instant durant.