J'comprends pas trop, j'comprends même rien du tout, je lui ai dit que j'avais rien vu parce que j'étais pas conscient et il me demande ce que j'ai vu. J'sais pas si c'est l'heure tardive ou bien l'alcool que j'ai ingurgité mais quoi qu'il en soit mon expression doit bien traduire le doute. D'ailleurs, avant de répondre j'déplace un pion puisque le problème c'est que j'sais pas bien ce que j'suis censé répondre. C'est sans doute un piège ou alors il n'a pas bien compris, j'sais pas. « Bah rien, je te l'ai dit, j'étais inconscient. » J'sais pas moi ça me semble logique pourtant, mais visiblement non. J'relève les yeux vers Syssoï. « Qu'est-ce que tu as dernière la tête ? » Il n'a peut être pensé à rien, peut être même que c'est une question comme une autre, j'en sais rien. J'ai de nouveau la gorge sèche donc j'attrape à nouveau la bouteille d'eau qui va finir par m'être inutile en cas de migraine impromptue.

Il n’était pas inconscient, il était mort, et d’après les différents témoignages que j’ai pu lire, il peut se passer plein de trucs durant ce laps de temps pendant lequel l’esprit sort du corps. J’hausse les épaules. « Je n’ai rien dernière la tête. Par contre, derrière la tête, hum... Rien non plus en fait. Je sais pas, j’ai lu des trucs, lorsque le corps meurt et que l’esprit reste... Pas forcément le tunnel et tout ça, mais une femme qui a fait un arrêt sur la table d’op, a été capable de retranscrire dans les moindres détails les gestes et les tenues des infirmières, elle prétend avoir plané au-dessus de son corps et suivi son sauvetage depuis le plafond... Des trucs comme ça, quoi... » Nouvel haussement d’épaules. Je maîtrise super bien le mouvement à force. Puis j’avance un pion. « Tu sais bien que je pense depuis le début à une EMI, alors tu dois bien te douter que mes questions y font références, en fait... » Et encore un petit haussement d’épaule. Bordel, j’ai des tocs ?

Il a l'air super renseigné sur le sujet en réalité, plus que moi visiblement. De toute façon ce n'est pas comme si je croyais à ces conneries de tunnel, d'esprit qui s'échappe du corps ou de fantôme. J'regarde le jeu un instant, oh putain, ma tour y a échappé belle, je la bouge avant qu'il ne remarque son erreur. « Pour être totalement honnête avec toi, je n'ai aucun souvenir de mon arrivée à l'hôpital, rien du tout, mes arrêts on me les a raconté, j'ignore totalement ce qui s'est passé. Je me souviens simplement être passé à travers la vitre de la voiture, avoir heurté violemment le sol, ma tête s'est mise à tourner, je n'arrivais plus à bouger, j'entendais les gens s'activer, crier autour de moi, j'ai vu la voiture où se trouvait mon ami prendre feu, les secours arriver au loin, mais je ne me rappelle pas d'avoir été pris en charge par les secours. On m'a raconté tout le reste, absolument tout, c'est le trou noir dans ma tête. » Et c'est particulièrement gênant, mais aussi rassurant, j'suis rassuré de ne jamais avoir été hanté par les souvenirs douloureux, le seul traumatisme qu'il me reste c'est la voiture en feu, qui est déjà pas mal d'ailleurs. Il soumet encore l'EMI, oh merde encore ? J'pensais qu'il avait changé de cap. « Oh, d'accord, et ça t'aide ou pas du tout ? » J'demande on sait jamais en faite.

Il me raconte son expérience, dans les détails, m’expliquant point par point ce qu’il a vu durant son état de semi-éveil, jusqu’à ce que les ténèbres l’emporte. Je lâche le jeu du regard pour l’écouter, parce que je sais que c’est quelque chose d’important, et j’imagine qu’il n’a pas du le confier souvent. Je comprends qu’il a perdu son ami, et que finalement, s’il n’était pas passé par le par brise, il serait mort lui aussi. Je me demande s’il avait bouclé sa ceinture, et si c’est son absence qui, ironiquement, lui a sauvé la vie… Mais je ne dis rien, je le laisse parler. Il me demande si ça m’aide ou pas. « Je ne sais pas. » Je lui réponds en toute honnêteté. « T’as beau avoir fait plusieurs arrêts, si tu n’as absolument rien vu, ça ne peut pas être considéré comme des EMI. Du coup, j’aurais tendance à revenir sur le coma, mais… Je sais pas. » J’avance un pion. « Tu crois que le coma c’est un secret digne de toi ? » je lui demande en relevant les yeux sur lui.

Je crois que je n'ai jamais parlé de ça à personne, aucun ami, ni même à un membre de ma famille. Ma sœur je pense que j'aurais pu lui dire mais elle a suffisamment souffert de ce moment pour lui en parler davantage. Plus tard peut être bien que de toute évidence elle le decouvrira par elle même en découvrant les images de cette confrontation. C'est mon psy qui va être content de voir que j'aborde enfin cet accident dans les détails. Ou presque puisqu'il est évident qu'il reste une zone d'ombre et pas des moindre. Celle qui concerne mon secret. Les traits de mon visage se détendent légèrement lorsqu'il avoue que l'EMI ne pourrait pas être mon secret. « Cest ce que je me tue à te dire depuis un moment. » J'en profite pour déplacer un pion un peu au hasard sur l'échiquier. La suite me fait sourire davantage encore. « Ce n'est pas vraiment à moi de te répondre tu devrais plutôt poser la question à Cupidon. » Évidemment qu'il ne va pas lui répondre le petit ange ou alors c'est qu'il sera trop tard. « Cela dit peut être que c'est trop simple, je suis d'accord. » Nouveau sourire bien plus grand cette fois. Il ne va rien comprendre ou pire sûrement croire que je me fous littéralement de sa tronche. C'est loin d'être mon intention.

Et me revoilà à la case départ, à croire qu’elle me convient bien, cette case. Il vient d’anéantir totalement ma théorie de l’expérience de mort imminente, et ma réflexion concernant le coma le fait sourire. Oui, moi j’estime que ce secret est bien trop léger à la lumière de son accident, de la violence physique et psychologique de son accident. Bien sûr on a eu le droit à un paquet de secrets bidons, comme celui de Sonny, pour ne citer que lui, mais Connor n’est pas de ce style. Je peux me tromper, mais je me rappelle qu’il m’a dit que son secret changerait certainement la perception que les gens avaient de lui. Un simple coma n’a pas ce pouvoir. « Est-ce que tu estimes que je devrais me pencher plus attentivement sur le traumatisme crânien, ou bien que je devrais m’en tenir au coma ? » je demande, l’air de rien, limite en sifflotant, tandis que je lui prends un pion et le range sur le côté du jeu.

On est revenu sur les questions auxquelles je ne peux pas répondre, j'imagine qu'il espère toujours sauf que je n'ai aucune intention de lui dire quoi que ce soit. J'ai le sentiment de l'avoir plus aidé que n'importe qui. C'est pas censé être le but, mais je me dis que quitte à sauver cette argent et en profiter il vaudrait mieux qu'il en bénéficie plutôt que moi. Bref, je souris toujours alors que je le vois me chiper un pion. Merde. Enfin ça ne m'étonne pas, je ne suis plus vraiment la partie, de toute façon j'suis nul. Je lève les yeux du plateau une secret et croise son regard. J'reste silencieux quelques minutes, avant de finalement prendre la parole, retrouvant ce sourire qui s'était installer sur mes lèvres quelques minutes plus tôt. « Je ne sais pas, tu disais que le coma était trop simple, tu devrais peut être songer à autre chose non ? » C'est ce qui semble plus logique en tout cas, si on suit son raisonnement du moins. D'ailleurs c'est marrant, je me demande ce qu'il peut avoir derrière la tête à ce sujet.

J’ai l’impression d’avoir le cerveau baignant dans du formol, anesthésié aussi bien de l’hémisphère droit que du gauche. Ça ne me ressemble pas. Je ne sais pas si c’est lié au secret particulier de Connor, ou bien si c’est juste la fin de l’aventure qui m’épuise physiquement et psychologiquement. J’ai l’impression de devoir gérer trop de truc en même temps, et ne plus parvenir à me concentrer comme il se doit sur une chose en particulier. Et la frustration est à son comble lorsque je sais que j’y suis presque, que je touche du doigt la solution du problème, tout en butant encore et encore dans des murs dont j’ignorais l’existence quelques secondes auparavant. La réponse de Connor ne m’aide pas. Elle tend à prouver que je devrais me concentrer sur un trauma crânien. Sauf que je ne juge pas ça moins simple que le coma en lui-même. Moore aussi a subi un T.C, elle aussi elle se considère comme une miraculée. « Sauf que je ne vois pas, Connor... » Je finis par lâcher dans un soupir de frustration. « Finalement, je crois que cette confrontation était une erreur. Je ne suis pas médecin, j’ai pas le Gray’s dans le crâne, et mis à part supposer que tu es sortit d’un coma prolongé duquel personne ne t’attendait plus, je ne peux pas creuser plus que ça. » Je lâche un nouveau soupir en récupérant sa bouteille d’eau pour m’en offrir une gorgée. Finalement, c’est peut être moi qui vais me chopper une migraine.

Cette confrontation était une erreur, en effet, j'suis plutôt d'accord aussi. J'peux pas parler, et lui n'a pas la science infuse, il me pose des questions auxquelles je ne peux pas répondre et on tourne en rond. C'est aussi simple que cela. Enfin presque. « Elle n'était pas si inutile, tu as écartes l'une des deux hypothèses sur lesquelles tu doutais. J'suppose que j'peux te laisser en tête à tête avec Cupidon maintenant ? » J'récupère le tube contenant mes pilules, et le fourre dans ma poche de veste, j'cherche mes clopes sauf que je les ai laissé sur le balcon, merde c'est vrai, je soupire. Putain, c'est fou ce que le psychique a un rôle important là dessus. Bref, tant pis, j'attends juste le signal de Syssoï pour sortir de la pièce pour retrouver mon bien et accessoirement la petite brune qui doit s'impatienter. J'ai tendance à perdre la notion du temps ici, si bien que j'sais pas du tout si on est là depuis longtemps ou non.

Pas si inutile ? J’arrive pas à m’ôter de l’esprit que si son secret avait été le coma, Cupidon aurait validé lors de la précédente révélation, au moins un peu... Non ? Bof, j’en sais rien. Je l’observe récupérer ses cachets et le reste, et je réalise, après un moment de flottement, qu’il s’apprête à quitter la confront. Ha ? Ha bah oui, en même temps je viens de lui dire que cette dernière était une erreur, il a raison de vouloir y mettre fin. Cela dit, il semble attendre ma permission. Il attend vraiment là ? Ha bah oui. Je hoche la tête pour lui signifier qu’il peut y aller, et je repose ma joue sur mon poing fermé. « On se voit plus tard... » Ouai, ou demain, hein, vu l’heure. J’attends qu’il sorte, puis j’avance un mon fou mettant son roi en échec. Pas mat, juste échec.