W/ ELISE.

Promenons-nous dans les bois, pendant qu'le loup n'y est pas. C'est le seul truc qui me vient à l'esprit, là, tout de suite. Ma maturité et ma virilité en prennent un coup. Sérieusement. Ça fait un peu mal à l'ego. Enfin, au moins, je peux me dire que j'sens pas une once de trouille s'immiscer vicieusement dans mon esprit à la vue de la forêt qui borde le domaine. J'ai jamais eu vraiment peur de ce genre de sale recoins, les forêts, les terrains vagues, les endroits bizarres, tout ça. j'suis un peu le Mimi-Siku des temps modernes. Faut dire que quand j'étais gosse, j'allais souvent passer des week ends entiers chez mon pépé à Spa, où je passais mes journées à faire du VTT le long des rivières et dans les forêts et les petites routes qui font peur. Le noir, je savais l'affronter. La forêt aussi. Et cette forêt-là, elle m'intéressait. Ouais, elle me fascinait un peu. On aurait dit la frontière entre le monde tout beau, tout parfait, de Fake Lover, et les Enfers. Alors j'avais décidé, un soir, d'aller me promener. Pourquoi un soir, j'sais pas. C'était peut-être pas l'idée la plus intelligente, de se balader dans ce décors de films d'horreur le soir, mais bon, je m'en fous. C'est pas comme s'ils avaient caché des serial killers derrière les arbres ou au détour d'une fougère. Au pire, ça plomberait bien leur émission à la con, et bien fait pour leur gueule, ça leur apprendrait à me laisser crever tout seul en forêt, et puis ils seraient obligés de dédommager mes parents, et ils pourraient s'offrir cette vie dont ils rêvent et que j'ai toujours rejetée. La vie de petits bourgeois. Personnellement, je me voyais plus dans un mode de vie à la Into the Wild, vous voyez. À ne me préoccuper que de moi, comment survivre, et pas à faire gaffe à ne pas me faire voler, ou à m'inquiéter de si j'ai bien payé mes factures à temps. Vivre dans une grotte au fond d'une forêt, ça pourrait être cool. Ouais, cool. Et on en revient à cette forêt. Cette foutue forêt. Et les bruits bizarres qui y résonnent. Du coup, j'avais le casque de mon iPod sur les oreilles, les mains fourrées dans les poches, et je chillais en faisant juste gaffe de pas me prendre une racine et m'étaler de tout mon long. Ça aurait été bien pitoyable. Et pourtant, même en étant vigilant et tout, d'un coup, sans que je comprenne ce que se passe, je me retrouve au sol. Eh oh. Putain ? « Ah ! Attends ! Putain ! Aïe ! » Bon, si j'ai bien compris, j'ai pas vu arriver une gosse qui se pointait en sens inverse, parce que oui, voilà, on est plusieurs à keaffer jouer avec notre vie en allant se jeter dans la gueule du loup quand il fait noir, et de son côté, elle ne m'a pas capté non plus. Du coup, boum ! Elle devait avoir un équilibre précaire, parce que je suis pas du genre à tomber au moindre effleurement, d'habitude. Le fait est que là, je me retrouve à moitié affalé sur elle, le casque arraché et tout. « Bon, j'ai pris mon pied comme jamais, je t'adore et tout, mais là, va falloir se dire adieu. » J'dis ça, en plaisantant certes, mais c'est à moi de me bouger, ce que je fais, d'ailleurs, parce que rester là, à l'écraser à moitié pendant toute la nuit, c'était pas top.

C'était une bien une candidate. Je parviens mieux à la voir une fois bien sur mes pattes. C'est... Ah mais c'est la meuf des toilettes ! ... Je crois. Pas celle qui était en train de se vider hein, l'autre, qui s'est pointée après. Si, c'était elle, j'en étais quasiment certain. Enfin, de toute façon, je m'en fous, c'est pas comme si on avait échangé deux mots ce jour-là. Le seul truc qui m'importait là, c'était que je l'avais sans doute à moitié tuée, et qu'elle... chialait ? Ouais, qu'elle chialait. C'était quand même pas à cause de moi ? J'veux dire, je fais si mal que ça ? Parait que cette émission fait grossir, mais on est quand même qu'au quatrième jour. En désignant son visage trempé de larmes et à présent dégueulasses de mousse et de boue et de tout ce qui traîne dans les forêts, elle me donne l'explication. Plus ou moins Surplus d'émotions hein. Ah bon. « Je me disais aussi que ça ne pouvait pas être dû à ma seule présence » que je réponds avec un sourire. Pas un sourire moqueur ni amusé ni rien. Tout de même, je ne suis pas insensible à ce point-là. Avec un peu de chance, elle ne le prendrait pas trop mal. Je ne suis pas là pour l'enfoncer, moi. C'est juste que me morfondre et me laisser aller comme ça, c'est pas trop mon truc. Sans aller jusqu'à dire que je suis un insensible chronique, oui, j'avoue qu'il y a peu de place pour le chagrin et toutes ces conneries dans mon existence quotidienne. J'aime pas me morfondre, et puis j'en vois pas l'intérêt, c'est tout. Des couilles, il en arrive à tout le monde. Alors tu relèves la tête, et tu te démerdes comme tu peux pour arranger comme il faut les choses. Et au pire, on s'en fout. Rien n'a de conséquences dans ce monde de fou, de toute façon. « Désolé. Ça va ? » je la regarde néanmoins, vaguement inquiet. J'ai pas envie qu'elle aille se pendre à une branche, moi. C'était peut-être rien, mais je ne pouvais pas décemment lui faire "allez, ciao !" et me casser en la laissant pleurer là, toute seule, dans le noir, en pleine forêt. Je suis pas un connard non plus.