Nora

Pourrait-on m'expliquer ce qui justifiait le fait que je me trouve d'un coup fort malchanceux ? Non parce que cette semaine, j'avais véritablement eu l'impression d'enchainer les gaffes et les conneries, mais alors là c'était la goutte d'eau qui faisait déborder l'étang quoi. En effet, quelques minutes plus tôt, tandis que je descendais les marches du grand escalier dans l'idée de faire un petit tour du côté du cellier, je me mis à rater tout bonnement l'une d'elle. C'est con, hein ? Ah oui ça l'est. Surtout que la fameuse marche se voulait être la deuxième... en partant du haut. Autant dire que dans un escalier en marbre, ça n'était vraiment pas la marche à rater. Et pourtant je l'avais fait - moi, Andreas, un peu trop étourdi et dans la lune parfois. La chute avait été à la hauteur de la marche : conséquente. Je ne fis que descendre le reste des escaliers sur les genoux, les mains écarquillées et les bras tendues droit devant moi et avec cette frayeur de ne basculer brutalement en avant et de ne me rapper le menton sur toute la descente. Je finis par être amorti par le coin des escaliers et le mur qui se trouvait alors devant moi - non sans violence, néanmoins. Car l'atterrissage ne s'était pas fait en douceur, loin de là. La joue écrasée contre le mur, je finis par me relever et frotter mon jean comme si de rien n'était. Hélas pour moi, quelqu'un avait tout vu. Oui, une jeune femme se trouvait juste en face et semblait avoir assisté à toute la scène. Putain de merde, 'manquait plus qu'elle aille raconter à tout le monde que je m'étais viandé et j'étais un homme fini. J'avançai vers elle en arborant un regard qui aurait normalement du lui glacer le sang. Et dans un murmure, je finis par lâcher « Tu-n'as-rien-vu. Pigé ? » Moi, menaçant ? Mais je n'oserais jamais ! Pas avec une si jolie demoiselle. Toutefois elle restait un témoin gênant dans cette histoire. À éliminer, probablement. Sauf si elle parvenait à se montrer convaincante. Auquel cas je pouvais peut-être envisager l'idée de l'épargner.

Rater la marche et se viander dans les escaliers telle une escalope de dinde jetée sur la poêle. Un vrai classique. Du moins pour celles et ceux qui auraient l'habitude d'exécuter comme là, des cascades à-tout-va. Ça n'était pas mon cas, voilà pourquoi je ne l'avais vraiment pas vue arriver, cette foutue chute de merde. D'ailleurs, comment cela pouvait-il être possible de louper une marche, comme je venais de le faire ? Je n'avais qu'à foutre mon pied sur celle-ci, et voilà. Mais non, ce dernier avait décidé de riper, visiblement de mauvaise humeur. Bah bravo, maintenant je l'étais aussi. Enfin... je l'étais déjà quelque peu avant de descendre, alors imaginez ce qu'il en était désormais. J'aurais pu faire comme si rien ne s'était passé, rester humble et digne face à cette situation embarrassante, seulement il s'avéra que quelqu'un avait été témoin de cette scène. Un témoin, c'est toujours gênant car il y a toujours le fait qu'il puisse être amené à parler qu'il faut prendre en compte. La demoiselle avait beau être fort mignonne, je n'étais pas dupe face à ce visage angélique. Au contraire, je m'en méfiais encore plus. Quitte à usurper l'identité du célèbre psychopathe du château - dont nous tairons le nom - le temps d'un instant, je lui avais clairement fait comprendre que le mieux qu'elle avait à faire était de se taire. « Si-non-quoi » Okay, ça n'était pas vraiment la réaction que j'attendais. Visiblement elle ne me prenait pas au sérieux - très regrettable, vraiment. « Sinon j'te bouffe. » Bon allez, ça suffit, après on allait me buzzer comme étant le frère spirituel du grand black. Merci hein, sans façon. « Mais entre nous, tu garderas ce que tu as vu pour toi car tu es une gentille fille. Pas vrai ? » J'arborais un sourire fort hypocrite et sans doute peu convaincant. Je devais quand même veiller à ne pas la pousser à raconter tout ça aux autres. Auquel cas j'aurais eu double peine ce soir. Une humiliation était amplement suffisante. Cette chute, aussi impressionnante avait-elle été, venait d'être vue par des millions de téléspectateurs. Qu'on laisse ma fierté intacte, merci.

Entre nous, elle avait une bonne bouille et n'avait pas la moindre raison d'aller tout balancer aux autres candidats. Non, je persistais à penser qu'elle n'allait pas faire une telle bêtise, et qu'elle réaliserait que ça n'était clairement pas la chose à faire à un type comme moi. Qu'on se le dise, même si pour le moment je tentais surtout de rester humble face aux caméras après ma chute mémorable quelques instants plus tôt dans l'escalier derrière moi, je pouvais me montrer dangereux quand la situation s'y prêtait. Mais non, au fond, elle n'en ferait rien. Pourquoi ? Et bien, parce qu'elle savait que c'était encore la meilleure chose qu'elle pourrait faire - rien du tout. « Je suis une gentille fille, oui » Je n'en avais pas douté une seule seconde. Enfin, à un moment peut-être un peu. Je pensais mes ennuis disparus et pouvoir désormais me diriger vers le cellier comme c'était prévu au départ... mais c'était sans compter sur la riposte de la jeune femme. « ...mais je ne me laisse pas avoir si facilement » Ah. Je me disais aussi, c'était trop beau. Alors, à quoi est-ce que j'allais avoir droit maintenant ? J'affichai un regard perplexe, intrigué. « Dis moi, qu’es-tu prêt à faire pour éviter un scandale ? » Si elle savait... pour protéger ma dignité, j'étais capable d'absolument tout. Ma fierté d'homme, j'y tenais voyez-vous. « Et bien... » je fis un pas ou deux en sa direction avant de ne me retrouver à quelques centimètres seulement d'elle. « ... j'crois que j'suis prêt à faire n'importe quoi. » Peut-être n'était-ce qu'un jeu pour elle, seulement je prenais tout cela bien au sérieux. Et oui, ma situation était compromettante et je ne voulais pas contrarier la belle. Des fois qu'elle soit tentée de partir en courant pour jouer les ragoteuses...

« Eh bah… » Le fait que j'eus été prêt à tout pour que cet incident fort regrettable ne fasse pas le tour du château pouvait sans doute facilement se concevoir. Il fallait dire aussi que je prêtais beaucoup d'importance à mon apparence et à l'image que je pouvais renvoyer. Alors je ne pouvais m'imaginer que mes camarades puissent être avertis du fait que je m'étais lamentable viandé dans les escaliers cet après-midi. Je pensais pouvoir compter sur le silence de la jeune femme, mais cela ne se ferait sans doute pas sans condition. Eh oui, ça aurait été trop beau. « J’en prend note… » Je commençais à craindre les prochaines paroles de la demoiselle. Allez savoir quelle idée farfelue elle allait avoir, soudainement... « Et ne va surtout pas t’imaginer des trucs libidineux ou tordus, c’est très peu mon genre. » Oh bah pour le coup, j'en étais presque déçu dites donc. Tant pis hein, quoi qu'elle puisse m'énoncer je saurais m'en accommoder. « Oh alors là vraiment, c'est tellement pas mon genre à moi non plus... » Ouais, et mon cul c'est du cochon ? On avait certainement vu plus crédible, dans le genre. « Je pourrais bien d’escroquer d’une cagnotte remplie et encore intacte » Oui alors là y'avait clairement pas moyen. Parce que le fric, bah c'était tout pour moi. Heureusement elle sembla plaisanter - oui, j'avais un p'tit peu eu la frousse, quand même. Parce que j'avais bien affirmé être prêt à tout. À absolument tout. « Tu as de la chance que je sois nominée » rétorqua-t-elle alors. Certes, et je trouvais ça fort dommage. C'était l'autre vieux bouc qui l'avait tirée vers le bas, cherchez plus. Cette nomination, elle la devait principalement à son trentenaire de partenaire. « Ou alors d'un indice sur ton précieux...mais je pourrais me faire avoir » En effet, j'étais du genre joueur et donc il n'était jamais dit que je ne tenterais pas de mener la demoiselle sur une fausse piste pour préserver mon secret. Pour celui-là aussi, j'étais prêt à tout. Après quelques minutes de réflexion, la jeune femme finit par me demander mon avis. « Une idée peut être ? » Bah forcément, si elle me demandait ce que j'avais dans l'idée de m'infliger à moi-même, ce serait tout de suite plus... agréable. « On a qu'à dire qu'en gardant le silence tu... remportes un accès à mes lèvres. » J'avais été assez clair, non ? « Un baiser, un long et tendre baiser de ma part. Ça vaut bien tous les secrets du monde, ça, t'es pas d'accord ? » Des filles tueraient pour se retrouver suspendues à ces lèvres. À elle, ou non, de saisir sa chance.

J'attendais que la demoiselle daigne me dire ce qu'il me faudrait faire pour que celle-ci accepte de garder le silence concernant ce malheureux incident. Seulement, n'ayant visiblement aucune idée, elle me convia à l'aider et à lui en trouver une. Ma foi, ça ne fut pas bien compliqué. Directement, j'avais pensé qu'un baiser de ma part aurait pu lui plaire. Mais le rire qu'elle eut presque aussitôt après que j'eus énoncé la chose me fit immédiatement penser le contraire. « Hm, mais qui te dit que j’en ai envie ? » Franchement, elle ne savait pas à quoi elle renonçait là. Un baiser de ma part, non mais enfin, ça ne se refusait pas ça ! Elle n'était peut-être pas bien maligne, en fin de compte. N'importe qui aurait sauté sur l'occas' mais pas elle. Quel gâchis. Je perdais clairement mon temps, là. Cette jeune fille osait me dire non - d'accord, j'allais m'en remettre malgré tout. Et puis, étrangement, elle n'était pas la première ici. Non, depuis mon arrivée, quelques candidates s'étaient comme qui dirait passé le mot et j'avais essuyé quelques refus avant celui-ci. Toutes aveugles, toutes inconscientes, toutes idiotes. Il fallait forcément l'être pour dire non à un type dans mon genre. Allez, j'en verrais forcément d'autres vu que toutes ces jeunes femmes n'étaient que des chieuses. « Tu sais pas c'que tu rates. M'enfin. » Je fis quelques pas de plus, tournant quelque peu autour d'elle avant de rétorquer « Je n'ai pas d'autre idée. Alors tant pis. » Peut-être allais-je pouvoir regagner le cellier, désormais ? Non parce que j'étais un peu descendu pour ça, aussi, quoi. « Tu peux bien tout leur dire, en fin d'compte. Ça m'est égal. » lançais-je finalement, en prenant presque un air hautain. Là, j'étais juste vachement blessé dans mon orgueil et mon égo venait d'en prendre un sacré coup. « Je te laisse, donc. » Et puis au pire, si l'idée lui venait de réellement tout balancer, qui la croirait ? Andreas se cassant la gueule dans les escaliers, non... ça n'était pas bien crédible. Un mec parfait ne se viandait pas de la sorte, ça n'était pas imaginable. Je préférais en effet croire que si la jeune femme décidait de tout dire, personne n'en croirait un traitre mot ou tout simplement personne n'y prêterait attention. Après tout, je ne voyais pas ce qu'il y avait de bien extraordinaire à chuter comme je venais de le faire. Bref. Je partis en direction du cellier, la tête haute et la conscience tranquille. Rien ne pouvait me perturber ni me préoccuper, désormais.

sujet terminé pour Andreas.