Elise

Il en était ainsi : ce lieu était encore mon favori parmi tous ceux dont ce château regorgeait. Je m'y sentais bien, et le fait de pouvoir épier mes camarades dans des situations parfois fort compromettantes me mettait en joie. Littéralement. Alors oui, d'accord, c'était sans doute mon côté malsain et voyeur qui ressortait, mais il fallait me comprendre aussi : des dizaines et des dizaines d'écrans ; des candidats sous toutes les coutures ; des choses que je n'aurais jamais été amené à voir sans m'être trouvé ici. Non vraiment, je vénérais le type qui avait soumis cette idée que de bâtir une salle de vidéo-surveillance dans l'enceinte de ce château. Un vrai génie ce mec. Bon, il n'y avait pas de son, mais les images suffisaient amplement. Tandis que je m'étais confortablement installé en face des divers écrans, prêt à espionner un à un mes camarades, une jeune femme que j'avais déjà remarqué depuis quelques jours fit son entrée dans la salle. Une belle et grande blonde, élancée comme je les aimais. La chaudasse de ces lieux, parait-il. Eh oh, c'était les bruits qui le prétendaient - j'attendais de pouvoir me faire ma propre opinion sur le sujet. La jeune femme rentrée, sans doute dans l'espoir de se rincer l'œil elle aussi, je la conviai à se joindre à moi histoire de profiter du spectacle. « 'Parait que t'as pas froid aux yeux, toi. Il s'trouve que moi non plus. » Pas froid aux yeux, se rincer l'œil... vous saisissez le truc ? Hum. Très honnêtement, je doutais de pouvoir dénicher quelques scènes franchement croustillantes ce soir - surtout que mes camarades savaient que je passais le plus clair de mon temps ici, alors ils se tenaient tous à carreaux lorsqu'ils constataient que je n'étais pas auprès d'eux. Peut-être aurions-nous, la demoiselle et moi, l'occasion d'apprendre à nous connaitre, d'échanger... et plus si affinités. Cette salle était sombre et isolée. Nous étions vraiment tous seuls. Imaginez un peu toutes ces choses qu'il était possible d'y faire...

S'il y a bien une pièce qu'il me hâte de découvrir au sein de ce château, c'est bien la salle de vidéo-surveillance. J'en ai tellement entendu parler durant le prime. Parait-il même que c'est depuis cette pièce que certains candidats en sont venu à épier leurs semblables. Par semblables, j'entends bien évidemment nous, autres candidats. Et ça vous étonne, vous, après ça, que j'aie une envie pas possible d'y mettre les pieds ? C'est ce que je fais, là, d'ailleurs. Tandis que je fais grincer la porte pour découvrir les lieux, je constate la présence d'un étrange personnage. Oui, étrange personnage, c'est le terme adéquat. Andreas, me semble-t-il qu'on l'appelle. Je me souviens de son arrivée au château. Pour le moins remarquable, le mignon. « 'Parait que t'as pas froid aux yeux, toi. Il s'trouve que moi non plus. » Je suppose qu'il fait allusion à ce qui a été dit de moi au prime. Je franchis le seuil de la porte et referme cette dernière derrière moi. « Il faut pas se fier à ce qui se dit autour de nous. », dis-je en m'approchant de lui. « Elise. » Il est peut-être inutile de me présenter, en fait. « Mais tu dois déjà le savoir. », renchéris-je. C'est pas comme si mon nom n'avait pas été évoqué durant le prime. « Herr Andreas, je suppose ? », dis-je en le pointant du doigt. Il me semble avoir compris qu'il avait un penchant pour la langue de Beethoven. A moins que ce ne soit pas lui. Faut dire que y en a pas mal, cette année, qui se sont trouvé une lubie dans la langue germanique.

Les rumeurs, toujours les rumeurs... On dit qu'il ne faut jamais en prendre compte, et pourtant elles nous en apprennent de ces choses. La demoiselle qui venait d'entrer dans la salle, par exemple, j'en avais entendu des vertes et des pas mûres la concernant. Je savais notamment qu'elle était du genre chaude comme la braise ; tout ce qui me plaisait chez une fille. « Il faut pas se fier à ce qui se dit autour de nous. » À ses mots, elles fit quelques pas vers moi. Mince alors, une si belle demoiselle... j'en avais presque du mal à me concentrer sur les écrans, en face de moi. Non, mes yeux se voulaient rivés sur elle, et quelques unes des parties de son corps qui avaient tendance à beaucoup plaire aux hommes... À moi, en particulier. « Elise. » Ah voilà, j'avais eu comme un doute mais désormais je pouvais mettre un nom sur une bombe anatomique. « Mais tu dois déjà le savoir. » Il m'avait en effet semblé entendre son nom à plusieurs reprises, dans le château comme sur le plateau, lors du prime. « Disons qu'j'le savais mais que j'attendais confirmation. Avec tous ces prénoms à retenir... » Une trentaine, si ce n'est plus. Elise, donc, connaissait en tout cas le mien de prénom. « Herr Andreas, je suppose ? » J'en eu le sourire aux lèvres. Elle savait mon nom, et visiblement de quel pays je venais. Bien, très bien. « Ja. Andreas, le seul, l'unique. » "Monsieur Andreas", ça m'allait tout autant. « Tu venais... jouer les voyeuses ? » lui demandais-je, en arborant un regard malicieux. C'était mon cas, personnellement, et ne risquais pas de m'en cacher. Cette salle était vraiment l'endroit rêvé pour ça - j'attendais d'ailleurs que quelque chose de croustillant n'advienne d'une minute à l'autre... sur les écrans, ou ici, entre nous. À voir.

Alors que mes yeux font le tour de la pièce, le bellâtre vient confirmer mes soupçons. Mon identité ne lui était donc pas totalement inconnue. Il avoue tout de même avoir oscillé un instant. Mais c'est compréhensible. Il faut dire qu'avec tous les candidats présents dans la maison, même moi, pourtant dotée d'une mémoire d'éléphant, j'en arrive à me perdre avec les différents prénoms. Surtout que certains n'ont pas eu des parents très compatissants. Je pense notamment à cette fille dont le prénom signifie « cygne » en une toute autre langue. « Ja. Andreas, le seul, l'unique. » Je ne me suis donc pas trompée. Sa remarque m'arrache un sourire. Je pense que le personnage va me plaire. Rassurez-moi, il est bien entré dans la peau d'un personnage, non ? Ah c'est sa vraie nature, vous dites ? « Intéressant. Ich habe Deutsch in der Schule gelernt. Vielleicht könntest du mir diese Sprache beibringen ? » J'ignore le nombre de fautes grammaticales que j'ai pu commettre, mais peu importe. Je n'ai jamais porté cette langue dans mon cœur. Il faut dire qu'entre toutes ces déclinaisons, il y a de quoi perdre la tête. Der, die, das, den, dem et j'en passe.. « Exact. Je venais jouer les voyeuses. », lui répondis-je en m'approchant encore plus près de lui. « Après tout, certains n'ont pas eu de mal à jouer les voyeurs lorsque nous étions ceux qui se trouvaient derrière les caméras. » Car il me semble que le nom de mon interlocuteur a également été cité à plusieurs reprises durant le prime. « On peut bien se le permettre, non ? », renchéris-je en m'asseyant tout près de lui. « Avec un peu de chance, on dégotera peut-être quelques scènes intéressantes. » S'il voit où je veux en venir.

« Intéressant. Ich habe Deutsch in der Schule gelernt. Vielleicht könntest du mir diese Sprache beibringen ? » Si l'on pouvait clairement souligner quelques erreurs de syntaxe dans ses paroles, la demoiselle avait au moins le mérite de s'être aventurée dans une langue qu'elle disait avoir apprise à l'école mais qu'elle ne semblait pas encore parler tout à fait correctement. Heureusement qu'Andreas, tout droit sorti de son Allemagne natale, lui ferait le plaisir de combler ses lacunes. « Natürlich. Ich werde dir Kurse geben, wenn Bedürfnis. » Pour ceux dont l'allemand serait un souvenir loutain ou une langue tout à fait inconnue, il fallait comprendre là que je me proposais de lui donner des cours, si elle en ressentait le besoin. Après tout, pourquoi ne pas partager mon savoir ? J'avais ensuite supposé que la grande blonde s'était rendue dans cette salle pour s'y rincer l'œil. « Exact. Je venais jouer les voyeuses. » Oh la coquine. « Après tout, certains n'ont pas eu de mal à jouer les voyeurs lorsque nous étions ceux qui se trouvaient derrière les caméras. » Alors là, vraiment, je ne voyais pas du tout à quoi la jeune femme voulait faire allusion... « Oh, c'est pas vrai !? Ces candidats, vraiment ! » J'avais moi aussi eu l'occasion de me rincer l'œil la semaine passée, mais je préférais encore jouer les innocents. « On peut bien se le permettre, non ? » fit-elle alors, en s'asseyant auprès de moi. « Avec un peu de chance, on dégotera peut-être quelques scènes intéressantes. » Oui, nous pouvions toujours y croire et l'espérer. « Je n'attends que ça. Seulement... c'est un peu le calme plat, à cette heure-ci » répondis-je, en faisant mine d'être déçu. Et pour cause, certains bouffaient encore à neuf heures du soir. Merde quoi, on voulait en avoir plein la vue nous !

« Natürlich. Ich werde dir Kurse geben, wenn Bedürfnis. » J'ai beau avoir étudié cette langue durant des années, je suis encore loin du niveau de mon camarade. Il faut dire que les langues, ça n'a jamais été mon fort. J'ai déjà du mal avec le suédois que maîtrise parfaitement ma mère, alors si en plus de cela je dois me débrouiller en allemand, on est pas sorti de l'auberge. Et puis l'anglais et le français, c'est déjà pas mal pour une vie, non ? Je me rattraperai dans mes vies futures, si tant soit peu que j'en aie. Chose qui m'étonnerait fortement. « Entschuldigung, ich habe nicht alles verstanden. » Mon accent est déplorable. Je pense que tout Allemand qui se respecte doit être en train de grincer des dents au moment présent. J'aurais au moins tenté. Ainsi, Andreas me questionne, indirectement, sur le pourquoi de ma présence ici. Ce à quoi je viens confirmer, comme il l'a si bien souligné, que je viens simplement jouer les voyeuses. J'en profite d'ailleurs pour évoquer le fait que d'autres se le sont permis avant moi et que, donc, par ce fait, j'ai toutes les raisons du monde d'en faire de même. « Oh, c'est pas vrai !? Ces candidats, vraiment ! » Je reste bouche-bée un instant. J'ai, cependant, les yeux rieurs. Alors comme ça, monsieur ne joue pas les voyeurs pour la première fois ? Du moins c'est la conclusion que j'ai faite au compte tenu de son intonation. « Ah ben bravo, Fraulein. C'est pas bien beau d'espionner ses camarades. », dis-je en lui donnant une petite tape sur l'épaule. J'ajoute également que nous pouvons nous permettre ce comportement et qu'avec un peu de chance nous pourrions dénicher de belles scènes. Ce à quoi il rétorque qu'il est du même avis mais que nos camarades ont décidé d'être d'un tel ennui, aujourd'hui. « C'est pas notre jour, alors. » Perspicace, je sais. « Tu sais ce qui est excitant dans le fait d'être ici ? C'est de savoir que les autres n'ont aucune idée de ce que nous faisons, en ce moment. »

« Entschuldigung, ich habe nicht alles verstanden. » Cela pouvait complètement se concevoir - qu'elle n'ait pas tout compris - car contrairement à moi elle ne maîtrisait pas franchement cette langue dont beaucoup soulignaient la complexité et la difficulté. « Keine Sorgen » répondis-je, en esquissant un sourire. Je ne pouvais pas lui en vouloir de ne pas me comprendre, et d'avoir un accent absolument pourri. Elle avait des bases, c'était déjà pas mal. Beaucoup de candidats ici ne pouvaient pas en dire autant, car pour eux l'allemand n'était rien de plus qu'une langue venue d'une autre planète. On disait même de l'allemand qu'il s'agissait d'une langue vomitive. Ce qu'il ne fallait pas entendre ! C'était juste la plus belle langue du monde, du moins à mes yeux. Bref. La grande blonde venait en tant que voyeuse et il se trouve que c'était aussi mon cas. D'ailleurs, j'avais joué les outrés lorsque celle-ci avait rappelé le fait que d'autres candidats s'étaient aussi permis de se rincer l'oeil lorsque nous avions été visibles de par ces écrans, en tant qu'acteurs et non plus en tant que spectateurs. Seulement, je ne devais pas avoir été bien crédible. « Ah ben bravo, Fraulein. C'est pas bien beau d'espionner ses camarades. » J'eus ensuite droit à une tape sur l'épaule, signe qu'en fin de compte elle ne m'en voulait pas. Bah quoi, j'avais été aux premières loges quand, avec Sami, elle... passons. J'avais tout vu quoi. Héhé. « Dit-elle... rappelle-moi ce que tu fais ici, hmm ? » C'est pas bien beau de faire la morale quand on vient soi-même espionner ses camarades. Nous étions semblables, elle et moi. Nous ne savions pas faire diversion. L'envie nous était venue de mater quelques épisodes palpitants du quotidien de nos camarades au sein du château. Seulement, ce soir, l'action n'était vraiment pas au rendez-vous. « C'est pas notre jour, alors. » Ah non, clairement pas. Putain, on allait vite s'emmerder si rien ne bougeait ! « Tu sais ce qui est excitant dans le fait d'être ici ? C'est de savoir que les autres n'ont aucune idée de ce que nous faisons, en ce moment. » Intéressant... très intéressant, même. Je tournai la tête vers la demoiselle, arborant un regard qui en disait long, très long sur mes pensées actuelles. Après tout, l'action, nous pouvions la mener nous-même. « ... j'te l'fais pas dire, y'a rien d'plus excitant... » Je plantai alors mon regard bleu azur dans le sien, plus aguicheur et racoleur que jamais. J'avais comme une soudaine envie de jouer, d'un coup. Et elle, voulait-elle jouer avec moi ?