EZEQUIEL

Je contemple le paysage qui s’offre devant mes yeux, la forêt qui danse, agitée par le vent. Je lance un salut en direction d’Hamad qui tente une excursion, esquissant un mince sourire en soupirant. Il fait si bon, c’est agréable, très agréable. Je me sens comme apaisée en cet après-midi, m’accordant même le loisir de fermer mes paupières quelques secondes tout en me tournant vers le soleil pour tenter de capter quelques rayons chaleureux. Cependant j’ai une désagréable surprise lorsque mes iris retrouvent la vue pour tomber sur la silhouette imposante du noir. Le candidat tant redouté, celui qui est resté au sein du château malgré l’aversion des candidats, comme si le public désirait voir des cris, du sang et des larmes. Bande de curieux malsains, d’idiots inconséquents. Savent-ils quelque chose que nous ignorons, ou ne sont-ils que des abrutis ? J’ignore vers quelle solution je dois me pencher, mais j’espère bien la première. Et soudain, je frissonne. Ezéquiel. Les remparts. Moi. Vous sentez la bonne idée ? Je me sens comme dans ce rêve que nous avons tous faits un jour, arrivant au lycée entièrement nu. Voilà comment je me sens : toute nue, démunie. Je me rapproche du bord à reculons, posant mes deux mains sur la pierre chaude, le menaçant du regard. « Si tu t’approches, je saute ! » Ouais bon, il y aurait eu plus intelligent à dire, mais sur le coup je ne trouve rien de mieux. Parce que je préfère encore me suicider en lui causant des ennuis, plutôt que de me faire étrangler et dépecer par ses soins devant des caméras. Aussi je juge bon d’ajouter, afin qu’il comprenne ma logique –à condition qu’il en soit capable-. « Et tu auras un procès sur le dos. Et on t’expulsera. » Raciste, moi ? Non mais attendez, c’est écrit sur sa figure qu’il n’est pas habitué aux coutumes européennes, alors soit il vient de débarquer sans papiers, soit la production l’a recruté directement d’un pays africain en guerre. Nigeria, Soudan, Somalie. Quelque chose de ce style. Ses manières rustres, sa vision archaïque des femmes, l’incohérence de sa réflexion, sa stature de chef de tribu, tous ces éléments le rendent intemporel. Comme un anachronisme géographique, comme s’il n’était pas à sa place ici, parmi nous. Ou comme s’il débarquait d’une autre planète, tout simplement, aussi je me demande si son secret ne tourne pas autour des petits bonhommes verts. Cela ne m’étonnerait guère qu’il se soit fait reprogrammer le cerveau par des extraterrestres, et que depuis il n’est plus le papa aimant et le banquier exemplaire qu’il était, mais une coquille vide qui erre sur Terre en attendant sa mort. « Pourquoi cette fixation sur Anabel ? C’est comme si depuis que tu es ici tu ne vois qu’elle, comme si elle était ta promise ou quelque chose du genre. » Je tente d’engager une conversation pour éviter les gestes, et si possible en déviant l’attention sur une autre que moi, histoire qu’il se concentre sur la jeune femme et non sur moi. Après tout elle ne risque rien pour le moment, elle n’est pas sur les remparts avec nous et il ne risque pas de lui faire le moindre mal. De toute façon elle doit avoir une garde rapprochée, au moins composée de Keelan. Celle qui devrait s’inquiéter de sa sécurité, c’est plutôt Tweedy, nouvelle partenaire suicidaire du grand noir. Je veux bien que l’on puisse percevoir l’égocentrique Gulliver autrement, moi-même je distingue au-delà un homme différent de ce qu’il veut bien montrer, cependant concernant cette bête-là cela me semble beaucoup plus périlleux. Mais passons, peut-être est-elle la belle dont il a besoin ? Pourvu que . . . même si j’en doute largement.

Cette conne, franchement je sais pas à quoi elle joue. Si elle veut jouer avec moi, je suis pas d’humeur. J’étais là en premier, elle m’avait pas aperçu. Lorsqu’elle m’aperçoit enfin, elle s’avance et veut se jeter. Ah d’accord. Je suis si hideux et repoussant que ça ? Non je crois pas… Le problème n’arrive surement pas de moi, mais bien d’elle. Elle est si fragile que ça la blondie ? Je suis assis là, sur cette surface en granit ou je ne sais qu'elle surface solide qui imprime sur mon jean des marques profondes, donc je suis pas près de me lever pour cette vieille blondie qui n’en vaut vraiment pas la peine, comme tous ces candidats d’ailleurs. Mes mains dans les poches kangourou de mon capuchon, je patiente et je remarque si vraiment elle va se jeter ou pas. Bon bah jette toi qu’est que t’attends… Ah ouais donc faut que j’approche ? Désolé mais j’ai pas envie, j’aimerais garder une distance de sécurité, disons, cinq mètres, oui cinq mètres sinon je vais foutre une connerie. Reste loin, je reste là, et chacun est dans son monde. Elle la rouvre encore une fois et là sa voix commence à envahir mon cerveau… ça m’agace pas mais je trouve tout simplement qu’elle fait lamentablement le clown. Je lui réponds même pas, me contenant de mon calme ; oui rester placide face à cette blondie hyperactive, c’est le remède idéal pour contrôler ses pulsions, car je n’ai qu’une seule envie, lui cramer ses cheveux et la jeter moi-même de là. Assis sur l’un des ses hauts piliers olympien, sa voix parvient quand même à heurter mes oreilles pour y pénétrer jusqu’au fond. Je sais pas pourquoi elle s’obstine de parler car j’ai pas envie de parler, elle m’intéresse pas car tout simplement, elle n’a plus aucun rôle à jouer. J’ai testé sur elle ce que j’avais a testé, et puis c’est tout. Son heure de gloire et son statut de merde jaune victimisée s’est envolé avec mon sauvetage par ce public constitué surement de psychopathes. Sauf que moi, je n’en suis pas un. Si si je vous l’assure. Je mets mon capuchon pour masquer ainsi l’arrière de mon crâne qui subissait légèrement des coups de fouet venant d’un vent qui se mettait parfois à frapper fort, et je tourne la tête de 180 degré pour la sonder d’un regard assassin lorsqu’elle prononce le prénom que je déteste le plus. Franchement, elle cherche quoi blondie ? Elle cherche quoi ? Alors ici, je n’ai vu qu’Anable ? Alors c’est ça ce que les autres ont pu remarquer ? Pouaf je dis… « Tu veux être fixé à sa place ? » D’une voix froide, presque percutante. Toujours perché sur mon pilier, je la zoom encore plus avec mes yeux… Elle croit qu’elle peut soutirer des informations de moi, sérieux, elle mérite pas cette conne que je lui réponde, donc je vois pas l’interêt de lui parler, car elle ne m’intéresse pas… Soit tu te barres vu que j’étais le premier ici, soit tu la fermes et me laisse méditer en paix… Deux options pour un seul résultat : Ta gueule !

Le grand noir enfile sa capuche, et je me demande s’il tente une technique d’intimidation. Ce n’est pas parce qu’il va dissimuler une partie de son visage que ça va m’effrayer, au contraire ça aurait plutôt tendance à me rassurer. Je le détaille longuement, tentant de sonder son esprit à travers ces ronds noirs qui me fixent avec mépris. Qui est-il réellement ? Pourquoi fait-il cela ? J’ai le doute qui me ronge, des interrogations qui se bousculent, et le prénom d’Anabel qui clignote comme une enseigne de vieux motel. Pourquoi cette attirance pour la violence, pourquoi en faire sa victime avant de se reporter sur les autres candidates du jeu ? Se connaissent-ils ? Est-ce le frère de son fiancé, le véritable meurtrier ? Ouais non, là je vais un peu loin, ce serait un vrai cauchemar dans les deux cas. Et pourtant ça m’intrigue, ça m’obsède, mais il ne me confiera pas la moindre bribe d’information. Pour cause, il continue de me menacer. A parce qu’il ne s’est pas déjà occupé de mon cas ? J’ai envie de le gifler et de lui apprendre à se comporter comme un homme digne de ce nom. Je m’approche finalement de lui, réduisant considérablement la distance de sécurité qui me protégeait pour venir frôler sa silhouette. Je me plante là, devant lui, levant ma main dans les airs en sondant son regard sombre. « Parce que je risque quelque chose, peut-être ? » Je lui demande dans une provocation, poussant le vice jusqu’à pointer mon index sur son épaule. Je l’enfonce dans son vêtement comme pour le faire reculer, appuyant trois fois par petits coups répétés. Hein, hein, je risque quelque chose ? J’inverse les rôles durant un court instant, prenant la position du dominateur sans peur qui se tient là sans sourciller. Et je risque de me prendre une tarte en pleine figure, un couteau dans les intestins, un coup de boule. Au choix. Mais dans ces différents cas, il se fera exclure définitivement du jeu. Si c’est ce qu’il cherche, autant saisir sa chance, mais je ne suis pas convaincue que ce soit vraiment le cas. Alors, vrai ou faux ? Quand je pense que je désespérais du comportement suicidaire de Tweedy l’ayant accepté comme partenaire, je crois qu’à cet instant précis je ne vaux guère mieux. Mais ce n’est pas en tant que bisounours que j’agis, c’est en tant qu’enquêtrice de renom. Je ne suis pas persuadée qu'il ne va rien me faire, au contraire, j'attends sagement sa réaction sans la prévoir par avance.

Je comprends vraiment pas son cirque… Elle essaye de faire quoi la blondie ? Elle veut que je lui pète sa gueule ? Si elle veut ça je n’hésiterais pas à le faire elle qu’a demander… Elle veut me virer ? Ou bien on l’a envoyé pour me virer ? Je sais pas, je vais rester positif jusqu’au bout et je vais la prendre pour une folle, une vraie folle suicidaire qui, dès qu’elle a franchi le périmètre de sécurité, vient de creuser son tombeau. Elle s’approche encore plus, ne se doutant pas du danger, ou bien s’obstinant avec sa foutue logique qu’elle ne risque rien. L’écart de distance vient d’être réduit et c’est franchement contraignant, et pour moi, et pour elle. Elle perfore avec son doigt mon armure, geste clair, très ancien et petit qui signifie ‘provocation’. Voilà, la seule chose qu’elle semble vouloir utiliser, hors je sais pas, je suis tiraillé entre deux choix : Entre l’ignorer et là, gentille demoiselle se prendrait un vent carrément pitoyable, ou bien, lui briser la nuque et lui écraser la tête contre ce pilier. Au choix car j’ai pas encore opté pour option jusqu'à maintenant. Si elle risque quelque chose ? Faut peut être demandé à ceux qui l’était, par le passé… et si elle arrive à les trouver d’ailleurs. Je la sonde encore plus avec mon regard, attendant qu’elle ajoute quelque chose, mais madame semble s’être contentée de ça. Je conçois donc. Elle veut creuser des pistes vers mon secret, faut dire que je suis pas si con pour ne pas le savoir, elle veut connaître la vérité, hors ça la dépasse complètement… D’ailleurs, cette conne à trouvé plusieurs secrets je crois, et parmi eux y’avais celui de newbie –paix à son âme- que j’avais aussi trouvé, mais que j’ai été comment dire… niqué par cette garce… Donc c’est le secret que tu cherches c’est ça ? On verra donc. Je dirige ma main vers ses cheveux et je commence d’un geste lent à les caresser, mes doigts de géants parcourant chaque mèche… Elle veut jouer à la provocation ? Je serais de la partie, sauf que j’ai la malheureuse carence de céder un peu trop rapidement moi, mais les débuts sont tout aussi intéressant que parfois, j’y prends un réel plaisir malsains. Terminant la visite de ces cheveux et toujours mes yeux rivées vers elle, je permute de main et je laisse l’autre, venir caresser sa joue creuse… Qu’elle est mignonne la petite, j’ai vraiment des idées… noirs là, mais faut que je les chasse… Rappelle toit Ezéquiel, faire du mal n’est pas un péché, mais faire du mal sans raison, là c’est un péché… J’attrape brusquement sa joue, la tirant progressivement vers moi… Euh c’est pas un geste de violence ça, qu’on soit clair… J’avais pas dit que je serais plus subtile ? Ouais ouais… « Écoute-moi petite poufiasse… » Ouvre grand tes oreilles de lapin sodomisé. « Je suis pas con et tes talents d’enquêteur ont fini par arriver jusqu'à moi… Hors il se trouve que mon secret… n’est pas si simple que ça… » Je relâche sa joue, imprimant ainsi sur cette surface quelques marques effaçables, ne t’inquiète pas, c’est rien, comparé à ce qui peut t’arriver par la suite, si tu continues à tournoyer autour de moi. « Si tu veux le découvrir, il faudra faire preuve d’une réelle détermination » Putain j’ai vraiment une voix de merde moi… « Je crois finalement que tu es la personne la mieux qualifié pour le trouver… » Elle a trouvé plusieurs secrets cette blondie, et elle a pas l’air d’être une conne, loin de là, donc si elle pouvait découvrir le miens, ça serrait vraiment...pratique pour la suite. Mais est ce qu’elle en serait capable ? Mmm faut voir… Sauf que là, ça m'amuse de me foutre de sa gueule, franchement, comme si j'allais l'aider à le trouver, mon cul ouais...