Oui mes nerfs lâchaient, oui je perdais patience, oui je m'énervais. Je n'en pouvais juste tout bonnement plus de voir Laoise nier l'évidence et continuer de penser et d'affirmer qu'il n'y avait aucun soucis. Pourtant le soucis était bien là, je l'avais sous les yeux. Après, difficile de savoir ce qui mettait Laoise dans un tel état si celle-ci ne me disait rien. Je voulais juste comprendre, bordel. Je détestais qu'on tourne autour du pot, qu'on ne me donne pas la réponse que j'attendais ou qu'on réponde à mes questions de façon parfaitement évasive. Et j'allais pas m'excuser de ça d'ailleurs. J'étais comme ça voilà tout. Ma petite gueulante ne sembla pas laisser Laoise totalement indifférente, si bien qu'elle reprit bientôt la parole, avec visiblement l'envie de m'en dire plus. « Tu sais quoi ? T'as raison concernant une chose. Je suis désolante. Je suis pathétique. » Je soupirai. Désolante, certainement. Mais pathétique... pourquoi d'abord ? Qu'est ce qui justifiait le fait qu’aujourd’hui Laoise se dénigre à ce point ? Que se reprochait-elle ? Elle se leva à son tour, avant de ne me faire face. « Il y a des choses que je ne peux pas dire, Andreas. Des choses que, de toute façon, tu ne comprendrais pas. Par exemple, si je te dis que ça fait six mois depuis le dix-sept juin dernier, tu ne peux pas comprendre, seulement Malo pourrait comprendre. J'ose espérer qu'il comprendrait en tout cas. » Alors là d'accord, je ne pouvais pas comprendre. Six mois de quoi ? Il était question de son secret, forcément. La référence à Malo m'y fit de suite penser. « Le problème, c'est que je ne peux pas être moi, la personne que je suis vraiment. Le problème, à vrai dire, c'est que je suis cette personne, pas que j'ai à le cacher. Parce que si je n'étais pas ainsi, je n'aurais pas à le cacher... » Elle ne pouvait être elle-même ici, vraiment ? Bah, je n'avais qu'à le croire. Même si à mes yeux il y avait autre chose. « Alors, ouais, pardon d'en avoir marre de voir que tout le monde peut faire ce qu'il veut pendant que moi, je ne peux pas, pendant que je dois faire attention à mes moindres faits et gestes. Et encore, si ce n'était que pour le jeu, si ce n'était que cacher mon secret, je m'en foutrais pas mal puisque visiblement, personne n'a rien capté, mais non, ça implique plus qu'un simple jeu puisque si je suis moi-même, je perds tout un tas de trucs à l'extérieur. Tu vois un peu le cercle vicieux ? » Mais non cocotte, tout le monde ne faisait pas ce qu'il voulait ici. Adie avait eu une grossesse à cacher, Katell avait eu à dissimuler sa bipolarité, on avait également eu un couple qui de toute évidence n'avait pas pu vivre leur vie normalement en ces lieux. Et moi, peut-être que moi non plus je ne pouvais pas agir comme je le voulais. Le fait que je fornique dans tous les sens ici ne signifiait pas pour autant que j'étais libre de faire ce que bon me semblait. On avait tous un secret à cacher. Un secret plus ou moins lourd à porter, plus ou moins facilement dissimulable et supportable au quotidien. Je pensais lire en elle comme un livre ouvert... au final je ne percevais plus rien chez Laoise. Elle était à elle seule un gros point d'interrogation. Je ne comprenais plus rien, et limite nous étions comme des étrangers à présent. J'avais juste l'impression d'avoir appris à connaitre quelqu'un qui s'était barré pour laisser place à une fille paumée, dans le doute le plus complet. C'était juste atroce comme sensation, vraiment. Je me taisais toujours, la laissant poursuivre, tout en ne cachant pas le fait que ses paroles me perturbaient franchement. « Tu te sens mieux, maintenant que tu sais ce qu'il se passe sans vraiment savoir ? » Elle était sérieuse là ? Me sentir mieux après avoir entendu un tel discours, c'était possible ça peut-être ? « Non je me sens pas mieux. C'est même tout le contraire. Là j'ai juste l'impression d'avoir en face de moi une étrangère. Je pensais connaitre certaines choses de toi, mais au final je ne sais plus rien. On pourra jamais en revenir aux rapports qu'on avait avant. Là j'en suis persuadé. » Je pensais que c'était possible, ça, encore la semaine dernière. Mais là ça ne faisait plus aucun doute. Adieu la complicité avec Laoise, donc. « On peut passer à autre chose, maintenant ? Parce que c'est clairement pas en me remettant en tête toutes ces histoires que je vais retrouver le sourire. » Loin de moi l'idée de la tirer encore un peu plus vers le bas, seulement désormais certaines interrogations me venaient à l'esprit. C'était légitime, non ? Compréhensible également. Comment rester de marbre face à tout ça, vu que je ne comprenais plus rien désormais. « J'aurais deux questions. » annonçais-je froidement, bras croisés. « La découverte de ton secret représenterait-elle un poids en moins, au final ? » Ce serait peut-être tout l'inverse au final... Car d'après ses paroles, elle avait aussi beaucoup de choses à perdre à l'extérieur si certains éléments venaient à se savoir. Tout ceci m'intriguait, beaucoup. « Et pourquoi il a fallu que tu perdes pied récemment quand, au début de l'aventure, tu semblais réellement vivre sereinement ? » Ouais, ça aussi je ne comprenais pas. Au début de l'aventure et jusqu'à il y a peu, Laoise était une jeune femme pleine de vie, rigolote et enjouée. Pourquoi changer brusquement, du jour au lendemain, quand visiblement son secret était un poids au quotidien depuis six longs mois ? Ses nerfs avaient sans doute lâché. Peut-être n'en pouvait-elle tout simplement plus de devoir faire attention à ses agissements. Mais à mon sens, elle aurait du se contrôler, se faire violence. Là, elle attirait l'attention de tout le monde et ça n'était pas bon pour elle. Pas bon du tout. Je ne lâcherais pas l'affaire comme ça maintenant. Elle m'en avait trop dit.

Pour moi, c'était clair comme de l'eau de roche : Laoise et moi ne pourrions pas en revenir à nos rapports d'avant, et pourtant dieu sait que je le souhaitais plus que tout au monde car cette complicité que nous avions tous les deux commençait à me manque. Du moins c'est ce qu'il me semblait car il y avait comme un manque, maintenant. Je ne me sentais pas mieux depuis qu'elle était passée aux aveux et m'avait tout dit. Au contraire. J'avais même l'impression d'avoir en face de moi une étrangère. Comme si, désormais, je ne connaissais plus rien d'elle. Comme si Laoise avait laissé place à quelqu'un d'autre. Quelqu'un de totalement différent. « Une étrangère ? Parce que je viens de te dire tout ça, je suis une étrangère ? Et qu'est-ce que tu savais de moi, au juste, avant ? Rien de plus. À vrai dire, je crois bien que tu ne savais rien du tout. Et juste parce que je peux être de mauvaise humeur, parce que je peux ressentir des sentiments négatifs, je ne suis plus la même ? Parce que tu me dirais ça en connaissant mon secret, à la limite, je comprendrais. Mais maintenant ? Je ne suis pas parfaite, je ne peux pas être toujours en train de sourire, il m'arrive aussi d'être agacée et fatiguée, en quoi ça change celle que je suis depuis le début de l'aventure ? Je suis toujours la même. » C'est vrai que vu sous cet angle et en me mettant deux secondes à la place de Laoise, je pouvais saisir l'incompréhension qui était la sienne sur le moment. Le mot "étrangère" pouvait paraitre vachement fort, mais pourtant c'était réellement l'impression que j'avais sur l'instant. Ah et inutile de préciser que je ne regrettais en rien les paroles que je venais de tenir, tout simplement parce que je les pensais sincèrement. Le seul truc sur lequel j'aurais voulu revenir, c'était le ton sur lequel j'avais débité tout ça. Je pensais m'être montré un peu trop hostile, et c'était sans doute pas le meilleur ton à employer avec Laoise, dans un moment pareil. Mais c'était dit. Trop tard, donc, pour revenir là-dessus. « Ta brutale métamorphose - car à mes yeux Laoise s'était tout bonnement métamorphosée ces dernier jours - a tout changé entre nous, je sais pas si tu t'en rends seulement compte. J'ai eu l'impression de te per... de perdre la Laoise d'avant, celle avec qui je faisais le con à poil dans la forêt, celle avec qui je parlais d’huile de massage aphrodisiaque,... celle qui me disait de porter tel ou tel t-shirt pour un prime. Pfff ça sert à rien que je revienne sur tout ça. La nouvelle Laoise ne doit même plus se souvenir d'Esioal, de toute manière. » Oh putain, peut-être que j'avais fait de Laoise une amie sans même m'en rendre compte, en fait. Allez, pourquoi me prendre la tête... elle avait du oublier tous ces bons moments qu'on avait passés ensemble, elle et moi. Elle avait du oublier toutes ces anecdotes que j'évoquais ici, le troll que nous avions baptisé. On repartait à zéro en fait. Simplement. Et ça me faisait grave chier. J'avais, parallèlement à ça, deux questions à lui poser et m'étant venues à l'esprit à l'entente de ses propos. Premièrement, est-ce que la découverte de son secret et la révélation de ce dernier lui retireraient un poids ? « Je ne peux pas continuer à vivre dans le mensonge. Donc, oui, ça me libérerait. Mais je sais aussi que mes proches, certains en particulier, le vivront très mal. » Oula, chelou cette affaire. Certains de ses proches ignoraient tout de son secret. Ah, sans doute parce que celui-ci était en relation avec le fameux évènement s'étant déroulé six mois auparavant... et sans doute aussi parce qu'elle en avait honte. Ma seconde question visait à savoir pourquoi elle ne craquait que maintenant. Une question tout à fait légitime à mes yeux, car c'était un grand mystère pour moi. « Parce qu'il y a des choses qui font que ça devient trop dur de ne pas pouvoir me comporter comme je le souhaite. » Je fis un pas en sa direction, tout en prenant le soin de rester à une distance que je considérais raisonnable d'elle. Puis je pris à mon tour la parole, souhaitant réagir à sa dernière réponse. « Je peux pas comprendre ce que tu vis. Mon conseil aurait été le suivant : comporte-toi comme tu le souhaites, ne te soucie pas de ce que pourraient en penser tes proches. Oui mais voilà, j'ai jamais réellement eu de famille moi. Enfin, je me suis jamais senti proche de ceux avec qui j'ai vécu et grandi au point de me soucier de ce que pourraient avoir comme répercutions mes agissements sur eux. Donc bon... » Ouais ouais, je venais de parler pour ne rien dire, parfaitement. C'était plus fort que moi en fait. Quand même, Laoise se faisait violence depuis de longues semaines et ne craquait que maintenant. Je la trouvais courageuse. Enfin je crois.

Spoiler:

Pour moi ça n'était pas un simple passage à vide, pas une simple mélancolie qui durerait un temps et qui finirait par s'effacer. À mes yeux, Laoise n'était plus la même mais ça, elle semblait décidée à ne pas l'accepter. Je pouvais le comprendre, ça n'était jamais facile de s'entendre dire de telles choses. Néanmoins j'étais catégorique : tout avait changé entre nous, tout était à reprendre. « Tu te fous de moi ? » J'en avais l'air, peut-être ? Rien que le ton sur lequel je venais de débiter tout ça aurait immédiatement du lui faire oublier une telle idée. Non je ne me foutais pas d'elle, oui je pensais le moindre de mes propos. Alors peut-être que ça ne lui plaisait pas, que ma manière de voir les choses ne lui convenait pas... mais elle oubliait quelque chose, là, et c'était crucial pour comprendre mon ressenti face à tout ça. Je ne m'étais jamais attaché à personne, jamais. Et maintenant qu'il semblait que Laoise et moi étions devenus quelque peu "proches" sans pour autant nous considérer comme étant "amis", j'avais l'impression de la perdre. Ni plus ni moins. C'était exagéré ? Je faisais des histoires de pas grand chose ? Peut-être, mais il en était ainsi. « Tout ce qui a changé, c'est que maintenant, tu sais des choses que tu ne savais pas avant. J'ai pas miraculeusement changé, je suis toujours la même. En ce moment, je suis juste triste. Ça ne t'arrive jamais de l'être ? Il y a trop de pression, pas que dans ce jeu, mais dans ma vie aussi. Pourquoi ? Justement parce que je n'ai pas le droit d'être triste. Je ne peux pas être constamment en train de déconner, d'accord ? Que ma famille me veuille toujours au meilleur de moi-même, je pourrais presque comprendre. Ouais, je suis l'ainée, je dois montrer l'exemple. Mais ici ? Je pensais qu'au moins ici, on... Désolée d'être plus qu'une poupée barbie qui sourit et qui tortille du cul toute la journée. » Oh elle était triste alors, seulement triste ? Et bien ça n'était vraiment pas l'impression que j'avais sur le moment. Pour moi elle avait changé du tout au tout, et pour un type qui la considérait comme étant la personne dont il était le plus proche ici, c'était terriblement déstabilisant. Elle arrivait à me déstabiliser, une chose que je n'aurais jamais pu croire possible avant cette émission. « Pour répondre à ta question non, ça ne m'arrive jamais d'être réellement "triste". Je prends sur moi, et ça passe. » Et qu'elle ne me ressorte pas la carte du secret difficile à dissimuler et à assumer, hein, car elle n'était pas la seule à dans ce cas. Moi aussi si mon secret venait à se faire savoir, je perdais beaucoup de choses. Des choses auxquelles je tenais. Je ne disais pas là que Laoise était incapable de prendre sur elle comme je le faisais moi. C'était une réponse que je lui donnais, voilà tout. Putain ce que j'avais envie de la booster, de lui dire de fuir toute cette pression qu'on lui infligeait. « Je voudrais juste que tu retrouves ta joie de vivre et que tu cesses d'être tourmentée par rapport à tout ça. Mais je sais pas si c'est possible en fait. Pas tant que tu vivras dans le mensonge et la dissimulation. » Bah non, ça ne l'était sans doute pas. Et j'avais comme la sensation que sa mauvaise humeur et sa tristesse ne passeraient plus à présent. Désormais elle était tombée dans le piège du secret qu'elle avait à défendre, et c'était un cercle vicieux, un long tunnel noir dont je ne voyais plus le bout. Ouais je prenais tout ça très à cœur, étonnamment. Fallait croire que je ne voulais que son bonheur, et la voir sourire et rire à nouveau. Mais même ça c'était sans doute trop en demander. « Donc qu'est-ce qu'on fait maintenant ? On s'évite ? J'te tiens au courant quand je redeviens moi et quand je retrouve la mémoire, peut-être ? Dis-moi comment on procède. » Comment on allait procéder maintenant ? Parce que c'était à moi d'en décider ? Une chose était certaine, je ne voulais pas qu'on s'ignore elle et moi. Elle était un peu ma seule alliée dans cette aventure - car oui, malgré tout ça mon affection pour elle restait intacte - alors non, pas question de s'en éloigner même un court laps de temps. « Non, on s'évite pas non. Parce que je pense que tu vas avoir besoin de moi autant que je vais avoir besoin de toi. » J'avais deux voix de la sagesse à écouter ici : Tweedy et Laoise. Je savais que si je venais à faire une connerie, l'une comme l'autre seraient capables de me remettre illico sur le droit chemin. Elles étaient aussi les deux seules dont j'étais disposé à écouter les conseils. Tous les autres pouvaient bien faire preuve de sympathie à mon égard, tout n'était que jeu pour moi mais ils ne s'en étaient pas encore tous rendu compte. Pas de panique, ça ne tarderait pas. Alors non, pour moi il était inconcevable d'éviter Laoise, d'avoir la contrainte de ne plus l'approcher ni lui parler. Et puis merde je ne m'interdisais rien. Elle pouvait m'éviter, elle, si telle était sa volonté. Mais ça n'était pas la mienne. Merde, pourquoi ne pourrait-elle pas, comme moi, mettre de côté ce que pourraient être les réactions de ses proches à la découverte de son secret ? Pourquoi devait-elle craindre leur réaction à tous, au point de ne pas pouvoir vivre comme elle le voulait son aventure ? « Ce n'est pas aussi simple. » Ouais, et c'était fortement dommage d'ailleurs. Son histoire semblait vachement compliquée, et cela me donnait encore plus envie de savoir ce qu'elle pouvait bien cacher. Au risque de me la jouer vachement égoïste, j'aurais voulu que tout soit révélé, que tout se soit su, pour qu'enfin Laoise puisse être elle-même. C'était ma plus grande volonté, à l'heure actuelle. « Je peux te poser une dernière question ? » Car des questions, j'en avais à revendre, mais je ne les lui poserais pas toutes aujourd'hui quand même. Néanmoins l'une d'elle pressait vraiment, et il me tardait d'avoir une réponse. Qu'elle me dise oui ou qu'elle me dise non, j'allais la lui poser de toute manière. Voilà pourquoi l'instant d'après, je poursuivis « Pourquoi t'as voulu savoir si on était amis, tout à l'heure ? » C'était les tous premiers mots qu'avait dits Laoise, après avoir rejoins mon lit : « Est-ce qu'on est amis ? ». Pourquoi une telle question, surtout de bon matin ? La réponse lui importait-elle tant que ça ou c'était un prétexte pour me tirer du lit ? Je n'allais pas tarder à le savoir.

Spoiler:

Je n'étais jamais triste, moi, jamais. Il m'arrivait, comme à tous, d'avoir de légères baisses de régime mais celles-ci passaient à chaque fois inaperçues. Logique, puisque j'avais pris l'habitude de prendre sur moi, en toutes circonstances. Mine de rien, ça me réussissait plutôt bien. Vous m'aviez déjà vu chialer vous ? Bah voilà. Tout un art, donc, que celui de la dissimulation. Et Laoise ne dirait assurément pas le contraire. « C'est ce que j'ai l'habitude de faire aussi. » Hum, et bien de toute évidence ça ne marchait pas aussi bien que pour moi, ou en tout cas pas à tous les coups. Car si là elle prenait sur elle, j'avais hâte de voir ce que cela donnerait quand elle lâcherait tout. Trêve de plaisanterie elle semblait réellement incapable de faire semblant. Et c'était sans doute compréhensible. Son secret devait quand même être un sacré poids à porter... Je n’espérais en tout cas qu'une chose : que Laoise retrouve le sourire et qu'elle cesse de s'en faire pour tout cela. Mais quelque chose me disait qu'au fond ce ne serait pas si simple. Et qui pouvait me garantir que je reverrais de nouveau Laoise sourire d'ici les prochaines semaines, d'ailleurs ? « Arrête de penser que je vais être un zombie à tout jamais, arrête de le dire. Ce n'est que passager, d'accord ? » Loin de moi l'envie de jouer les gros pessimistes, seulement j'avais du mal à me l'imaginer sourire à nouveau et d'humeur enjouée... sans parler de cette complicité qui nous avaient unis, elle et moi, et qui semblait appartenir à une époque révolue. Mais bien sur, je voulais croire que tôt ou tard elle retrouverait sa joie de vivre. « J'espère être encore en jeu lorsque l'envie de sourire à nouveau te reprendra. » Mon souhait était le suivant : que cela ne prenne pas trop de temps. On allait pas se mentir, de vous à moi je ne serais pas éternel au sein de ce château. Je quitterais probablement l'aventure avant elle, voilà pourquoi je pouvais paraitre pressant et impatient. Bien malgré moi d'ailleurs. « Mais d'accord, je veux bien te croire. » Je devais lui montrer que j'avais foi en elle, non ? Lui prouver que je la soutenais, également. Au moins elle savait que quelqu'un, ici, attendait avec impatience le retour de la Laoise délurée, rigolote et taquine. Et puis celle-ci serait peut-être bientôt de retour, qui sait... Je signifiai ensuite à Laoise que nous aurions autant besoin l'un de l'autre. Venant de moi, ce devait être surprenant, à tel point qu'elle ne répondit pas et resta muette. Bah, ça n'était peut-être pas plus mal après tout. Parallèlement à ça, j'avais encore une question à poser à la belle. Pourquoi était-elle venue me réveiller tout à l'heure pour me demander si nous étions amis, elle et moi ? Simple prétexte pour me tirer du lit, ou réelle envie de savoir où nous en étions dans nos rapports ?... « Je ne sais pas. » Ah non, je ne me contenterais pas d'une réponse comme celle-ci. Fallait qu'elle se dise, aussi, qu'il me faudrait une réponse, une vraie, pas un simple "je ne sais pas" qui ne voulait strictement rien dire, d'ailleurs. En tout cas moi ça ne m'aidait pas à y voir plus clair, sur l'instant. Heureusement, elle tenta de se reprendre bientôt. « Je me posais la question, c'est tout. » Hum, elle pouvait encore mieux faire en se donnant un peu la peine. Mince quoi, je ne lui demandais pas la lune. Enfin je ne crois pas. Dans un dernier effort, Laoise fini par rétorquer « Je suppose que j'ai besoin d'un ami. » Ah. Un ami. Et donc elle pensait avoir trouvé un ami en ma personne ou elle était toujours à la recherche de cet ami, à l'heure actuelle ? Non mais voilà, ça m'intriguait quelque peu tout ça. De plus, beaucoup de gens ici étaient susceptibles d'être ses amis. Son partenaire, Tweedy, Anabel, Keelan... Pourquoi venir me réveiller moi plutôt que quelqu'un d'autre ? C'était quoi le plan en fait ? « Et pourquoi venir me voir moi alors que, il me semble, tu t'entends bien avec pas mal de monde ici ? » Ou comment lui faire comprendre que je n'étais l'ami de personne, et que si elle décidait de se lier d'amitié avec moi, elle risquerait d'être fortement déçue en retour. Je ne pouvais rien lui apporter, voilà tout. Mais peut-être aussi me convainquais-je de ça parce que, jusqu'à présent, je n'avais jamais eu d'amis à proprement parlé. Et je ne pouvais pas envisager ne serait-ce qu'une seconde que quelqu'un, ici ou ailleurs, puisse vouloir ou nécessiter mon amitié. « Ne me réponds pas "je ne sais pas", je te pries. » Je le lui demandais gentiment, hein, sans m'énerver. Au moins elle savait à quoi s'attendre désormais, et le ton était donné : une réponse aussi évasive ne suffirait plus désormais. Il me fallait une raison à cela. Pourquoi moi plutôt que quelqu'un d'autre ? Ah d'ailleurs, je m'étonnais du fait que Laoise n'ait pas quitté cette chambre après ma petite gueulante de tout à l'heure. Non parce que je n'y avais pas été en douceur aussi, hein. Elle pouvait plus se passer de moi ou quoi ? Oui oui, mon imagination était débordante, je sais.

Elle finirait bien par retrouver sa joie de vivre, et profiter de son aventure. C'était juste une question de temps. J'essayais de me rassurer, mais c'était difficile. Car Laoise et ses sautes d'humeur n'étaient pas forcément rassurantes, qu'on se le dise. « Tu verras, ça va aller. » Si elle le disait, alors je me devais de la croire. Et puis tout compte fait, cette mélancolie ne s'était certainement pas installée pour toujours, loin de là. Tôt ou tard je reverrais sur les lèvres de la demoiselles un franc sourire, et puis je l'entendrais aussi à nouveau rire et plaisanter. Je devais juste être un peu patient, pourvu que ça ne soit pas très long. Mais justement, me montrer patient, ça n'était vraiment pas mon fort. Il était néanmoins certain que je ne m'éloignerais pas d'elle pour autant. Certes j'avais du mal à reconnaitre la Laoise avec qui je délirais en celle que j'avais devant les yeux, mais elle semblait en avoir assez que je lui dise continuellement qu'elle n'était plus vraiment elle. Alors j'allais me taire, voilà. Parce que lui dire ce qu'elle n'avait pas envie d'entendre, c'était pas un bon plan. C'était même l'assurance de me la mettre à dos, au final. Et ça, c'était juste inconcevable. Mais au fait, pourquoi était-elle venue me réveiller moi, ce matin, quand elle aurait très bien pu s'orienter vers le lit de quelqu'un d'autre ? Elle disait avoir besoin d'un ami, et étais-je le plus disposé à l'être pour elle ? Rien n'était moins sur. Je n'avais pas manqué de lui signifier qu'à une question pareille, une réponse évasive ne suffirait pas. Et elle semblait l'avoir compris. Laoise se laissa à nouveau tomber sur son lit. « Eh bien, c'est une bonne question. » Et sans doute lui était-il difficile d'y répondre. Oui mais voilà, je voulais savoir pourquoi moi, et non n'importe quel autre candidat dans ce château. « Je pense que c'est ton air détaché, qui me... rassure. Je me dis que comme ça j'ai moins de chances de te décevoir, ça me met moins de pression sur les épaules. » Certes j'étais du genre indifférent et ne montrant aucun sentiment. C'était donc ça qui l'avait conduite jusqu'à moi au lieu de trouver un ami chez quelqu'un d'autre ? « Hm. » fis-je alors, tout en entreprenant un mouvement de tête comme pour acquiescer ses propos. « Et puis, j'ai l'impression qu'on a quelques défauts en commun, on pourra au moins se comprendre sur ça. » Des défauts en commun, vraiment ? Oh, et bien j'étais curieux de savoir lesquels alors. Non en fait je ne préférais pas le savoir, tout simplement parce que j'avais toujours considéré n'avoir aucun défaut et que ça n'était pas le jour pour me les balancer un à un à la figure. Je restais silencieux, tandis qu'elle poursuivit. « Et quoi qu'on en dise, ton narcissisme et ta grande gueule m'amusent assez. » Alors là, je ne m'attendais tout de même pas à ça. Elle était bien la première à qui ça ne déplaisait pas forcément. Ici, j'essuyais bon nombre de critiques à ce sujet, car peu de monde pouvait comprendre ma façon d'être. Mais Laoise, elle, ça la faisait marrer visiblement. Et bien tant mieux. Au moins je ne me sentais pas jugé par elle. « Pour une fois que ça amuse quelqu'un... » Car mon narcissisme et ma grande gueule avaient le don d'énerver tout le monde, comme je l'avais moi aussi. Il en était ainsi, le grand vaniteux que j'étais s'était embrouillé avec pas mal de monde à ce sujet, ici comme dehors. Bien que rien ne me demandait de le faire, je vins m'allonger sur son lit, à ses côtés. « T'as pensé à t'amuser un peu justement, ici ? Je veux dire, profiter de la présence de tous ces mâles... ou de toutes ces femelles..., hm ? » Bah comme elle l'avait clairement dit elle-même tout à l'heure, je ne connaissais rien d'elle avant qu'elle n'eut brutalement changé de comportement. Même si elle m'avait embrassé à plusieurs reprises, au fond je ne savais pas chez qui Laoise faisait des ravages. Car elle en faisait, hein, c'était une évidence, chez un genre ou chez l'autre. Restait à savoir lequel, maintenant.