Quoique j’aie pu dire, quoique je puisse être et quoique les autres pensent, je restais toujours fidèle à moi-même. Détestable, acerbe : une grosse salope quoi, sauf qu’à présent, j’avais l’impression que cette attitude ne m’était plus légitime et qu’aux yeux de tous, elle ne correspondait plus à mon personnage. Ou justement, qu’à présent, tout le monde voyait mon personnage et que celui-ci n’avait plus de raison d’exister. Au contraire, à mes yeux mon personnage avait maintenant plus de sens à présent. Enfin, je m’en foutais. Je n’allais pas m’attendrir pour un secret dévoilé. Dans la cuisine, j’essayais de me mettre à la préparation d’un plat. Autrement dit, j’allais m’ouvrir une conserve ou me faire un peu de pâtes. Oui, il était encore trop tôt à mon goût pour manger, mais je n’avais nullement envie de subir le regard des autres lors du repas. Un moment de lâcheté, c’était excusable. J’allais alors dans le cellier à la recherche de quelque chose d’intéressant : des raviolis. Je pris la boîte, retournais dans la cuisine et vidais celle-ci dans un poêlon. Penchée sur mon repas, j’entendais quelqu’un arriver derrière moi. Du coin de l’œil je vis une silhouette se stopper près de moi. « Tu m’veux quelque chose ? » Je m’adressais sèchement à Finnick, derrière mon dos, sans même me retourner, sans bien même vérifier s’il s’agissait de lui. Une nouvelle fois je me montrais désagréable envers lui. Après tout j’avais toujours été comme ça avec lui depuis la salle de musique et ça n’allait pas changer...

Vous savez, on dit que les hommes ont toujours faim… Bah c’est vrai, surtout quand je m’ennuie et là je m’ennuyais mais vraiment bien quoi. Du coup je décidai de descendre à la cuisine pour manger un truc, tant pis pour le repas avec les autres, ils pouvaient bien se passer de ma gueule de temps à autre non ? Bref, je descend, j’entre dans la cuisine et là je vois Irène, en train de chauffer un truc qui pue la bouffe en conserve. Beurk, je déteste ça. Je m’approche et elle me fait « Tu m’veux quelque chose ? » . Je m’approche encore et je me poste contre le comptoir, tourné face à elle, là je la dévisage un long moment, son corps, ses jambes, tout. J’arrive pas à croire qu’elle était un homme avant, pour moi c’est impossible, en plus je pensais que les transsexuels gardaient les mêmes organes génitaux qu’a leurs naissance… Manifestement non, puisque plusieurs personnes ont couchés avec la blonde. « La médecine de nos jours… J’suis soufflé. » Je fais en examinant son visage plus attentivement, pour sur elle ne va pas apprécier. « Même pas une cicatrice ! » Soufflé je suis.

L’odeur de mon « repas », n’était pas du tout alléchant, tout comme la soudaine compagnie du jumeau chiant. Sa venue raisonnant dans ma tête comme un énième moment hyper chiant et super énervant, je décidais de lui demander immédiatement ce qu’il me voulait. Comme ça, s’était fait. Et puis j’essayais de me concentrer sur cette nourriture, mais voir Finnick se rapprocher de moi m’énervait. Je ne pouvais m’empêcher de le regarder de coin, rapidement, pour le guetter. Il état en train de me détailler évidemment et il n’allait pas se gêner pour le faire longuement, rien que pour m’énerver. « La médecine de nos jours… J’suis soufflé. » Cette première remarqua me fit sourire et largement. Après tout il n’avait pas tord : tout le monde n’y a vu que du feu… j’avais eu le droit aux meilleurs des chirurgiens. Sauf qu’il continuait de me scruter et s’il continuait, la cuiller qui me servait pour touiller les raviolis allait bientôt atterrir sur sa gueule. « Même pas une cicatrice ! » Je serrais mes mâchoires, m’empêchant tant bien que mal de ne pas m’emporter. Sauf que croire que j’allais rester là sans rien dire, c’était mal me connaître. « Arrête de te foutre de ma gueule… » Lui répondais-je tout simplement, commençant à bouger nerveusement l’une de mes jambes.

J’avais bien vu le petit sourire de la jeune femme quand je l’avais plus ou moins complimenté sur son nouveau physique. C’était pas vraiment le but, de lui faire plaisir à elle mais si elle retirait de la satisfaction de mes paroles, tant mieux. « Arrête de te foutre de ma gueule… » dit-elle alors que j’avais scruté son visage, je m’éloigne un peu histoire de lui laisser son espace vital quand même, hein. « Désolé, pour une fois je ne me fous pas de ta gueule, je me demande juste… Est-ce que tu t’es toujours sentie… Femme ? » Non vraiment je ne veux pas l’emmerder cette fois, promis, ça m’intrigue tout simplement. « Avant cet attentat par exemple, t’avais déjà pensé à changé de sexe ? » C’est un besoin qu’on ressent toute sa vie non ? J’avais entendu beaucoup de témoignages, je m’intéressais à tout dans le cadre de mes études de journalisme et beaucoup disaient qu’ils s’étaient toujours sentis homme ou femme alors que la nature les avaient dotés d’un corps de l’autre sexe.

Je continuais de mélanger sur le feu les « pâtes ». Oui, pour moi Finnick se foutait de ma gueule. J’aurai pu réagir moins bien que cela, heureusement pour lui, je restais calme. « Désolé, pour une fois je ne me fous pas de ta gueule, je me demande juste… Est-ce que tu t’es toujours sentie… Femme ? » Je quittais le poêlon des yeux quelques instants, pour poser mes yeux sur lui, pendant quelques secondes. « Pourquoi je te répondrais hein ? » C’est vrai, après tout, je ne parlais pas de moi. Encore moins à un mec comme lui quoi. Pourtant, quelques secondes plus tard, je me contentais de lui répondre « Oui » C’est vrai, depuis très longtemps même. Depuis ma petite enfance. Ouai, je préférais jouer avec des jouets de filles, qu’avec ceux de mon sexe. Il n’avait pas à le savoir. «Avant cet attentat par exemple, t’avais déjà pensé à changé de sexe ? » Mes yeux se portèrent de nouveau sur lui. Je secouais ma tête subtilement de haut en bas. "Evidemment. Tu sais, ce n’est pas une décision que l'on prend en deux mois ni même un an... » Oh que non, un an, ce n’était même que le temps de la préparation. Pendant un an j’ai pris des hormones pour faire de mon corps masculin, mais efféminé, un corps féminin et j’ai été suivi par des psychologues, pour m’aider à faire ce passage de ma vie passée à cette nouvelle vie qui m’attendait. Un an de préparation oui, qui a débouché sur mon opération. « Oui j’y avais pensé, mais jamais je n’aurais osé le faire. »

« Pourquoi je te répondrais hein ? » Putain qu’est-ce qu’elle me fait chier quand elle agit comme ça. Y’a juste pas moyen de parler avec cette meuf. Je roule des yeux en soupirant, bah elle n’a pas envie de répondre je me casse alors, sauf que quand j’allais bouger elle me fait « Oui ». Je me doutais de la réponse évidemment mais le fait de l’avoir eue c’est mieux, je voulais juste comprendre la candidate après tout, je ne la jugeais pas, pas sur ça. « Evidemment. Tu sais, ce n’est pas une décision que l'on prend en deux mois ni même un an... » Dit-elle alors que je lui ai demandé si elle a déjà pensé a cette opération avant l’attentat. Je hoche la tête « Evidemment… » Je souffle, oui c’est vrai qu’on ne prend pas cette décision comme ça mais tout de même, on ne sait jamais elle était assez barrée pour ça hein. « Oui j’y avais pensé, mais jamais je n’aurais osé le faire. » Je comprends. Faut avoir les couilles pour faire ça hein quand même. « J’admire, bon évidemment c’est dommage pour la partie attentat, les gens qui sont décédés, tes blessures physiques etc mais franchement… Changer de vie comme ça. » Mon frère aussi avait changé radicalement de vie, bon il restait un homme hein mais il avait aussi eut les couilles de le faire. Je me sentais incroyablement… Lâche, par rapport, car il est vrai que la vie de bourgeois n’a pas que des avantages, mais ces derniers me plaisent suffisamment (surtout les facilités financières) que pour oser foutre le camp.

Parlez de moi pour me vanter, me décrire comme étant une bombe et genre, la plus belle femme du nid, je savais le faire et avec brio. Parler de ce que je suis vraiment, de ma vie passée, de ma vie tout court, c’était tout autre chose. Que ce soit avec n’importe qui ici, ou bien même avec ma meilleure amie, c’était totalement pareil, quoique non puisque ma meilleure amie m’avait accompagné dans mes changements. Elle m’avait vu ado, enfermée dans mon corps de gamin chétif, puis faire en gros partit des grands brûlés, pour enfin m’épanouir sous mes traits féminins d’aujourd’hui. Elle m’avait accompagné, comme je l’ai accompagné depuis l’attentat. « Evidemment… » Finnick me sortit de ma rêverie. Ce n’était pas d’une évidence déconcertante. Beaucoup croient que l’on peut accéder au changement de sexe en moins d’un an, mais c’est totalement faux. Le processus est long et à mon sens – et non parce que je l’ai fais – courageux. Beaucoup abandonne au bout de quelques mois, se résignant à vivre sous les traits d’une identité sexuelle qui ne leur correspond pas. Je l’ai fais durant vingt-et-une longues années. Elles ne seront jamais comparables aux sept dernières que je venais de vivre. « J’admire, bon évidemment c’est dommage pour la partie attentat, les gens qui sont décédés, tes blessures physiques etc mais franchement… Changer de vie comme ça. » Je laissais un soupire s’échapper de mes lèvres. J’en avais marre : les gens n’avaient pas un synonyme du verbe « admirer ». Ils m’admiraient, mais il ne voyait pas la situation de mon point de vue. De celui-ci, ils n’étaient pas en droit de m’admirer. « Comme je l’ai déjà dis, y’a pas de raison de m’admirer et je ne suis pas venue ici pour ça. Si je ne m’étais pas trouvée au mauvais endroit, au mauvais moment, qui sait ce que je serais devenu aujourd’hui ? » Moi je sais ce que je serais devenu. Deux options possibles : je me serais défenestrée, ou je serais ce mec, coincé dans son costume/cravate, à mener une vie qu’il déteste, dans un corps qu’il déteste. « Jamais je n’aurais trouvé le courage de faire ce que j’ai fais. La seule chose que j’aurai osé faire, sans aucun doute, c’est de me suicider pour échapper à ma vie… »

« Comme je l’ai déjà dis, y’a pas de raison de m’admirer et je ne suis pas venue ici pour ça. Si je ne m’étais pas trouvée au mauvais endroit, au mauvais moment, qui sait ce que je serais devenu aujourd’hui ? » Je pense que la jeune femme, ou plutôt à la base je jeune homme qu’elle aurait été, hm, aurait quand même pris son courage à deux mains. Si elle pensait déjà avant, l’idée aurait fait son bout de chemin pour finalement en arriver à la conclusion qu’elle devait changer de sexe. « Justement, personne ne sait. Je pense que dans tout les cas c’est admirable. » Je dis en haussant les épaules. Attentat ou pas. « Jamais je n’aurais trouvé le courage de faire ce que j’ai fais. La seule chose que j’aurai osé faire, sans aucun doute, c’est de me suicider pour échapper à ma vie… » Triste mais possible, j’imagine. Quand on déteste à ce point ce qu’on est, il y a beaucoup de personnes qui choisissent la manière simple : le suicide. Ca me désole d’ailleurs, le bonheur n’est jamais acquis il faut le savoir, il faut sans cesse se battre pour ça et c’est vrai que j’ai mis un certain à l’apprendre, que je l’apprends tous les jours mêmes mais les quelques moments difficiles que j’ai vécu m’ont ouverts les yeux. Désormais j’ai tendance à voir les choses sous un angle positif, je ne me bats pas pour les gens qui ne veulent pas de moi, j’ n’oblige personne a m’apprécier, mais je cherche mon bonheur autre part… « Je ne pense pas, beaucoup de gens parlent de ça, mais au final sur toute cette masse très peu le font. Mais bon après c’est vrai que je ne te connaissais pas alors je ne peux rien dire. » Je hausse les épaules.

Il me faisait tous marrer à croire que j’avais fais preuve d’un grand courage. Alors oui je pouvais admettre que ce fut tout un bouleversement dans ma vie. J’avais eu le cran de devenir ce que je voulais être depuis des années, quitte à me mettre presque tout le monde à dos. Sauf que j’avais attendu vingt-et-un ans pour le faire. Autrement dit longtemps pour beaucoup. Certains ce font opérer dès douze/quatorze ans. Par exemple, à seize ans, j’aurai pu dire merde à mes parents et avoir le courage d’enclencher le processus de changement. Non, j’avais bien attendu de passer à deux doigts de mourir. « Justement, personne ne sait. Je pense que dans tout les cas c’est admirable. » J’esquissais un sourire, en tournant toujours les raviolis pour éviter qu’ils n’accrochent au fond du poêlon. « Si, moi je sais. » Oui et je le lui disais. Je savais que je n’aurai pas trouvé le courage et que je me serais suicidé. Après une tentative et après de longs moments à réfléchir à ça, je peux affirmer que j’en étais capable. « Je ne pense pas, beaucoup de gens parlent de ça, mais au final sur toute cette masse très peu le font. Mais bon après c’est vrai que je ne te connaissais pas alors je ne peux rien dire. » Un nouveau sourire. Effectivement, il ne connaissait rien de ma vie, alors il ne pouvait pas savoir. « Beaucoup aussi pense à ça, après avoir seulement vécu de simples petites broutilles. Dès que ça va mal, hop, ils vont se suicider. On va dire que mon histoire est un peu différente, mais ne va surtout pas croire que je m’apitoie sur mon sort… » Non, j’avais horreur que l’on croit ça, tout simplement. Finalement, je pris mes raviolis que je versais dans un plat. « T’en veux ? » Lui demandais-je, en me déplaçant pour m’asseoir à une place, fourchette en main. « Dire qu’on allait trouver le secret de l’autre… et nous voilà sans secret en même temps… » Lui disais-je, en arquant mes sourcils.

« Si, moi je sais. » dit-elle, ça donne des frissons dans le dos. Limite je suis heureux pour elle qu’elle ait trouvé un moyen de vivre sa vie, même si il lui a fallu un attentat pour ça. Beaucoup de gens sont morts, beaucoup de gens on perdu des membres de leurs familles… Je ne dis rien, le sujet est un peu morbide, carrément même. « Beaucoup aussi pense à ça, après avoir seulement vécu de simples petites broutilles. Dès que ça va mal, hop, ils vont se suicider. On va dire que mon histoire est un peu différente, mais ne va surtout pas croire que je m’apitoie sur mon sort… » Oh mais je ne le croyais pas du tout, je savais la candidate forte, elle l’avait plusieurs fois démontré. Elle avait une carapace d’indifférence, sur ce point nous étions les mêmes. « Je ne pense pas du tout que tu t’apitoies. » Dis-je simplement en haussant les épaules. Et sinon, hm, on pourrait changer de sujet ? La candidate sort ses pâtes et les mets dans un plat. La dessus elle m’en propose, je secoue la tête. « Non, merci, j’ai pas tellement faim en fait, je m’ennuyais donc j’ai cru avoir faim. » Comme toujours d’ailleurs, dès que je m’ennuie j’atterris devant le frigo. Dire qu’on allait trouver le secret de l’autre… et nous voilà sans secret en même temps… » Constata-t-elle, je lâchai un rire avant de me rendre devant le frigo. « Ouais, enfin quand Ennio a énoncé son idée, je me suis dis que c’était surement ça. Ca ne m’étonne pas. » J’avais entendu qu’elle avait fait des études et elle n’avait pas voulu me dire son vrai métier. On ne finit pas danseuse au Crazy Horse quand on a voulu faire science po comme ça, hein. Il se passe forcément un truc. J’ouvre le frigo et j’en sors la bouteille de coca « T’en veux ? » je demande à mon tour en sortant deux verres, de toute manière elle allait boire alors autant lui donner un verre, non ?