Après une énième nuit d'insomnie, le jeune homme n'avait jamais eu autant envie de dormir qu'à cet instant. Il rêvait de vastes lits, impeccablement entretenus, avec des oreillers moelleux, des draps de soie et d'une femme en particulier. Tandis que sa frustration s'accentuait de minute en minute, il décida de se lever aux aurores au lieu de se traînasser tel un cadavre ambulant. A tous les coups, ses cernes autour des yeux avaient pris une teinte violacée. Il se tira hors du lit, il s'extirpa des draps en lambinant. Un bâillement, un coup d'oeil furtif sur son réveil. Il grogna. Il n'était que sept heures du matin. Il retomba sur le matelas bougonnant, marmonnant des phrases inaudibles. Sa mauvaise humeur était telle qu'il n'avait qu'une envie. Du café et encore du café. A force de ne boire que du thé, cela ne lui faisait plus aucun effet. Le café était ainsi de rigueur. Il attrapa sa canne noire, se releva en silence cette fois-ci pour ne pas réveiller sa partenaire, l'Ogresse avant de se diriger dans la salle de bain. Rien ne vaut une bonne douche froide pour se réanimer et calmer toute ardeur. Une fois le lavage du corps fait, il s'habilla dans le dressing. La tenue habituelle, c'est-à-dire chemise et pantalon de costume serré. Ne pouvant pas porter des vêtements plus décontractés, il ne sentait mieux que dans ce genre de vêtement. Plus classieux, plus élégant. Lavé, habillé. Il ne lui restait plus que de s'alimenter. Il avait encore le ventre noué. Du café, du café noir. La cuisine. Personne. Qui serait assez fou pour se lever à cette heure à part un insomniaque comme lui ? Il but son café en silence, en feuilletant un magazine ordinaire sans vraiment en lire le contenu. Il sentit les bienfaits de la caféine se propager dans son corps vigoureux, réveillant sens et acuité. Retour au dressing où il passerait la moitié de la journée à coudre, à créer. Maintenant que l'inspiration était revenue, il s'empressait de noter ses idées dans un calepin. Il pouvait commencer la plus importante partie. Celle de la confection. Les heures passèrent. Le créateur était toujours en pleine création. Il ne s'était arrêté que pour prendre son déjeuner. Un déjeuner sur le pouce. Il était pris un élan de créativité. Il dessinait avec frénésie croquis sur croquis. Pour une fois, il était satisfait pour ce qu'il accomplissait. Soudain, il entendit une porte s'ouvrir. Sa main en suspens, ses oreilles aux aguets. C'était alors qu'il entendit une voix familière. Son prénom résonna dans la pièce comme une doucereuse mélodie, accentuant avec ravissement la dernière voyelle de son patronyme. Nora. Il sourit et se retourna doucement. Elle tenait dans ses mains un plateau. - Je t’ai préparé du thé, dit-il d'un air de plus innocent. Il ne connaissait que trop bien ces battements de cils de biche égarée, cette voix enfantine ... Le fait qu'elle lui avait apporté du thé ne faisait que de confirmer ses soupçons. Elle voulait quelque chose. Il en était certain. Il s'abstint de tout commentaire et préféra la suivre dans son jeu. Elle vint déposer le plateau. Elle l'embrassa sur la jolie. Un sourire amusé naquit sur lèvres du blond. Prévisible, tellement prévisible. Elle s'approcha davantage pour lui susurrer des sortes d'instructions à l'oreille. Au fil de ses explications, il comprit enfin ce qu'elle voulait. Une robe, bien sûre. - Alors ? Tu veux bien dis ? Il acquiesça. Ses lèvres s'étirèrent. Il acceptait de la lui confectionner. Elle avait bien choisi son jour. A croire qu'elle l'avait fait exprès. Malo était inspiré aujourd'hui. - Je t'aiderai ! Je suis une bonne assistante, je sais faire les café, les thés. Je sais tenir un stylo entre les mains, je peux jouer les mannequins, je peux faire l'effort de passer le fil dans le truc de l'aiguille là, bref, je suis o-p !, poursuivit-elle avec enthousiasme. Elle irradiait. Comme toujours. Il rit. - Comme tu t'es montrée si convaincante. Je vais t'en faire une. Il faut savoir qu'une robe ne sait créer pas en journée. Un coup de main ne serait pas de trop. Il lui fit un clin d'oeil. Il s'assit et prit son cahier à dessins. Puis il versa un peu de thé dans sa tasse. Au boulot. - Merci pour le thé. Il lui adressa un sourire espiègle avant d'arborer un visage plus sérieux. - Alors, répète-moi à voix haute quel genre de robe voudrais-tu avoir ? , lui demanda-t-il d'une voix posée.

Nora s'empressa de remercier le couturier en venant entourer son cou de ses bras dans un élan qui le surprit d'abord, puis l'amusa. Il lui caressa délicatement le dos. Elle se détacha de lui, en arborant un sourire encore plus radieux. Elle était contente qu'il lui crée une robe rien que pour elle. Son ravissement se ressentait sur son visage. Elle voulait également lui être utile, en étant son assistante personnelle par exemple. C'était une bonne idée après tout. Il ne pouvait pas dire non à Nora. C'était tout bonnement impossible. Il ne lui refusait jamais rien. Créer une robe spécialement pour elle n'était pas un corvée. C'était par plaisir qu'il allait la lui confectionner. Avec une assistante aussi enthousiaste et motivée qu'elle, il pourrait avancer plus vite. - Oui, je me doute, je t’aiderai sans problème, comme promis, chaque jour, quand tu veux, tout ça. Il lui faisait confiance pour lui apporter assistance à tout moment car le travail serait ardu. Cela nécessitait beaucoup d'heures de travail. La jeune femme pourrait endosser plus tard le rôle du mannequin comme au début de la saison. Leur première discussion dans le dressing. Souvenir mémorable. Il fallait au plus vite commencer. Première étape : le croquis. Un cahier à dessin et un crayon à papier entre les mains, il était paré à présent pour entamer le début du processus de création. Il lui demanda alors quel genre de robe elle voulait. Une simple description suffirait pour que le vêtement voit le jour sur du papier. - Une robe façon XIXe siècle avec des touches de contemporain… Hm, le genre de robe qui mélange harmonieusement deux époques. Il hocha de la tête. Il dessina d'abord le corps du modèle. Il nota les mensurations exactes de la candidate sur un coin de la feuille. Elle poursuivit la description de la robe de ses rêves : - …qui s’inscrit clairement dans l’une, le XIXe en l’occurrence, mais qui se différencie par un glissement subtil dans le siècle suivant… Dit comme cela, ses propos avaient l'air vagues mais le créateur comprenait parfaitement ce qu'elle voulait. Trop de détails pourraient altérer toute créativité. Cela devait rester flou pour l'esprit. C'était une manière de libérer son imagination. Il griffonnait frénétiquement des traits sur la feuille. La robe commençait à prendre forme. - Tu vois ce que je veux dire ? Je n’en demande pas trop ? Sinon, c’est pas grave hein. Il acquiesça en silence. Imperturbable, il continuait à esquisser. Quelques minutes plus tard, il avait terminé l'esquisse. Une lueur de fierté brillait dans ses yeux. - Fini !, s'exclama en lui tendant le croquis. - Alors, qu'en penses-tu ?, s'empressa-t-il de lui demander. Il posa le crayon sur la table, accompagné du calepin. Il attendit son verdict.