20h40, et nous voilà entrain d’arpenter le couloir creusé sous les falaises. De la civilisation au néant. On n’y est pas contraint, c’est nous qui l’avons souhaité. Parce qu’à un moment, faut couper les ailes de la fourmi volante quand elle commence à se prendre pour une hirondelle, n’est-ce pas ? Et puis, y avait rien à la télé ce soir, alors plutôt que de se taper une énième rediffusion de la Boom parce que son réalisateur a eu le bon goût de trépasser cette nuit, on s’est dit qu’on allait généré notre propre boom, cataclysme à échelle microscopique, longueur d’onde proche de zéro, épicentre : Daphné. Portée : son propre égo. Et basta. Attention, voici venir les Barbapapa version 2.0. Ils sont pas gentils, ils ne sont pas méchants non plus, ils ont juste pas envie que tu leur casse les couilles trop longtemps. Je pousse la porte du SAS, et aussitôt la voix de Cupidon retentie : « DAPHNE, TU ES ATTENDUE DANS LE SAS. » petite pause. « TOUT DE SUITE !! » On ne sursaute pas, on a l’habitude. Après une saison complète passée dans le nid, il nous a fallu des mois pour nous réhabituer au silence. Y a pas de cloison en plexi, rien, même pas de taser. Dommage pour Barbitch. Bon, elle se ramène ou bien ? On a pas toute la nuit, non plus. On a une partie de Call Of, sur pause, à la maison. « C’est fumeur, ici, ou pas ? » je demande à Connor, mais je connais déjà la réponse.

Ma première réaction lorsque j'ai lu la revendication de la blonde ? Mais qu'elle est drôle ! On ne s'est pas fait prier pour arriver jusque là, on a même insisté. Quitte à louper le début de Danse avec les Stars. Je suis quasiment sûr qu'ils vont me le proposer la saison prochaine. Mais avant cela, on a une candidate a remettre en place. Enfin, si elle ose se pointer et oser nous affronter en face parce qu'on est méchant, tellement méchant. Tremblez mesdames et messieurs... La douce voix mélodieuse de Cupi résonne, elle appelle la Barbitch, celle qui, accrochez-vous bien, s'est elle même proclamée, "la pire des garces". On patiente, parce qu'on est sympa en faite, mais faudrait pas trop abuser non plus. Syssoï m'interroge. « Nope, ça va niquer mon brushing si on fume ici » Je demande en désignant les détecteurs de fumée ainsi que le système d'arrosage prêt à se déclencher à la moindre détection. Je m'impatiente. « ESTHER TU ES ATTENDUE DANS LE SAS ! » Je ris comme un con et hausse les épaules, avant de reprendre ma psycho killer face ! Pour rester dans l'ambiance, méchants animateurs sans coeur.

« Je vois que Cupidon a transmis mon petit message. » Déclara-t-elle un brin provocatrice en pénétrant dans le sas. Comme pour faire un pied de nez à leur dernière chronique, la jolie blonde portait une longue robe rose pastel digne de la plus royale des poupées. Elle était de plus chaussée de bottines noirs aux talons aiguilles vertigineux. Faisant face aux deux messieurs, elle se permit d’ajouter sans davantage de cérémonie : « J’espère que vos excuses sont prêtes pour demain soir. Je suis sûre que Cupidon regretterait mon départ prématuré. » Derrière son regard assuré et son sourire espiègle, Daphne dissimulait un certain malaise. Se retrouver seule en tête-à-tête avec les deux animateurs s’avérait plutôt intimidant.

J’étouffe un rire en le voyant tenter une imitation de Cupidon pour Esther, et me permet de le faire redescendre de son nuage bien vite. « Cherche pas, y a six centimètres de béton armé qui te séparent d’elle. » j’annonce en tapotant le mur côté plateau. « De la bonne came ! Insonorisation totale ! J’ai vu les mecs le couler, du beau travail, je t’assure. » ma main caresse le mur avec une certaine tendresse mêlée d’admiration, avant que mon attention ne se reporte sur Coco qui m’observe sans comprendre. « Ha, mais, euh, en fait, ils avaient embauchés des Polonais qui parlaient pas un mot d’anglais... Du coup la Prod m’a envoyé en éclaireur-traducteur. J’crois qu’ils ont pas compris que la Pologne n’est pas une région de Russie. Enfin bref. » Comment je m’en suis sorti ? Et bien... « Après plusieurs bouteilles de vodka, on parle tous la même langue. » Et le mur penche sur la droite, mais ça, c’est pas bien grave. Je rejoins Connor au centre de la pièce, lorsque la porte s’ouvre sur Barbitch et la robe qu’elle a taxé à Sue-Ellen. Est-ce que Cupidon nous a transmis son message ? Bien évidemment ! Est-ce qu’on est prêt pour demain ? « Plait-il ? » De quoi elle cause, là ? Attendez... Elle était sérieuse ? Elle était vraiment vraiment sérieuse ? Elle y a cru ? Elle y croit encore ? Et voilà, je pars dans un fou-rire à la mesure de cette vaste blague, tapant l’épaule de Connor au passage, avant de m’appuyer contre cette dernière en relevant la tête. « Je crois que t’as pas bien compris, Blondie. On est payé une fortune pour daigner apparaître à l’écran, là où toi tu n’es qu’une entité négligable. Désolée de présenter les choses de cette manière, mais faut voir la vérité en face. J’ai gagné Fake Lover, Coco mon poto le clepto, il a été en finale. On est resté près de quatre mois à l’écran à suivre les directives de Cupidon, à se plier à ses moindres désirs parce que c’est pour ça qu’on a signé. Et toi, toi tu as fait quoi exactement ? T’as fait une semaine, et t’as faillis être ejectée. Tu peux remercier Tasha au passage, sans elle tu serais depuis longtemps retourné de l’autre côté de l’écran dans ton confortable anonymat. » Je suis méchant ? Non, réaliste. Il est temps qu’elle ouvre les yeux. « T’es pas en position de faire un caprice. T’es même pas en position de réclamer quoique ce soit, en fait. Ce que tu appelles humiliation publique n’est qu’un très court résumé de ce que les téléspectateurs ont pu observé toute la semaine passée. Si tu n’aimes pas l’image qu’on a montré de toi, alors change celle que tu renvoies. Parce que ce que tu as vu, c’est simplement toi. » C’est suffisamment clair, ainsi ? « Naturellement, tu n’obtiendras aucune excuse, et la porte est grande ouverte. Un départ prématuré n’effraie pas Cupidon, vu la longue liste des candidats en attente de rentrer. Maintenant, réfléchis bien à ta décision. Parce qu’une fois la porte franchie, c’est un aller simple vers l’oubli. Et quelque chose me dit que tu ne souffres d’être oubliée. » A elle de choisir, maintenant. Naturellement, si elle souhaite rester, ça ne se fera pas sans condition.

« L’image que je renvoie ou une facette de ma personnalité que vous avez choisi d’extrapoler pour m’humilier ? Interrogez Callan, Dani ou Lulu. Je ne suis pas certaine qu’ils partagent votre point de vue. Votre chronique était inappropriée et rédigée dans le seul but de me ridiculiser, aucune objectivité. Je ne suis pas venue ici pour être célèbre, et je ne pense pas qu’un gagnant de télé-réalité est atteint le statut de Star. » Daphne n’avait jamais espéré devenir une célébrité seulement parce qu’elle avait été filmée sans interruption dans un joli village français. Les personnalités issues d’émissions pareilles tombaient d’ailleurs bien vite dans l’oubli. « Je ne suis pas une joueuse de poker. Je ne parle pas pour bluffer. Je vais donc tâcher d’apprécier ma dernière soirée au village. A demain Messieurs. » Le débat était clos. Inutile de s’attarder davantage sur le sujet. Contrairement à son interlocuteur, elle n'était pas particulièrement fan des longues tirades. Chacun campait fermement sur ses positions. Daphne ne pouvait laisser passer une telle preuve d’irrespect à son encontre. Ce n’était que de la méchanceté gratuite. Elle n’avait absolument pas mérité d’être traitée de la sorte. Ainsi, la belle quitta le sas et attendit d’être suffisamment loin pour laisser ses yeux s’embuaient de larmes.

Syssoï ruine tous mes espoirs en deux secondes. Oui bon ça va, je sais qu'elle ne peut pas m'entendre. Enfin si. « Transition de pensées mon bichon, transmission de pensées. » Je lance fièrement, elle a appris à parler le Coco. Les ondes que j'émets arrivent à intercepter toutes les portes, les murs et autres portes blindés. On est lié, jusqu'à ce que la mort nous sépare ou presque. Je l'écoute légèrement perplexe quand il me parle d'une excursion ici. Non, mais pourquoi je n'ai pas été invité à boire de la Vodka moi ? Je fronce les sourcils, je crois qu'on partageait tout lui et moi. A la vie à la mort bordel de merde. Bref, de toute façon Barbitch se pointe, elle a une de ces dégaine de reine de beauté dans le déclin, abonné au Martini bas de gamme. Elle parle, et rapidement, mon sourire se mêle à celui de mon poto. C'est marrant comme elle se la pète, pourtant, qui elle est ? Personne. Mais visiblement elle ne l'a pas encore compris. J'écoute Syssoï, il parle bien, non ? Ouais, il est parfait. Pourtant, j'ai des choses à dire, d'autres choses. « Ecoute ma jolie, des candidates comme toi on en a à la pelle, t'es rien qu'une petite poussière dans ce microcosme qu'est Fake Lover. Si tu penses marquer les esprits avec ton pseudo caprice de petite fille pourrie gâtée tu te plantes en beauté. La seule chose que les candidats retiendront c'est que tu es capricieuse. Rien de plus. » Je lance sur un ton des plus calme et posé, je la mets en garde, c'est ce que nous faisons de mieux. « Tu sais quoi, chaque saison a son lot de garce, toi ne tu n'es pas une garce, tu essayes de te faire passer comme telle, mais au premier obstacle tu pars chialer dans ton coin tout simplement parce que t'es dépourvu d'humour. » Je jette un coup d'oeil à Syssoï, arrête moi, s'il te plait, arrête moi, elle va encore se mettre à chialer la pauvre petite choupinette. « Si t'es pas capable de prendre du recul et de voir tout ceci comme ce que c'était réellement : une chronique ayant pour but de divertir le public avec humour. Tire toi, sans plus attendre. Et si ce sont vraiment des excuses que tu cherches, prépare ta valise immédiatement, puisque tu n'en auras pas. T'es pas indispensable, t'es même tout à fait remplaçable. » Mais de toute façon je parle dans le vide puisque de toute manière, elle n'écoute rien. Quel manque de respect putain ! Oui non moi c'est Connor pas Daphne. « Tu diras bonjour à Esther de ma part hein... » Sourire exagéré, éclat de rire incontrôlé. Et quand la porte claque. « Quelle conne ! On retourne jouer à Call of mon poussin ? » Je lève les yeux au ciel avant de sortir une clope de mon paquet et t'en tendre une à Syssoï.

J’écoute, parce que moi, ma mère, la reine des garces herself, pas une pâle copie autoproclamée qui n’a de garce que le dressing, et encore, bah ma mère à moi, elle m’a appris à écouter les autres. Il parait que ça se fait. J’écoute d’abord Connor avec un regard chargé d’admiration -des fois je regrette qu’il ne soit pas une femme, et puis après je pense à Gaby, et je me dis qu’heureusement il n’est pas une femme-, puis c’est au tour de Blondie, que j’écoute aussi avec attention. Je me retiens de rire, même, à certains moments, preuve de mon immense dévotion envers ma profession. C’est bien, sur trente-deux candidats, trente-et-un si elle se soustrait elle, elle ne parvient à en citer que trois, trois qui seraient potentiellement de son côté alors que je me doute qu’ils n’en n’ont simplement rien à faire d’elle. Un peu comme tous les autres, en fait. A-t-elle seulement conscience que tout ce qu’elle inspire c’est répulsion et/ou pitié ? Non, je pense qu’elle vole trop haut dans le ciel pour en avoir conscience. C’est comme faire un procès à MichelAnge, parce qu’il t’a représenté avec un nez proéminent. Il n’a rien inventé, il n’a rien ajouté ou enlevé, il t’a juste montré tel que tu étais. Nous avons fait pareil. Tout ce qui a été dit dans cette chronique s’est réellement déroulé au sein du nid. Mais sûrement de peur qu’on lui réponde et qu’elle ne puisse plus être si crédible dans le rôle de la victime, elle se barre, la gourgandine, en décidant de sa date de sortie, qui plus est. « Heu.... » je tente en levant un bras dans sa direction. Mais trop tard, elle est déjà partie. C’est con ça. « Tu crois pas qu’on devrait lui dire que ses affaires ont déjà été débarrassées ? » je demande à Connor en repensant à nos agents types GIGN longeant les murs et se fondant dans le décor, avant de repartir avec les valises de Daphné sous le bras. « Non, parce que là, elle a même pas un pyjama pour dormir, quand même. » Alors, elle devra compter sur ses BFF Lulu, Callan et... C’était qui, l’autre, déjà ? Pour lui prêter un truc à se foutre sur le cul. « Tu crois qu’on doit aller la chercher ? Cupidon a été clair. » Oui, lui il voulait la sortir dès son buzz déplacé. C’est nous, Coco l’asticot et moi-même qui lui avons obtenu un sursis. Putain d’animateurs sans coeur ! « Non, allez, rien à foutre ! J’prends sur moi de lui offrir 24h supplémentaires, histoire qu’elle puisse constater par elle-même que, cette fois, les larmes seront sans effet... » Je range mes mains dans mes poches, et m’approche de mon comparse. « On a même pas eu le temps de lui dire que cette confrontation était diffusée en simultané sur tous les écrans du nid... Mais je suppose qu’elle l’apprendra bien assez tôt. Bon, Call Of ou Danse avec les Stars ? J’ai demandé à Gaby de nous l’enregistrer. » J’suis prévoyant, n’est-ce pas ? Un sourire plus tard, je lui tiens la porte pour qu’il me précéde, avant de lui toucher les cheveux en lui demandant comment il fait pour les avoir si soyeux. Oui, on est super méga perturbés par tout ce qui vient de se passer. Je sais pas si je pourrais en dormir cette nuit, en fait. Allez, à demain Daphne !