Betty-Jayne

L’heure était propice à la sieste ; un début d’après-midi frais mais ensoleillé, un bon repas et quelques heures de sommeil à rattraper. Leone avait opté pour se reposer près de la cascade, lieu de prédilection pour s’évader quelques instants. Légèrement en retrait, le jeune homme s’était installé sur un grand matelas disposé dans l’herbe. Emmitouflé dans son pull à capuche et enroulé sous sa couette, il se laissa bercer par le bruit de la rivière et s’endormit immédiatement…

Lorsqu’il rouvrit ses yeux bleus, la nuit était tombée. Il n’avait pas conscience d’avoir dormi si longtemps, sensation des plus étranges. Quand il se redressa son corps fut parcouru d’un léger frisson, sûrement causé par le froid. Il s’étira brièvement, n’ayant aucune idée de l’heure qu’il pouvait être. La Lune était déjà haute dans le ciel. Par chance celui-ci était parfaitement dégagé, laissant apercevoir ses nombreuses étoiles regroupées en constellations.

Le calme était olympien. Une fois son regard familier à l’obscurité, Leone se leva. Il s’approcha doucement de la cascade puis s’appuya sur la barrière qui le séparait de la falaise, sa couette reposant sur ses épaules solides. Quelques gouttelettes d'eau parvinrent délicatement jusqu’à son visage, pourtant le beau garçon demeurait immobile. Il semblait rêveur, perdu dans ses pensées.

Un cri strident, certainement en provenance de la piscine, le ramena instinctivement à la réalité. Il fit demi-tour, souhaitant retourner s’allonger. Lorsqu’il n’était plus qu’à quelques pas du matelas, il remarqua avec étonnement une silhouette féminine. Il crut reconnaître Betty-Jayne, la candidate spéciale finaliste de la saison précédente d’après ce qu’il avait compris. Celle-ci détenait un charisme particulier et représentait un danger redoutable mais attrayant. En effet, elle était en mesure de mettre son secret à l’épreuve et devait connaître ses points faibles. Silencieux, Leone élut domicile à ses côtés et déposa naturellement un bisou sur sa joue.

La semaine avançait à petit pas et les jours filaient rapidement. Betty avait déjà réussis à faire plusieurs connaissances et pour le moment, elle trouvait que tout se passait bien. Enfin, il y aurait toujours quelque chose pour gâcher le beau tableau, mais elle ne pouvait pas se plaindre, loin de là. Elle n’avait pas la pression et le stress que les autres candidats ont, entre le secret à garder, la cagnotte à augmenter, sa place dans la maison à garder.. Pas de nominations pour BJ et ça, c’était déjà un gros poids en moins. Et le fait de savoir tous les secrets rassurait un peu la jeune femme. Elle sentait qu’elle avait un certain poids contre les candidats et ils ne semblaient pas tous très rassurés dès qu’Alcéo ou elle était dans la pièce. Logique après tout, mais ils n’allaient pas lancer des indices à tout vas et descendre les candidats 24h/24 non plus.
La nuit était déjà bien avancée, Alcéo dormait déjà paisiblement, n’ayant eu apparemment aucun mal à trouver le sommeil, mais il en était tout autre du côté de Betty. Elle tournait et tournait dans le lit, incapable de s’endormir. Elle pensait à lui. Il lui manquait déjà. Ethan. Trop pensive, un peu triste aussi, elle se leva finalement du lit, quittant la chaleur des draps pour trouver la froideur du parquet sous ses pieds nus. Elle enfila rapidement un jean, un t-shirt et un gros pull, sans oublier une paire de chaussures, puis elle quitta la chambre en silence, descendant ensuite les escaliers et se glissa dans le froid glacial de la nuit. Il faisait sombre, mais la lune et les étoiles éclairaient le ciel, le rendant absolument sublime. Betty marcha alors dans le jardin, ayant dans l’idée de rejoindre la cascade, endroit parfait pour reposer l’esprit. Elle y arriva finalement, bien que gelée, elle fut bien contente de trouver ce lieu plein de sérénité et de magie. Sans attendre, elle s’assit sur un matelas à disposition, se recroquevillant sur elle-même. Pas si maligne que ça, seule dehors dans le froid et l’obscurité de la nuit.. Elle regretta de ne pas avoir pris une couverture avec elle. Mais c’est alors qu’elle entendit un cri, provenant de la maison, de la piscine sûrement, puisqu’en passant à côté toute à l’heure, BJ avait aperçus quelques candidats s’amuser à faire trempette. Après tout, il n’y a pas d’heure pour s’amuser ! Soufflant dans ses mains, la jeune femme ferma les yeux et entendit alors des bruits de pas s’approcher. Elle se figea d’un coup, n’osant pas faire de bruit, de peur de se retrouver avec un fou - pourquoi forcément un fou ? Allez savoir. C’est alors que la silhouette s’approcha dangereusement, s’asseyant même à ses côtés. BJ retint un sursaut de surprise et tournant légèrement sa tête vers l’inconnu, elle reconnut un candidat. Rassurée, elle se laissa embrasser sur la joue sans rien dire. C’était plutôt agréable. Frissonnant de tout son corps, elle se mit à sourire en regardant avec attention le visage du candidat, le reconnaissant. « Leone... Merci. Même si je me doute que c‘est en partie parce que je connais tous les secrets et qu‘on ne peut pas me nominer, cela reste vraiment agréable. » Elle plongea ses yeux dans ceux du jeune homme, un sourire sincère aux lèvres. Elle frissonna de nouveau à cause du froid, puis elle reprit la parole, comme si parler pourrait la réchauffer. « Je t’avoue que j’ai flippé en t’entendant arriver ! » Elle se mit à rire, pleine de naturel.

Pour dire vrai, Leone avait été aussi surpris que la jolie demoiselle en la découvrant installée sur le matelas. Elle avait froid, c’était flagrant. Néanmoins l’accueil qu’elle réserva au New Yorkais le frappa de plein fouet. S’il avait su, il se serait uniquement contenté de lui lâcher un bref bonsoir gardant ses lèvres loin d’elle s'imposant ainsi une certaine distance de sécurité apparemment nécessaire.

« J’aurai bien partagé ma couette avec toi mais tu risquerais de croire que je cherche à acheter tes faveurs avec ma sympathie. » Répliqua-t-il d’un ton sévère, laissant deviner sa déception. Il plongea son regard azur dans celui de sa colocataire et poursuivit avec franchise :
« T’es peut-être entrée dans le Nid en prétendant être reine. Certes tu n’es pas logée à la même enseigne mais laisse-moi te rappeler que tu n’es pas sur un piédestal. Ton rôle n’est pas le plus facile à jouer. Tout au long de l’aventure tu continueras à te demander si le moindre petit geste d’affection à ton égard est sincère. Et venant de moi une simple bise sur ta joue dissimule forcément une arrière-pensée stratégique ? Va te faire foutre Betty-Jayne, va te faire foutre. »

Il se leva, bien décidé à s’allonger ailleurs. Avant de lui tourner le dos, il déclara avec davantage de sérénité :
« Ton immunité te rend plus inutile qu’intéressante. Révèle autant d’indices que tu voudras, la révélation de mon secret me rendra plus fort et tu le sais. Tu n’as absolument aucun moyen de pression sur moi. Maintenant retourne à l’intérieur, tu risquerais d’attraper une pneumonie. »

Leone avait parlé calmement, d’une voix douce des plus déconcertantes étant données les circonstances. Son interlocutrice, aussi influente qu’elle soit, ne l’impressionnait guère. L’agent marketing ne supportait pas la vision hypocrite qu’elle semblait lui donner après une simple bise. Elle était libre de penser comme elle l’entendait, il avait néanmoins tenu à lui faire savoir le fond de sa pensée.

D’un pas lent il s’éloigna d’elle puis se posa sur autre matelas. Ses dernières paroles résonnèrent en écho dans son esprit : je me doute que c‘est en partie parce que je connais tous les secrets et qu‘on ne peut pas me nominer. Qu’allait-elle faire ? Refuser tout signe d’affection de la part des habitants ? Il avait hâte de voir comment son aventure parmi eux allait se dérouler.

La jolie demoiselle ne tarda pas à le rejoindre, brisant ainsi sa solitude pesante. Trop agité, il n’aurait sans doute pas été en mesure de trouver le sommeil après une confrontation comme celle-ci. Cette réaction bienveillante lui parut d’ailleurs inattendue. Betty-Jayne aurait tout à fait pu l’envoyer bouler vu la façon dont il s’était adressé à elle. Uniquement par politesse et respect envers elle, il plongea ses yeux bleus dans les siens et l’écouta d’une oreille attentive sans l’interrompre. Il était touché, sincèrement. Elle reconnaissait ses torts et s’en excusait.

Afin de lui montrer que le malentendu était réglé voire oublié, il l’invita à se rapprocher et enroula la moitié de sa couette autour de son corps frigorifié. Leone ne trouvait donc pas nécessaire de revenir sur le sujet, la place qu’il lui céda à ses côtés en disait long sur ses intentions. Il prit toutefois le soin de ne pas se serrer trop près d’elle.

« Ne réfléchis plus. Profite du repos des guerriers… Comment ne pas apprécier un peu de calme dans cette maison de fous ? » Demanda-t-il dans un murmure, alliant humour et honnêteté.

En effet, la vie dans le Nid d’Amour ne s’annonçait pas de tout repos. Son interlocutrice venait d’ailleurs de confirmer ses hypothèses. Mensonges, manipulation, esprit joueur et stratégie d’après ses dires. Il savait à quoi s'en tenir et garderait la tête haute, toujours.

Attentif, Leone écouta les confessions de la demoiselle. Il était agréablement surpris qu’elle partage ses doutes avec lui. Fidèle à lui-même et compréhensif, il ne la jugea pas.

« Tu l’aimes ? » Demanda-t-il ayant clairement conscience que cela ne le regardait pas.

A son tour il joua le jeu. Afin de respecter l’intimité de Betty-Jayne, le jeune homme alla même jusqu’à dénouer la ceinture sur laquelle était fixé le boîtier de son micro. Il déposa le pack dans l’herbe. A cette heure aussi tardive de la nuit, la production ne lui tiendrait sûrement pas rigueur de cette petite négligence.

« Par respect pour ton couple, je ne pense pas que les garçons chercheront à te séduire. Après j’ignore où tu as fixé les limites avec ton Homme mais il ne faut pas confondre jeu et réalité. Le Nid d’Amour c’est un lieu à part, un peu comme Las Vegas. Tu peux t’engager dans des actes que tu n’oserais pas forcément dans ta vie quotidienne sans pour autant qu’ils aient de réelles conséquences. »

Ce qui se passe à Vegas reste à Vegas. En effet dans le Nid d’Amour, un baiser ne signifiait absolument rien. Cupidon cherchait d’ailleurs à les provoquer avec sa fameuse chanson. Fake Lover restait une émission de téléréalité. Avant d’y participer, les candidats avaient une idée très précise des vices qu’ils rencontreraient quotidiennement.

« Tu manques de confiance en toi et tu es effrayée à l’idée de charmer un autre homme ? Ou tu voudrais entretenir une relation libérée avec ton copain ? Tu l’aimes, tu décides de t’engager avec lui mais tu as parfois réellement envie d’aller voir ailleurs, seulement tu ne veux pas le blesser ? »

Leone faisait en sorte qu’elle se sente rassurée à ses côtés. Partager ce qu’elle avait sur le cœur ne devait pas être des plus évidents. Il essayait de suivre le fil de ses pensées. Sur certains points, il ne partageait pas la même définition de l’amour. Son avis personnel ne l’empêchait pas de faire des efforts pour tenter de la comprendre au mieux.

« Un garçon te plait particulièrement ? Tu as peur de ce sentiment ? »

Il pouvait s’agir d’une attirance physique, mais pas uniquement. En effet, Leone n’oubliait pas que son interlocutrice connaissait chacun des habitants dans les moindres détails. Il était par conséquent tout à fait possible que cette attirance soit également psychologique. Instinctivement, il pensait à Alcéo. N’ayant pas suivi la première saison, il ne connaissait pas vraiment la nature exacte de leur relation et pouvait se méprendre.

Les différentes propositions de Leone défilait dans sa tête, cherchant à savoir ce qui correspondait à ce qui se passait. En fait, c’était un peu un mélange. « J’ai parfois envie d’aller voir ailleurs, mais pas forcément pour le sexe. Je suis plutôt du genre à rechercher des baisers, des câlins, une complicité que seul un couple peut avoir, des regards qui veulent en dire beaucoup, parfois simplement des petits gestes qui ne veulent pas forcément dire grand-chose.. ce genre de choses.. Et certaines personnes que je rencontre me donne envie de faire tout ça avec eux.. Je suis un peu effrayée à l’idée d’être attirée par quelqu’un, je ne recherche pas à entretenir une relation libre, juste que j’ai des pulsions, des envies, comme d’autres à mon avis, et je ne veux pas blesser Ethan.. Je ne peux ni lui parler ni le voir, et j’ai peur qu’il réagisse mal en me voyant trop proche d’autres garçons. Il est du genre jaloux.. Rien que de nous voir toi et moi sous cette couette, il aurait peur qu’il se passe quelque chose, alors que toi et moi savons parfaitement qu’il ne se passeras rien. » Elle souffla, créant une sorte de fumée qui sortit de sa bouche pour s’évacuer dans l’air frais de la nuit. Si un garçon lui plaisait particulièrement ? ..Pourquoi forcément un garçon ? Elle avait toujours eu un penchant pour les filles, même si depuis quelques temps il s’avérait qu’elle penchait plus pour les hommes.. Haussant doucement les épaules, elle regardait l’eau de la cascade tomber à l’infini. « Oui. Deux même. En fait, si je faisais mieux la connaissance de certains ici, je sais qu’il y en a plusieurs qui me plairaient vraiment. Mais c’est surtout ces deux là. Il y en a un en particulier avec qui je sais qu’on aura énormément de mal à devenir amis. Il est trop imprévisible pour moi. Il joue le jeu jusqu’au bout. Il est incontrôlable. Charismatique et trop sûr de lui, il peut parfois être détestable, mais il un charme.. Un charme ténébreux. » Betty ne dirait pas de qui elle parlait, mais cela semblait évident. N’importe quel habitant dans la maison avait du se poser au moins une fois la question concernant lui et elle. « Bien sur que j’en ai peur. J’aime avoir le contrôle de la situation. Quand je perds complètement le contrôle sur quelque chose, sur quelqu’un, sur moi, je me sens mal. »