Rien ne servait plus de faire tant d'efforts. Rien ne servait plus de prendre toutes ces résolutions. Rien de servait plus de se battre contre lui même, contre celui qui lui faisait du mal, contre le destin. Il était à bout de patience, à bout d'énergie, à bout de volonté. Il n'en pouvait tout simplement plus. Être venu ici avait été une erreur monumentale, et il en prenait maintenant conscience. Au fil des semaines, il avait été amené à pleurer, à avoir peur, à souffrir. Le but ayant pourtant été de se calmer, de ne plus faire preuve d'autant de faiblesse, de ne surtout pas agir de la même manière qu'à l'extérieur de l'aventure. Mais il en avait déjà assez. Assez d'être ridicule, en permanence. Assez de pleurer, en permanence. Assez d'avoir peur de tout, de tout le monde, en permanence. Assez de souffrir parce qu'on se jouait perpétuellement de lui. Assez de tout ça, vraiment. Alors il voulait agir. Mais plus pour changer, plus pour évoluer. Il avait de toute manière l'impression d'avoir régressé. Et ça, il ne pouvait plus le supporter. D'avoir le sentiment d'être devenu l'inverse de ce qu'il avait voulu devenir en entrant ici. Il ne pourrait plus se regarder dans une glace. Et à cet instant précis, il ne supportait tout simplement plus le reflet du lac, le fait de voir le visage de ce type si faible, si futile, si inintéressant. Il ne pouvait plus vivre avec l'idée qu'il ne serait jamais plus qu'une merde. Alors il allait arrêter maintenant. Oui, tout de suite. Tant pis pour ses sœurs, tant pis pour ceux qu'il avait pu rencontrer ici, il avait véritablement envie de se la jouer égoïste à cet instant précis, et il ne penser plus qu'à lui, qu'à sa souffrance, qu'à son irrésistible envie d'en finir. Et justement, il en finirait. Il en avait enfin la force, enfin le cran. Debout face à cette étendue d'eau qui ne l'effrayait plus qu'un tantinet, il tâcha de se vider la tête, d'oublier tout ce qui était susceptible de le retenir ici. Et doucement, sans précipitation, il se jeta dans le lac. Son instinct de survie aurait pu l'inciter à se débattre, à tenter de nager malgré le fait qu'il n'ait jamais su comment faire, et à tenter autant que possible de regagner le bord. Mais il ne voulait pas. Se battre, il l'avait trop fait. C'était fini, maintenant. Alors il adopta une attitude totalement passive, laissant son corps disparaitre dans les profondeurs de l'étang, fermant les yeux et oubliant tout ce qui l'environnait. Au pire, on pourrait penser qu'il avait simplement chuté dans l'eau. Du moment qu'il trouvait la paix, le reste lui importait bien peu.

Son corps coulait progressivement dans les profondeurs du lac. Son esprit s'anesthésiait. Son souffle s'amoindrissait à mesure qu'il disparaissait sous l'eau. Ses membres ne répondaient déjà plus. Son cerveau ne commandait plus rien. Il se noyait. Et il avait mal. Parce qu'il avait bêtement pensé qu'il pourrait se laisser tomber dans le lac sans avoir à le regretter. Il s'était imaginé que sa fin serait belle, mais surtout rapide. Or, à cet instant précis, il avait mal. L'eau lui brûlait les poumons. La froideur du lac le poignardait à de maints endroits. Il avait subitement envie de remonter, de se battre encore un peu, mais il ne le pouvait déjà plus. Son corps ne répondrait plus à aucune de ses initiatives. C'était déjà trop tard. Alors il tâchait de souffrir le temps qu'il le faudrait, attendant avec une impatience incroyable le moment où il ne respirerait plus, où l'eau qu'il ingurgitait le noierait de l'intérieur, où tout son organisme cesserait de fonctionner, où ce serait la fin, sa fin. Il pouvait toujours penser, en attendant que vienne la mort. Penser à sa mère. Penser à son père. Penser à ses trois sœurs. Penser à ce qu'il avait vécu. Penser à ce qui le poussait à agir aussi inconsciemment. Penser à tout un tas de choses, vu qu'il savait pertinemment qu'il ne serait bientôt plus capable de penser à rien. Et justement ce fut bientôt le cas. Il perdit connaissance d'une violente manière. Happé par les profondeurs, il fut entrainé plus bas qu'il l'aurait pensé. Mais pas suffisamment bas, visiblement, puisque que quelqu'un était parvenu à le saisir, à le tirer en dehors de ces eaux dangereuses, à l'extraire de ce qui aurait pu être le lieu de son trépas. Quelqu'un le déposa sur le rivage. Il demeurait inconscient. Il aurait préféré mourir, c'est certain. Car quand vint le moment de reprendre conscience, il se rendit compte de ce qu'il avait fait, mais surtout, de ce qu'il avait raté. Il avait raté son suicide. Parce que cela était censé en être un. Il nierait en bloc si on osait l'avancer, mais à ses yeux, c'était bel et bien le cas. Tout venait de tomber à l'eau, c'est bien le cas de le dire. Tout avait échoué, par la faute d'Elliot. Elle l'avait sorti de l'eau. Elle l'avait fait respirer à nouveau. Elle l'avait sauvé. Et maintenant, elle pleurait. Lui, il ne comprenait pas grand chose, si ce n'est qu'il était bien vivant. Et rien que pour ça, il se mit à pleurer également. Du coup, ils pleuraient tous les deux. Voilà qui ne changeait pas tellement de d'habitude, disons. Elle le serra fort contre lui, il se laissa faire. Elle lui fit savoir qu'elle avait eu peur, il continua de sangloter dans ses bras. Au fond, lui aussi avait eu peur. Après tout, l'espace d'un instant, il avait eu envie de revenir en arrière, de ne pas risquer la mort. Ce fut passager, mais ce fut le cas. Du coup, l'on pouvait effectivement dire qu'il avait eu peur, lui aussi. « Je souffre trop » articula-t-il péniblement, s'abandonnant totalement à cette étreinte, complètement à bout de souffle, à bout d'énergie, à bout de force. « Je veux la retrouver, elle me manque tellement » reprit-il, en s'étouffant presque. Il parlait bien évidemment de sa mère, qu'il avait indirectement voulu rejoindre, de par cet acte des plus idiots. Parce qu'en quittant ce monde, elle l'avait laissé bien seul, bien malheureux. Et la vie sans elle - bien qu'elle ait souvent été dure avec lui - était des plus pénibles. « J'ai besoin d'elle » conclut-il, avant de fermer les yeux et de calmer ses larmes. Bizarrement, un double sens se cachait derrière toutes ces paroles. Sa mère était naturellement évoquée. Mais pas seulement. Non, pas seulement.

Il aurait pu mourir. Il aurait pu mourir et cela ne semblait pas tant l'inquiéter que cela. Sans doute parce qu'il était profondément inconscient. Sans doute parce qu'il aurait préféré demeurer au fond de ces eaux froides, noyé aussi bien par le lac que par sa détresse, sa peine, son désir d'en finir. Une tentative de suicide, voilà ce que c'était. Il avait voulu jouer avec la mort, tout en sachant pertinemment que les règles n'étaient pas discutables, qu'il ne pouvait rien faire pour la déjouer. Il aurait perdu, c'est évident. Et c'est expressément parce qu'il savait que ce vain combat était perdu d'avance qu'il avait entrepris de se laisser couler intégralement dans les profondeurs du bassin. Il s'était dit qu'il n'en ressortirait pas vivant, et que c'était justement ce qu'il lui fallait, que c'était le meilleur scénario possible. Mais il n'avait évidemment pas prévu que quelqu'un vienne mettre à mal ce plan improbable. Il n'avait pas prévu d'être sauvé de cette mort in-extremis. Il n'avait pas prévu que l'on vienne l'arracher à ces eaux froides et meurtrières. Non, il n'avait évidemment pas prévu qu'Elliot le sorte de cet affreux pétrin. Elle l'avait sauvé. Cela n'était pas ce qu'il avait voulu, dans la mesure où son but initial avait été d'y rester. Simplement d'y rester. Pour disparaitre et ne plus souffrir. Pour disparaitre et ne plus déranger personne. Pour disparaitre et ne pas assumer ce qu'il ressentait. Mais avant tout pour rejoindre celle qui lui manquait terriblement, qui n'en finissait plus de le faire pleurer de par son absence. Sa mère. Il voulait la rejoindre. Il le voulait parce que vivre sans elle était une torture de chaque instant. Il le voulait donc plus que tout. Le deuil de sa mère, il ne l'avait jamais complètement fait. Il avait vu ses trois sœurs surmonter pour le moins aisément ce décès, ou feindre d'y être parvenues en tout cas, mais de son coté, il n'avait jamais pu dépasser sa peine, son chagrin, son immense tristesse. Du jour au lendemain, il avait perdu son seul et unique repère en ce monde. Il avait perdu son père lorsque celui-ci les avait tous abandonné, et voilà que sa mère était morte de chagrin, morte de folie, et qu'il était devenu plus orphelin encore qu'il ne l'était déjà. Certes, elle n'avait pas toujours été très correcte avec lui. Il y avaient eu des mots de trop, des gifles de trop ... mais il l'aimait. A un point inconditionnel. Au point qu'il avait été purement abattu par ce décès. Un décès pourtant prévisible, et loin d'être surprenant. Sa mère n'était plus que l'ombre d'elle même et ses derniers mois avaient été bien misérables. Il avait d'ailleurs tâché de l'accompagner dans ce qu'il savait être la fin de sa vie. Et puis elle était partie. Un jour, elle n'avait plus été là. Elle n'était pas partie comme son père, qui s'était évaporé dans la nature, mais elle l'avait tout de même abandonné. Elle avait cessé de se battre. Il aurait aimé qu'elle se batte un peu plus. Pas nécessairement pour lui, simplement pour elle. Mais non, elle avait préféré baisser les bras. Elle lui avait montré le pire exemple au monde. Et lui même avait sans cesse abandonner ses tentatives de guérison par la suite. Parce qu'en bon fils qu'il avait toujours été, il l'avait copié, il lui avait obéit. Il continuait de lui obéir au quotidien. Et maintenant qu'il se trouvait dans les tendres bras d'Elliot, en larmes et plus attristé et désespéré que jamais, il avait besoin, oui terriblement besoin, d'exprimer sa solitude à travers quelques paroles. Sa mère lui manquait, il voulait la retrouver, parce qu'il avait besoin d'elle et qu'il souffrait de ne plus l'avoir près de lui. Qu'importe son attitude avec lui de son vivant, il la voulait. Il voulait terriblement la retrouver. Et cela n'était possible qu'à travers la mort. La mort à laquelle il n'avait pu accéder, à cause de ce sauvetage malvenu à ses yeux. Il sentait les mains d'Elliot frotter son dos, caresser sa chevelure. De tels contacts l’apaisaient. Mais il pleurait toujours. De désespoir, il pleurait oui. C'en était trop douloureux de vivre de la sorte. Pourtant, il avait quelques raisons de vivre maintenant. Il pensait à Lulu, au fait qu'il ne voulait pas l'abandonner. Il semblait avoir besoin de lui comme Raphaël avait besoin de Lulu. Elliot, et Arès ... ils s'étaient trouvés, c'était probablement réglé pour eux. Il lui suffirait de les laisser tranquilles, pour vivre ce qu'ils avaient à vivre ensemble. Même si à cet instant précis, il avait terriblement besoin de la jeune femme. « Je n'ai plus l'âge d'être materné » souffla-t-il, agacé par sa propre personne. Merde, il avait vingt-trois ans, pas cinq. Et il était bercé par une jeune femme de son âge. Tout cela devenait malsain. « Je crois que ... que tu me renvoies une image très maternelle ... trop maternelle ... » reprit-il, sur le même ton, avant de constater qu'il était décidément dans un piteux état. Sans force sans volonté. Il se sentait faible. Tellement faible. Alors il restait là, dans ses bras. A penser à sa mère. A imaginer qu'il s'agissait de sa mère. Pourtant, c'était Elliot, pas sa mère.