dagga + branca

Je suis de mauvaise humeur, c'est clair et je crois que chacun s'y attendait. Après tout, on est encore seulement lundi et les éliminations de Jared, ainsi que celle de Wade aussi un peu, sont encore fraîches dans mon esprit. Je me suis couchée tôt hier, directement après le prime n'ayant pas la tête à fêter quoique ce soit. Pour autant, je n'ai trouvé le sommeil que très tard, enfin très tôt dirons-nous, trop agacée par l'issue du prime et comme à mon habitude, le sommeil n'aura pas aidé à me faire oublier mes frustrations. Résultat, je suis à prendre avec des pincettes aujourd'hui et encore, pas par tout le monde, à chacun d'évaluer les risques encourus. Je me suis donc levée, ai pris une douche, mangé un morceau et voilà déjà l'après-midi qui pointe son nez, après-midi que j'ai envie de passer tranquillement, sans qu'on m'ennuie pour des broutilles. Je marche dans le village, errant sans savoir où aller et finalement, je rentre dans le cinéma. Pas pour le film, pas pour l'ambiance, simplement pour me caler dans un siège, dans la pénombre afin que personne ne me voit et que je reste dans mon coin, à ruminer et fumer. Oui, pour une fois, j'ai décidé de fumer à l'intérieur même si ça ne se fait pas et ce alors que je m'étais toujours refusée à le faire alors que Lulu était un habitué. Je reste là donc, sans bouger, sans rien dire, sans voir personne, n'ayant aucune idée du temps que je peux perdre dans ce cinéma miteux. A l'écran, Marilyn fait sa chaude, comme d'habitude et c'est d'un ennui mortel. J'en suis déjà à me troisième clope, enfoncée dans mon siège quand j'entends un bruit, celui de la porte s'ouvrant. Un rayon de lumière vive s'impose dans la sombre ambiance de la pièce et finalement, je décèle une silhouette, féminine, grande et élancée. Mais je ne dis rien, pas envie, d'autant plus que d'ici, je n'arrive pas à identifier la personne et il y en a certaines que j'aimerais éviter.

J'arrête pas de repenser au prime d'hier. Je pensais qu'il allait être anodin pour moi. Les seuls nominés auxquels je tenais, c'était Joshua, Jared et Dani d'une certaine manière – les autres, je les connaissais à peine. Jusqu'au dernier moment, j'avais été intimement convaincue que Joshua et Jared, au moins, ne craignaient rien. Mais le système de notes avait tout fichu en l'air. Et quand j'avais vu que ça allait se jouer entre Branca, Elliot et Jared, je crois que je n'avais pas été loin de péter un câble. Et je n'étais très certainement pas la seule. Mais je me plaignais pas, je disais rien, et j'essayais de ne pas avoir une gueule d'enterrement, parce que j'estimais que j'étais pas celle qui avait le plus souffert de ces éliminations. Joshua avait perdu Sïana, Branca avait perdu Jared, Malik avait perdu Dani, et j'étais pas en mesure de comprendre ce que ça pouvait signifier pour eux, parce que j'avais pas d'élément de comparaison, et je ne crois pas que j'avais quelqu'un, au sein du jeu, qui pouvait être mon pilier ou quoi que ce soit du même genre. J'avais pas mal de personnes autour de moi que j'appréciais énormément, mais j'aurais été bien en peine de trouver une personne dont le départ m'aurait plus attristée que les autres. Et puis, au fond, tout ceci n'était qu'un jeu – je me répétais cette affirmation toute bête en boucle depuis deux ou trois semaines, et elle s'était à présent ancrée dans ma cervelle tant et si bien que je ne parvenais plus à envisager les choses dans une autre optique. J'erre dans le village. J'ai rien de particulier en tête. Mes pas me mènent, de façon plus ou moins hasardeuse, au cinéma. J'entre dans le hall, au moins pour me servir en pop-corn, et hésite un instant entre repartir ou rester ici. Indécise, j'entre dans la salle, au moins pour voir ce qui passe. Mon œil gauche se plisse imperceptiblement à la vue de ce qui se passe sur l'écran. Je suis un peu perplexe, mais après tout c'est pas comme si j'avais mieux à faire ? Et puis, en avançant un peu plus, je perçois des volutes de fumée qui captent mon attention, et me dirige instinctivement vers le siège occupé par la fumeuse en question. Si elle voulait se faire un aquarium, elle avait choisi le mauvais endroit je crois. Je me glisse aux côtés de Branca, sur un des nombreux sièges inoccupés. « J'savais pas que t'étais une fan de Marilyn. » je lance malicieusement en guise de salutation. Après coup, je réalise que y'a mille autres trucs que j'aurais pu dire. Genre "bonjour, comment vas-tu ?" ou tâter le terrain, voir si elle avait envie de causer du départ de Jared ou quoi que ce soit. Mais je vois mal Branca s'épancher en long et en large sur ses sentiments perso de toute façon, et je suis tentée de croire que si y'a besoin d'en parler, ça viendra de toute façon naturellement dans la conversation.

Je me fiche bien du film, ils pourraient passer n'importe quoi, je me ficherais toujours autant du film. J'ai juste envie d'être tranquille, qu'on me laisse tranquille et ils devraient tous se rendre compte de la fleur que je leur fais en ne leur imposant pas mon sale caractère en ce magnifique lundi merdique. Alors je suis là, dans le noir, à fumer, renouant avec les interdits et appréciant ma solitude. Je n'ai pas envie qu'on me dérange, s'il le faut, je resterais là pendant des heures, je serais même capable d'y dormir. Finalement, j'aurais aimé sortir, je ne vois plus tellement ce que j'ai à faire ici, si ce n'est 'venger' Jared. Encore faudrait-il que j'en ai l'opportunité ce qui pour le moment me semble compromis. Perdue dans mes pensées pas franchement claires, une raie de lumière finit par me ramener à la réalité et tout ce à quoi j'espère c'est que cette personne ne me trouvera pas. Après tout, je suis petite et bien enfoncée dans mon siège comme je le suis, pas sûre que l'on me voit de loin. Mais j'oublie la fumée et c'est malheureusement ce qui me perdra. On s'approche, je glisse un regard vers la personne sans bouger la tête et découvre alors Dagga. De tous, elle fait partie de ceux qui me dérangent le moins et rien que pour ça, je décide de ne pas la renvoyer chier, ce qui était mon objectif premier lorsque j'ai compris qu'on allait venir à ma rencontre. Elle se met à parler de Marilyn ce qui me fait sourire, j'imagine qu'elle a compris finalement qu'il ne sert à rien de commencer les conversations de manière classique avec moi. « Si carrément, j'ai même pleins de tableaux chez moi avec des strass et des trucs en plumes qui dépassent. » Bien évidemment.

« Si carrément, j'ai même pleins de tableaux chez moi avec des strass et des trucs en plumes qui dépassent. » Je m'esclaffe – ben voyons. Je darde un regard en coin vers Branca. « Ça se voit rien qu'à ton vocabulaire que t'as l'air d'une connaisseuse, ouais. » je me moque gentiment, ne voyant pas exactement à quoi elle faisait référence en parlant de "truc". Faut dire que c'était pas forcément le terme le plus explicite au monde. Avec nonchalance, je me cale plus confortablement dans mon siège, faisant basculer mes jambes pour les poser sur le dossier du siège devant moi. Ça me gâchait un peu la vue, mais pour ce que j'en avais à faire... « Il ressemble à quoi, ton chez toi, pour de vrai ? » je demande, spontanément. C'est une question un peu sortie de nulle part, mais je viens d'y penser et du coup je suis intriguée. On vit tous ici, ensemble, on s'est créé un quotidien commun, mais à l'extérieur nos vies sont sensiblement différentes. Je me demande ce qu'on ressentira, quand on se reverra tous, à l'extérieur – parce qu'il ne me vient pas à l'esprit qu'il est aussi possible qu'on n'organise jamais de retrouvailles ou réunion. Est-ce qu'on se sentira tous comme des étrangers, les uns par rapport aux autres ? Ou est-ce que nos liens ressortiront intacts, indemnes, de cette aventure ? Distraitement, je zieute l'écran. « Elle avait quand même de sacrées formes la Marilyn. Je suis pas d'un naturel envieux, mais j'dois bien avouer que c'est rudement joli à voir. » je commente machinalement, avant de reporter mon attention sur Branca.

Les films, surtout en noir et blanc, c'est pas mon truc et vraisemblablement, pas le truc de la majorité des gens vivants dans le nid. Alors je me disais que certainement, je serais tranquille ici. Et je l'ai été, quelques heures je crois, peut-être deux, je n'en sais rien avant que Dagga arrive. Elle ne me dérange pas le moins du monde, avec d'autres, cela aurait pu être différent. Et puis, elle m'a abordé comme il fallait, je crois que je n'aurais pas supporter un 'Ca va' classique et chiant à en mourir. « Totalement. » Les stars tout ça, vivantes ou mortes d'ailleurs, je m'en fous tellement en réalité. Quoique, avec Marilyn, je m'y connais un peu plus, elle fait partie de l'histoire américaine et avec tout ce qu'on a pu nous rabâcher, ne rien savoir sur elle se révèle compliqué. Ma cigarette terminée, je l'écrase contre mon paquet et y glisse le mégot, j'imagine que Dagga n'est pas venue ici pour être enfumée et puis, j'ai déjà assez de nicotine dans le sang pour plusieurs heures, ça fera donc l'affaire. Le film continue, je n'y prête aucune attention et c'est alors que la rousse me pose une question pour le moins surprenante. Mon chez moi ? Hum... « Et bien, pas à grand chose. Je suis arrivée en Angleterre il y a peu avec une simple valise. J'ai pas franchement de meubles même si j'essaie de me forcer à acheter ces trucs là. Le matelas est à même le sol dans la chambre, par contre j'ai un salon à peu près accueillant, histoire de sauver les apparences même si je ne reçois pas vraiment. Et toi ? » Je suis sûre que son chez elle est bien plus intéressant que le mien en plus. Pas trop difficile en même temps. Ce n'est pas l'argent qui me manque, je pourrais très bien me meubler, tout ça mais c'est fou ce qu'acheter ce genre de trucs me soûle. Et puis après, il faut monter les meubles, tout ça. C'est chiant, vraiment. Dagga rempile alors en parlant de Marilyn et mon regard dévie vers l'écran. Il est clair que dans son genre, elle n'était pas dégueulasse à regarder, toujours mieux que les ficelles d'aujourd'hui. « Malheureusement, ce n'était que joli à voir. » On connaît tous le destin funeste de la blonde. Et son besoin chronique d'amour.

Je suis que moyennement intéressée par le film. J'aime bien les vieux films pourtant, mais c'est, j'imagine, comme pour les films récents : y'en a qui me conviennent, d'autres beaucoup moins. Je préfère voir un film avec Robert Mitchum qu'avec Cary Grant, de la même manière que je préférerais toujours Katharine Hepburn à Audrey Hepburn. Les trucs trop jolis, trop mignons, trop bien-pensants, ça m'ennuyait sérieusement. Pourtant, la filmo de Marilyn Monroe, je la connais pas tellement ; je m'y suis jamais intéressée, et c'est peut-être un tort ? J'en sais rien. Toujours est-il que si je dois réparer ce tort, ça sera pas aujourd'hui. J'écoute Branca tout en visualisant mentalement son appart' (enfin je m'en fais ma propre image quoi) et bizarrement je suis surprise quand elle me retourne la question, ce qui devient une habitude chez moi et je commence à trouver ça ridicule : c'est comme si j'étais tellement absorbée par la vie des autres que, lorsqu'ils me renvoyaient finalement à ma propre existence, je ne pouvais m'empêcher d'être étonnée parce que je l'avais complètement zappée. "Oh, euh… C'est très… Aseptisé ? C'est pas moi qui l'ai meublé et tout. C'est tout petit mais c'est pas trop le mal – c'est vraiment décent. Je devrais personnaliser ma chambre mais je sais pas… Ça me semble tellement pas être chez moi que j'arrive pas à concevoir cette appartement comme mon foyer. La maison de mon enfance me manque un peu, de ce point de vue-là." Mais j'avais pas vraiment eu les moyens ni le choix de la garder après la mort de ma mère. Et si ma mère avait été plus raisonnable, on aurait sûrement vendu cette baraque des lustres de cela ou… Non. Si ma mère avait été raisonnable, on n'aurait pas eu à vendre, on n'aurait pas eu de soucis de fric, et je serais une personne normale à l'heure actuelle. Et elle serait en vie. On s'attarde ensuite un peu sur les formes de Marilyn, mais je saisis pas exactement l'allusion de Branca – je connaissais mal tout le mythe Monroe, rappelez-vous. "Comment ça ?" je fais, en plissant le nez, intriguée.