Pourquoi est-ce que je regardais toujours des films avec des horribles fins ? Je n’aimais pourtant pas particulièrement pas pleurer mais c’est comme devant le Titanic, je connaissais la fin par cœur, j’avais même eu l’occasion de le voir des dizaines et des dizaines fois et pourtant à chaque fois que Jake mourait je fondais en larmes. Chacun son petit point faible, certains après s’être fait largués pleuraient devant Dirty Dancing, du moins c’était le cas pour une héroïne de sitcom qui me faisait toujours exploser de rire et moi, je pleurais à chaude larmes devant des films dramatiques. Aujourd’hui je n’avais pas prévu d’aller à la salle de projection mais n’ayant rien eu à faire d’autre je m’étais finalement retrouvée sur une banquète à bouder cette maudite machine à popcorn que je n’avais pas pu faire fonctionner l’autre fois. En vérité elle n’était pas branchée et je ne l’avais même pas compris mais j’avais tout de suite pensé au fait qu’elle soit tombée en panne au moment où je souhaitais manger du popcorn. Après avoir longuement consulté la liste des films je m’étais penchée sur un film qui n’avait aucune allure tragique, Marley & moi. Tout le film se passait plutôt bien mais voilà le moment où le chien venait à mourir dans une scène pleine d’émotion et qu’est-ce que vous obteniez ? Une connasse qui se mouchait tout en sanglotant, cette fille c’était moi. Le pire dans tout ça c’est que je me trouvais pitoyable d’être aussi sensible mais que voulez-vous, la petite musique triste, la situation, le fait que ce soit un animal, tout y était pour me faire verser pleurer. Il y a des moments où je me disais que si on me proposait de retirer mes canaux lacrymaux je ne dirais pas non, au moins je n’aurais pas l’air pitoyable lorsqu’un candidat entrait, je ne le connaissais pas mais ce n’était pas vraiment une bonne première rencontre. Je jetais un petit coup d’œil sur lui essuyant mes larmes à l’aide d’un mouchoir, que d’émotion !

Je l'ai compris : le vrai hédonisme, c'est l'ennui. Seul l'ennui permet de jouir du présent mais tout le monde vise le contraire: pour se désennuyer, les Occidentaux fuient par l'intermédiaire de la télé, du cinéma, d'Internet, du téléphone, du jeu vidéo, ou d'un simple magazine. Ils ne sont jamais à ce qu'ils font, ils ne vivent plus que par procuration, comme s'il y avait un déshonneur à se contenter de respirer ici et maintenant. Quand on est devant sa télé, ou devant un site interactif, ou en train de téléphoner sur son portable, ou en train de jouer sur sa Playstation, on ne vit pas. On est ailleurs qu'à l'endroit où l'on est. On n'est peut-être pas mort, mais pas très vivant non plus. Rien n'a changé depuis Pascal : l'homme continue de fuir son angoisse dans le divertissement. Simplement le divertissement est devenu si omniprésent qu'il a remplacé Dieu. Comment fuir le divertissement ? En affrontant l'angoisse. Chose que je n'ai pas très envie de faire pour le moment. Un p'tit film, c'est plus tentant. Je risque de ne pas broyer du noir au moins. J'arrive sur les lieux. Un film a déjà été mis en route. Je fixe l'écran pour en deviner le titre. Les premières images apparaissent et je devine très vite d'où elles proviennent. Marley & moi. Un des films préférés de ma petite fille. La fin la fait toujours pleurer, elle une vraie dure à cuir. Une vraie garçonne fond toujours en larmes devant ce film. Je croise le regard larmoyant d'une candidate. Je m'avance vers elle et m'assois à côté d'elle, en lui souriant. - Bouleversant, ce film n'est-ce pas ? Je contemple le générique de fin d'un air songeur avant de reposer mes prunelles sur ma voisine. - Hyram. Je la salue d'un signe de tête. Ce film ne m'a pas particulièrement marqué. Le seul film devant lequel j'ai pleuré, c'était Il était une fois dans l'Ouest. Et encore. Je pleure plus devant des vers de Verlaine que devant Titanic, vous voyez.

On pouvait bien dire tout ce que l’on voulait me concernant, insinuer que je n’étais qu’une garce sans cœur mais rien de tout ça n’était vrai, cette émission me permettait de le prouver. Qui est-ce qui se dépêchait de faire la cuisine au maximum pour les autres candidats ? C’est moi, qui avais préparé des cupcakes pour chacun ? Encore moi. Ici je n’avais jamais été méchante gratuitement, juste pour dire de l’être et afin de me donner un genre, bien au contraire je restais relativement calme par rapport à ce que j’avais pu être à l’extérieur du chalet, lorsque quelque chose me dérangeait je n’y allais toujours pas par quatre chemins mais autrement je ne cherchais pas le petit détail qui faisait la différence pour m’énerver et faire des petites réflexions peu plaisantes. Bon, à cet instant je dressais un portrait peu flatteur de moi alors qu’au final je n’étais pas une fille aussi mesquine, au contraire. Je masquais ma sensibilité avec fierté mais il suffisait de me mettre devant un film avec une fin tragique pour me voir verser toutes les larmes que mon corps pouvait contenir. Je n’avais pas senti de nouvelle présence et pourtant Hyram s’était joint à moi à un moment donné et je ne l’avais même pas remarqué. « Bouleversant, ce film n'est-ce pas ? » Je tournais la tête vers lui séchant encore deux petites larmes, mes yeux étaient rouges et boursouflés. « Exactement… Je suis une grande sensible, encore plus à la cause animale ! » Je soupirais, je me faisais presque pitié à me mettre dans un tel état juste parce qu’un chien était décédé dans un film, et encore ce n’était qu’un film. « Hyram. » Je lui adressais un petit sourire répondant du tac au tac. « Alecia… Enchantée ! » Je marquais une brève pause. « Si tu oses dire que j’ai pleuré aux autres candidats je t’arrache les mains avec une petite cuillère et je ferais ensuite en sorte que tu puisses les avaler sans t’étouffer ! » Je souriais amusée, je plaisantais… La boutade n’était pas exceptionnelle je vous l’accorde.

Si les hommes font tant de peine aux femmes, c’est sans doute qu’elles sont tellement plus belles quand elles pleurent. Je trouve qu'une femme ne devrait pas avoir honte de pleurer. Pleurer, c'est de montrer une forme de vulnérabilité quelque part. Les gens ont peur tout simplement, donc ils dressent une barrière autour d'eux pour se protéger. Nous le faisons tous, moi y compris. Ma fille est une vraie pleurnicharde. Elle pleure souvent pour extérioriser ce qu'elle ressent à l'intérieur. Elle a du mal à contenir ses émotions. Sa mère voulait les brider. Moi, je l'ai toujours empêché de le faire. Les émotions, c'est qui nous rend humains. Quand elle pleure, je la laisse faire lui laissant encore son innocence avant que sa carapace commence à se former car la vie ne sera pas tendre avec elle. Cette candidate cache le mieux qu'elle peux ses larmes alors que je ne ressens aucun gêne en voyant sa mine attristée. - Exactement… Je suis une grande sensible, encore plus à la cause animale ! Cela explique son état alors. Ce film ne m'a pas marqué, mais beaucoup ont été émus par la mort du chien. Moi, j'y suis insensible. Sans doute parce que je ne suis pas très chien. Je suis plutôt chat. Je viens m'asseoir à ses côtés. Je me présente car on n'a pas eu l'occasion de se parler depuis le début de l'émission. Elle rétorque : - Alecia… Enchantée ! Pause, puis elle renchérit : - Si tu oses dire que j’ai pleuré aux autres candidats je t’arrache les mains avec une petite cuillère et je ferais ensuite en sorte que tu puisses les avaler sans t’étouffer ! J'éclate de rire avant de répliquer d'un ton provocateur : - Quelle délicate intention ! J'aimerai bien voir ça. Je doute que mes mains soient très appétissantes par contre. Le cannibalisme n'est pas fait pour moi. Goûter de la chair humaine ne m'a jamais tenté. Je dois dire qu'elle a du mordant. Première menace de la semaine, j'aime. - Pourquoi tu ne veux pas qu'on le sache, si ce n'est pas indiscret ? C'est absurde, vu que là elle vient de pleurer devant des milliers de téléspectateurs. Je pointe du doigts différentes caméras disposées dans les quatre coins de la salle.

Je n’étais pas une femme qui haïssait particulièrement le fait de pleurer, je trouvais ça au contraire très naturel et je l’assumais lorsqu’on me prenait sur le fait, je n’étais pas le genre de femme qui simulait avoir un truc dans l’œil alors que tout le monde savait fort bien que ce n’était pas le cas. Non, par contre je n’aimais pas voir les autres prendre pitié de moi, je détestais ce sentiment d’être prise en pitié plus que tout au monde, jamais je n’avais pu me reposer sur quelqu’un, je ne voulais plus que l’on m’aide maintenant que j’avais réussi toute seule à entasser mes études, l’éducation de mon fils puis mon travail sans vraiment savoir comment je m’en étais sortie sans péter un plomb au final. Mes parents m’avaient mis à la porte, mon petit ami était parti avec une autre et je n’avais que dix-huit ans à cette époque, je vous laisse imaginer à quel point j’avais pu être perdue au milieu de tout ce merdier. Passons, depuis le début de cette aventure je n’avais pas pu être pleinement à l’aise, on me posait trop souvent des questions sur ma vie et je ne pouvais donc pas passer à côté de la mort de mon fils qui, aujourd’hui encore, et malgré mon deuil me serrait toujours le cœur lorsque j’en parlais. Finir en larmes à cause d’un film pourrait donc me faire passer pour la chouineuse de l’émission et je ne cherchais pas du tout ça, je plaisantais en le prévenant que s’il en parlait aux autres je lui ferais manger ses mains. Il riait répondant sur un ton volontairement provocateur. « Quelle délicate intention ! J'aimerai bien voir ça. Je doute que mes mains soient très appétissantes par contre. Le cannibalisme n'est pas fait pour moi. » Je souriais amusée répondant du tac au tac avec un air presque angoissant. « Est-ce que tu veux me défier ? Si tu n’es pas content pour tes mains je peux toujours te faire bouffer une tranche de tes fesses tu sais… Ça ne me dérange pas ! » Je gloussais, il devenait un peu plus sérieux. « Pourquoi tu ne veux pas qu'on le sache, si ce n'est pas indiscret ? » Je suivais son regard, zut, j’avais oublié les caméras. « Ce n’est pas que je ne veux pas qu’on le sache mais… Je ne suis pas une fille qui aime que l’on prenne pitié pour elle tu vois ? »