Il y avait des matins comme ceux-là. Des matins où il fallait mieux rester couché. Emilien n’avait pourtant rien de ceux qui aimaient lézardés dans leur lit jusqu’à pas d’heures. Il était plutôt de ceux qui aimaient se rendre utiles, en tentant de faire des tâches de manière plus ou moins fructueuses. Par exemple, il avait beau tenté de faire un effort en cuisine, il n’en restait pas moins… nul. Nul, c’était cela pour qualifier son niveau en cuisine. Mais passons. Ce matin, Emilien aurait mieux fait d’imiter tout le monde, de faire comme les autres, et de rester au lit. Oui, il aurait dû. Ca lui aurait évité une chute dans les escaliers au moins. Il ne savait même pas comment il avait réussi à se retrouver à faire un roulé-boulé dans l’escalier. Il se rappelait d’être sorti précipitamment de son lit, d’avoir enfilé un short et un débardeur et d’avoir couru vers les escaliers pour rejoindre la cuisine, sa chère cuisine. Comment en était-il arrivé à trébucher dans les escaliers ? Il eut cru un instant que son corps avait décidé qu’il descendrait les escaliers de la sorte. En roulant et non, en posant un pied après l’autre sur les marches. Pourquoi son corps aurait-il décidé cela ? Emilien réussit en vain à stopper sa chute et à se rattraper à la rambarde. Vainement, il tenta de se relever. « Sacre bleu… » réussit-il à prononcer, essoufflé par cette rude épreuve. Petit à petit, il réussit à reprendre ses esprits. Il tourna furtivement son attention vers la voix qui venait de l’aborder. Une voix qui ne lui était pas étrangère. Elle ne lui était pas très familière, non plus. Il crut reconnaitre Mickey. Il n’en était pas très certain. Ce dernier lui demanda alors s’il n’avait rien de cassé. Emilien secoua doucement la tête de gauche à droite, avant de tenter de prendre la parole. « Plus de peur que de mal, je crois… ». Oui, ça devait être ça. Plus de peur que de mal. Il se frotta alors les genoux, constatant qu’ils étaient encore là et bien à leur place. Puis il jeta un coup d’œil sur ses jambes. Non, à première vue, il n’avait alors rien de cassé. Tant mieux. Mickey reprit de nouveau la parole. « Ah ne cherche pas, la cause de tout ça ce sont tes chaussettes. Il vaut mieux éviter de te balader avec ça aux pieds, mets des chaussures, des claquettes, n'importe quoi mais là c'est dangereux. ». C’était donc la faute à ses chaussettes ? Vilaines chaussettes. Et lui qui croyait que son vil corps avait prit les commandes de son frêle esprit. Emilien haussa légèrement les épaules, écoutant sagement les conseils de Mickey. Il devait donc porter des chaussures dans les pieds, et ne devait donc pas (ou plus) se promener en chaussettes. « Je le saurais pour la prochaine fois alors… » dit-il en regardant ses chaussettes. Maudites chaussettes. Il les examina consciencieusement quelques secondes, avant de reporter son attention sur Mickey. « Merci pour le conseil. ». C’était la moindre des choses qu’il pouvait lui dire de toute façon. Un petit sourire amical et timide se peignit délicatement sur les lèvres du Suisse alors.

Ca arrivait à tout le monde après tout. Evidemment que tout le monde tombait. Que ce soit dans les escaliers, ou même au beau milieu d’une rue. On pouvait tomber n’importe où. Il y avait des pièges partout, et n’importe où surtout. A croire qu’il y avait quelqu’un qui s’amusait à truffer les endroits de vils pièges. Que celui qui est à l’origine de tous ces complots quotidiens se désigne. Mickey eut la même réflexion qu’Emilien et ne perdit pas une seconde pour lui en faire part. Il avait raison après tout. Ca arrivait à tout le monde, ça arrivait à n’importe qui. Puis ce n’était qu’une chute. Rien de bien grave, en soi. Il aurait pu continuer sa jolie valse dans les escaliers et venir embrasser douloureusement le mur. Là, ça aurait fait mal. Très mal. Heureusement, il avait réussi à attraper cette rambarde. « Ca restera entre nous, dis ? J’n’ai pas envie que les autres l’apprennent et se moquent de moi après… » lâcha-t-il, en grimaçant légèrement. Oui, il n’avait pas envie que les autres le sachent. Enfin même si Mickey ne parlerait pas, il y avait toujours les caméras. Enfin, cette chute n’avait rien de bien sensationnel. C’était une bébé chute, une chute de niveau 1. Peu importe le degré de la chute, il y aurait toujours des âmes avides de cruauté, ou sans cœur, pour en rire bien grassement, pour s’en moquer. Et ça, ça faisait mal. Surtout lorsque l’on était le protagoniste de cette belle gamelle. Finalement, Emilien découvrit le fautif. Ce n’était ni sa faute, ni celle de son frêle corps, mais bel et bien celle de ses rebelles chaussettes. La prochaine fois, il le saura. Note à soi-même : ne plus se promener en chaussettes, ni pieds nus. Le petit Suisse le remercia de la manière plus simple. Il n’était pas obligé de l’avertir, personne n’avait forcé Mickey à lui conseiller cela. Puis finalement, il aurait pu passer son chemin lorsqu’il vit Emilien trébucher. Il était gentil Mickey quand même. Il prit d’ailleurs la parole. « Mais où allais-tu comme ça, déjeuner sans doute ?... ». Evidemment qu’il allait déjeuner. Il venait de se réveiller, et il semblerait qu’un habitant dans son ventre criait famine. Emilien fit alors un grand signe de la tête, tel un enfant aurait pu le faire face à un jouet que son parent lui tendait. Il n’y avait qu’une raison qui pouvait pousser Emilien à descendre les escaliers : la nourriture. Surtout qu’il n’était pas du genre à sauter les repas, bien au contraire. S’il pouvait faire le double de repas dans la journée, ce ne serait pas de refus. Quoique… les nutritionnistes ne devaient pas vraiment conseiller cela dans leurs régimes prescrits. « Oui. J’ai un monstre affamé à nourrir, on va dire ! ». Bon, ce n’était qu’une mauvaise métaphore pour exprimer sa grande faim. Tant pis, de toute façon, des deux, ce n’était pas lui qui savait jouer avec les mots. C’était Mickey. Lui, il ne savait pas faire ça. Jouer avec les mots, les sonorités des mots, et toutes ces figures dont seuls les écrivains avaient le secret.

Emilien avait réussi à reprendre ses esprits. Il fallait avouer qu’il s’était quand même fait une belle frayeur dans ces escaliers. C’était de la faute à ses chaussettes s’il avait trébuché. Mais pas seulement. S’il n’avait pas eu son estomac affamé qui avait décidé de faire sa loi, jamais il n’aurait accouru en direction de la cuisine. Jamais. Il y avait donc deux fautifs. Mesdames chaussettes et monsieur estomac. Mais Emilien fut soulagé lorsqu’il constata qu’il n’avait rien de blessé, aucune égratignure. Il aura peut-être un vilain bleu au niveau du genou, mais ce n’est pas très grave cela. Un peu de pommade et le tour sera joué. A cela, on y ajoutera un petit bisou magique. Mince, maman n’était plus là pour cela… Mickey fut bien curieux de savoir pourquoi Emilien semblait être si pressé avant de chuter. Il n’y avait pas de mystère à cela, et l’érudit l’avait découvert par lui-même. Il allait déjeuner. Tout le monde savait que pour rejoindre la cuisine, il fallait prendre les escaliers. La prochaine fois, il tentera de se laisser glisser sur la rampe, peut-être qu’il aura moins de chance de tomber. Enfin, ce n’était pas certain. Bref. Emilien lui fit part alors de sa grande faim. Très grande faim. Il avait une faim de loup, comme les enfants le diraient si naïvement. Avoir une faim de loup, quelle mignonnette expression quand même. Pourquoi ne dirions-nous pas avoir une faim d’éléphant d’ailleurs ? Après tout, un éléphant, c’était gros et ça devait bien manger énormément vu sa corpulence ? Certainement, ce n’était pas impressionnant de dire que l’on avait une faim d’éléphant, contrairement au fait de dire que l’on avait une faim de loup. Ca devait être cela, l’explication. Mickey lui demanda alors ce qu’il prenait d’habitude au petit-déjeuner. Quelle était donc cette question ? Certes, on soit elle avait l’air anodine. Mais, pas tant que cela. Quel était donc cet intérêt pour ce qu’Emilien pouvait bien manger ? Mickey faisait-il parti de ces gens qui jugeaient les gens à leur alimentation et façon de vie ? Vous savez, genre : dis-moi ce que tu manges et je te dirais qui tu es. Il y a des gens qui s’amusent à faire cela. Quelle drôle d’occupation quand même. Mais que mangeait-il lui au petit déjeuner ? Emilien tenta de faire la liste de ses envies… non, juste la liste des aliments qui composaient son repas matinal, c’était beaucoup moins chic de dire cela. Son premier repas de la journée. Il était quand même important ce repas là. « Euh… des céréales avec du lait, ou bien des flocons d’avoine avec un peu de confiture, puis un grand verre de jus d’orange. » répondit-il en toute naïveté. Et à ce repas, on pouvait y ajouter les petites tartines beurrées couvertes de confitures, la petite tasse de café, mais cela, il préférait se taire.

Ils étaient en train de parler de nourriture, de petits-déjeuners et de toutes ces choses dont Emilien raffolait. C’était du pur sadisme. C’était vouloir attiser un peu plus les foudres du monstre qui logeait dans le ventre du jeune garçon. Il savait qu’il ne tarderait pas à marquer sa présence, à grogner tel un félin affamé. Il espérait juste qu’il soit silencieux tant que Mickey serait là. Emilien récita alors au grand bonhomme (plutôt grand par l’esprit, et non pas par la taille) la composition de son petit-déjeuner. Il ne savait même pas si son repas matinal était équilibré ou non. Il se contentait de singer les repas que maman lui préparait lorsqu’il était enfant. Un bon petit-déjeuner était très important pour commencer sa journée, ne cessait-elle pas de lui répéter. Elle n’avait pas tort. Mickey ne tardait pas à répondre à sa (grande) interrogation du moment. Mangeait-il équilibré ou non ? Même si cela n’allait pas vraiment changer ses habitudes alimentaires. « Un petit-déjeuner composé d'un produit à base de céréales, d'un produit laitier et d'un minimum de sucres est tout ce qu'il y a de plus équilibré. Le jus d'orange est un bon choix de boisson, bien mieux que le soda par exemple mais il serait bon de manger un fruit, également. C'est important pour ton transit intestinal, et c'est un apport en vitamines C non négligeable, idéal pour commencer la journée en faisant le plein de vitalité. Le boire en jus n'est pas mauvais, seulement un fruit frais c'est tout de même bien mieux. ». Manger un fruit frais, il y songerait la prochaine fois. Enfin, peut-être tout à l’heure mettra-t-il en application les conseils avisés de Mickey. Il était romancier d’ailleurs, non ? C’était ce qu’il lui avait dit, n’est-ce pas ? Les pop-corn, les petits-déjeuners… on pourrait presque penser qu’il travaillait plutôt pour une firme agroalimentaire. Enfin, passons. « J'ai deviné en te voyant que tu n'étais pas du genre à commettre des excès alimentaires. Tiens, je suis même sûr que tu n'es pas de ces jeunes suivant la tendance fast-food. Je me trompe ? » continuait-il. Ou il serait plus nutritionniste ou diététicien… Qu’est-ce qu’il en savait lui. Peut-être que dans une vie antérieure, Mickey exerçait cette profession. Selon lui, Emilien n’était d’ailleurs pas du genre à commettre des excès alimentaires. Tout dépendait parce qu’il entendait par excès alimentaire, parce qu’en général, le jeune garçon avait plutôt un gros estomac. Un très gros estomac. Puis il se mit à lui parler des fast-food. Emilien fit une légère moue. Ca ressemblait à quoi un fast-food, d’ailleurs ? Jamais, Emilien n’avait mis les pieds dans un tel endroit. L’évocation du mot ‘fast-food’ ne lui rappelait juste tous les reportages peu valorisants qu’il avait bien pu regarder. « Tu vas peut-être te moquer, mais je n’ai jamais mis les pieds dans… ces trucs. » lui avoua-t-il alors. Mickey n’allait peut-être pas se moquer de lui. Peut-être qu’il était comme Emilien, il n’avait peut-être jamais été dans ces lieux de restauration suintant la graisse et la mal bouffe.

Une nouvelle fois, Emilien avait demandé à Mickey de ne pas se moquer. Après tout, il ne savait pas. Il ne connaissait pas si bien que cela. Puis il aurait pu trouver ça risible de savoir qu’Emilien n’avait jamais mis les pieds dans un tel restaurant. Restaurant, pouvait-on appeler vraiment cela restaurant ? Il n’y avait même pas de serveurs pour vous servir, pour venir vous verser un peu de vin, ni même prendre l’addition à la fin du repas. En plus, il n’y avait même pas de vin… C’était nul comme endroit. « Au contraire, je me réjouis d'apprendre que tu n'es pas tombé dans le piège comme tant de jeunes. Les publicités sont nombreuses, autant à la télévision que sur papier. Il ne faut pas s'étonner que les gens craquent, c'est relativement peu cher, c'est accessible à tous et il parait même que c'est mangeable ». Non, il ne s’était pas moqué de lui. Il était gentil Mickey, quand même. Contrairement à ce qu’il avait bien pu entendre. Emilien hocha la tête. Vu la composition des repas dans de tel endroit, de toute façon, ça ne devait pas être très équilibré et très bon pour la santé. Ca ne valait pas les bons petits plats que papa pouvait lui faire. Mickey continuait son monologue. Il fallait avouer que… il aimait beaucoup parler ce garçon. Il n’avait jamais vu quelqu’un d’aussi bavard que lui. Emilien se contentait de l’écouter religieusement. Comme si un prêtre était entrain de lui prêcher la bonne parole. Mickey avec une soutane, en tant qu’apôtre des bonnes valeurs. Crédule fantasme. Le jeune garçon se tenait alors à la rampe, comme s’il avait peur une nouvelle fois de trébucher. Il cherchait juste un appui où il pouvait se reposer. Le temps de cette écoute dévote. « J'espère ne pas t'avoir sapé le moral. » conclut-il alors, mettant fin à son long monologue. Emilien se redressa légèrement, comme pour faire bonne figure face à l’érudit qui se tenait face à lui. « Non, ça va ! … Tout du moins, ça ne m’a pas coupé l’appétit. » rétorqua-t-il. Et au même moment où il se tut, un petit grognement se fit entendre, en provenance direct de son estomac. Il n’avait même pas à le cacher, son ventre parlait à sa place. « Je devrais peut-être y aller, d’ailleurs. Tu veux venir ? … Enfin, t’as peut-être d’autres choses de prévu. ». C’est vrai ça, il avait peut-être d’autres choses de prévu. Puis… si ça se trouve, il avait déjà pris son petit-déjeuner. Peu importe ces détails parasites, Emilien lui avait gentiment proposé de venir prendre son petit-déjeuner avec lui. Ils pourront continuer de parler comme ça. Enfin. Mickey pourra continuer de parler, et Emilien pourra l’écouter, tel un paroissien.