mado+emilien
Prendre l’air, il en avait besoin. Il en avait envie. C’était comme une nécessité vitale. Il en avait marre de tourner en rond dans le chalet, les mains dans les poches. Ce fut tout naturellement que ses pas l’avaient mené jusqu’ici. Jusqu’au balcon. Il aimait bien cet endroit. Il l’aimait bien plus la nuit. Pourquoi ne faisait-il pas nuit tout le temps, d’ailleurs ? Pourquoi ? Tout ce serait plus calme, ainsi. Il y avait trop de bruits, trop de jérémiades, trop d’histoires qui ne concernaient pas Emilien, le jour. Soupir. Il arriva, après avoir escaladé avec prudence les escaliers (il ne retombera pas deux fois, ça c’est certain), sur le lieu qu’il convoitait tant. En venant, ici, il espérait bien trouver un peu de calme, de tranquillité, de sérénité. Evidemment qu’il trouverait tout cela, puisqu’il n’y aurait personne. Evidemment. Emilien s’engouffra alors dans la pièce qui donnait vue sur le beau panorama. Il lança un furtif regard sur le paysage, avant de baisser la tête en direction de… quelqu’un. Il s’était donc trompé. Il y avait quelqu’un. Il n’y avait pas personne, donc. Le jeune garçon s’approcha un peu plus près de la personne qui était déjà là, bien avant lui. Il voulait juste savoir qui était là, il n’y avait rien de bien méchant derrière cela. Il crut reconnaitre Mado, ou quelque chose comme cela. Il n’était pas très certain si elle s’appelait bien comme cela. Apparemment, d’après ce qu’il avait cru entendre (parce que là non plus, il n’était pas sûr), elle serait la sœur d’Ezra. Ezra, son pote. Elle était la sœur de son pote. Emilien lui fit un bref geste de la tête en signe de salut, avant de s’asseoir sur l’un des sièges. Que pouvait-on dire à la sœur d’un pote ? Pas grand-chose, mise à part la saluer et lui demander si elle allait bien, sûrement. Ce n’était pas comme si c’était elle, son pote.

Il était bien illusoire de s'imaginer pouvoir rester seul bien longtemps par ici. Car Mado avait beau avoir essayé maints endroits, même les moins attirants, pensant toujours pouvoir y rester seule, jusqu'à présent il y avait toujours eu quelqu'un pour briser ses rêves. Ses rêves de solitude en somme. Car Mado n'était finalement jamais aussi sereine que lorsqu'elle était seule, oui. Car c'est en étant seule, notamment, qu'elle avait pleinement l'occasion de penser, de réfléchir, et dieu sait qu'elle avait justement de quoi se torturer l'esprit ces temps-ci. Cette aventure se révélait être une grosse blague, en fait. Pourtant, elle parvenait difficilement à en rire. Elle ne s'y sentait simplement pas à sa place, soit parce qu'elle s'était finalement bien moins intégrée qu'elle l'aurait cru, soit parce qu'elle allait de déception en déception au sujet des candidats du programme. Allez savoir. Ce qu'elle savait, elle, c'est que ce genre d'aventures avaient tendance à changer les gens. Et elle, justement, elle ne voulait pas changer. Enfin si, techniquement, elle le voulait. Cela lui permettrait peut être enfin de se laisser une chance et d'arrêter de vivre dans le passé, en se privant du meilleur en repensant au pire. Mais changer impliquerait bien trop de choses pour qu'elle se le permette, alors disons qu'elle ne pouvait pas changer. Ainsi, si Mado n'était pas une compétitrice dans l'âme et qu'elle n'avait pas les abandons en horreur, il est fort probable qu'elle ait elle même déjà demandé à rentrer sur Paris. Mais ça non plus, elle ne pouvait logiquement pas se le permettre. Si elle partait maintenant, sans avoir pu faire ce qu'elle était venue faire, elle se le reprocherait amèrement, et ce, pour très longtemps. Alors elle se contentait présentement de réfléchir à ce qui lui permettrait de vivre cette aventure plus sereinement, plus agréablement. Elle ne savait plus si la solution résidait dans le fait de se sociabiliser, ou s'il valait justement mieux se détacher autant que possible des autres candidats. C'était sans doute sa plus grande interrogation, à cet instant précis. Interrogation à laquelle elle tâcherait de trouver une réponse, mais plus tard, puisque quelqu'un venait de pénétrer sur le balcon. Et ce quelqu'un, et bien, c'était Emilien. Alors ça, c'était plutôt drôle. Mado connaissait bien peu ce jeune homme, mais de ce qu'elle avait compris, il y avait eu plusieurs baisers entre Ezra et lui, alors disons qu'elle partait du principe qu'il ne serait pas idiot d'aller à sa rencontre aujourd'hui aussi. C'est donc ce qu'elle fit, en avançant jusqu'aux sièges et en prenant place sur celui qui voisinait celui choisi par son camarade. « Tu te souviens de moi ? » demanda-t-elle, en un sourire, sans être certaine de l'avoir franchement marqué. « Si je te dis Virgin Suicides, ça te dit quelque chose ? » Car ils s'étaient rencontrés au Cinéma, devant ce classique. « T'es un "ami" d'Ezra, non ? » se risqua-t-elle ensuite à demander, l'air de rien, mais pas innocemment. Eh oh, on parlait de son frère là.

Emilien lança un regard à droite, à gauche. Ne sachant pas vraiment où poser ses yeux. Peut-être n’aurait-il pas dû rester là. Avec Mado. Non, ce n’était pas qu’il ne l’appréciait pas. Elle était juste la sœur de celui qu’il devait considérer être son pote. C’était silencieux, ici. C’était calme. C’était tranquille. On était bien, ici. Puis la jeune femme qui était présente brisa le silence. « Tu te souviens de moi ? Si je te dis Virgin Suicides, ça te dit quelque chose ? » lui demanda-t-elle alors. Emilien hocha la tête. Evidemment, il se souvenait d’elle. Pour qui le prenait-elle. Il n’était peut-être pas aussi bavard qu’on le voudrait, mais il avait une bonne mémoire. « En effet… » dit-il très brièvement. Il ne l’avait pas oublié. Il se rappelait de son prénom, qu’il avait regardé un film. Après tout, il n’avait fait que cela. Regarder ce film qui avait marqué son adolescence. Il ne pouvait pas se dire proche d’elle, elle n’était pas son amie, elle. Malgré tout, il aurait pu lui demander si elle allait bien depuis. Mais à vrai dire, il n’eut même pas le temps de reprendre la parole. Elle venait déjà de lui poser une nouvelle question. « T'es un "ami" d'Ezra, non ? ». En effet. Il l’était. Ezra était son pote. Son ami, oui. Pourtant ils n’étaient pas si proches que cela. Mais il n’y avait pas besoin de lui rappeler ça. Mais comme tout le monde, Mado avait dû apprendre l’existence de cette nouvelle amitié lors du prime. Foutu interview. Enfin, peut-être n’avait-elle pas été si attentive que cela lors du moment de l’émission. Elle devait parler avec d’autres, bien trop occupée dans une conversation philosophique. Ou… non. Si elle lui demandait cela, c’est qu’elle avait du écouter, qu’elle devait… savoir. Emilien déglutit, avant de croiser les mains. « Oui… c’est un ami » dit-il, en essayant de se convaincre lui-même. Il trouvait ça étrange de se dire, de dire qu’Ezra était son ami, son pote, comme s’il partageait une quelconque complicité avec lui. Pourtant, c’était faux. Puis pourquoi lui demandait-elle cela ?

Au fond, cette rencontre était quelques peu étrange. Sans doute parce que Mado ne connaissait finalement que très peu Emilien et qu'elle était ici plus tentée de lui demander ce qu'il se passait exactement entre Ezra et lui que de faire pleinement connaissance avec ce jeune homme, ce qu'ils n'avaient pas tellement eu le temps de faire au Cinéma. Au moins, elle pouvait s'estimer heureuse qu'il se souvienne d'elle, de la fois où leurs routes s'étaient croisées. C"était déjà ça. Il y eut alors cette fameuse question qu'elle jugea légitime de lui poser. Une question plus rhétorique qu'autre chose à vrai dire, puisqu'il était certain que ce jeune homme était un "ami" d'Ezra, dans un sens ou l'autre du terme employé. Elle ne prétendait absolument pas savoir ce qui se tramait précisément entre ces deux-là, ni quel était exactement le niveau de leur amitié, et cette discussion aurait d'ailleurs, elle l'espérait du moins, pour optique de l'éclairer au sujet d'un certain nombre de choses. Emilien lui confirma alors ce qu'elle savait en quelques sortes déjà, et Mado lui adressa un sourire, posant ensuite sur lui un regard songeur. Elle savait qu'il lui faudrait être infiniment diplomate, pour ne pas l'effrayer, ni le braquer. Elle avait envie de savoir certaines choses, mais elle savait qu'il lui faudrait y aller doucement. Elle avait cru comprendre qu'Emilien était d'un tempérament timide, peu à l'aise, et la dernière chose qu'elle voulait en soi, c'était qu'il la trouve gonflée et indiscrète. Clairement, elle allait devoir la jouer fine là. « C'est marrant. J'étais loin de me douter qu'un mec comme toi pourrait devenir pote avec un mec comme Ezra » souligna-t-elle, un peu bêtement, et dans un rictus. Marrant, ça ne l'était même pas en soi. Alors soit elle essayait d'introduire la discussion en détendant un tantinet l'atmosphère, soit elle était simplement très gourde à force de vouloir peser ses mots. Hm, un peu des deux sans doute. « J'ai cru comprendre que Cupidon s'en était mêlé. Oh le vilain. Et donc, hm ... c'était comment ? » Gné, cette question était, comment dire, un tantinet maladroite. Là, elle allait devoir se reprendre, parce que ça n'allait pas trop le faire sans doute. « Oula, attends. Je reprends. C'est ce baiser qui vous a "rapproché", Ezra et toi ? » Bon, disons que c'était mieux, sans être bien. Il ne fallait pas non plus trop lui en demander, hein.

Emilien se mordit intérieurement la lèvre inférieure. Il n’était pas très rassuré. Pas par cet endroit qu’il trouvait idyllique. Mais par Mado. Elle n’était pas rassurante. Il n’avait pas confiance. Il avait cette impression que si elle lui avait demandé si Ezra était bien son ami, c’était qu’il devait y avoir une raison sous-jacente derrière tout ça. Emilien n’aimait pas cette idée-là. Puis lui, il ne voulait pas que cette conversation tourne autour de son pote. Pourquoi fallait-il parler de ça absolument ? Il devait bien avoir d’autres choses à raconter. Comme parler du beau temps. Tiens, d’ailleurs, il faisait un beau soleil dehors. Oui, il aurait préféré parler de la pluie et du beau temps, plutôt que de cela. Mado prit de nouveau la parole. Elle trouvait ça marrant. Marrant qu’Emilien soit pote avec Ezra. Elle trouvait peut-être ça marrant, mais pas Emilien. Ce n’était pas drôle du tout. Elle ajouta qu’Emilien n’était pas le type de garçon avec qui Ezra était ami ou tout du moins qu’elle ne pensait pas qu’il aurait pu devenir ami avec son frère. Le jeune garçon lui lança un regard critique. Il fallait croire qu’elle ne le connaissait pas si bien que cela son petit Ezra. Emilien aurait bien pu lui répondre s’il avait eu une certaine arrogance. Mais ce n’était pas son genre, et il ne voulait vraiment pas entrer dans un petit jeu mesquin où on le devait obligatoirement lancer des pics à son interlocuteurs. Emilien continua de la regarder. Il voyait bien qu’elle avait d’autres choses à ajouter. Qu’est-ce qu’elle allait bien pouvoir lui dire de plus ? Elle n’en avait pas dit assez ? « J'ai cru comprendre que Cupidon s'en était mêlé. Oh le vilain. Et donc, hm ... c'était comment ? ». Elle n’avait pas le droit. Elle n’avait pas le droit de lui parler de cela. Le regard du jeune garçon se noircit peu à peu, au fil du flot de paroles peu agréables de Mado. Il n’était pas si idiot que cela, il savait bien qu’elle voulait parler du baiser. Il était comme ce baiser. Emilien s’était promis d’oublier ce moment. Avec Ezra, ils se l’étaient promis. C’était leur promesse, à tous les deux. Mais il fallait croire qu’il avait omis un détail : les fouines que le chalet hébergeait. Mado devait faire parti de cette espèce, il fallait croire. Elle venait d’ailleurs de se reprendre. Elle voulait savoir si c’était ce baiser qui les avait rapprochés, Ezra et lui. Emilien bougea légèrement la tête de droite à gauche, comme pour dessiner un bref non. « Pas du tout… dit-il sous ses airs faussement fabulateurs. Je n’sais pas ce que tu t’imagines, mais tu fais fausse route. » reprit-il. Un baiser rapprochait un garçon et une fille, pas deux garçons. Puis il ne voulait même pas savoir ce qu’elle pensait de tout ça. De son amitié avec Ezra, de leur baiser. Non, il ne voulait pas savoir. Lui, ce qu’il voulait, c’était qu’on ne lui parle pas de cela et qu’elle le laisse tranquille avec ça. Il voulait oublier. Il devrait peut-être partir d’ailleurs. Enfin ce ne serait peut-être pas une si bonne idée que cela… Emilien fut alors contraint de rester assis dans son siège.

La position de Mado était plus délicate que l'on pouvait le penser. Elle était entrée dans ce jeu avec Ezra, son petit frère, avec lequel elle vivait et avec qui elle avait toujours partagé une intense et authentique complicité, mais avait du subitement se résoudre à le partager avec une trentaine d'individus sortis de nul part, ce qui avait naturellement eu un effet néfaste sur son humeur des premiers jours. Oh, elle se revoyait accuser la pauvre Carmen de vouloir s'amuser avec son frère pour ensuite le jeter et se trouver un nouveau joujou. Un comble, tout de même, lorsque l'on se rendait compte que celui qui avait visiblement eu à l'esprit de jouer avec l'autre n'était pas celui que l'on croyait, hm. Et puis il y avait Emilien, ce jeune homme dont elle ne savait quasiment rien mais qui était décrit comme l' "ami" d'Ezra, un terme qui pouvait avoir mille significations et qu'elle avait effectivement un peu de mal à saisir dans cette situation-ci. Il avait été question de baisers, au pluriel. D'un baiser instauré par Cupidon - le coup bien fourbe de la musique, oula, elle ne connaissait que trop bien - mais également d'un autre baiser, puisqu'Emilien lui-même en avait parlé dans son interview. S'il pensait qu'elle n'y aurait pas fait attention, il oubliait probablement une chose : elle était la grande sœur d'Ezra et tout ce qui concernait son frère la concernait aussi, inévitablement. Ici, c'était différent d'à l'extérieur. On ne pouvait pas embrasser Ezra en espérant ensuite échapper à la curiosité de Mado qui, héhé, n'était alors jamais bien loin. C'était encore et toujours cette improbable possessivité qui s'exprimait à travers son attitude, elle en avait bien conscience. Mais elle était comme ça. Et elle avait beau faire maints efforts pour se détacher progressivement de la vie de son frère et parvenir au final à beaucoup moins s'en mêler, tout ne se ferait pas en un jour, alors pour le moment, elle restait incroyablement concernée par tout ça. Il était présentement certain que sa maladresse pouvait déstabiliser son camarade, hm. Il faut dire qu'en essayant d'y aller doucement, sans le brusquer, elle finissait par se perdre dans des formulations clairement malvenues. Elle ne le faisait pas exprès, car son but n'était absolument pas de le braquer, mais il est vrai qu'elle était un peu nouille là, hm. Bref, Emilien devait la trouver incroyablement indiscrète, alors qu'elle essayait de ne pas dépasser les limites, justement. Elle s'était reprise, mais il lui semblait peu disposé à coopérer, là. Hm, elle allait devoir lui expliquer les choses, en fait. « Je n'ai pas envie de te mettre mal à l'aise, mais quand je ne comprends pas quelque chose qui touche à Ezra, j'ai tendance à insister et à devenir maladroite. Je n'ai pas saisi comment vous vous étiez rapprochés, et ça me frustre de ne pas savoir. » Mais lui, avec ses réponses évasives et le peu de bonne volonté qu'il semblait impliquer dans cette conversation ne devait pas trouver ça bien important, en soi. « Quant à mes propos de tout à l'heure, ils n'avaient pas pour optique d'être médisants. Mais je me doute bien que sortant de ma bouche, ça avait un coté très cinglant, automatiquement, hm. » Après tout, n'était-elle pas celle qui passait prétendument son temps à critiquer et à juger les autres ? Ici, elle tâchait simplement de comprendre le lien qui unissait Emilien et Ezra et qui, autant le dire, sortait un peu de nul part. Après, qu'il se méprenne sur ses intentions, c'était son problème. Et elle, elle avait plutôt l'habitude, donc bon.

Emilien joua nerveusement avec ses doigts longilignes. Traduisant certainement une nervosité naissante. Il n’était pas à l’aise, Mado ne le mettait pas à l’aise. Il avait cette sensation qu’elle ne faisait décidément rien pour l’aider à se sentir bien ici. Une première question, puis une seconde qu’elle finit par modifier en une seconde prime. Emilien n’aimait pas cela, qu’on lui pose des questions. Il expira fortement, déjà blasé par ces quelques questions. Expiration que l’on pouvait presque prendre pour un soupir. Soupir las. Il voulait couper court à cette conversation, il voulait qu’elle s’arrête, qu’elle se termine. Là, maintenant, tout de suite. Mais Mado en avait décidé autrement. Quel vil personnage. Elle lui expliqua alors qu’elle ne voulait pas le mettre mal à l’aise. Vraiment ? Emilien avait un peu du mal à croire ce qu’elle venait de lui dire. Elle ne voulait pas le mettre mal à l’aise, ça sentait la fabulation. Elle voulait savoir, en quelque sorte, comment ils s’étaient rapprochés. Comment ils étaient devenus amis, comme ça. Qu’est-ce qu’il en savait lui, Emilien. Il n’en savait rien. Il ne savait pas, il ne comprenait pas. La seule chose qu’il savait, c’était qu’il avait décidé avec Ezra qu’ils seraient à présent potes. Emilien tenta d’arrêter de jouer avec ses mains, comme un enfant angoissé. Son regard se posa un instant sur le paysage qui se trouvait en face d’eux. Il avait besoin de quelque chose pour l’apaiser. Pour le calmer. Puis… pourquoi toute cette histoire le rendait aussi nerveux que cela ? Merde, alors. Il tourna de nouveau la tête en direction de Mado. Posant calmement ses mains sur ses cuisses. « Et pourquoi ne demandes-tu pas directement à ton frère ? » lui demanda-t-il alors. Après tout, ça le concernait tout autant que lui. Il n’y avait pas qu’Emilien à harceler de questions. Pourquoi se serait le seul qui aurait le droit à ce vil interrogatoire de Mado ? « Puis… »lâcha-t-il avant de se taire. Puis... Puis après tout, c’était Ezra qui avait fait le premier vers Emilien, c’était lui qui avait embrassé Emilien. Ce n’était pas l’inverse. Emilien, il n’avait rien demandé lui. Il n’avait pas demandé qu’on l’embrasse, lui. Mais cela, il préféra ne rien dire à ce sujet. Non, puis il n’allait tout de même pas dire cela à la sœur de son pote. Il finit alors par secouer doucement la tête, comme pour chercher qu’est-ce qu’il allait bien pouvoir dire. « Ca te dérange que je sois ami avec lui ? ». Un léger froncement de sourcils s’était associé à la candeur de sa voix. Certes, elle voulait savoir « comment [ils s’]étaient rapprochés », mais au fond, peut-être que cette amitié naissance la dérangeait. Qu’est-ce qu’il en savait lui, il n’était pas dans la tête de Mado. Il ne faisait que supposer. Puis, elle n’avait tellement pas l’air agréable, que c’était peut-être fort possible, ça.

Bon, son camarade avait l'air autant à l'aise que s'il se trouvait dans le bureau de la Principale d'un bahut, et Mado commençait à se poser quelques questions. Est-ce qu'elle lui foutait à ce point la trouille ? Ou bien est-ce qu'Emilien était simplement un grand timide ? Franchement, elle se le demandait. Son but, soyons bien clairs, n'était absolument pas de lui faire peur. Ni de le mettre mal à l'aise ou quoi. Non. Ce qu'elle voulait, c'était simplement comprendre ce qui se tramait entre Ezra et le jeune homme. Elle savait bien peu de choses, au final, au sujet de cette relation a priori plutôt nouvelle. Elle avait cru comprendre qu'il était question d'une amitié, mais bon, à en juger par la gêne perceptible de son camarade ici présent, quelque chose lui laissait penser que ça n'était peut être pas aussi simple que cela. Sauf qu'il n'était pas franchement coopératif le Emilien, dans son genre. Pour tout dire, elle n'avait jusqu'ici obtenu que des regards critiques et des propos évasifs. Avec ça, elle allait avec loin, c'est certain. Mais peut être était-elle tombée sur un chieur, en fait. Peut être qu'elle n'avait pas eu l'occasion de s'en rendre compte au cinéma, mais qu'Emilien était une sorte de Mason plus âgé, plus séduisant et un petit moins con ... Ouais, peut être. Elle ne savait rien de lui, après tout. Et disons que puisqu'il n'avait pas franchement l'air de se sentir en confiance avec elle - un peu comme s'il était sous la menace d'une arme - disons qu'elle allait peut être attendre un petit peu avant d'essayer de pleinement faire connaissance avec lui, hm. Son camarade lui posa alors une question qui la fit doucement soupirer. Une question légitime, évidemment, mais qui ne put que renvoyer en pleine tronche à la jeune femme que son jeune frère était un tantinet distant ces derniers temps. Peut être était-ce avec tout le monde. Mais peut être n'était-ce qu'avec elle. Elle avait naturellement envie de croire la première éventualité, hm. « Le dialogue n'est pas évident avec Ezra ces temps-ci. Tu sais, je préférerais pouvoir le lui demander directement, ne serait-ce que parce qu'il serait moins évasif que toi, mais là je n'ai pas franchement le choix. » Puisque cette discussion ne semblait pas être franchement plaisante pour Emilien, Mado n'allait pas prendre la peine de prétendre que c'était l'éclate de son coté, hm. Clairement, elle aimerait que ce soit plus simple, plus constructif et instructif surtout, mais là c'était quand même relativement mal barré. Son camarade commença alors une phrase, sans prendre la peine de la terminer. Par crainte de dire une bêtise ? Peut être. « Hm ? » fit-elle alors, comme pour qu'il continue s'il en avait finalement envie, mais sans le forcer pour autant. A lui de voir. Et ce qu'elle ne savait pas ne risquait pas de lui manquer par la suite, de toute façon. « Je ne vois pas pourquoi ça me dérangerait. Je veux qu'Ezra soit bien entouré, alors tant mieux s'il se fait facilement des amis. Ça a toujours été le cas, et je lui envie même parfois sa sociabilité. Ce qui me dérange, par contre, c'est de ne pas savoir précisément ce qui vous lie. » Oh mais ça, elle l'avait sans doute déjà dit. Sans doute parce que ça n'était que trop vrai. « Pourquoi tu sembles aussi tendu ? Est-ce que je te fais peur ? » Parce qu'il y a encore quelques secondes, il jouait avec ses mains comme pour en oublier qu'il était à ses cotés, comme pour se donner du courage en somme. Est-ce qu'elle était véritablement susceptible de l'effrayer ? Ou est-ce qu'il avait simplement décidé de ne faire aucun effort ? Le doute était permis.

Il avait raison. Elle n’avait qu’à lui parler, à lui. A Ezra. Il saurait certainement mieux répondre qu’Emilien. Après tout, c’était son idée à lui, pas celle du Suisse. Peut-être que Mado le fera, qu’elle ira parler à son frère. Ou peut-être pas en fait, vu ce qu’elle expliqua à Emilien. Elle aurait préféré lui demander directement. Lui aussi, tiens. Lui aussi aurait préféré qu’elle demande tout cela à Ezra. Oh ça oui. Il n’aimait pas se sentir oppresser par des questions, par ses questions, par celle de Mado. Il m’aimait pas cela, lui. Surtout qu’il n’avait rien demandé. Il n’avait rien demandé à personne. Il s’était presque même fait à cette idée là. A cette idée qu’Ezra et lui étaient potes. Il ne cherchait même pas à comprendre comment ils en étaient arrivés là. Ils étaient potes, point. Il n’y avait rien d’autre à savoir. Pourquoi vouloir en savoir plus ? Ca servait quoi d’en savoir plus de toute façon ? A rien. Oui, voilà. Ca ne servait à rien. Ils étaient potes, et un point c’est tout. Point. POINT. Fallait-il l’écrire en times new roman, en taille 72, pour que vous compreniez ? Elle lui dit alors qu’elle n’avait pas le choix. Bien sûr que si. Elle avait le choix. Celui de se taire, de ne pas se montrer bien trop curieuse. Et de ne pas tenter de s’immiscer dans le jardin secret, d’Emilien. Ce dernier finit alors par prendre la parole, avant de s’arrêter. Ce n’était pas une bonne idée de dire ce qu’il était sur le point de lui raconter. Non, pas du tout. Puis, merde, ils étaient potes, juste potes. Il n’avait pas besoin d’avoir à justifier cela. Et encore moins se justifier au près de Mado. Ce n’était pas qu’il n’avait pas envie de lui parler. Il ne la connaissait juste pas, pas assez. Peut-être que cette amitié la dérangeait. Même si Emilien ne voyait pas en quoi le fait qu’il soit pote avec Ezra pourrait déranger, pourrait gêner. Après tout, ce n’était pas comme si Emilien était un garçon pas fréquentable et influençable. Il n’était pas ce genre de garçon. Alors, elle ne devait pas avoir peur de ça. Le jeune garçon lança un bref regard en face de lui. Silencieux, sans un mot. Il ne voulait pas parler lui. Il ne voulait pas parler d’Ezra. Il tourna la tête vers Mado lorsqu’elle lui demanda s’il avait peur. Peur, ce n’était pas vraiment de la peur qu’il ressentait. Enfin, peut-être que si. Emilien n’avait jamais su mettre un mot sur les sentiments. « Non… enfin, peut-être que si. Un peu… » souffla-t-il, avant de baisser la tête. Peut-être que ça aurait été un peu plus simple si elle n’avait pas tout simplement évoqué le baiser, ce baiser. Oui, ça aurait plus simple. « C’est tes questions là. Elles sont… un peu gênantes, elles me mettent mal à l’aise. Surtout, que… que je n’ai rien demandé moi. ». Il expira fortement, avant de se taire de nouveau. Oui, c’était la meilleure chose à faire. Se taire.

Manifestement, cette conversation était une moins bonne idée qu'elle l'aurait cru. Parce qu'à en juger par l'attitude assez distante de son camarade, elle ne devait pas le mettre à l'aise du tout, hm. Il faut dire que Mado n'était pas franchement adroite dans sa manière de procéder, mais croyez bien qu'elle en avait justement conscience. Tout comme elle avait conscience du fait que sa curiosité puisse ici davantage s'apparenter à un défaut qu'à une qualité qu'elle avait pourtant maintes fois défendue, comme lors d'une précédente conversation, avec Carmen. Ici, cela était relativement risqué, tout de même. Elle savait pertinemment qu'il en faudrait bien peu pour qu'Emilien se braque pour de bon et décide, subitement, de sauter par dessus le balcon. Ah oui non mais elle avait bien compris, quand même, qu'elle avait à faire à quelqu'un d'assez sensible, ou en tout cas, d'assez timide. Est-ce qu'il n'aurait pas, par hasard, quelques problèmes d'ordre sociable, voire social ? Elle se permettait pour le coup d'en douter. Mais son camarade ne semblait tout de même pas très ouvert d'esprit dans son genre, parce que pas une fois il n'avait visiblement trouvé légitime que Mado s'intéresse à la vie d'Ezra, et donc à ses relations. Lui, il devait être fils unique, parce qu'elle ne pouvait très franchement concevoir que quelqu'un qui aurait un ou plusieurs frère/sœur ne soit pas du tout apte à se mettre à sa place et à comprendre qu'elle voulait simplement protéger son frère. Bien sûr qu'elle aurait du demander des explications à Ezra directement, mais c'était chose particulièrement difficile et délicate quand son frangin se faisait assez rare. Alors soit il la fuyait - et clairement, elle n'avait pas tellement envie de le croire - soit Ezra se faisait simplement discret, mais ça n'en était en soi pas moins problématique. Tout aurait assurément été plus simple, plus fluide, si elle s'était adressée à Ezra, mais elle n'avait pas franchement eu le choix, alors oui, elle s'était dit qu'elle pourrait toujours essayer avec Emilien. Sauf qu'elle n'aurait peut être pas du, vu combien il était coopératif et combien il semblait se méfier d'elle. Est-ce qu'il avait peur ? Il ne semblait même pas tellement le savoir lui-même. Alors là, il l'intriguait. Très franchement, il apparaissait progressivement sous les traits d'une charmante énigme à ses yeux, et c'était à la fois une bonne chose, et une très mauvaise. « Tu es simplement timide, ou c'est de la mauvaise volonté ? » demanda-t-elle spontanément, sans pour autant adopter un ton accusateur. Peut être était-il simplement trop intimidé pour être coopératif, mais peut être avait-il simplement décrété que Mado ne valait pas la peine qu'il fasse le moindre effort. Hm. « J'ai conscience que mes questions sont assez embarrassantes, mais quand je ne comprends pas quelque chose, j'en fais une idée-fixe. Jusqu'à présent, tu n'as pas été capable de me fournir de réponse claire, et c'est affreusement frustrant. Tu ne sembles même pas capable de comprendre ta relation avec Ezra, c'est d'autant plus intriguant. » Il avait beau dire qu'ils étaient amis, ils ne semblaient avoir d'amis que le nom, hm. Donc oui, Mado se posait des questions. Trop de questions. Questions auxquelles elle n'obtiendrait sans doute pas de réponse. C'était la merde, en somme.