Quelques fois, mais c'était heureusement relativement rare tout de même, Mado se prenait pour ce qu'elle n'était pas. En cela, elle pouvait par exemple se prendre pour une cuisinière de renom lorsqu'elle préparait un simple plat de nouilles, s'imaginer être une brillante styliste lorsqu'une association tee-shirt+jean ne lui paraissait pas trop improbable ou, comme ici, se rêver agent de sécurité alors qu'elle avait simplement les yeux rivés sur quelques pauvres écrans. Oui, en fait, étant globalement frustrée par sa vie, il est vrai qu'elle laissait son imagination la porter, souvent très loin, comme pour parer à une existence relativement terne et loin d'être aussi excitante qu'elle l'aurait voulu. Donc aujourd'hui, Mado était chargée de veiller à ce qu'aucun incident n'ait lieu au sein du nid. Oui, parfaitement. Dites vous bien qu'elle avait déjà sorti sa matraque - ici, un rouleau de sopalin qu'elle avait chouré dans la cuisine, donc (c'est la crise, hein) - et qu'elle n'hésiterait pas à en faire usage sur tout individu qui lui paraitrait un peu trop suspect. Mais voilà que tandis que ses yeux analysaient chaque mouvement, chaque action, chaque fait, la porte s'ouvrit. Mado ne se retourna pas, apparemment absorbée par son job, qu'elle prenait décidément très à cœur. Et là, une infraction fut commise, en direct, sous ses yeux. « Un individu de type caucasien et aux cheveux hirsutes est entrain de dépouiller le cellier d'un balais à frange et d'un essoreur. Il se dirige vers la cuisine, où nos équipes procéderont à son arrestation. Je répète : un individu de type ... hm ... » Oui en fait, elle venait de se rendre compte que puisque la porte s'était visiblement ouverte, quelqu'un avait du entrer. Quelqu'un qui, à cet instant précis, devait juste un peu la prendre pour une tarée. Mais vraiment, juste un peu. La grande brune se retourna alors et croisa le regard de Nadan. « Qu'as-tu entendu ? Que sais-tu ? » Genre parce que, quand même, c'était là une affaire de la plus haute importance. Tout le monde ne pouvait pas être au courant, clairement. « Tu n'as pas le droit d'être ici. » Et ça, c'était vrai. Pourquoi ? Oh et bien, sans doute parce qu'elle venait de le décider, en fait.

Se croire seule, c'était dangereux. Parce que se croire seule, ça avait inévitablement tendance à donner lieu à d'improbables comportements. Et bien oui, certaines personnes se mettaient à danser lorsqu'elles se croyaient seules, mais Mado, elle, partaient dans de tout autres délires, où il pouvait par exemple être question d'une surveillance plus que poussée et d'une paranoïa un poil excessive. Mais qu'est-ce qui n'était pas excessif, chez elle, ces derniers temps ? Tout l'était. Absolument tout. Elle était extrême dans tout ce qu'elle faisait, dans la plupart des choses qu'elle disait également, si bien qu'il n'était peut être pas plus étonnant que cela que sa pseudo-solitude donne lieu à ce genre de délires. Parce qu'une porte avait beau avoir claqué derrière elle, la jeune femme ne s'était même pas dit que quelqu'un avait pu entrer, hein. Vraiment, elle s'était crue seule, alors il est vrai qu'elle s'était laissée emportée par l'excitation d'une telle situation. Le problème, toutefois, était que la porte ne s'était justement pas contentée de claquer. Elle s'était bel et bien ouverte et refermée, oui, sans nul doute, mais entre temps quelqu'un était véritablement entré. Quelqu'un qui n'avait visiblement pas cru nécessaire de s'annoncer, ne serait-ce que pour qu'elle évite de passer pour une conne d'une si déplorable façon, hm. Et ce quelqu'un, et bien c'était Nadan. Nadan qui, sans nul doute, devait se demander ce qu'on avait mis dans le verre de Mado au déjeuner, hein. Parce que ce qu'elle avait semblait un peu grave, tout de même. Disons qu'elle aurait abusé de champagne que ça n'étonnerait pas grand monde. Le pire étant, probablement, qu'une Mado sobre pouvait parfois s'emballer davantage qu'une Mado pétée. Oui, elle aimait être ambivalente dans tout ce qu'elle faisait. Une putain d'emmerdeuse, cette Mado. « Hein ? Quoi ? Qui ... qui m'agace, au juste ? » Lui ? Le voleur du cellier ? Ouais, sans doute le voleur du cellier, hein. Mais dans le doute, et bien, elle préférait demander. Sait-on jamais qu'elle soit complètement à coté de la plaque. Ça arrivait souvent, après tout. « Roh, mais rien, rien ... Je crois que je pète simplement un petit plomb, mais ça ne me parait pas plus préoccupant que ça. Bon, peut être est-ce le début de la fin, oui, mais ... tout va bien. » Tout allait toujours bien avec Mado, c'en était franchement fascinant. « Pourquoi tu es là ? Non, attends ... Pourquoi tu n'as pas dit que tu étais là, plutôt ? » Question plus légitime, à ses yeux. Comment ça, la porte aurait du servir d'indice à l'entrée de Nadan ? Roh mais la porte, elle s'en foutait pas mal, vous savez.

Bon, c'était maintenant officiel, Mado était tarée. Calmons-nous, il est vrai qu'elle venait à l'instant de passer pour une déséquilibrée mentale, mais il ne fallait pas oublier que de nombreuses choses avaient tendance à influencer sur son état nerveux et étaient ainsi susceptibles de lui faire doucement péter un câble. Et puis bon, il y avait assurément bien pire, comme délires, hm. Toujours est-il qu'être prise en flagrant délit de pétage de boulon par Nadan avait un petit coté gênant, tout de même. Qui sait s'il n'allait pas aller raconter cela à tout le monde, une fois sorti d'ici ! Finalement, elle pouvait au moins s'estimer heureuse du fait qu'aucun autre de ces camarades ne puisse normalement la voir à l’œuvre. C'était ça, évidemment, l'avantage d'être dans la salle de vidéo-surveillance, hm. Bon, en tous les cas, Nadan ne manquait pas de perspicacité, puisqu'il ne tarda pas à émettre un commentaire qui, sans nul doute, témoignait du fait qu'il ait visiblement reconnu l'individu qu'avait précédemment décrit la jeune femme. Et même, il avait une excellente mémoire ! Mado, elle, avait presque oublié leur première entrevue, dans le cellier, où ils avaient effectivement parlé d'intellectuels pédants, et donc inévitablement du gus dont il était ici question. Mickey, donc, oui. « Je suis impressionnée. Par ta perspicacité et par ta mémoire. » Et si elle n'avait pas un peu la flemme, elle l'aurait même applaudit, c'est dire. Le sourire qu'elle lui adressa par la suite témoigna en tout cas de l'amusement qu'elle commençait à ressentir dans cette improbable situation. « Avoue, les termes "balais à frange" et "essoreur" t'ont pas mal mis sur la voie, hein » reprit-elle, comme pour le discréditer gentiment. Oh, ça avait bien du l'aiguiller, non ? Ne serait-ce qu'un tout petit peu. Mado confessa en tout cas être en proie à un certain pétage de plombs, ce qui à ses yeux n'était pas forcément critique pour autant. Non pas qu'elle ait l'habitude, mais presque. Nadan dit alors qu'il y avait de quoi perdre la tête dans cette baraque, et ça n'était pas elle qui le contredirait. « Ce n'est plus qu'une question de jours avant que l'on saute tous du balcon, c'est certain. » Non, évidemment, personne ne mettrait fin à ses jours pour une émission comme celle-ci. Pas même quelqu'un d'aussi excessif que Mado. Elle n'était pourtant pas une grande amoureuse de la vie, mais elle n'abandonnait jamais. C'était bien trop lâche, à ses yeux. Mais voilà que Nadan disait avoir admiré son ridicule. Le bougre ! Il osait en plus revenir sur un évènement qui, encore aujourd'hui, ne manquait pas de la bouleverser. « Ne reviens pas sur cet horrible jour, je te prie. J'en suis profondément traumatisée. » Oui, bon, elle exagérait peut être un tantinet. « En plus, tu es très méchant de te moquer. Aucune compassion, hein, franchement ... » Du coup, elle allait peut être bouder. Oui, voilà, c'est ce qu'elle allait faire. Alors elle croisa les bras et fit la moue. Ou comment régresser mentalement d'une vingtaine d'années ...