Y’a un problème, quelque chose qui ne va pas. Je n’arrive pas à mettre la main sur le sweat de Jamie. Je ne sais pas pourquoi. Je ne sais pas ce que j’ai pu en faire, de ce sweat, mais ça ne va pas, je le veux, maintenant, et je ne le trouve pas. J’ai regardé dans mes affaires, mais non. J’ai regardé dans d’autres pièces, rapidement, mais toujours pas, et j’ai même demandé à quelques candidats, mais rien, rien, rien. Du coup, je suis retournée dans les dortoirs, et je cherche à nouveau, parce qu’il me le faut, c’est comme ça. Je trie mes vêtements –enfin, ceux de Kat- je les repose, une pile, toute droite, bien rangé, mais toujours pas, et je commence à regarder dans les vêtements des autres, je ne sais pas, ils ont peut-être confondu, ou je l’ai peut-être rangé dans les affaires d’un autre candidat, c’est possible, je suis sûre que c’est possible, alors, je cherche. Je cherche, mais je ne trouve pas, et moi, ça commence à m’énerver, à me faire paniquer, je ne peux pas avoir perdu le sweat de Jamie, c’est pas possible, et je commence à fouiller partout, et finalement, je n’ai plus la patience de tout re-ranger, je laisse les affaires tomber par terre, celles de tout le monde, je m’en fiche, je veux le sweat. Et puis, très vite, les trois quarts des affaires se retrouvent au sol, mélangés, mais je trouve pas le sweat, alors, ça m’énerve toujours autant, et j’envoie valser les vêtements qu’il reste sur les étagères, ça m’énerve, de ne pas trouver, et je sais que ce n’est pas bien, de s’énerver comme ça, mais je veux ce fichu sweat, et jette le débardeur de quelqu’un, et je me retourne, et je vois Sigvard, et le débardeur sur sa tête, et je reste quelques secondes muette, immobile, je me demande s’il a tout vu, depuis quand il est là, lui. Et je constate seulement du massacre que j’ai fait, du vrai gros massacre, et je me dis que ça ne serait pas arrivé, ça, si Kat était là à ma place. Ou juste avec moi. Je tiens une robe dans la main, j’allais la jeter, elle aussi, parce que ce n’est pas le sweat, mais je me calme, là, d’un coup. Je me demande s’il va se fâcher. Ce serait normal qu’il se fâche. C’est ce que faisait ma mère, quand je venais de faire une bêtise, elle se fâchait, en disant qu’elle ne comprenait pas pourquoi j’étais comme ça, et pas disciplinée comme il le faudrait.

Procrastination. Un nom commun qui me caractérise bien. Un peu comme dans les Sims quand on choisit les aspirations de son personnage. La procrastination, c'est mon aspiration première. Je suis né avec la flemme alors je reporte toujours tout au lendemain. Constamment. Dans la vie de tous les jours, c'est plus simple. Faut dire que j'ai une mère hyper présente et dont je connais toutes les failles. Ca a ses avantages d'être fils unique. Ma mère, elle peut jamais rien me refuser. Même quand j'abuse un peu. J'ai juste à lui faire cette moue qui l'a fait craquer directement et c'est elle qui finit par faire ce que je devais faire à la base. Je suis veinard dans la vie de tous les jours. Pas ici. Ca fait plus d'une semaine qu'on est là et ma valise n'est toujours pas défaite. Je l'aurais bien laissé comme ça si je commençais pas à manquer de fringues. Ca m'enchante pas de défaire ma valise. Je sais pas, ça me donne trop l'impression d'être sédentaire, d'être coincé ici. Pas que j'aime pas être ici. Juste que j'aime pas ressentir qu'on me prive de ma liberté, que je suis pas libre de faire ce que je veux. Défaire ma valise, c'est me plier aux règles et attendre jusqu'à ce qu'on veuille plus de moi. Bref, de toute façon j'ai pas le choix, même si ça me gêne. Je vais dans le dortoir pour récupérer mes valises qui sont encore au pied de mon lit. Sauf qu'il y a une tornade dans la chambre. A en juger par les longs cheveux noirs, cette tornade se nomme Thelma. Elle fout le bordel dans la chambre, à retourner les affaires de tout le monde. Mes affaires également. Je la regarde sans rien dire. Je comprends pas pourquoi elle fait ça. C'est sûr qu'elle cherche quelque chose, mais quoi ? Elle était tellement à fond dans son truc qu'elle me remarque même pas. Je devrais me racler la gorge ou parler pour me manifester et lui montrer que je suis là. Ouais. J'ouvre la bouche et la referme vite quand je reçois quelque chose en plein visage. « Merci, c'est bien à moi effectivement. » je dis en regardant de plus près le débardeur qu'elle vient de me lancer. J'ai l'impression que ma présence vient de mettre un terme à sa crise de folie. Maintenant, elle regarde les dégâts qu'elle a causé ici. « Hum, je peux savoir… ce qui t'arrives ? » Une petite explication serait pas mal, en effet. J'en profite pour ramasser les quelques affaires à moi qui n'ont pas été épargnées dans le massacre. « Parce que j'imagine que t'es pas là pour m'aider à défaire ma valise. »

Il ne se fâche pas. Ou pas encore. C’est drôle, qu’il ne se fâche pas. Je me demande si d’autres candidats se fâcheraient à sa place. Je pense. Je reste un peu figée, c’est vrai. J’ai un peu honte, je crois. Fallait pas que je m’énerve comme ça. Et que je mette un bazar pareil, ça se fait pas, je le sais, mais je l’ai quand même fait. Il me demande ce qu’il m’arrive, mais il ne crie pas, rien, rien du tout. Je laisse tomber la robe de mes mains, j’en veux pas, moi, ce n’est pas ce que je cherche. « Si. Enfin, je veux bien t’aider, si tu veux, c’est pas grave, ça me dérange pas, je t’aiderai bien, quand… Enfin. Après. » Il se fâche pas, ce n’est peut-être pas si grave, je ne sais pas trop, je lui tourne à nouveau le dos, s’il ne se fâche pas, et je recommence le même manège, parce que je n’ai toujours pas ce fichu sweat entre les doigts, et ça m’énerve, je le sens, que ça m’énerve trop, je m’attaque aux affaires qui sont encore intacts, je déplie tout, je jette tout, c’est pas bleu marine, donc c’est pas ce que je cherche. « j’ai perdu le sweat de Jamie. » je lui dis, quand même, il me l’a demandé. « je sais pas où, moi, j’ai regardé partout, je crois, enfin, je cherche le sweat, si je le retrouve pas, ça va pas le faire, je peux pas le perdre, je peux pas, il faut vraiment que je le trouve, je sais pas où il est. » je panique un peu, alors, je parle un peu vite, mais ça va pas, là, je l’ai pas, le sweat, c’est vrai que c’est stupide, d’être dans un état pareil pour un vêtement, mais c’est à Jamie, c’est pour ça, je peux pas le perdre, je veux pas.

La tornade Thelma recommence. De manière plus modérée cette fois. Je la regarde faire quelques secondes. Elle a l'air bouleversée par ce qu'elle cherche. Elle mettrait pas le bazar si c'était pas important. D'ailleurs, je crois qu'elle dort même pas dans cette chambre. Ou alors, je l'y ai jamais croisé. Elle dort aussi peu que moi à ce que j'ai pu comprendre. Elle me répond qu'elle veut bien m'aider moi aussi, que c'est pas grave, ça la dérange pas. Elle est ailleurs, elle pense d'abord à ce qu'elle cherche. Oui, elle le précise bien. Après. « j’ai perdu le sweat de Jamie. » Je sais pas qui c'est Jamie. Son petit ami, son frère, je sais pas, elle a pas précisé. Je crois pas que ce soit le moment idéal pour lui poser la question. Puis, elle me regarde et, dans ses yeux, je lis la panique totale. « je sais pas où, moi, j’ai regardé partout, je crois, enfin, je cherche le sweat, si je le retrouve pas, ça va pas le faire, je peux pas le perdre, je peux pas, il faut vraiment que je le trouve, je sais pas où il est. » Elle parle vite et ça va pas. Elle se calmera pas tant qu'elle aura pas ce fameux sweat. Mais je la comprends, je sais ce que c'est de perdre quelque chose auquel on tient. Je m'approche d'elle et pose mes mains sur ses épaules pour la calmer. « eh, relax thelma. On va le retrouver. Je vais chercher avec toi, ok ? Dis moi juste comment il est. » J'essaie de me frayer un passage parmi la couche de fringues qui réside sur le sol, tâche assez périlleuse vu le bazar qu'il y a ici. J'en profite pour ramasser mes fringues que je reconnais dans le tas et de les jeter dans mon lit. Ca va déjà nous aider à mettre un peu d'ordre et à déterminer quoi est à qui. Je lève alors la tête vers Thelma. « Je te propose quelque chose. Je t'aide à trouver ce sweat et ensuite tu m'aides avec ma valise. » Un petit sourire se glisse sur mes lèvres. Je perds pas le nord, mais c'est vrai, c'est toujours plus agréable de faire quelque chose qu'on aime pas avec quelqu'un. « Deal ? » je lui demande en lui présentant mon poing pour qu'elle tope si elle est d'accord.