D'amers souvenirs lui vinrent à l'esprit au moment où il poussa la porte. Il y a une semaine, il s'était retrouvé dans cette même pièce en compagnie d'Opaline. Ce n'était pas tant l'intérêt des petits écrans qui l'avaient tant passionnés, mais plutôt la présence de la jeune femme. En y réfléchissant, il aurait certainement préféré qu'elle ne soit pas là. Peut-être allait-elle encore là, à contempler avec cette innocence qui la caractérisait tant. Il ne savait pas, au fond, il ne l'espérait pas vraiment. Il entra alors dans la pièce, et la porte se claqua bruyamment derrière lui. C'était une habitude chez le jeune homme de ne jamais refermer la porte derrière lui. Au moins, si une personne était déjà là, elle saura que quelqu'un venait d'entrer. D'ailleurs, il pouvait remarquer la présence d'un personnage dans la pièce. Un rictus s'afficha sur son visage lorsque la silhouette de Sully apparut dans son champ de vision. Ce n'était pas tant que ça lui faisait plaisir de le voir. Après tout, l'appréciait-il réellement ? Non, sûrement pas. A vrai dire, il ne savait pas vraiment comment décrire ni représenter sa relation avec ce garçon. Il s'approcha de ce dernier, sans un mot. Il n'avait pas envie de parler ce jour-là. Son regard s'échoua un instant sur les quelques écrans allumés. Il regarda les quelques piètres pantins qui gesticulaient dans les petits carrés pixelisés, sans faire attention à l’identité de ces quidams. De toute façon, il ne connaissait pas grand-monde, ou tout du moins... il avait oublié la moitié des prénoms. Volontairement, ou non. Il inclina légèrement la tête en direction de Sully qui avait pris la parole. Il prétendait avoir fait une erreur en venant ici. Le rictus dessinait sur les lèvres de Valeri s'élargit petit à petit. « Je n'ai pourtant encore rien dit, ou rien fait... » lui fit-il alors remarquer, en s'approchant au plus près de son interlocuteur. « Je vais croire que tu veux me fuir, Sully. ». Pourtant comme Valeri lui avait fait remarquer, il n'avait encore rien fait, ni rien dit. Il avait même été sage jusqu'à maintenant, alors il n'avait pas à se montrer fuyant, ou à être sur la défensive. Il aurait pourtant très bien pu profiter de la situation pour sous-entendre que Sully était tout compte fait un voyeuriste, qui appréciait observer ces camarades dans n'importe quelle situation, et vêtus de n'importe quel habit. Et pourtant, non. Il ne l'avait pas fait. Il s'était contenté d'être silencieux.

En entrant, Valeri ne s'attendait pas à tomber nez à nez avec Sully. A vrai dire, il n'espérait y rencontrer personne. Ce n'était pas comme s'il avait prévu un rendez-vous avec tel ou tel candidat dans cet endroit. Il n'y avait donc ni rendez-vous, ni individu qu'il espérait retrouver ici. II fut donc quelque peu surpris de trouver Sully dans cette pièce. Néanmoins l'homme ne semblait pas épris d'admiration ou de curiosité face aux écrans qui se trouvaient derrière lui. Non, bien au contraire. La remarque prononcée par Sully ne manqua pas de faire réagir vivement le jeune biélorusse. Il faisait une erreur en venant ici. Il ne manqua pas alors de lui faire remarquer qu'il n'avait rien dit, rien fait, encore. A en croire qu'il voulait fuir Valeri, ou qu'il était de si mauvaise compagnie qu'il le laisserait seul et s'en irait. Il en serait capable certainement, après ce qu'il lui avait dit la semaine passée, cela ne l'étonnerait guère. Un léger rictus se dessina alors sur les lèvres du jeune garçon, tant dit que son interlocuteur reprit la parole. Mais apparemment, il ne disait pas cela à cause de lui. A cause de Valeri. Ce dernier sourcilla légèrement, à l'écoute de ces paroles. Sûrement était-ce à cause des caméras. Il devait faire parti de ceux qui étaient mal à l'aise de pouvoir espionner ses petits camarades dans les moindres détails, partout et n'importe où. Il ajouta alors qu'il ne cherchait pas à le fuir, ce qui rassura quelque peu Valeri. Il n'avait d'ailleurs pas aucune raison à le faire, selon Sully. Vraiment ? Sûrement. Après ce qu'il lui avait confié la fois passée, il avait peut-être des raisons à le fuir, à prendre l'option de la fugue. Après tout, il avait dit lui-même qu'il était difficile d'avoir une conversation avec lui, qu'il ne savait pas sur quel pied danser lorsqu'il se trouvait en face de lui. Il avait peut-être opter à danser sur le pied fuyant... Mais apparemment, ce n'était pas le cas. Sully ajouta alors que s'il avait voulu s'en aller, il l'aurait fait. Ce n'était pas faux. « Donc mes intuitions étaient fausses... » souffla-t-il. Il n'attendait pas à ce que Sully ne réagisse à ces propos. Il ne faisait que de lui faire remarquer que ses hypothèses étaient fausses, qu'il s'était trompé au sujet des attentions du jeune homme. Un sourire se dessina sur ses lèvres, alors qu'il s'approcha. « Ca m'aurait fait de la peine autrement... » rétorqua-t-il, en laissant sa voix en suspend. De la peine ? Non, à vrai dire il s'en fichait de savoir que Sully pouvait bien le fuir ou non. Ce n'était pas comme s'il faisait parti de ces personnes que l'on pouvait ranger dans la case « ami ». Sully était... n'était pas son ami. Et ne le sera certainement jamais. Avoir un ami, être ami avec quelqu'un avait une certaine symbolique forte, basée sur la confiance et les confidences. Il n'avait fait aucune confidence à ce garçon, mise à part au sujet de sa profession -et encore pouvait-on appeler cela une confidence. Quant à la confiance, Valeri n'était pas du genre à accorder sa confiance à n'importe quel quidam qui venait se pointer devant lui. Le jeune garçon l'observa attentivement, sans un mot. Détaillant du regard chacun des traits qui dessinaient ce visage qui se trouvait à quelques centimètres de lui. « Si j'avais su que tu étais là, je me serais vêtu d'une robe, juste pour toi ! » lanca-t-il à tout à hasard. Cet énoncé faisait écho à la situation de la semaine passée, où Sully avait plaisanté sur le sujet. Il recula d'un pas, venant à prendre appui contre la table qui se trouvait derrière lui. « Tu aimes les garçons, Sully, n'est-ce pas ? Enfin, je veux dire... tu as déjà eu des expériences avec ? » Il marqua une brève pause, avant de reprendre. « Tu es le portrait typique du gars qui tombe amoureux de n'importe qui... alors, ça fait quoi d'embrasser un garçon, dis-moi ? ». Un léger sourire amusé se dessina sur les lèvres de Valeri, qui pouffa silencieusement de rire. Il ne pouvait pas s'empêcher de ne pas s'amuser de cette situation. A vrai dire, il ne savait pas vraiment si Sully était purement attiré par les jeunes femmes, ou bien si par moment son cœur pouvait balancer pour un jeune homme. C'était fort probable. Il n’émettait que des hypothèses, peut-être fausse. Il ne savait pas. Il pouvait lire une légère gêne ou malaise chez son interlocuteur. Ce détail l'amusait d'autant plus. Valeri finit par s'approcher, gardant toujours ce même sourire au bout de ces lèvres. Ce sourire qui semblait tant le caractérisait, à présent. Il vint alors plaquer ses lèvres sur celles de cet homme, brisant cette barrière d'interdit qui pouvait séparer deux hommes. Il ne savait pas combien de temps durait ce baiser. Peut-être était-il trop long... ou peut-être pas assez langoureux. Finalement, après quelques secondes, Valeri recula d'un grand pas. Il se pinça alors les lèvres, avant d'affronter du regard le jeune homme. « Je... je voulais juste voir l'effet que ça faisait d'embrasser une femme à barbe. » souffla-t-il, un brin rieur.

Ce n'était donc pas à cause de la présence de Valeri que Sully avait dit cela. Le jeune biélorusse se serait vu peiné, comme il venait de lui dire, si l'homme s'était enfui au moment où il était entré dans la même pièce que lui. Évidemment, cela n'était pas vrai. Il avait juste ajouté cela pour ajouter un peu de dramatique à cette situation. Il n'était pas sérieux dans ses dires. Il prit même la peine d'ajouter que s'il avait su que Sully était là, il se serait vêtu d'une robe, juste pour lui. Cela ne faisait pas parti des plans du jeune garçon. Il avait bien d'autres choses à faire que de devoir se travestir pour un type qu'il ne connaissait que depuis à peine trois semaines. D'ailleurs ce dernier se disait être honoré. Un sourire se dessina alors sur les lèvres de Valeri. Ça l'avait marqué. Tout du moins, c'était ce que pensait Sully... Il ne pouvait franchement dire que la conversation de la semaine passée l'avait marqué. Il l'utilisait plus comme arme pour s'amuser, une fois de plus, de Sully. C'est alors qu'il vint le questionner au sujet de ses préférences. Aimait-il les garçons. Peut-être, c'était tout du moins ce que semblait affirmer le jeune biélorusse. Enfin par aimer les garçons, il sous-entendait plus l'idée d'avoir déjà eu des expériences avec eux. Enfin avec un garçon. Sully semblait alors démontrer le contraire. Non, il n'aimait pas les garçons. Mais ce n'était pas pour autant qu'il avait quelque chose contre l'homosexualité... Il n'était donc pas de ce bord-là, lui expliqua-t-il alors. Malgré cela, Valeri n'était pas réellement convaincu par ces paroles. Sûrement parce qu'il pouvait y déceler une légère gêne, une légère pudeur dans ces mots. Il n'hésita pas à ajouter quelques dires. Pour lui, Sully pouvait être le garçon typique qui tombait amoureux de n'importe qui, de n'importe quelle personne. Femme ou homme. Il lui demanda alors, entre amusement et curiosité, qu'est-ce que ça pouvait faire d'embrasser un garçon. Là encore, il répondit par la négative. Il n'en savait rien. Il n'en avait jamais fait l'expérience. C'était tout du moins ce que Sully était entrain de lui dire. Vraiment ? A vrai dire, le jeune garçon s'en fichait un peu de toute cela. Cette gêne permanente qui se se peignait sur le visage de l'homme qui lui faisait face l'amusait d'autant plus. Dans un élan d'insouciance non-calculée, il s'approcha de lui et l'embrassant sans réfléchir à ses actes. Après tout ce n'était qu'un baiser. Un baiser sans signification, un baiser non-symbolique, tout du moins pour le jeune biélorusse. Il ne savait pas vraiment combien de temps ce baiser dura, combien de temps il avait goûté aux lippes rosées de Sully. Il finit par reculer brusquement, expliquant alors son geste pour une expérience. Il voulait savoir ce que ça faisait d'embrasser une femme à barbe, comme il venait de lui dire. Il n'en perdit pas pour autant sa prestance, gardant ce sourire qui le caractérisait tant. Sully vint alors à lui demander si ça l'amusait. Valeri se contenta de lui répondre par un vague haussement des épaules. Il reprit alors la parole. Parait-il que ce baiser et ce petit surnom qu'il avait glissé dans sa dernière réplique auraient pu lui valoir un œil au beurre noir. Parait-il. Le sourire de Valeri s'élargit un peu plus. « Ou au contraire, un baiser bien plus langoureux que celui-là... » souffla-t-il, gardant toujours son sourire. Il ne faisait que de provoquer son interlocuteur avec ses quelques mots. Il y avait deux scénarios qui auraient pu suivre ce baiser : un poing, ou le prolongement de ce baiser. Son regard s'échoua quelques secondes sur le regard fuyant de Sully. Il ne faisait rien pour simplifier les choses, selon ce dernier. « Tu trouves ? Ce n'est qu'un baiser après tout, il n'y a pas eu mort d'hommes... » lança-t-il, en prenant appui contre la table qui se trouvait derrière lui.

Évidemment, toutes ces futiles interrogations n'étaient qu'un vaste écho à leur conversation de la semaine passée. Où ils avaient été amenés à plaisanter sur l'attirance de Sully pour le jeune garçon. Tout cela n'était que fantasque et fausseté. Évidemment. Tout du moins, il l'espérait. Il ne ferait certainement moins son malin si toutes ces insinuations s'avéraient être des faits vrais, des faits réels. Mais, évidemment, tout cela n'était que du faux. Il ne palpait que du faux à l'aide de ces mots. Il s'en amusait. Comme toujours, d'ailleurs. Valeri était un grand enfant. Cet enfant bien trop grand qui avait troqué ses jouets d'enfants pour l'espèce humaine. Tout cela n'était qu'un jeu, un jeu mal sain peut-être bien. Il ne s'en occupait pas vraiment de tout cela. Tout comme ce baiser qu'il venait de lui donner. Ce baiser vain, ce baiser sans signification, ce baiser banal. Il n'y a pas de nom à donner à ce baiser. Ce baiser provocateur. Ce baiser d'un gamin bien trop prétentieux. Ce baiser d'un insouciant de la vie. Ce baiser. Ça l'amusait lui. Comme toujours. Il était chanceux d'être tombé sur un garçon au sang froid comme Sully, parait-il. Il ne savait pas si ça avait été de la chance, ou s'il avait tout simplement prémédité son coup. Il y avait des sanguins qui ne se seraient pas gênés pour lui redessiner le pourtour de son œil. Œil droit ou œil gauche, d'ailleurs ? Si quelqu'un aurait été amené à le frapper, aurait-il décidé de viser la partie droite ou la partie gauche ? La voix de Sully vint alors doucement le sortie de cette réflexion. Il ne trouvait pas cela drôle lui. Valeri haussa les épaules. L'un de ces haussements d'épaules marquant une certaine indifférence. Qu'il trouve cela drôle ou non, ça ne lui changerait pas sa vision de cette chose ? La vision et l'intérêt de ce baiser. Non. Il pouvait bien penser ce qu'il voulait, Valeri rester indifférent. L'arme futile contre toutes atteintes : l'indifférence. Elle marchait toujours, et dans n'importe quelle situation. L'homme prétendait alors savoir. Savoir pourquoi il l'avait embrassé. Ce présupposé attira l'attention du jeune biélorusse. Vraiment ? Comment pouvait-on savoir quelque-chose que même lui ignorait au fond. Il l'avait embrassé. Sûrement était-ce une pulsion inexpliquée. Mais celle-ci n'avait rien qu'une pulsion nommée désir. Peut-être que cette pulsion répondait au doux nom de provocation. Il ne savait pas vraiment... ces idées semblaient confuses en peu de temps. A ces idées se mêlèrent la voix de l'homme qu'il avait embrassé. Il évoqua une volonté de le déstabiliser, comme depuis le début. Peut-être... Valeri l'observa attentivement, sans ciller. Les traits de son visage s'étaient peu à peu refermés, et ses bras vinrent se croiser le long de son torse. Il semblait avoir un problème, avec l'attitude Valeri. C'était certainement cela qu'il voulait lui faire comprendre dans son long discours. Que Valeri lui posait son problème. Que le problème qu'il pouvait avoir n'avait qu'un seul nom : Valeri. Valeri était son problème. Comme à beaucoup d'autres. Ici, et à ailleurs. Un sourire se fraya un chemin sur les lèvres du jeune biélorusse. Sully évoqua à présent l'impression première que ce garçon lui avait faite. Les impressions premières. Elles étaient importantes. C'était elles qui nous guidaient dans nos gestes, dans nos réactions vis à vis des autres. On se fier toujours à nos premières impressions, même si on osait prétendre le contraire comme il venait de le faire. Nos premières impressions ne nous laissaient jamais indifférents. Jamais. On était bien trop sensibles à elles, à nos impressions premières. Il disait l'avoir trouvé mesquin et con... Con-quelchose. On pouvait être con et beau : combeau, con et moche : conmoche, on pouvait jouer avec les mots autant de temps que vous le souhaitez. Parait-il que Valeri ne faisait que de lui donner raison. Ce fut les quelques mots que Sully le souffla. Son sourire s'élargit de plus bel. Sully aurait préféré qu'il lui donne tort. C'était sa volonté. Que ce gamin ne lui donne pas raison. Ce dernier ne perdit pas ce sourire permanent qui s'était affiché sur ses lèvres. « C'est peut-être ce que je veux... Te donner raison. » souffla-t-il alors. On lui avait toujours appris que la première impression était importante pour les autres, qu'il devait la faire perdurer le plus longtemps possible, qu'il n'avait pas le droit de laisser paraître une seule faille à ces premiers coups de pinceau sur son portrait. On lui avait appris ça quand il était plus jeune. L'une de ces leçons de vie. Il ferma quelques instants les yeux, avant de les rouvrir une nouvelle fois. Sully était toujours là. Toujours là en face de lui. Malheureusement. Non, à vrai dire, il ne maudissait pas tant cette présence. Il ne l'appréciait pas non plus... Il était sans avis, ou quelques peu confus dans ses idées, dans son esprit, dans sa tête. « Que je te donne raison ou tort, où est le problème ? Les gens aiment avoir raison, alors tu devrais en être fier. Et...Je n'ai rien à te prouver à ce que je sache... ». Les gens n'aimaient pas se tromper, n'aimaient pas avoir tort. Les gens aimaient avoir raison et entendre les mots qu'ils voulaient. Ce fut l'une de ces secondes leçons de vie. Avait-il quelque-chose à prouver à Sully ? A ce qu'il en savait, non. Il n'avait rien à prouver, ni à lui, ni à personne, ni même à lui-même.

Ce baiser n'avait rien de sérieux, peut-être était-il peu trop prétentieux et provocant. Un baiser amusé. Un baiser frivole. En soi, Valeri n'avait certainement fait cela juste pour s'amuser. Pour s'amuser de son camarade, comme il le faisait tout le temps, ou souvent tout du moins. Valeri était à l'image de ces accros des jeux vidéos qui ne savaient pu différencier le virtuel du réel. Il était comme ces garçons. Il aimait jouer, et il y avait pris goût. Un goût au fond de sa bouche, un petit goût acidulé qui avait fait naître chez-lui une certaine dépendance à ces jeux. A ces jeux malsains où il était son propre pion. L’échiquier de ce jeu ne portait qu'un nom : vie. La vraie vie. La vie réelle. La vie que l'on vivait tous. Il jouait chaque jour, comme dépendant de ce jeu, comme dépendant de ce portrait prétentieux qu'il avait su se dessiner lui-même à l'image d'un peintre qui peignait son autoportrait. Mais ce portrait était-il vrai, était-il faux ? Un voile de doute était jeté sur ce doux tableau nommé Valeri. Peut-être n'aurait-il pas dû jouer, jouer avec Sully. Jouer à l'embrasser, ou l'avoir embrassé tout simple. Il avait peut-être fauté en faisant ce banal geste. Son interlocuteur évoqua la première impression qu'il lui avait donné. Le premier jet du tableau « Valeri ». Ces quelques-mots l'amusaient plus qu'autre chose à vrai dire. A quoi bon prendre au sérieux quelques dires d'un garçon qui ne le connaissait pas ? Ou qui prétendait l'avoir cerné. Oui, voilà. C'était cela. Sully prétendait l'avoir cerné. Le décrivant comme un garçon prétentieux, comme un petit merdeux en soi. Son vieux l'avait souvent décrit comme tel, lorsqu'il était adolescent. Mais sûrement pour des raisons différentes de celles de Sully. Valeri avait toujours été ce garçon à problèmes, cet électron libre dans l'atome de la Vie. Depuis le début, le biélorusse avait cherché à lui donner raison en soi, en continuant constamment de s'amuser. Les gens aimaient bien ne pas être trompés sur leurs premières impressions. Oui. Il l'avait remarqué cela, ou plutôt on lui avait appris. Peut-être n'avait-il tout simplement pas cherché à vouloir montrer un autre portrait de lui. A quoi bon le faire ? Il ne voulait pas. Il ne voulait pas qu'il le voit sous un autre jour. C'était comme une sorte de coming out existentielle. Il y avait des gens qui étaient prêts à le faire, et d'autres non. Non. Valeri reporta son attention sur l'homme qui venait de reprendre la parole. Il y avait quelques minutes, il avait déjà parlé à vrai dire, mais le jeune biélorusse n'avait pas prêté attention à ces quelques dires, qui ne devaient pas être intéressants en soi. Il disait ne pas être fier. Ne pas être fier de ne pas s'être trompé. C'était étrange. Parce que les gens aimaient toujours avoir raison. Toujours. A croire qu'on lui avait menti à ce sujet. Il devait le cacher. Cacher cette certaine fierté, parce qu'au fond, on aimait tous réussir, on aimait tous avoir raison. Il n'allait quand même pas lui faire croire le contraire. Il aurait préféré s'être trompé. Ca sonnait faux. Toute notre société était baisée sur la réussite, sur l’excellence. Mais Valeri n'avait rien à lui montrer, rien à lui prouver. Selon Sully, ça ne l'aurait pas tué de faire quelques efforts. « Des efforts ? » souffla-t-il, en répétant naïvement les mots utilisés par l'homme. Des efforts, pourquoi en faire ? Pourquoi faire des efforts ? On fait des efforts pour obtenir quelque-chose en général. Quand on fait des efforts, il y a toujours quelque-chose qui nous attend au bout de ce chemin. Là, qu'y aurait-il au bout de ce chemin ? Rien. Alors à quoi bon en faire des efforts ? « Pourquoi devrai-je en faire ? Si ce n'est pour te prouver que tu as tort... ». Il ne voyait que cela comme explication. Rien que cela. Et tout ça... à cause d'un baiser. D'un baiser mal venu.