Des efforts. On en demandait souvent, à tout le monde. De faire des efforts. On vous en demande, à toi, à moi, à nous, à vous, à tous. Même à lui, à Valeri. Quand il était petit, par exemple, on lui demandait de faire des efforts. A cet époque là, faire des efforts était synonyme d'être sage, d'être attentif au cours donné par l'institutrice, et de ne pas perturber le bon déroulement de celui-ci. Puis, il avait grandi, et on lui avait demandé de faire des efforts. D'autres efforts. A son entrée au collège, on lui demande de faire des efforts. Encore et toujours pour les mêmes raisons que lorsqu'il était à l'école primaire. A croire qu'il avait en lui ce gêne de l'élément perturbateur, de l'électron libre dans le tourbillon de la vie. Puis on grandit encore et les liens évoluent. Mais toujours, à n'importe quel étape de la vie, on demande de faire des efforts. A croire que notre vie est une succession d'efforts vains ou réussis avec succès. Celle de Valeri devait certainement se résumer à un amas d'efforts inachevés ayant un arrière-goût d'échec. Ainsi, une nouvelle fois dans sa vie, on lui demandait de faire des efforts. Sully lui demandait d'en faire. De faire des efforts. Mais des efforts pour quoi ? Pour quoi en faire ? Ce n'était plus sa mère, ou son père, ou encore le professeur qui lui demandait d'en faire des efforts. C'était un garçon. Un garçon qu'il ne connaissait que depuis trois semaines. Peut-on demander à un inconnu de faire des efforts ? Sully n'était pas son ami, après tout. Juste une vague connaissance, certainement... avec qui il n'avait pas d'affinité particulière. Il n'y avait pas de nom pour dénommer cette relation qui les liait. Peut-être tout simplement parce qu'il n'y avait pas de relation. Sûrement pour lui prouver qu'il avait tort. Que Sully avait tort de penser une chose pareille. Mais... doit-on prouver quelque-chose à un inconnu ? On prouve quelque-chose à quelqu'un de proche, à ses parents, à ses proches, à un ami, à sa petite-amie, mais pas à un inconnu. Sully lui demanda alors pourquoi. Pourquoi posait-il la question s'il connaissait déjà la réponse ? Un léger sourire étira doucement les lèvres de Valeri à ce moment. «  Simple question rhétorique. ». A vrai dire, le jeune biélorusse n'était pas dans l'attente d'une réponse de la part de son interlocuteur. Il réfléchissait. Réfléchissait à haute voix. De cette situation. Ainsi, il devait faire des efforts... pour prouver à un inconnu qu'il se trompait à son sujet, qu'il faisait fausse route. Ce garçon en question, ce garçon pour qui Valeri devrait faire des efforts, reprit la parole. C'était fatiguant, selon lui. A croire qu'il disait cela pour être plaint. Il disait, ainsi, que c'était fatiguant de faire un pas en avant vers quelqu'un qui faisait marche arrière. Selon Sully, le mieux serait qu'il se désintéresse de lui. En quelques jours, il avait retourné sa veste. Il était un peu drama queen quand même... enfin, le jeune biélorusse le dessinait comme tel. La vie de cet homme était peut-être une succession de drames quotidiens. Allez savoir, il le connaissait pas. Valeri haussa les épaules, avant finalement de fouler un pas en avant. «  C'est faux, je viens de faire un pas symbolique en avant. Regarde bien. » lui fit-il remarquer, avec un léger rictus non-dissimulé au coin des lèvres. C'était un effort ça, non ? Un pas en avant. Un pas symbolique en avant. Oui, ça devait être cela un effort. A vrai dire, Valeri n'avait jamais très bien saisi la définition de cette expression. Faire des efforts. Afin d'accentuer ses dires, il pointa du bout du menton ses chaussures. Ce n'était pas tant qu'il avait fait cela pour qu'il admire ses vieilles chaussures qui avaient dû traverser les ans, les siècles même. Mais il avait plutôt fait cela pour qu'il voit l'effort. Aller vers les autres. Ca voulait peut-être dire cela cette expression. Aller vers quelqu'un. Faire un pas en avant et lui tendre la main. Il ne savait pas vraiment en fait. Il releva la tête, défiant du regard son interlocuteur. «  Je veux bien en faire, mais... mais alors, tu ne parles à personne de ce baiser, on est d'accord ? ». Oui voilà. Faire un deal, un marché, un pacte. Valeri tenterait de faire des efforts (sûrement déjà vains d'avance, puisque sa vie était une succession d'efforts vains, rappelons-le) et Sully se taira au sujet de ce baiser.

Les mots, les expressions avaient tous un sens, une représentation. Faire un pas en avant, ça voulait peut-être dire cela finalement. Faire un pas vers l'autre, un pas symbolique vers cette personne. Il ne savait pas autrement comment interpréter cette expression. C'est pour cette raison qu'il décida de faire un pas en avant, de faire un pas en direction de Sully. Il ne put s'empêcher de lui faire une remarque. De lui montrer que ceci était faux. De regarder. De bien regarder parce qu'il avait venait de le faire. Il venait de faire un pas en avant. Peut-être était-ce cela ce que l'homme attendait de la part du jeune garçon. De faire un pas en avant. Et en une fraction de minutes, il eut compris l'importance de cette expression. De faire un pas en avant. Ce n'était pas rien. Faire un pas en avant, avancer... avancer en compagnie d'un inconnu. Quelle étrange idée. Les quelques mots énoncés par Valeri firent réagir son interlocuteur. Il avait l'impression qu'il le prenait pour une buse. Prendre quelqu'un pour une buse, encore une autre expression. Il devait certainement vouloir dire qu'il le prenait pour un idiot... Cela importait peu Valeri qui se contenta d'un haussement des épaules et gardant son sourire amusé qui le caractérisait tant. Quant à Sully, il ne semblait pas tant s'amuse de la situation que le jeune biélorusse. Il le pourrait pourtant. L'humour n'avait, après tout, jamais tué personne. Après quelques secondes d'hésitation, Valeri prit de nouveau la parole. Disant qu'il voulait bien en faire. Qu'il voulait bien faire des efforts, mais à une condition. A une seule condition. Qu'il se taise au sujet de ce baiser. C'était une sorte de pacte qu'ils feraient entre eux. Valeri ferait des efforts et Sully se tairait à ce sujet. Mais il semblerait que ce dernier n'avait pas prévu de le crier sur tous les toits. Oh. Encore heureux. Valeri n'avait pas envie qu'on vienne lui parler de ce fâcheux incident qui n'avait pas lieu d'être. Il n'avait encore moins envie de s'expliquer à ce sujet aux quidams qui erraient dans ce nid. Non. Il n'avait tout simplement pas envie que ça se sache. Ce serait leur secret. L'erreur de jeunesse secrète. Ils étaient donc d'accord. Le biélorusse hocha la tête vivement de haut en bas, marquant son accord avec ce marché qu'ils venaient de conclure. Maintenant, ils allaient évoquer un autre sujet, ou tout simplement quitter cette pièce comme si de rien n'était. Oui, voilà, ils allaient faire comme si de rien n'était. Valeri reporta son attention sur le visage de Sully qui ricana légèrement. Il cligna des yeux une fois, deux fois, puis une troisième fois. Ce rire, il ne l'aimait pas trop. Alors qu'il se demandait quelle mouche venait de piquer Sully, ce dernier prit alors la parole. Il évoqua le prime. Si ces images étaient diffusées lors du prime... Valeri ne bougea plus, ne cillant plus. Si une bribe de cette séquence serait diffusé au cours du prime, cela n'annulerait pas ce deal... oui. Il agita doucement la tête. « Non, mais... ils ne diffuseront pas les images. Un baiser, ils s'en tamponnent comme de l'an quarante ! » souffla-t-il. Ce n'était qu'un baiser. Un baiser non-désiré entre deux hommes. Ils s'en fichaient de cela, il devait bien y avoir des choses bien plus intéressantes à diffuser comme images au cours du prime. « Donc ça n'annulera pas... » conclut-il alors.

Valeri ne semblait pas inquiéter à l'idée que les images de ce baiser puisse être diffusées. Certainement parce que ce n'était qu'un baiser, et qu'il avait beaucoup d'autres images à son sujet qu'il craignait plus que celle d'un baiser adonné à un autre homme. Certes, il ne voulait pas que cela se sache. Sûrement pour ne pas ternir son image, et que des interrogations puissent naître chez certains. Parait-il il ne pourrait en prendre qu'à lui-même. S'en prendre à soi-même. Il avait déjà entendu cette expression de la bouche de quelqu'un. C'était peut-être de cette fille qu'il avait rencontré, au cours de sa nouvelle vie parisienne... il ne savait plus vraiment pour quelle raison, elle lui avait dit cela. Peut-être à cause de cette pseudo-rupture. Oui, ça devait être cela... oh non, il ne savait plus trop. Son père lui avait peut-être déjà dit cela. C'était tout à fait son genre de tenir ce type de discours. Celui du père s'intéressant faussement à son fils pour au final le tacler par derrière. Au football, ça équivaut à un carton rouge. Dans la vraie vie, ça équivaut à des critiques que l'on encaisse et que l'on garde. Que l'on garde juste pour soi. Sully ajouta alors quelques mots. Il disait être curieux. Curieux de voir sa tête si ces images seraient diffusées au cours du prime. Parait-il qu'il ferait beaucoup moins le malin. Ce fut ce qu'il ajouta à son commentaire, ou tout du moins ce que Valeri crut comprendre. Un léger rictus s'afficha sur le visage de Valeri. « Qu'est-ce que tu peux en savoir de ça. » souffla-t-il. Il était facile de cacher des sentiments, des ressentis, des états d'âme. C'était simple de jouer au petit prétentieux, au petit merdeux. C'était le jeu le plus simple qu'on avait pu inventer sur cette Terre. Alors même si ces images seraient diffusées, il continuera de jouer. De jouer éternellement. Puis, il devait sûrement avoir bien d'autres dossiers sur le cas Valeri à diffuser au cours du prime. Comme par exemple, ce petit-déjeuner au lit qui avait vite dérapé avec Jaileen et qui ont été surpris par Opaline, ou encore cette nuit teintée d'interdits bafoués avec Brune. Il y avait aussi sa gamelle dans l'hôpital abandonné. Franchement, ils auront de quoi puiser dans les archives hebdomadaires et passer sous silence ce baiser. Valeri n'avait pas de crainte à avoir. Un soupir s'échappa de la bouche du jeune biélorusse, tant dit que son regard s'échoua par terre, observant sa cheville. Il tentait vainement de tenir debout, sans avoir mal. L'américain s'agita une nouvelle fois. Il mentionna le prénom de Lena. Valeri lui lança un petit regard perplexe, avant de reculer et de finalement finir sa marche dans cette chaise. Il voulait qu'il lui explique. Des explications. Il voulait savoir comment avait-il pu faire une bonne impression à Lena. Il baissa la tête, inspirant fortement. Ses bras vinrent s'échouer sur les accoudoirs. « Je m'entends bien avec elle, oui... » souffla-t-il alors, d'un air détaché. « Ca a l'air de te poser un problème que je puisse donner une 'bonne impression'... » souffla-t-il, en redressant la tête.

A vrai dire, l'un comme l'autre ne savait pas quelles images seront diffusées lors du prime. Peut-être que cette séquence y fera partie, peut-être pas. Valeri en doutait beaucoup quant à la pertinence de ces images. Il n'y avait pas grand-chose à y dire, ce n'était juste un baiser. Ce n'était pas comme si celui-ci était désiré. Non. Bien au contraire. Embrasser un garçon dépassait tous les principes du jeune biélorusse -si principes existent. Dans tous les cas, il ferait comme si de rien n'était, ou tout du moins tenter. De tenter de montrer son indifférence face à ses images. Au même titre qu'il jouerait cette carte si prisée et si défensive de l'indifférence, si les images de sa matinée en compagnie de Jaileen serait diffusée. Son apathie et son insouciance étaient une sorte de force pour Valeri. Il saura très bien affronter ses images, sans se retrouver désarçonner sur son destrier nommé Fierté. Peut-être se trompait-il. Peut-être n'était-il pas aussi infaillible qu'il ne le laissait paraître et qu'on lui avait appris. Oui, être sans faille était aussi l'une de ces leçons de vie qu'on lui avait apprise. Sully disait alors préférer penser qu'il ne passer pas son temps à se cacher derrière cette prétention qui le nuisait. Qui le nuisait beaucoup ? Vraiment ? Tant que ça ? Beaucoup, ça ne voulait pas dire « un peu », non, c'était même le contraire. Valeri resta insensible aux dires de cet homme. A vrai dire, il pouvait bien lui dire tout ce qu'il voulait. Selon Sully, ce serait triste. Alors Valeri était triste. Il était un garçon triste et sinistre. Il n'avait rien à répondre à ça. Peut-être avait-il raison. Valeri était triste comme garçon. Triste et sinistre. Il resta silencieux, jusqu'à ce que l'homme évoqua Lena. Il ne savait pas vraiment pourquoi il faisait référence à la jeune femme. Le biélorusse finit par s'asseoir. Non pas qu'il soit chamboulé à l'idée de ces dires, mais plutôt à cause de sa cheville qui lui faisait encore bien mal. Ainsi, assis, il reporta son attention sur Sully. Il ne manqua pas de lui faire remarquer qu'il s'entendait bien avec la jeune femme. Qu'il s'entendait même très bien. Il n'allait tout de même pas cacher la sympathie qu'il pouvait avoir envers Lena. Mais ça avait l'air de poser un problème. Un problème à Sully qu'il puisse donner une 'bonne impression' à quelqu'un. Ca ne le dérangeait pas donc. Mais il trouvait ça perturbant. Pouvait-on trouver perturbant le fait que l'on puisse donner une 'bonne impression' à quelqu'un ? Non. Enfin, il ne pensait pas, Valeri. L'américain soumis alors deux hypothèses. La première que le biélorusse avait une double personnalité. Cette idée-là amusait beaucoup le jeune garçon, qui ne put s'empêcher de laisser un sourire amuser se frayer un chemin sur ses lèvres. Il paraîtrait que ce petit problème de personnalité expliquerait les raisons de cette double impression qu'il pouvait donner. Ah. Si c'est alors ça. Mais Sully continua dans son explication. Evoquant une seconde idée. Il faisait des efforts avec Lena, mais pas avec lui. Peut-être. Peut-être pas. Il ne pouvait pas appeler ça des efforts lorsqu'il était avec la jeune femme. Non. Avec elle, tout semblait plus simple, plus naturel, il n'avait pas besoin d'artifices lorsqu'il était avec elle. Valeri baissa la tête, tentant de trouver un soupçon de réponse. Croyait-il vraiment qu'il lui dirait un mot juste ? «  Oui, c'est peut-être ça... je dois avoir des troubles de personnalité... » souffla-t-il d'un air détaché. Non. A vrai dire, la réalité était bien plus complexe qu'un problème mental. La réalité de Valeri n'avait jamais été une histoire simple. Elle n'était que l'accumulation de complexités morales et relationnelles.