Le silence là, était pesant, dérangeant. Autant des fois, Hadatt arrivait à se taire parce que lui même se cassait les oreilles, mais là, il ne voyait plus quoi répondre après sa petite tirade sérieuse quoi. Donc c'était gênant. Mais Cosmas trouva la force de le briser en posant une question très banale, mais qui était importante pour eux. Hadatt comprit alors qu'il allait partager quelque chose de réellement important avec lui, et que ce n'était pas une mauvaise chose pour une fois. « Ma vie... hum.. en gros j'ai... voyagé. » C'était bref et un peu inutile. « ...genre un max. »

Il avait voyagé. Sa réponse m'avait un peu surpris, parce que, j'm'attendais à un peu plus que ça, en fait ... "J'ai voyagé". Bah .. Moi aussi ? Il faisait un effort, au moins, ou il avait juste la flemme de me parler plus de lui ? Fallait donc que je prenne le taureau par les cornes, visiblement.

- Pourquoi t'es pas resté à Athènes ?

C'était con et gamin, comme question, mais c'était la question qui m'obsédait, malgré moi, depuis des années. J'espère que sa réponse me satisferait.

Sa question lui glaça les veines. Littéralement. Parce que c'était question du paysage du pays ou quoi, c'était question de savoir pourquoi il n'était pas resté pour aider sa mère. Pourquoi il n'était resté pour lui. « Je... » Quoi répondre? Il ne pouvait plus faire de pirouette ou quoi. Il devait assumer. « J'ai adoré Athènes dés l'instant où je suis arrivé. Je venais de commencer mon tour du monde et.. Ba je sais pas pourquoi j'ai eu un coup de coeur pour ce pays. Mais je suis resté longtemps. Puis y'avait Galatée... Ta mère. On était bien tous les deux et puis.. t'es.. arrivé quoi.. » Il s'arrêta, maladroit. C'était horrible ce qu'il disait. « Et j'ai pas assumé. J'étais jeune, j'étais enfin libre et ça m'a fait flipper. TU m'as fais flippé. Alors je suis parti. Comme ça. » Ca lui parraissait être l'excuse la plus merdique de l'histoire.

Il semblait confus, au départ. J'avais un peu de mal, à ce moment là, pour lui ... De la compassion, je crois qu'on appelle ça. Je me demandais, en fait, si je retournerais voir les gamins, bientôt, et s'ils me demanderaient la même question ... Car s'ils me manquaient, je savais que, malgré tout, ma place n'était pas à leurs côtés. Je n'avais pas été fait pour être père. Pas leur père, en tous les cas. Il me sortit alors la phrase bateau du "t'es arrivé, quoi". Bah ... Merci. Je savais bien que j'étais pas tombé du ciel, non plus, mais c'était bien d'avoir la confirmation, hein, dès fois que je me poserais des questions. Je me demande si j'étais laid, à ma naissance, vu qu'apparemment, j'étais terrifiant ...

- Ouais. Je vois. Je savais pas trop quoi dire, moi, en fait. Parce que moi, j'avais pas pas assumé dès la naissance. C'était six années dans leur vie que j'avais décidé de m'en éclipser. Comme quoi ... J'étais exactement comme mon père, tout compte fait.

Voilà, voilà. Ou comment pêter l'ambiance. Bon, pas que y'en avait hein, mais voilà comment faire du mal à quelqu'un. Etait-ce le cas? Etait-il blessé? C'était possible parce que c'était un peu méchant ce qu'il lui avait dit. Il tourna la tête pour le regarder pour la première fois depuis le début de cette dure conversation. « C'est con mais.. Quand je t'ai tenu dans mes bras, bébé, ba t'avais été.. mignon et tout. Enfin, aussi mignon qu'un bébé qui venait de naître quoi... et ba je sais pas. J'croyais à cet instant que je tenais ma vie dans mes bras et que je faisais le choix de la laisser. » Les vannes étaient ouvertes. « Et c'est ce que j'ai fais au final. »

Si j'avais des sentiments, j'aurais peut être pleuré, en fait. Si j'étais une nana, donc. Mais là, tout ce que je pouvais faire, c'était fermer ma gueule, et le regarder froidement. C'était assez hypocrite, de ma part, n'empêche, de faire pareil à mes mômes et de pas avoir accepté que mon vieux m'ait fait cette saloperie. J'étais un connard, je crois. Ouais. Je voyais bien Anna me crier au visage le mot "Connard", même si elle ne me l'avait jamais fait, en vrai.

- Ouais, je vois ... Je regarde alors le panneau Hollywood, parce que je ne veux pas regarder son visage.

- Je me suis souvent posé des questions, sur toi. lui avouais-je alors.

Ouais, il n'était pas doué pour le tact. En tout cas, il était franc quoi. Tourné comme ça, ça devenait une qualité chez lui et dieu sait qu'il n'en a pas des masses. Il n'avait rien d'un père. Alors il ne savait pas mentir à son enfant quoi. « Je dois pas être le père que tu t'imaginais... » S'il avait déjà essayé d'imaginer ce que donnerait leurs recontres. Hadatt lui, l'avait fait. Et il est clair que ça ne ressemblait pas à la rencontre que rêve qu'il s'était imaginé. Et qu'il aurait voulu. Pour lui comme pour Cosmas. « C'est peut être con mais, ce jeu, ce truc là qu'on fait, j'le fais pour toi parce que je veux me racheter. Enfin nan, on peut pas racheter toute une vie mais.. Merde je parle comme une gonzesse. »

Je lui souris, distraitement.

- Personne n'est le père que je m'imaginais, en même temps.

Parce que ouais, en effet, j'en avais eu, des idées de père, mais elles changeait, du jour au lendemain ... Et personne n'était capable de les représenter tous à la fois. Je dois cependant avouer que de toutes mes idées, Hadatt n'y avait jamais figuré. J'avais jamais pensé à un mec aussi ... Banal et irresponsable que lui. Parfois, j'avais l'impression d'être le sien, de père, en fait.

- Je le sais, t'inquiète pas.

J'avais la gorge un peu nouée. C'était pas tout le monde qui rencontrait son père après vingt années de vie, en même temps, et c'était super chelou, comme sensation, l'air de rien.

Il le savait. Peut être. Mais il ne pouvait pas le ressentir de la façon que Hadatt le sentait, au fond de lui. Fuir c'est plus simple qu'assumer mais maintenant, il ne pouvait plus aller bien loin vu qu'il s'était volontairement enfermé dans ce jeu à la con. Il aimait bien le concept mais jamais il n'aurait fait seul, sans raison. Comme la plupart des trucs qu'il faisait.. « Parle moi. » supplia presque Hadatt en se tournant vers lui. « On doit crevé l'abcès. » Depuis tout à l'heure, il ne faisait que repondre par morceau. Et ne disait presque rien.

- Te parler ? Je le regardais, et je crois qu'un instant, je devais avoir le regard de ce môme désemparé et désespéré à l'idée d'être le seul gnôme à ne pas avoir de héros. De "papa". De père, quoi. Ma mère avait deux fêtes par an : la fête des mères, et la fête des pères. Et ça avait duré plusieurs années, ces conneries.

- Et pour dire quoi ? J'avais perdu de mon froid et de ma désinvolture ; je ne savais plus comment réagir face à ce père qui n'en était pas un. Il voulait qu'on crève un abcès, mais j'étais bloqué au stade du "comment". Malgré tous mes efforts, je ne le connaîtrais jamais assez, et vice versa. Comment parviendrais-je à me sentir à l'aise en sa présence, du coup ?