Et là c'est le drame. Hadatt se voit tourner la tête pour ne plus à avoir à le regarder. Son visage si dur et determiné à chaque fois, venait de se briser sous ses yeux. Et là il avait exactement sous le regard ce qu'il avait cherché à fuir toute sa vie. Le fameux moment où il se rend compte qu'il lui a fait du mal, et qu'il te demande "pourquoi tu m'as abandonné papa?" et là, ça faisait trop mal dans sa poitrine. Machinalement, il portait sa main à son coeur. « Pour me dire ce que tu ressens. Que tu me hais ou que sais-je. »

Un instant, j'eus l'impression qu'on franchissait un nouveau cap. Mais cela ne dura qu'un instant, mes défenses immunitaires de l'âme s'étant hissées à nouveau d'elles-mêmes, sans que je ne puisse les implorer de rester baisser. Je me retourne, brutalement. Je regarde le ciel, évitant le soleil qui me brûlerait presque autant la rétine que le regard d'Hadatt.

- La haine ... C'est trop tard pour la haine ... C'était vrai, en plus. Je ne ressentais pas grand chose.

- Je t'en veux, mais je comprends, écoute. J'ai ... J'ai fait pareil, moi aussi. Je m'étais surpris moi-même, là, à lui faire mes aveux.

Hadatt accusa encore une fois le coup. Il savait, mais la façon dont il lui avait dit ça le refroidit direct. C'était comme si il était une coquille vide, qu'il n'y avait rien dedans. Pourtant lui qui semblait si confiant, si... puissant. Pourquoi etait-il aussi vide. « Quand on repartira d'ici, avec le magot, tout sera bien meilleur. » Il pensait déjà la fin et il n'attendait que ça. Il n'attendait que le moment où ils gagneraient pour essayer de se reconstruire.

Je semblais détaché de mes émotions, comme un mannequin de magazines. Anna détestait mes sourires, car elle ne les trouvait pas sincères. Moi, je les avais trouvé sincères, pourtant ... Mais visiblement, c'était subjectif. Hadatt me dit que les choses iront mieux, plus tard, et je fus tenté de lui dire "Vraiment ?" ; mais une pitié envers lui s'éprit de moi et un faible sourire se dessina sur mes lèvres tandis que je lui répondis :

- Oui, bien sûr. C'est vrai. On était venus pour ça, après tout.

L'argent. C'était ça, ce qu'on était venus chercher.

- Et après ... On recommencera. Mais quoi ?

Recommencer. Quoi? Ce qu'ils n'avaient pas vécus? Revoir leur relation? Fallait il vraiment attendre jusque là? Parce que si il repartait sans l'argent, ils devront reprendre chacun leur route? Et qu'est-ce qu'allait etre la vie de Cosmas sans ça? Et Hadatt serait-il capable de retourner dans son patelin? « Même sans l'argent? » demanda-t-il un peu tristement. « Ou c'est vraiment tout ce que tu attends de moi? » Qu'il sache à quoi s'attendre.

Je le regarde, un peu perdu.

- Dans ce cas, on prendra les jours qui nous sont offerts et on fera avec, écoute.

Allait-on rester en contact ? Perdre contact ? Réunir ma famille, mes deux familles, brisées respectivement par sa faute et la mienne ? Il ne fallait pas trop exagérer non plus. Et si je n'avais aucune réelle attache à ce père qui n'en était pas un, quelque part ... Je me sentais tout de même attaché à lui. J'étais de son sang, et j'avais l'impression d'être une rivière qui avait rejoint sa source.

- On verra ... répétais-je alors, indécis. Je ne savais rien de l'avenir, et je n'avais pas envie de spéculer ou d'émettre hypothèses et promesses que je ne pourrais tenir. Le mieux que je pouvais faire, c'était espérer. Je suis content de t'avoir rencontré, n'empêche. Et ça, c'était sincère.

Au moins, il n'a pas été torp dur avec lui. Enfin moins que d'habitude. Et en plus, il semblait sincère. Et il dit quelque chose qui serra le coeur de ce vieux Hadatt. Un sourire maladroit étira ses lèvres alors qu'il leva la main pour passer son bras autour des épaules de son garçon. Malgré le début difficile de la conversation, un rayon de soleil sembla alléger leur situation. « Moi aussi je suis content. » dit-il simplement, et sincèrement. « Heureusement d'ailleurs, c'est moi qui suis venu te chercher. » Ne put-il s'empêcher d'ajouter, pour faire la malin encore une fois. Et surtout pour rire.

Il me passa alors le bras autour des épaules. C'était ... Bizarre, quand même. Je m'habituerais sans doute avec le temps ... Ou pas, on verrait bien. J'étais moins tendu, je pense ... On s'entendait mieux qu'au début, comme si l'air s'était décrispé. Mais je n'oublierais jamais cette conversation, je pense, même si je me retrouvais atteint d’Alzheimer, car elle faisait partie de mon identité. Je le regarde cependant en haussant d'un sourcil, avant de lui répondre, plaisantant à moitié :

- Tu te fous pas un peu de moi, là, vieux ? J'suis venu jusqu'en Irlande, pour toi ! Jusqu'en Irlande ... D'ailleurs, je crois bien que ton pays ne m'aime pas. Il comprendrait pourquoi.

Le sourire de Hadatt s’agrandit encore plus face à la réaction plus... détendue de Cosmas. Il était récéptif aux rapprochements qu'il effectuait avec lui. Comme le physique. Hadatt était de très tactile. Il aimait sentir les choses, toucher les gens pour une raison étrange. C'était bizarre. « Bon, imaginons. Mais même si tu t'es rapproché, je t'ai trouvé.» Et il recommença, sans vouloir se montrer lourd, en rigolant avec un sujet si important, voir grave pour eux. « Tant pis si l'Irlande t'aime pas... Y'a toujours la petite rouquine pour ça.. » insinua-t-il sans être discret, en pensait à une certaine candidate.

Il m'avait trouvé, certes, c'était vrai.

- Comment t'as fait, d'ailleurs ? Non, parce que je me doutais que ça avait pas été évident, étant donné que dans l'autre sens, la tâche m'avait été impossible. Il me parla alors de la rouquine ... Odessa, et je souris, légèrement gêné.

- D'où tu tiens ça, vieux ? C'est dommage que ta blonde ne soit plus dans le jeu.

Je me demande si pendant ses voyages, il était déjà venu, par ici ... L'Amérique.

- C'est ta première fois dans ce pays ?