Il fallait avouer que ce n'était pas tant le genre Valeri de s'intéresser à la vie d'autrui. Non, il s'en foutait la plus claire partie de sa vie. Si certains étaient des avides lecteurs de tous ces magasines people -afin de savoir la vie (même la plus intime) de n'importe quel de leurs fantasmes réincarnés- Valeri lui s'en foutait comme de l'an quarante. La vie des autres, le regard des autres, la pensée des autres. Lui, il s'en fichait. Rien de tout ça ne l’éteignait. Oh non. La réponse du biélorusse ne semblait d'ailleurs pas satisfaire Sully. Tant pis. Il pouvait bien penser ce qu'il voulait. La réaction de l'homme ne l'étonnait guère, elle devait presque être attendue, à vrai dire. Oui. Attendue, prévisible, anticipée, etc. Le biélorusse se contenta d'un haussement des épaules, à quoi bon se défendre quand son interlocuteur avait ses idées bien arrêtés à son sujet. Le jeune garçon tamisa l'établit de farine et y déposa la pâte à pizza afin d'achever sa confection. Il étala la sauce tomate -qu'il avait préalablement confectionné à l'aide des tomates qui se faisaient la guerre dans le réfrigérateur. Valeri évoqua alors Lena. Lena et ce qu'elle avait pu lui dire, en début de semaine, lorsqu'ils s'étaient retrouvés ensemble dans la salle d'eau. Evidemment, il se passa de tous les détails afin que Sully ne veuille -une fois encore- écarter la jeune femme de Valeri. Il lui rapporta la volonté de Lena : qu'ils soient amis. Elle l'aimerait tellement, elle lui avait confié ça, l'autre matin. L'américain laissa alors entendre que Valeri serait parti dans un fou rire, à l'écoute des paroles énoncées par la danoise. «  Tu te trompes... » souffla-t-il un brin évasif, et quelque peu agacé par ses propos. Il se trompait sur toute la ligne. Valeri n'avait pas ri. Valeri n'était pas parti dans un fou comme il l'avait dit. Non. Un léger soupir s'échappa de la bouche du biélorusse. Sully y ajouta quelques suppléments, comme quoi il s'était toujours montré amical vis à vis de lui. Lui, Valeri. Selon lui, ils s'entendraient « déjà franchement bien » si Valeri ne se serait pas comporté de la sorte avec lui. Il ne savait pas. Personne ne pouvait pronostiquer le passé. On spéculait toujours dans le futur, mais jamais dans le passé. C'était impossible de le faire. Alors, il pouvait toujours s'imaginer des rapports différents si Valeri ne se serait pas montré sous cette facette préfabriquée. Il pouvait laisser parler son imaginaire, mais il ne pouvait pas spéculer sur la nature de leur relation. Valeri haussa légèrement les épaules, entrouvrant la bouche. «  J'ai conscience du comportement que j'ai pu avoir à ton égard et... hum... j'en suis désolé... tu n'en as peut-être rien à faire de ce que je viens de te dire, mais j'y tiens... » il laissa sa voix s'éteindre progressivement, avant finalement de lui indiquer de garnir la pizza du fromage et du jambon. Il pouvait penser ce qu'il voulait de son désolé, de ses excuses. Oui. De son côté, Valeri pensait avoir fait suffisamment le premier pas vers lui. Il observa au-dessus de l'épaule de Sully qui était donc entrain de mettre le jambon et le fromage. Il préférait le surveiller, au cas où une catastrophe pouvait arriver. Il n'avait pas l'air très adroit de ses deux mains. Sa question surpris alors quelque peu le biélorusse. Que lui avait-il dit ? A... à la pizza ? Il secoua doucement la tête. Il devait peut-être parler de Lena. Oui, de Lena. Il avait évoqué la jeune femme, quelques minutes auparavant. «  Je lui ai dit que je ferai des efforts pour que nos rapports soient moins tendus... et... et je lui en fais la promesse... ». Il se pinça les lèvres, avant de reporter son attention sur la pizza. Sully allait sûrement ricaner de quelques mots articulés par le jeune garçon. Tout simplement parce que ce type de discours ne semblait pas ressembler à ceux que Valeri avait pu lui tenir, les semaines passées. Quant à la pizza, elle semblait fin prête à être enfournée. Il manipula le four, afin de le faire préchauffer. Qui de Sully ou lui aura l'honneur de l'enfourner, ou surtout parviendra à l'apporter jusqu'à au four sans la faire tomber en chemin. Bonne question. Le biélorusse se tourna en direction de son interlocuteur et lui adressa un bref sourire. «  Toi. ». La réponse fut brève, mais assez explicite pour lui faire comprendre que ce sera lui qui aura la lourde mission d'apporter la pizza jusqu'au four.

Les insinuations de Sully ne plaisaient guère au biélorusse. Insinué qu'il aurait ri au nez de Lena. Non. Il n'avait pas ri. Loin de là. A croire qu'il se contentait de faire des généralités avec les quelques traits qu'il avait pu brossé de ce portrait erroné. D'un portrait pipé par une réalité manipulée par le jeune garçon. Par Valeri. Oui. La réalité était tout autre. Une réalité qu'il cachait, qu'il avait longuement caché. Oui. Il avait longtemps terré cette réalité dont il avait honte ou dont on lui avait obligé de mettre de côté. On ne naissait pas méprisant face à la vie, on le devenait, on nous l'obligeait. Oui. On nous l'obligeait à le devenir. Les aléas, les rencontre de la vie faisaient que l'on y était obligé. Puis, il y avait ces autres rencontres qui permettaient de redécouvrir certains goûts de la vie qui avaient été mis dans un coin poussiéreux, aux oubliettes. Il avait conscience de tout ça. Il lui a fallu le temps. Le temps de redécouvrir tout ça. C'était peut-être le risque en voulant participer à ce jeu, à cette aventure... de découvrir toutes ces choses qu'il avait dû mettre de côté, qu'il avait dû renier. Toutes ces choses qu'il reniait. Il en avait conscience. Il avait conscience de cette image qu'il avait pu donner à Sully, du comportement qu'il avait pu avoir à son égard. Il était comme ça, Valeri. Il avait été formaté de la sorte. Oui. Il se disait alors désolée. Désolée de s'être comporté de la sorte avec lui. Il voulait s'en excuser. Il ne savait pas pourquoi il avait ressenti ce besoin de lui dire ça. Peut-être n'aurait-il pas dû. Oui, il n'aurait pas dû. Il venait certainement de fauter. Peut-être que Sully n'en avait rien à faire. Peut-être qu'il allait en rire. Oui. Peut-être. Il n'avait pas envie de savoir, finalement. Il ne le voulait pas. Pourtant, il se doutait bien d'avoir fait l'effort. D'avoir fait un premier pas en avant. Un premier pas vers lui. Le premier et peut-être le dernier, finalement. Parait-il que c'était un très bon début, ce fut ce que Sully lui confia. Vraiment ? Il lui fit alors part de ses impressions, qu'il avait eu à l'égard du biélorusse comme quoi tout cela semblait lui passait par-dessus la tête. Il n'en avait pas rien à faire, alors. Vraiment ? Il ne savait pas, peut-être. Valeri se contenta alors de lui adresser un bref hochement de tête, comme pour approuver ses dires. Oui, voilà. Il approuvait ses dires. Alors que la pizza commençait petit à petit à prendre forme, à avoir la gueule d'une vraie pizza, l'interrogation de l'américain le surpris quelque peu. Ou tout du moins, il ne s'attendait pas à ça. Pas maintenant. Enfin. Valeri en déduit qu'il devait parler de Lena, et pas de la pizza. Il voulait savoir ce qu'il lui avait dit, donc. Il n'allait pas tourner autour du plat -ou de la pizza dans le cas présent. Il n'allait pas cacher les propos qu'il avait pu tenir lors de sa conversation avec la danoise. Il allait essayer de faire des efforts pour améliorer leurs rapports, de faire en sorte que leurs rapports soient moins tendus. Il lui en avait fait la promesse. Il lui avait promis. Sully lui demanda alors s'il comptait tenir ladite promesse. Evidemment. Oui. Oui, il allait la tenir. Pourquoi pensait-il ça ? Il devait certainement sous-entendre que Valeri ne tiendrait pas sa promesse. Qu'il n'était qu'un beau parleur. Après tout, c'était comme ça qu'il le voyait depuis le début. Comme un beau parleur. Comme celui qui usait des mots comme des armes pour attaquer n'importe quel quidam. Il approuva d'un signe de la tête, rien de plus. Alors que l'américain y ajouta quelques mots. Il parlait de se sentir obligé, obligé de faire des efforts, pour lui faire plaisir, faire des efforts pour lui faire plaisir. Il disait qu'elle n'aimerait pas pas ça, et lui non plus. Non. Non. Mais pourquoi pensait-il ça ? Valeri sourcilla légèrement. « Non... je ne le fais pas parce que je m'y sens obligé... je le fais parce que... j'aimerais bien que nos rapports soient plus... plus... plus amicaux, ou quelque chose comme ça. Je sais que je ne suis pas venu là pour me faire des amis, je l'ai toujours dit et je l'ai toujours pensé, mais... je peux apprendre. Apprendre à m'en faire, apprendre de mes erreur... » souffla-t-il, avant de se taire. Il finit alors par désigner Sully comme celui qui sera chargé pour emmener la pizza jusqu'à son four bien chaleureux. Il ne lui garantissait pas que la denrée confectionnée par le (les?) jeune homme arrivera en un seul morceau. Un léger rictus se dessina sur les lèvres du biélorusse. Finalement, sans grand problème, Sully y parvenut et ce, sans problème. C'est qui le meilleur. « Tu n'as pas grand mérite... » lança-t-il alors. Il n'avait pas fait grand-chose, juste découpé du jambon, du fromage et avoir enfourné la pizza. Ce n'était franchement pas grand-chose. Il laissa Valeri à lancer la cuisson de cette pizza. Il évoqua alors... une pyrolyse. Qu'il était capable de lancer une pyrolyse. « Je ne sais pas trop ce que c'est une piropisse... mais ça m'a l'air très bon... » lança-t-il un peu perplexe. Il se concentra alors sur les boutons qui se trouvait sur le four, et finit quelques réglages. Après quoi, il lança la cuisson. « Il n'y a plus qu'à surveiller, et dans quelques minutes, on pourra la déguster ! ».