Je pense que l'un des avantages d'être ici, c'est qu'il y a toujours une pièce à ranger. D'accord, ça paraît peut-être paradoxal pour tout humain normalement constitué mais puisque j'adore ranger, c'est un peu une occasion en or. J'adore le bordel pour ça, c'est vrai. Je ne suis pas non plus la bonniche du coin, il ne faut pas abuser. Ça détend de ranger un peu, c'est comme critiquer ou le sport, c'est pareil. Sauf que là, je suis un peu dans la merde pour critiquer donc, je range, c'est tout. Bref, je me fous un peu de ce que tu penses, de toute façon. Là, j'ai décidé de m'attaquer au cellier parce que c'est quand même un beau bordel et qu'on retrouve jamais rien là-dedans. Oui, il est temps de ranger les gâteaux avec les gâteaux et les pâtes avec les pâtes. C'est le minimum, je trouve. Donc je commence à déplacer certains paquets, à remettre à leur place les trucs qui ont été déposés n'importe où. Puis je continue comme ça jusqu'à ce que ça reprenne un peu forme. C'est déjà mieux, j'en suis satisfaite. Cela dit, cette foutue entaille de l'autre jour me fait encore souffrir et ça fait chier. Heureusement que c'est ma main gauche, je suppose. Oui, je suis droitière, c'est pas vraiment une information indispensable à connaître. Bref. Je secoue ma main comme si ça allait faire disparaître la douleur avant de reprendre mon activité. C'est genre trois minutes plus tard que j'entends la porte s'ouvrir, je regarde la chose - regarde comme on pourrait vite comprendre que je parle de la fille qui rentre dans la pièce, là, alors que non, je parle du mouvement de la porte, hm, tu vois - par-dessus mon épaule. Eibhlin. Je soupire. Puis je laisse apparaître un sourire agaçant. Exactement comme elle ne les aime pas, je pense.

Eibhlin vient de se lever. Ouai, elle a fait la fainéante, parce qu’en réalité elle aurait pu se lever aux alentours de neuf heures, mais elle n’a pas eu envie de se lever. Alors elle est restée couchée et elle s’est endormie à nouveau. N’empêche que onze heure ou non, elle a faim. Et qu’il n’y a plus de quoi manger dans la cuisine. Plus rien de vraiment bon, plutôt. Elle a envie d’un bon morceau de brioche ou d’un croissant. Elle débarque alors dans le cellier, une main sur le ventre parce qu’il gargouille et que c’est le signe qu’il faut le nourrir expressément. Elle n’est pas seule. Elle lève la tête sur la personne déjà présente. Oh ! Mais c’est Henley. Aaaaah Henley… Sa grande amie. La lumière de ses jours. Son petit cœur à elle. Il faut bien tout ça pour elle quand même, elle le mérite. Elle est tellement douce et gentille. « Saluuut… » Qu’elle lâche, petit sourire narquois, quand elle voit son sourire à elle. Elle lève les yeux au ciel, en soufflant. « Tu peux toujours sourire, j’m’en fout… » Eperdument. La blonde ne parle pas. Elle ne répond rien. Eibhlin s’en souvient alors, comme une sorte de bénédiction. C’est vrai qu’elle ne peut pas parler de la semaine, la blondasse… « Ah, mais c’est vrai, tu n’peux pas parler ! J’vais pouvoir raconter des conneries. Non mieux, j’vais pouvoir t’emmerder. Tu seras bien vénères comme ça ! » Qu’elle lâche, à son tour un grand sourire bien chiant au visage. Non, mais c’est quand même le must du must. Elle ne peut pas la frapper et elle ne peut pas gueuler. « Qu’est-ce que t’étais en train de faire d’ailleurs ? Du rangement c’est ça ? » Qu’elle lui demande, tout en prenant une boite d’elle-ne-sait-quoi qu’elle fait tomber à terre. Oh oui, c’est très puéril, mais c’est Eibhlin après tout.

Au fond, je pourrais presque apprécier cette gosse. Je préfère les gens avec un minimum de caractère, c'est certain. Et si elle était moins chiante, c'est sûr que je devrais être capable de l'apprécier, rien qu'un peu. Mais non. Parce que quand je la vois, tout ce qu'elle m'inspire, c'est de l'agacement et l'envie de la frapper. C'est vrai, qu'est-ce qu'elle peut être insupportable. Je veux dire, je sais que je me classe plutôt bien dans le domaine mais je crois qu'Eibhlin parvient à me battre, tu vois. Terrible. Bon, apparemment, elle se fiche pas mal que j'esquisse un sourire, mais je m'en fous aussi de ce qu'elle dit, du coup, je souris encore un peu plus. J'avoue que c'est surtout dans l'espoir de l'agacer. Je suis douée pour ça, moi. Et là, elle semble se souvenir que je suis privée de paroles durant la semaine. C'est le genre de trucs qu'on peut oublier ? Parce que moi, je t'assure que je l'oublie pas, ça. Et que ça me casse bien les bonbons aussi, d'ailleurs. Cela dit, son petit objectif, c'est de me les casser au maximum pour m'énerver. J'ai envie de lui répondre qu'elle n'a pas besoin d'attendre que je perde la parole pour ça, qu'elle m'énerve déjà constamment mais je ne peux pas et ça ne mérite pas que je gâche une feuille de papier pour si peu. Je dis rien, je me contente de la regarder quand elle pense pouvoir me provoquer en foutant par terre un truc que je viens de ranger. Oh alors, son plan, c'est de foutre le bordel juste pour m'énerver ? C'est mignon. Parce que ça va lamentablement rater. Je ne suis pas stupide, je sais bien que demain ou si ce n'est ce soir, tout va être exactement comme avant que je fasse un peu de rangement. J'ai une fille, le bordel, ça la connaît. Et, honnêtement, elle me donne juste de l'occupation parce que je vais pouvoir recommencer. Moi, je crache pas sur quoi que ce soit qui peut m'empêcher de penser. J'esquisse un nouveau sourire, le regard rieur et je fais moi-même tomber par terre un paquet de riz. Pour lui dire que, ouais, je m'en fous pas mal qu'elle puisse faire ça. Qu'elle continue, vraiment, j'en ai rien à battre.