Paloma a définitivement besoin de ses proches pour être heureuse et pleinement épanouie mais quand ce degré d'intimité n'est pas encore atteint, elle se plaît à rechercher une solitude salvatrice pour pas péter un plomb. Parce que c'est dur de vivre tout le temps entourée. De candidats dont elle n'aurait jamais été amenée à fréquenter la moitié dans un autre contexte, de caméras qui n'épargnent rien, d'un espace réduit, luxueux mais confiné. Alors ici, l'espagnole passe la moitié de son temps à s'intéresser aux autres, à tenter de créer des liens plus profonds que des banalités échangées et puis l'autre moitié, égoïstement, elle la garde pour elle. Dans la vraie vie, Paloma est plus ambiguë, à la fois indépendante dans la vie mais tristement dépendante dans ses relations. De fait, elle est rarement seule et prend pas de temps pour elle, pour se faire plaisir, se préserver, s'occuper d'elle. Elle sait pas vraiment faire, elle a trop souvent pris l'habitude de s'oublier au profit des autres, de vivre pour eux et parfois même à travers eux. Ici, c'est différent et Paloma apprend à se réapprivoiser doucement. Elle arrive même parfois à chasser le chagrin qui l'accable trop souvent derrière un bon livre ou une jolie promenade. Ce soir, c'est d'un bain qu'elle a envie. Mais pas d'un bain classique dans lequel on s'ennuie au bout de cinq minutes. Elle, elle a envie de la totale, du cliché des films américains qu'elle déteste la majeure partie du temps. Elle veut un bain aux huiles essentielles qui sent bon et adoucit la peau, elle veut un bain moussant aux bulles délicates et parfumées, elle aimerait des bougies, un bon roman à la plume aussi belle que poignante, un bouquet de pivoines. Et puis de la belle musique pour résonner et se répercuter sur les murs de la pièce et revenir la frapper. Paloma ne sait pas ce qu'elle aimerait. Pas de deux, Tchaikovski sans doute. Une symphonie de Beethoven, n'importe laquelle, elle les aime toutes, mais ce serait prendre le risque d'être noyée dans sa tristesse. Schubert, Mozart, Bach, Wagner... Tout lui irait. Non, ce qu'elle voudrait c'est la berceuse de Brahms, celle qui s'enclenchait dès que quelqu'un remontait la jolie ballerine mécanique qui trônait sur sa table de nuit et dont elle ne pouvait que deviner la beauté. Mais y'a pas tout ça ici, alors Paloma se contente de ce qu'elle trouve. Les bougies, la mousse, les huiles, le livre, c'est facile. Pour le reste, c'est pas grave, elle n'aura qu'à fermer les yeux et imaginer la musique ou la douceur significative d'un pétale de pivoine. Ca y'est, c'est tout prêt, elle peut enfin ôter ses vêtements et plonger dans l'eau délicieusement chaude qui n'attend qu'elle. Paloma pousse un soupir d'aise, pivote pour éteindre la lumière de la salle de bains et laisser la magie des bougies opérer. Elle se glisse dans le bain, un recueil de poèmes de Ginsberg en main et commence sereinement sa lecture...

Hm que faire en cette soirée ? J’ai passé une partie dehors, à faire du karting avec un autre candidat. On trouve toujours des âmes volontaires de toute façon. Je fais parti de ceux qui n’aiment pas la solitude. Je préfère largement être entouré, avoir de la compagnie, plutôt que d’être seul. On se fait chier sinon. Au moins ici, ce n’est pas ça qui manque la compagnie. C’est même plutôt dur d’avoir un moment à soit. Mais bon ça ne me dérange pas trop. Pas encore en tout cas. Peut être que dans quelques semaines, je n’en pourrais plus des autres, jusqu’à ne plus supporter leu tronche, m’enfin je n’en suis pas encore arrivé à ce stade, ce qui est plutôt rassurant. Y qu’à espérer qu’il n’arrive jamais. Bref, j’ai une soudaine envie d’aller me prendre un bain. Me prélasser. Puis à cette heure ci, il ne devrait pas y avoir trop de risques que ça soit occupé, ou que la douche soit blindée. Venez vers 10h du matin par contre, et c’est la cohue. L’heure de pointe. J’arrive dans la salle d’eau, en sifflotant. Désinvolte. J’allume la lumière et commence à me déshabiller tranquillement, en chantonnant. « Aaaaargh » Je viens à l’instant de remarquer la présence de Paloma dans la baignoire. Je ne sais pas comment j’ai fais pour ne pas la remarquer plus tôt d’ailleurs. Elle s’est allumée des bougies, et lit un bouquin. Ou lisait en tout cas, avant ma présence. Je souris. « Dites donc, je vois qu’on se fait plaisir… » J’achève d’ôter mon pantalon, me retrouvant en boxer. « T’en as pour longtemps encore ? C’est que moi aussi je m’étais prévu tout un beau programme dans ma tête… » Ceci dit, partager une baignoire avec elle serait un programme encore plus attirant, mais je suis pas assez fou pour proposer une telle chose.

Paloma a à peine le temps de se plonger dans la plume délicieuse de Ginsberg que déjà, on crève sa bulle voluptueuse. La lumière, blanche, vient agresser ses prunelles mais elle décide de ne pas en faire cas un peu comme une enfant. Parfois, les mômes ferment les yeux et couvrent les paupières de leurs doigts en imaginant que puisqu'ils ne peuvent pas regarder, personne ne peut les voir. Paloma en fait de même, sauf que ses yeux à elle sont bien ouverts. Elle résiste, suspend son souffle, n'amorce aucun geste dans l'eau chaude et se contente de reprendre le fil de ses pensées, de retrouver la beat generation à travers Howl et de laisser s'évanouir tout le reste. L'intrusion d'un(e) candidat(e) comme sa propre présence. Ca marche, l'espace de quelques secondes parce que Paloma entend au loin Eryk (ça ne peut être que lui) siffloter sans notifier sa présence. Ca pourrait lui arracher l'ombre d'un sourire amusé mais en réalité, ça la satisfait et c'est tout. C'est déjà pas mal. Mais le charme ne dure pas et la bulle fragile lentement reconstituée explose de nouveau en plein vol. Eryk s'adresse à elle et elle consent à déposer délicatement son livre sur le rebord encore sec de la baignoire pour lui octroyer l'attention qu'il mérite. Même si pour une fois, Paloma n'est pas pressée d'entamer la conversation parce que la perspective de ce tête à tête avec elle-même sans pensées moroses pour l'entamer était séduisant. Si elle se fait plaisir ? Oui, elle essaye en tout cas, de temps à autres. L'espagnole réplique uniquement par un vague sourire en coin avant qu'Eryk ne revienne à la charge pour... montrer des velléités belliqueuses à l'égard de sa baignoire ? « J'espère pour toi que ton programme n'impliquait pas une baignoire : je viens d'arriver... » souffle-t-elle de sa douceur languide habituelle quoique avec un brin de fermeté qu'on lui connaît pas et qui semble dire que non, elle ne compte pas quitter son bain divin aussi vite, pour personne. Paloma est généreuse, mais parfois faut pas déconner. Grand prince, elle esquisse un geste gracieux en direction de la douche, immense et parfaitement vide. « Mais si tu voulais prendre une douche, je t'en prie, ça me dérange pas » Eryk peut partager la salle de bains avec elle, c'est pas la sienne, elle ne va pas lui imposer de partir et revenir plus tard le temps qu'elle se relaxe comme il se doit ; son égoïsme n'est pas assez présent pour ça. « Je jure solennellement de pas regarder » ajoute-t-elle de sa voix chaude, le timbre léger, tout en coulant un regard à la dérobée à sa silhouette athlétique. Voilà, elle ne regardera plus, il est libre de vaquer à ses occupations. Et comme pour sceller cet accord inscrit dans le marbre, Paloma reprend délicatement son livre pour l'ouvrir sur le poème qui l'intéresse.

Ce soir, j’ai prévu de prendre un bon bain. Se relaxer, tout ça tout ça. Sauf que c’était sans compter sur Paloma pour anéantir tous mes plans. D’autant qu’elle vient de me confier qu’elle vient tout juste d’arriver. Et vu le ton qu’elle vient de prendre, cela voulait dire clairement : et j’ai pas l’intention de te laisser la place de si tôt mon coco. J’y suis, j’y reste. D’ailleurs v’la qu’elle me parle de prendre une douche. Que ça ne la dérange pas. Quelle générosité cette petite dame. Elle accepte de partager la salle de bain, c’est trop. Même qu’elle promet qu’elle ne regardera pas. Comme si c’était ça le souci. Non non. « Sauf qu’on a un petit problème, c’était un bain que je voulais prendre. » Et oui. « Alors à moins que tu acceptes de partager, je comptes bien rester planté là jusqu’à ce que tu abdiques. » Qu’elle ne croit pas se débarrasser de moi facilement, non non. J’attendrais, jusqu’à ce qu’elle ait fini. Et forcément avec moi pour l’emmerder à côté, elle pourra beaucoup moins bien profiter de son bain. Si bien qu’elle finira surement par le quitter. Prenant mes aises, je m’assois même sur le rebord de la baignoire. Histoire qu’elle comprenne bien que je ne plaisante pas. « Tu lis quoi ? » je regarde la couverture. « De la poésie, arf. C’est bien un truc de filles ça. » Je me mets alors à toussoter, comme pour m’éclaircir la voix, avant de reprendre. En français cette fois. « Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage, ou comme cestuy-là qui conquit la toison, et puis est retourné, plein d'usage et raison, vivre entre ses parents le reste de son âge ! » Oui je lui cite un poème. C’est pas fini attendez. « Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village » Je prends un ton dramatique, et pose une main sur mon cœur. « Fumer la cheminée, et en quelle saison, reverrai-je le clos de ma pauvre maison, qui m'est une province, et beaucoup davantage ? » Oui, quand ? Bon c’est tout ce dont je me souviens, je n’ai pas la fin, mais ce n’est pas bien grave. Je fais une petite révérence. « Merci, merci. » Comme si elle venait de m’acclamer. « En parlant de maison, t’habites où ? En France ? T’sais que j’y ai passé toute mon enfance. Les années bonheur, avant que ça ne se gâte. Pourtant je n’y retourne que très rarement. C’est un tort. Je devrais peut être y emmener mes enfants, c’est quand même une part de leurs origines. T'en penses quoi toi ? » Non non je n’ai absolument pas décider de la saouler de paroles, pour la pousser à quitter la baignoire plus vite.

Bien entendu, Eryk veut aussi prendre un bain le contraire serait trop beau. Sauf qu'il tombe mal parce que Paloma a décidé que ce soir elle se soucierait de personne d'autre que d'elle-même quitte à réquisitionner la salle de bains. Parce qu'une fois bien détendue dans l'eau, elle compte s'enduire la peau de beurre corporel, se faire un masque et peut-être même les ongles. Autant dire qu'elle est loin d'avoir fini et que la baignoire sera utilisée - et bien utilisée - jusqu'à ce que l'eau devienne trop froide ou que la mousse ait entièrement disparu. « Mauvaise stratégie » qu'elle ronronne en doucuer au rythme de ses yeux qui remontent jusqu'au visage d'Eryk. « J'aurais tendance à te laisser la place beaucoup plus rapidement si tu me laissais profiter de mon bain... » suggère l'espagnole tout en peignant une moue appropriée sur ses lèvres charnues. Mais c'est peine perdue, Eryk s'installe et prend ses aises et Paloma s'enfonce un peu plus dans l'eau chaude en signe de protestation. Un signe à son image, discret, délicat et parfaitement incapable de s'imposer. Alors pour poursuivre sa révolution silencieuse elle se replonge dans son bouquin sans autre forme de procès, se concentre sur les caractères au lieu du visage d'Eryk et essaye de faire une totale abstraction du reste, même de son souffle. Sauf qu'il a décidé de se la jouer parasite. Paloma n'a rien contre le fait de parler livres avec lui mais son jugement lui décoche d'emblée un regard de chat échaudé. « Un bain aussi c'est un truc de filles » qu'elle siffle d'une innocence un peu exagérée puisque Eryk semble apprécier mettre les choses dans les cases. Ou juste l'emmerder en fait. Malheureusement Paloma reste une fille plutôt agréable et elle ne peut s'empêcher de venir le secourir de sa méprise. « Howl a été jugé pour obscénité dans les années cinquante c'est pas nécessairement dégoulinant de romantisme, d'arc-en-ciel et de licornes » note-t-elle sobrement. Howl c'est plus que ça, c'est le cri de désespoir d'une génération entière qui parle crûment mais qui frappe en plein coeur. On y entend la solitude, la tristesse, l'inhumanité au sens large et puis des envolées lyriques d'une telle force qu'elle vous cloue le coeur. Mais la souffrance c'est un truc qui parle pas à tout le monde un peu comme certains sons qu'on n'entend plus passé un âge. Ca veut pas dire qu'il n'existe pas, juste qu'ils nous touchent plus. Et dans son cas, Paloma n'est pas sûre de devenir assez vieille pour ne plus être touchée par ça... Eryk lui récite du De Bellay et elle se contente d'afficher un menu sourire. Elle, elle est plus Rimbaud, Baudelaire ou Apollinaire si on reste du côté de la poésie française. Paloma hoche la tête, induisant qu'elle réside bien en France même si c'est un peu plus compliqué que ça. Théoriquement, elle est domiciliée à Madrid mais n'y met que rarement les pieds parce que ça fait cinq ans qu'elle étudie à Paris. Maintenant qu'elle est diplômée elle sait pas vraiment où vivre ou quoi faire de sa peau parce que tous ses plans incluaient un homme qui n'est plus. Comme toujours, l'espagnole se concentre sur ce que dit son interlocuteur pour éviter de revenir sur elle et sa propre expérience. Ca sert à rien et sûrement pas à s'oublier mais c'est qu'un mécanisme de défense un peu trop affûté pour qu'elle parvienne à s'y dérober. « Bien sûr que tu devrais les emmener ça fait du bien parfois de revenir aux sources » Paloma marque une pause et puis ne peut pas retenir la question qui s'imprime juste au bord de ses lèvres. « Pourquoi ça s'est gâté ? »