LOXIAS

« Un … Deux … Trois … » Je disparais sur la pointe des pieds dans le dos d’Adie qui égrène les chiffres face au mur, grimpant les escaliers tout en réfléchissant à une cachette adéquate où je pourrais me dissimuler. Car oui, nous sommes tant assommées par l’ennui depuis l’effervescence du prime, que nous avons eu la merveilleuse idée de nous lancer dans une partie de cache-cache. J’ai l’impression de retomber en enfance, vraiment réjouie par cette idée même si je sais que mon cœur va s’affoler à chaque pas perçus dans ma direction, et sursauter chaque fois qu’elle va me trouver planquée derrière un canapé. Nous avons limité le champ à deux étages pour éviter les recherches trop longues, aussi je me dirige vers le dressing qui me semble parfait pour constituer mon refuge. Peut-être parviendrais-je à me plier en quatre sur une étagère, ou à me dissimuler au milieu des robes et des pantalons suspendus. Se fondre dans le décor, voilà mon plan finement élaboré. Je me plante donc devant les divers vêtements qui se présentent à moi, faisant errer mon regard dans le moindre recoin pour y déceler un endroit confortable où attendre la demoiselle. Toutefois je suis assez rapidement déconcentrée par les trésors que j’aperçois, oubliant ma mission première. Moi qui suis habituée aux créations uniques de grands couturiers, j’éprouve une sensation véritablement étrange en farfouillant dans les affaires de mes camarades. Certains choix de vêtement sont relativement discutables . . . Comme ce bonnet jaune ou cette culotte violette et bleu nuit qui m’irrite les pupilles. Je me demande comment réagit leur entourage lorsqu’ils soulèvent leurs paquets en souriant, fiers de leurs achats, brandissant un string léopard ou un t-shirt couleur morve. Je ne prends pas le soin d’identifier les candidats détenteurs des habits que je soulève du bout des doigts, me faufilant toute excitée derrière le paravent en ignorant la caméra qui me scrute. Je me tortille afin de faire tomber mon short et mon débardeur sur le sol, rajustant les bretelles de mon soutien-gorge avant de m’emparer de mes nouvelles trouvailles. Je les observe en pouffant d’un petit rire enfantin, levant une jambe en perdant l’équilibre. Après quelques minutes d’efforts et de cabrioles, je me retrouve finalement serrées dans un immonde pantalon zébré rouge qui aurait pu appartenir à Santiago s’il ne m’allait pas comme un gant, ainsi que dans un pull en grosse laine relativement étouffant que je soupçonne d’être la propriété de Jamie. Parce qu’il faut dire ce qui est, il nous a prouvé qu’il disposait d’un goût douteux en matière de vêtements. Je n’ai pas encore eu le loisir d’apercevoir mon reflet dans le miroir, mais j’imagine que ce doit être follement amusant. J’esquisse un geste pour me dévoiler à cet objet d’égocentrique, soulevant ma crinière platine afin de la dégager de l’emprise du col qui la plaque sur ma nuque, cependant je n’ai guère le temps d’admirer mon ouvrage. Une silhouette apparaît dans l’embrasure, aussi je bondis vers l’avant pour attraper le poignet de l’intrus, le tirant afin de le contraindre me rejoindre derrière la cachette que constitue le paravent. Je m’accroupis en exerçant une pression sur le membre de Loxias –puisqu’il s’avère qu’il est l’intrus- dans l’espoir qu’il imite ma position, évitant ainsi de nous faire repérer par Adie. Et avant qu’il ne puisse dire quoi que ce soit, je plaque mon index sur ses lèvres, accrochant son regard azuré pour lui faire comprendre qu’il doit garder le silence. Je fais fi de tous les autres paramètres au profit de la victoire, à savoir son corps à quelques centimètres du mien à moitié dénudé, puisque sous le gros pull de laine largement ouvert, je n’ai que mon sous-vêtement rouge et un décolleté offert à sa vue -ma foi relativement peu généreux, mais un décolleté tout de même-. A croire que je fais exprès de lui donner un aperçu de ce que voile habituellement les morceaux de tissus que je porte, puisque ce n'est pas la première fois qu'il a le loisir d'y jeter un oeil.

C’est plus du tout possible, là. Mais genre plus du tout, du tout, du tout possible. Il faut une intervention d’urgence, et j’hésite entre les vieilles peaux de “C’est du propre”, ou carrément le GIGN. J’sais pas, je me tâte. Les vieilles peaux, elles sont capables de miracles, on en a déjà eu la preuve, mais là, j’crois qu’il y a carrément une forme de vie nouvelle qui vient de se développer sous mon lit. J’entends que ça bouge. Je rêve pas, ça gratte, ça grogne, ça renifle... C’est pas que j’ai la trouille, mais bon, c’est quand même pas particulièrement rassurant ce genre de phénomènes paranormaux. Et, je vous arrête tout de suite avant que vous ne vous mettiez à vous imaginer que je suis responsable -ou ma partenaire- de cet immondice de saloperies qui pullule sous ma couche. Non, moi j’ai appris l’hygiène en même temps que la survie, parce que l’inverse est incompatible. On ne survie jamais bien longtemps dans un écosystème dégueulasse. C’est la base. Non, les véritables responsables, ce sont les autres, qui non content de pourrir leur coin, décident de coloniser ceux des autres. Bon, y a mes fringues douteusement propres, je le reconnais, mais la bouteille de Gin à moitié vide, peuplée de mégots de cigarette imbibés, c’est à moi peut être ? Certainement pas ! Pas plus que ce bout de sandwich au salami qui commence à se teindre joliment de verdâtre dans son assiette. Et tout ça sous mon pieu ! Alors, debout au milieu de la pièce, la tête entre les mains, je retiens un cri de rage et de désespoir, Ô vieillesse ennemie... C’est pas à moi de ramasser leurs merdes ! Mais c’est pas à moi de vivre de leurs merdes non plus. Bon, j’vais commencer par ramasser mes propres affaires, on y verra déjà plus clair. Quatre semaines de vêtements éparses au sol, c’est pas rien. Et je retrouve des fringues que j’adore, mais dont j’avais oublié l’existence. Mon gilet tricoté main, que je serre contre moi avant que l’odeur ne me parvienne, et que je le jette dans le sac poubelle qui me sert de collecteuse. Le sac se gonfle à vue d’oeil, et bientôt le parquet autour de mon lit redevient apparent. Sauf que je n’en ai pas terminé. Quitte à faire une lessive, autant aller ramasser ce qui jonche le sol du dressing, devant l’espace qui m’a été attribué. Mais à peine ai-je le temps d’y foutre un pied, qu’une tâche dorée fonce sur moi pour m’attraper par le poignet, et m’entrainer Dieu sait où. J’en lâche mon sac poubelle, qui échoue dans l’embrasure de la porte, et me retrouve rapidement derrière un paravent, avec une forme féminine accroupie devant moi. S’il ne s’agissait pas de Swann, je pense l’idée de me retrouver avec le pantalon sur les chevilles, et des mimines fourrageant dans mon caleçon, m’aurait titillé l’esprit. Mais c’est Swann et non Irène, j’imagine donc que la tentative de viol sur ma personne n’est pas le mobile du crime. En plus, elle tire sur mon bras, m’obligeant à la rejoindre au sol. J’essaye bien de parler, histoire qu’elle m’explique ce que je fous derrière un paravent, mais elle me plaque son index sur la bouche. Génial. Et sinon, à part ça ? A part ça, y a son pull qui se fait la malle, et son soutif qui me dit bonjour. Bon, bah puisque je ne peux pas la prévenir -elle a l’air passablement occupée à tendre l’oreille-, je m’en charge moi-même, et attrape les deux pans de son gilet, pour le refermer les plus hermétiquement possible, avant de resserrer sa ceinture, histoire que ça reste en place après le départ de mes mains. D’ailleurs, c’est quoi cette tenue toute pourrie ? Encore une question que je vais devoir me retenir de lui poser. Sauf qu’à un moment, j’en ai marre, et j’attrape le bout de son index entre mes dents, pour qu’elle cesse de me baillonner de la sorte. « On se cache de qui ? » je fini par lui demander dans un murmure de chez murmure pro du murmurage. « Y a une descente de la police du bon goût ? » j’achève, en jetant un regard sur son assemblage très discutable de vêtement. Limite, si c’est ça, je la dénonce, parce que franchement, c’est insoutenable, visuellement parlant.

J’ose un coup d’œil sur le côté droit du paravent, m’écartant légèrement de Loxias qui s’affaire à me rhabiller comme si la vue dont il disposait ne lui plaisait guère et qu’il aspirait à la soustraire à lui. Un geste plutôt vexant, mine de rien. Quoi, mon décolleté plongeant n’est pas à son goût ? Il préfère sans doute les poitrines plantureuses telles que celles d’Evadne, débordantes de générosité. Mon regard capte le sien une seconde avant de tomber sur mon buste, et j’hésite longuement à briser le silence sans me décider à lâcher un sarcasme tranchant. Et finalement mes lèvres restent closes tandis que ça se bouscule dans ma tête, mes mains se levant avant de s’abaisser pour venir triturer mes chevilles plutôt que desserrer la ceinture qui me compresse le ventre. Je ne vais pas aller jusqu’à le provoquer sexuellement, je risquerais de choquer les enfants et ses petites mirettes azurées. De toute façon je n’ai pas le temps de poursuivre mes réflexions lubriques puisque le candidat s’impatiente, me mordillant le bout du doigt. En parlant de pensées impudiques . . . Je tire sur mon index pour le libérer de son étreinte, l’essuyant sur sa joue sans la moindre gêne avant de tapoter son nez pour le punir d’avoir souillé ma peau de la marque de sa dentition –aussi parfaite soit-elle-. Puis je me tortille à nouveau pour vérifier que nous sommes hors de portée d’Adie tandis qu’il murmure quelques mots trahissant son incompréhension. Mais il a beau chuchoter, c’est encore trop fort. Je lui lance un regard noir, les sourcils froncés, me demandant comment il ose ainsi rompre un silence que je lui ai imposé, soupirant finalement sous les iris clairs qui me détaillent de haut en bas. Ca va, ce n’est pas si affreux que ça, pas vrai ? Toutefois, un coup d’œil en direction des zébrures du pantalon un peu trop court dans lequel je me suis glissée me fait comprendre que la police du bon goût m’arrêterait illico pour me placer en détention. J’esquisse une légère grimace avant de pouffer discrètement, levant la tête vers les vêtements masculins. « Attends. Silence. » Je tente de limiter la communication pour éviter de nous faire repérer, me levant d’un bond. Je guette l’entrée du dressing, me jetant sur les étagères comme un vrai détective privé en me collant contre le bois, fouillant frénétiquement dans les vêtements pour en retirer un pull à pois de toute beauté, ainsi qu’un . . . kilt ? Mais qu’est-ce que ça fait là, ça . . . Très étrange, digne d’une enquête prioritaire. Un candidat écossais se cacherait-il parmi nous, adepte des habits traditionnels de son pays ? Je peux d’hors et déjà exclure Hamad, puisqu'aux dernières nouvelles il porte des sous-vêtements. J'examine le tissu avant de le jeter sur la tête de Loxias, reprenant ma position initiale en tendant le sweet sous son nez. « Tu veux te fondre dans le décor ? Camouflage, infaillible pour ne pas être repérés. » Parce qu’un zèbre et un petit pois travesti géant, il y a peu de chance pour que la jeune femme qui est sur mes traces ne nous repère. « Et maintenant, chut. » Je lui ordonne en le menaçant de mon autre index, les lèvres plissées. S’il ne se plie pas à ma volonté, il va bien falloir que je trouve autre chose pour le faire taire, et figurez-vous que j’ai déjà ma petite idée. En attendant il ignore toujours pourquoi nous devons nous comporter comme des soldats en mission dans la jungle birmane, et qui nous sommes censés éviter. Mais a-t-il vraiment besoin de le savoir ? Les combattants obéissent à leurs supérieurs sans broncher, ne se souciant pas de connaître la raison qui les conduit aux meurtres de centaines d’être humains. Eh bien voilà, c’est précisément ce que je lui demande, avec les assassinats en moins.

Elle se fout de moi, la naine, à me faire les gros yeux sans fournir l’ombre d’un début de réponse ? Bientôt je vais me faire engueuler d’avoir osé exprimer un avis incertain sur sa tenue très discutable. Sans compter le crime lès majesté que j’ai commis en ayant l’inconscience de la rhabiller, afin qu’elle cesse d’offrir son décolleté en pâture aux caméras. Et lorsque je décide de prendre la parole, en faisant bien attention à ne hausser la voix, me faisant comprendre par un simple murmure, je me retrouve gratifié d’une tape sur le nez. Je me demande si la Production peut faire quelque chose pour me venir en aide, une nomination exceptionnelle, à la Ezéquiel, afin qu’elle cesse, une bonne fois pour toute, de me maltraiter de la sorte. A croire qu’elle lève la main sur moi au moindre prétexte. Déjà par deux fois, lors du prime, et maintenant, ça commence à faire beaucoup, non ? Du coup, je fronce le nez et les sourcils. Elle est bien conscience que je tolère ses petites crises autoritaires pour les besoins du jeu, n’est-ce pas ? Dans la vie réelle, ces petites tapes auraient cessé dès la première en fait, ou n’auraient pas fait long feu. Ici, elles perdurent, et j’ai bien l’impression que la blonde y prend un certain plaisir. « Attends. Silence. » m’intime-t-elle comme à un chien. J’ai un chien, et même à lui je ne parle pas ainsi. Non, parce que mon chien c’est Einstein réincarné, alors il me viendrait pas à l’idée de lui donner du “assis ! pas bouger ! donne la patte !”, le connaissant, il serait capable de me snober pour me lâcher un vent au visage, avant de s’éloigner pour réfléchir à la conception d’une nouvelle arme de destruction massive. Aussi, je reste un peu con, là, déstabilisé par l’attitude étrange de la blonde. Je me fais kidnapper et séquestrer derrière un paravent, j’ai pas le droit de parler, à peine de respirer, on ne me donne aucune explication, on me frappe, on me parle comme à un chien, et bientôt j’me prends des vêtements à travers la tronche. J’ai presque envie de pleurer, là. Dans un premier temps, j’ai pas compris qu’il s’agissait d’un vêtement, avant de paniquer pour m’extraire de son étreinte suffocante, et de constater qu’il s’agissait d’un kilt. A cause du tissu lourd et de l’opacité du vêtement, j’ai cru qu’on m’emprisonnait la tête dans un sac de toile. Réminiscence de vieux démons, j’ai perdu le contrôle de ma raison, et j’ai commencé à me débattre. Quand j’ai enfin émergé, Swann se tenait à nouveau devant moi, un pull absolument dégueulasse, tendu sous mon nez. Je comprends pas. J’observe l’immonde vêtement, puis analyse le tissu que je viens d’ôter de ma tête... Il me faut un moment avant de comprendre qu’il s’agit d’un kilt. Et je suis censé en faire quoi ? « Tu veux te fondre dans le décor ? Camouflage, infaillible pour ne pas être repérés. » Mais de quoi elle parle ? Si elle commençait par m’expliquer la situation, ce serait bien, non ? Parce que là, elle me demande d’enfiler des vêtements moches pour disparaitre dans le décor, et ne pas me faire repérer. Mais repérer par qui, bon sang ? « Mais de quoi tu ...? » j’ai pas le temps de finir ma phrase, que ses tendances SM reprennent du service. « Et maintenant, chut. » Et c’est qu’elle me menace de son index, en plus ! Elle a totalement viré barge ou quoi ? Je jette un nouveau coup d’oeil au kilt, mais rien à faire, il est hors de question que je cède à son caprice. Aussi, je lâche le vêtement pour libérer mes mains, et en poser une sur le front de la blonde. « T’es malade, Swann, faut te faire soigner, là... T’as encore descendu une bouteille toute seule ? » J’suis sérieux, en plus, parce que je ne vois d’autres explications à son comportement fantasque. Elle va virer alcoolo dans ce jeu, la chasseuse de secret. « Il est hors de question que je porte un truc pareil. Ça... » Je lui montre le kilt, d’une main, tandis que l’autre s’accroche au pull qu’elle porte pour le lui désigner. « On appelle ça du repérage, pas du camouflage... Où tu penses qu’on peut se cacher avec ce genre de vêtements ? A la Gay-Pride, peut être ? » Je la sonde un instant, le regard sévère, puis je me lève. Fini de jouer à ce jeu bizarre dont on refuse de m’expliquer les règles. Basta.