Donc elle est heureuse. Est-ce la vie qu'elle a toujours voulu, recherché ? Elle ne sait pas. Peut-être. Ce n'est pas cela qui importe vraiment. Non, le plus important, c'est la façon dont elle se sent. Et elle se sent bien. À sa place. En fin de compte, c'est peut-être exactement ce qu'elle recherchait. Peut-être qu'elle ne s'en est simplement jamais rendue compte avant. Tout a l'air parfait. C'est marrant de voir qu'absolument tout lui convient. Vous voyez, même quand un serveur pas doué lui renverse quasiment toute sa commande dessus, même quand ça pleut à torrent et qu'elle est sans parapluie. Oui, voir la vie du bon côté à ce point-là, c'est possible. Même quand tout n'est pas parfait, objectivement parlant. Si on peut réellement émettre l'idée d'une objectivité sur le sujet. Oh, continuez donc ce débat entre vous, Emmeline, elle, elle va se contenter d'être comblée par ce que la vie lui offre. Alors, certes, il y a un tout petit nuage gris pour nuancer ce tableau. Pas un de ces nuages qui cachent le soleil, non. Pas un nuage menaçant non plus. Rien qu'une petite tension, la veille, avec Mickey. Oui, Mickey. Toujours celui-là. Et autant ne pas se voiler la face, il y a de grandes chances que ça dure. Enfin, passons. Une tension, donc. Plus elle y pense, plus elle trouve cette légère dispute totalement stupide et inutile. Si elle avait eu ce recul le soir précédent, la porte de la chambre n'aurait sûrement pas claqué avant qu'elle aille se réfugier dans le sommeil. Le matin n'a pas été des plus enthousiasmants non plus. Cela dit, ça tourbillonne dans son esprit et ça devient presque insupportable. Alors elle se dit qu'elle peut bien prendre sa courte pause avec un peu d'avance. Et sa pause peut bien durer un peu plus longtemps que d'habitude. Est-ce que c'est mal ? Les remords la tiraillent déjà alors qu'elle ne fait qu'envisager cette possibilité. De toute façon, à penser à toute cette histoire et à débattre sur l'idée de partir, elle n'est absolument pas productive. Le mieux, ça serait donc de régler cette histoire afin de pouvoir ensuite reprendre son travail. Oui. Exactement. Oh et puis crotte, elle n'aura qu'à signaler une soudaine gastro si jamais on vient l'enquiquiner avec son absence. Donc, oui, tout ça pour dire qu'elle a foutu le camp de là afin de rejoindre la maison, leur maison. Elle entre, referme la porte, espère qu'il sera là et non sorti pour une quelconque raison. Elle finit par le trouver à la cuisine. Oui, c'est vrai que l'heure du déjeuner approche, mine de rien. Elle place ses mains dans les poches de son jean, étire ses lèvres en un mince sourire. « Coucou. » lance-t-elle doucement. Quelques secondes de silence puis elle reprend. « Qu'est-ce que tu cuisines ? » qu'elle lui demande alors. Elle tente de prendre la température, histoire de savoir si, comme pour elle, la tension est retombée ou s'il est grognon, agacé ou déçu. A priori, elle devrait tout pouvoir gérer, sauf de voir de la déception dans son regard. Oui, tout sauf ça. Quoique, elle ne veut pas non plus le voir peiné, ah ça non. Ça serait bête d'en arriver là pour une si petite dispute, n'est-ce pas.

L'accueil n'est pas des plus chaleureux, mais bon, elle réalise que c'était bien trop naïf de penser qu'ils allaient se sauter dans les bras, les larmes aux yeux, en balançant des discours désolés. Oui, non, bien sûr. Allez, elle se dit que ça aurait clairement pu être pire. Au moins, il lui parle. Elle prend ça comme un point positif. Elle écoute ce qu'il dit concernant le plat qu'il cuisine et hoche la tête pour répondre à sa question. Emmeline n'est pas difficile. Et Mickey est un bon cuisinier donc inévitablement, les fois où elle ne finit pas son assiette sont plutôt rares. Puis elle l'entend l'appeler par son prénom, elle le regarde, d'un air interrogateur, avec l'espoir, quelque part, qu'ils allaient aborder le sujet qui l'a faite rentrer plus tôt. Mais non. Elle baisse les yeux vers son gilet à son tour. Oh, oui, en effet. Oh, mais c'est qu'elle ne devait pas être très réveillée ce matin. Ou tout particulièrement distraite, en effet. Et ses collègues ont dû bien rigoler d'elle, pour le coup. Ah bah ça fait plaisir de voir qu'on peut compter sur eux pour ce genre de choses. Emmeline, elle, ça l'amuse plus qu'autre chose, ce petit détail, ce gilet boutonné de travers. Ça arrive à tout le monde, n'est-ce pas. Sauf que ce qui pourrait être vu comme un détail anodin ne l'est pas aux yeux de Mickey. Non, bien au contraire. D'après qu'elle l'aurait fait exprès. Qu'elle serait venue juste pour exhiber ses boutons mal foutus. Oui, tout ça en guise de vengeance pour ce qui s'est passé la veille. Ah mais oui, à coup sûr. Évidemment. « Ah, Mickey, tu me connais tellement bien ! Je suis rentrée juste pour ça, pour te montrer mon gilet dans un état pareil parce que j'adore ça, quand ça t'énerve ! Oh et attends un peu de voir que mes chaussettes ne sont pas de la même couleur, ça va être génial. » Elle est totalement incrédule face aux suppositions de Mickey. C'est n'importe quoi, vraiment. D'où son ton blasé et ironique. Elle secoue la tête, puis soupire. Il devrait bien savoir, depuis le temps, qu'elle n'est pas comme ça ? Non ? Bref. Elle se contente de détacher les boutons de son gilet afin de les rattacher correctement, tout en faisant quelques pas dans la cuisine, comme un lion en cage. Elle se rhabille au mieux possible, histoire d'avoir une apparence proche de la perfection. Voilà. Elle lance un regard vers Mickey. Elle ne sait pas si elle attend des félicitations pour savoir s'habiller ou des reproches. Elle lâcherait bien un « c'est mieux ? », poussée par un certain agacement, mais elle se retient. Le but, ce n'est pas d'aggraver la situation, au contraire. Elle soupire pour se calmer, glisse ses cheveux derrière son oreille d'une main. « Bon. On va pas recommencer, si ? » demande-t-elle alors. Recommencer comme hier soir, à s'embrouiller pour des broutilles, à se faire du mal pour rien, à s'éloigner pour des conneries. Elle n'est pas là pour ça, elle. Alors si c'est au programme, elle repart tout de suite à son boulot, ça sera encore pour le mieux.

C'est quand même vexant de voir que la première explication qui lui vient en tête, c'est qu'elle l'a fait exprès, qu'elle se joue de lui de cette façon, qu'elle est vicieuse comme ça. Elle pensait avoir prouvé depuis le temps, que ce n'est vraiment pas son genre. Elle ne sait pas s'il va finir par l'accepter un jour, ça. Peut-être qu'à force de lui montrer qu'elle est plus attentionnée que vicieuse, plus gentille que blessante, il finira par ne plus lancer des accusations pareilles. Quoique, ce n'est pas question de la connaître ou non, de savoir qui elle est ou non, c'est autre chose que cela, c'est tout simplement dans l'esprit de Mickey que ça se joue. Et même si Emmeline essaye tant bien que mal de l'aider sur le sujet, elle sait pertinemment qu'elle n'y peut, au fond, pas grand chose. Ça l'emmerde bien, c'est certain. Tristement, c'est comme ça. Il finit tout de même par s'excuser. Bien. Elle y vient aussi, à ça. S'excuser. Elle compte bien le faire aussi. Il dit qu'il ne faut pas lui en vouloir. Elle secoue la tête, pour lui confirmer que non, elle ne va pas lui en vouloir. Bien sûr que non. Il est souvent très vite pardonné, Mickey. C'est comme ça. Il lui pose alors une question, sur le fait qu'elle est rentrée tôt. "Yep. Impossible de me concentrer. Tu devineras jamais pourquoi." Un maigre sourire s'étend sur ses lèvres. Elle n'a pas réussi à se concentrer à cause de la dispute de la veille, de toute évidence. Oui, leur relation influence énormément son humeur, ce qu'elle trouve plus que normal. C'est sa vie, maintenant. Lui, elle, cette maison, son boulot, leur quotidien. C'est sa vie et ça lui plaît. Il revient alors sur la petite mésaventure de la veille, il dit regretter, il dit avoir conscience de son comportement, il dit qu'il aimerait pouvoir être moins compliqué. Oui, peut-être que ça serait plus simple. Plus simple pour eux deux. Et peut-être que ça serait mieux. Peut-être qu'elle apprécierait aussi qu'il soit moins compliqué. Mais le fait est qu'elle sait pour quoi elle a signé. Elle l'a toujours connu compliqué, elle est tombée amoureuse d'un homme compliqué, elle savait à quoi elle s'engageait. Elle étire à nouveau ses lèvres, rien qu'un peu, puis s'avance à son tour dans sa direction, de quelques pas. "Je suis désolée, moi aussi. T'es loin d'être le seul fautif, tu sais. Je m'emballe d'un rien, je me vexe d'un rien... Je n'aurais pas dû réagir comme ça, je regrette beaucoup. " Elle se trouve vraiment idiote face à son comportement d'hier. Ça a été une pure perte de temps et d'énergie. Par chance, rien n'a été brisé. Autant dans la maison que dans leur relation. "Je ne t'en veux pas d'être compliqué ou de nous compliquer la vie parfois, tu sais. J'aimerais juste que ça soit plus simple pour toi." Oui, parce que, elle, elle peut supporter le compliqué, c'est pas un souci. Elle se doute juste que c'est loin d'être facile pour lui, donc oui, elle aimerait beaucoup que ça soit plus simple. Pour lui. Pour lui uniquement. Rien de nouveau, n'est-ce pas, mais ça ne fait jamais de mal de le rappeler.