Le soleil n'avait pas arrêté de pointer le bout de son nez depuis le début de la semaine. À croire que la pluie n'existait pas en Australie. Je n'avais pas eu affaire à des températures aussi chaudes depuis fort longtemps. Les seules options pour moi restaient : la piscine, le congélateur ou la plage. Et cette après-midi j'avais choisi l'option en bord de mer pour sentir une douce brise maritime caresser ma peau et vivifier mon esprit. Je fais donc tout le chemin qui me sépare de la plage à pied accompagnée de mon kit de survie pour l'après-midi. Arrivée à destination j'installe ma serviette sur le sable brûlant et commence à m'étaler de la crème solaire. Un rapide coup d’œil sur la plage me permet de constater que je ne suis pas la seule à avoir préférer les joies de la côte puisqu'une serviette trône fièrement non loin de moi. Pourtant aucune trace de son propriétaire dans les alentours. Un point coloré au large m'interpelle, je plisse les yeux pour mieux voir. Un candidat sur son matelas flotte en plein milieu de l'océan. Ce doit être lui le mystérieux propriétaire de la serviette. Je décide de le rejoindre et accours vers la cabane de plage où est entreposé tout le matériel. Je m'empare d'un matelas flottant et pars le rejoindre à la nage tant bien que mal. Arrivée à la hauteur du candidat, j'ai le loisir de constater que je fais face à Andreja. « Oh Andreja, salut » je lui lance le sortant soit d'un profond sommeil ou alors d'une intense réflexion. Mais j'étais comme ça, j'aimais trouver les autres là où ils ne m'attendaient pas. « On métrait combien de temps tu penses pour rejoindre les États-Unis avec ce bateau de fortune ? ». Je lui demande comme si cette question était plus importante que de lui demander comment il allait ou ce qu'il foutait tout seul en plein milieu de l'océan avec son matelas flottant.    

Avant cette semaine Andreja n'avait vraiment frequenté la plage, ou du moins pas autrement qu'en y passant sans prendre le temps de s'y arrêter. Probablement qu'il n'était juste pas trop branché plage, farniente, ce genre de trucs ... c'était bien trop statique pour lui comme activités, et pour ce qui était de la baignade l'eau avait le désavantage majeur d'être salée. Mais bon, une fois son séjour dans le nid terminé combien d'occasions aurait-il encore de se baigner dans l'océan Pacifique ? Très peu, pour ne pas dire d'agrément aucune. Et puisqu'au fond seuls les imbéciles ne changeaient pas d'avis, comme le disait le dicton, voilà notre serbe qui avait décidé de se jeter à l'eau en ce jeudi après-midi, dans le sens le plus littéral du terme. Il avait même poussé le vice jusqu'à embarquer dans son escapade un des matelas pneumatiques à leur disposition, et voguait maintenant depuis une petite heure en faisant face à un soleil qui lui faisait regretter d'avoir pris ses lunettes de soleil mais n'avoir pas pensé à la casquette. Bon, au moins il avait pensé à l'écran total, ce qui quand on se trainait une peau de blond à tendance roux comme la sienne était on ne peut plus essentiel. Il bullait, sans penser à grand-chose de précis et trop heureux justement de profiter d'un instant de répit tant son esprit était plein de tout un tas de choses plus ou moins joyeuses et plus ou moins avouables, le reste du temps. Il s'y employait en tout cas tellement bien qu'il n'avait remarqué une autre présence qu'au dernier moment, quand le clapotis des vagues avait cessé d'offrir un bruit régulier et qui puisse être simplement du au vent soufflant à la surface de l'eau. « Oh Andreja, salut. » Felice, donc, et de toute évidence en plein questionnement existentiel, comme en témoignait la question qu'elle avait fini par lui adresser directement et d'un ton incroyablement sérieux compte tenu de la teneur de la phrase « On métrait combien de temps tu penses pour rejoindre les États-Unis avec ce bateau de fortune ? » C'est qu'elle en avait, de ces questions. Est-ce que c'était vraiment le genre de sujets hautement importants qui peuplaient son esprit ? Parce que si oui, on pourrait comprendre qu'elle n'ait pas beaucoup le temps de dormir, hm. Les lèvres du serbe s'étirant en tout cas en un sourire amusé, il avait demandé sur un ton du même acabit « Pourquoi, tu prévoir de te enfuir en nageant ? » Trempant son bras dans l'eau il l'avait agité pour faire pivoter légèrement son matelas, et faire entièrement face à Felice avant de reprendre, toujours sur le même ton « Parce que si oui ... tu devoir acheter mon silence. » Et oui, c'était comme ça, on n'avait rien sans rien et Andreja était horriblement dur en affaires sur certains points. Mais enfin, avec tout cela il n'avait toujours pas répondu à sa question, alors faisant mine de reprendre un tant soi peu de sérieux il avait rajouté « Mais longtemps, je pense. Tu finir en déjeuner pour requins avant de quitter Australie, à mon avis. » Chouette perspective que celle-ci n'est-ce pas, finir en amuse-bouches pour poissons carnivores. Mais puisqu'elle avait demander le temps qu'il faudrait pour rejoindre les États-Unis à la nage, alors qu'elle aurait très bien pu demander la même chose pour l'Angleterre, le Brésil ou n'importe quel autre pays possédant une côté maritime, il en concluait donc qu'il avait affaire à une américaine supplémentaire « Tu venir de où, aux États-Unis ? »

C'était vraiment bizarre de se dire qu'au bout d'un mois d'aventure, je n'avais toujours pas trouvé le moment opportun pour me rendre sur la plage en pleine journée. Lorsqu'il s'agissait de me rafraîchir, je privilégiais toujours la piscine où l'eau était toujours plus claire et plus propre que nul part ailleurs. L'océan je l'avais longuement observé du haut de la falaise ou même les pieds dans le sable, sans pour autant n'avoir jamais trempé les pieds dans l'eau du Pacifique. Autant dire que je suis très motivée à me baigner lorsque j'arrive sur cette plage même si je dois d'abord faire un détour par la case crème solaire. J'installe mes affaires sur le sable avant de m'affaler sur ma serviette de plage. J'applique soigneusement l'écran total qui protégera mes tatouages et ma peau d'ordinaire si pâle. Je ne veux pas me retrouver avec un énorme coup de soleil sur les épaules, j'ai déjà tenté l'expérience et je ne tiens vraiment pas à recommencer. La plage n'offre pas un éventail large d'activités à part la bronzette et la baignade. Je ne dois compter que sur moi-même pour essayer de passer le temps. Il ne me faut pas très longtemps pour repérer au loin un habitant au large allongé sur un matelas flottant mis à disposition par la prod. Je décide de l'imiter et de le rejoindre. Allongée sur le matelas, je mets un certain temps pour arriver à sa hauteur remuant les bras pour faire avancer le maudit engin. Arrivée à bon port, je me retrouve non loin d'Andreja qui a visiblement décidé d'organiser une petite escapade en matelas flottant. Je le salue et lui pose la première question qui me vient à l'esprit. C'est un peu stupide, c'est un peu enfantin mais ça a au moins le don de le faire réagir. « Je ne sais pas encore, je dois étudier les autres possibilités qui s'offrent à moi ». Je déclare comme si j'étais prisonnière de cette île et que je devais trouver un moyen de m'évader à tout prix. « Je vais te dire la vérité sur mes tatouages, en réalité c'est le plan de l'île que tu vois là » . J'ajoute en indiquant le tatouage qui recouvre l'intégralité de mon dos et qui descends jusqu'en bas de mes fesses. Tout ceci fait très Prison Break, d'ailleurs j'espère qu'il a compris la référence, mais je dois bien avouer que ça m'amuse de raconter des énormités de la sorte. Son silence a un prix, il préfère me l'informer. Décidément rien n'est gratuit de nos jours. « J'ai pas grand chose à t'offrir comme tu veux, mes lunettes de soleil à la rigueur ». Même si je doute qu'elle lui soit d'une quelconque utilité étant donné qu'il en a déjà une paire sur le nez. Alors s'il voulait quelque chose en échange de son silence, il allait devoir m'éclairer un peu plus. Je fronce les sourcils en entendant sa réponse à ma question. J'avais de grandes chances de me faire avaler par un requin avant la fin du voyage. « De toute façon si je dépasse cette ligne d'eau, Cupidon va envoyer la CIA à ma poursuite » . Je fais l'effort de soupirer comme si cette nouvelle m'attristait. Je n'avais aucune envie de quitter le nid pour le moment pour retourner à ma vie d'avant même si parfois elle me manquait terriblement. De son accent serbe, il me demande de quel coin des Etats-Unis je vis. « Seattle sur la côte Ouest, et toi ? ». Même si Seattle n'avait rien à voir avec l'image qu'on se faisait de la côte Ouest avec ses palmiers, ses plages et ses filles blondes et très bronzées. Non, on était plutôt loin de tout ça.

Cela restait toujours assez incroyable cette façon qu'avait la météo de changer en l'espace d'une heure, au point qu'on pouvait se croire à différentes saisons suivant le moment de la journée. Il avait plu ce matin-là, pas beaucoup mais assez pour détremper le sol de la terrasse et l'herbe du jardin à l'heure où il était sorti faire son footing ; Et maintenant plus rien. Alors que l'après-midi était déjà bien avancée il n'y avait plus aucune trace, plus aucune preuve d'une quelconque averse qui aurait eu lieu en début de journée. Il faisait à nouveau chaud, assez chaud pour qu'un plongeon dans le Pacifique et un peu de détente sur un matelas pneumatique ne contente même quelqu'un d'aussi peu friand de cette activité qu'Andreja. Une activité qu'il n'avait pas été le seul à choisir puisque Felice était finalement arrivée à sa rencontre pour lui poser une question pour le moins inattendue : la jeune femme voulait savoir combien de temps il lui faudrait pour rejoindre les États-Unis à bord de son radeau improvisé. Envie de fuir, partenaire qui ronflait trop fort ou allergie à l'ambiance australienne ? « Je ne sais pas encore, je dois étudier les autres possibilités qui s'offrent à moi. » Voyez-vous cela. Et comme si cela ne suffisait pas la voilà qui avait rajouté sur le ton de la fausse confidence « Je vais te dire la vérité sur mes tatouages, en réalité c'est le plan de l'île que tu vois là. » Et par "là" elle entendait l'immense tatouage qui recouvrait son dos et qu'elle lui avait désigné comme s'il s'était soudain agi du secret le mieux gardé du nid ... Alors qu'il était visiblement d'absolument tout le monde, candidats et téléspectateurs, dès lors qu'elle décidait de se mettre en maillot de bain. « Oh, c'est vrai ? Moi qui croire que ça être ... hm, non en fait je sais pas, ça être quoi, du coup ? » Outre le plan diabolique d'une évasion programme, cela allait de soit. D'ailleurs il ne fallait pas croire qu'il n'avait pas compris la référence, il venait peut-être d'une région du monde que la plupart des américains étaient infoutus de placer sur un planisphère, mais les séries américaines elles avaient depuis un petit moment trouvé leur chemin jusque dans les contrées les plus reculées d'Europe. Bref, toujours est-il que si elle espérait se carapater en douce c'était encore possible, éventuellement, mais le silence d'Andreja n'était pas gratuit ... Ou peut-être que si, mais pas à ce moment précis. « J'ai pas grand chose à t'offrir comme tu veux, mes lunettes de soleil à la rigueur. » Hm, moui. Il avait froncé son nez d'un air incertain, faisant mine de détailler la paire de lunettes que Felice portait sur le nez comme s'il songeait véritablement à s'en contenter « Hm, bon, alors on dire que je garde un joker pour plus tard. » Un joker qu'ils finiraient l'un et l'autre par oublier, probablement, c'était plus pour le principe qu'autre chose. « Tu as de la chance je pas être Isaac, on bien savoir comment il te demander de acheter son silence. » Y'avait-il véritablement besoin qu'Andreja développe un peu plus sur ce sujet-là ? Non, probablement pas. Il faut dire que l'obsession qu'Isaac pour le sexe relevait limite du cas clinique. « De toute façon si je dépasse cette ligne d'eau, Cupidon va envoyer la CIA à ma poursuite. » qu'elle avait finalement conclu tout en désignant une ligne d'eau imaginaire non loin d'eux. Ce qui laissait d'ailleurs la possibilité de se demander jusqu'à où les candidats étaient en droit de nager ou de ramer avec la barque amarrée à la cabane du pêcheur, avant que la production ne leur tape sur les doigts. « La CIA je sais pas, mais son jumeau maléfique peut-être ... » A moins qu'il ne soit emprisonné à la cave, et non pas seulement enfermé. Andreja attendait d'ailleurs toujours une preuve tangible de son existence, en bon cartésien qui se respectait il ne croyait que ce qu'il voyait, après tout. Reprenant tout de même un tant soi peu de sérieux il avait fini par poser une véritable question à Felice, il voulait savoir d'où précisément elle venait aux États-Unis « Seattle sur la côte Ouest, et toi ? » Il n'avait pas mis longtemps à situer la ville dont il était question. Si auparavant il ne s'était jamais intéressé à la géographie du continent américain, le fait de travailler à Chicago l'avait persuadé de faire au moins le minimum, chose qui n'avait pas été bien difficile au rythme des déplacements du Consul, par lequel il était employé « Chicago. C'est hm, bizarre, je te imaginer venir de un endroit où il y avoir moins de pluie. » Pourquoi ? Il ne savait pas trop, il s'était plutôt imaginé Felice comme venant d'un endroit comme San Francisco, Los Angeles, Dallas ou Miami ... Comme ça, sans raison.