Elle dégouline de transpiration, elle a essayé de repousser ses cheveux en arrière, trempés de sueur, mais elle n'a vraiment l'air de rien. Elle doit sentir mauvais, aussi, mais ça, Mallaury est trop poli pour en faire la remarque. Elle a fait du sport toute la journée, c'est la juste conséquence des choses. Mallaury a l'air impressionné, elle hausse les épaules, frottant sa main droite sur son bras gauche d'un air gêné. « Oh euh... je ne sais plus trop, c'était il y a longtemps... » fait-elle, évasive. L'accident, tout ça. Bien utile quand on ne veut pas vraiment aller dans les détails. Le lien est plus ou moins là. Mais voilà, elle se souvient des mouvements, comme son corps a réagi au paintball, comme elle arrive encore à courir depuis l'époque où elle faisait de l'exercice intensif. Ca a bien changé après son passage à l'hôpital. Le candidat fait remarquer son changement de couleur, opéré il y a quelques jours. « Ah oui... » fait-elle en passant une main dans ses cheveux humides, dont la couleur oscillait entre racines orange clair, blondes, et mèches bleu turquoise ou vert émeraude. Elle n'était pas la pro de la coloration uniforme, et elle avait préféré garder un petit bout de ce qui l'avait envoyée en plein milieu du petit groupe des candidats roux. « Merci... » ajoute-t-elle au compliment. Les gens aiment bien, apparemment. En fait, c'est la seule chose qu'elle entend à son sujet, alors c'est un peu réducteur, elle s'en rend compte, cette semaine. C'est ce genre de choses qui lui donne envie de s'isoler et se défouler. « C'est vraiment rien de spécial, vraiment, je... je n'ai rien de spécial... » fait-elle, pas très à l'aise avec les compliments. Et c'est aussi un peu le ressenti général qu'elle a depuis bien longtemps, bien avant le jeu, mais que le jeu n'a fait qu'empirer. « Je suis incapable de juger les styles vestimentaires, mais tu sais, en retour, je pense que je serais ridicule avec une robe de soirée comme celles de Tilda... » ajoute-t-elle à l'idée qu'évoquait Mallaury de se teindre les cheveux lui aussi, avec un petit sourire. Elle s'essaie un peu à l'humour, enfin, c'est bien la première fois qu'elle dit quelque chose qui pourrait s'en rapprocher de près ou de loin. Gaëtane descend du tapis pour s'approcher du banc sur lequelle elle a posé ses affaires, et saisit sa serviette pour éponger son visage. « Tu viens faire de l'exercice ? » demande-t-elle par curiosité au candidat. En même temps, pourquoi venir ici si ce n'est pour faire de l'exercice, d'un côté.

Mallaury souffle quelque chose d'inaudible que Gaëtane n'entend pas. Peu importe, elle ne veut pas avoir l'air trop intrusive et demander de répéter. Elle s'essuie le visage, boit une gorgée d'eau fraîche. La question de Mallaury sur ses cheveux et ses couleurs extravagantes l'étonnent un peu. Elle ne sait pas trop quoi répondre, puisqu'elle même ne cesse de douter et de remettre en question ce "pourquoi". Mallaury choisit des mots précis, d'ailleurs. Il dit "pour qui", pas "pourquoi". Ca attise la curiosité de Gaëtane. « Pour qui... ? » souffle-t-elle, n'étant pas sûre de comprendre. Mais elle s'efforce de passer outre et répond. Enfin, essaie de répondre. « Je le fais pour moi... » En priorité, oui. Si elle repense à la première fois qu'elle est passée au orange sur ses cheveux naturels, c'était pour elle, et elle seule. Son regard se perd derrière ses lunettes, qui s'embuent d'un coup, d'un souffle un peu plus confus que les autres. Elle les retire pour les essuyer avec sa serviette de sport. Sa vue devient floue, mais ce n'est pas grave, elle sait à qui elle parle. « Avant... mon accident... depuis que je suis petite, j'avais les cheveux blonds... après être sortie de l'hôpital, je... voulais changer. Parce que ça m'a changée aussi alors... » explique-t-elle d'une petite voix hésitante. C'est la vérité. C'est pour ça qu'elle a changé ses cheveux, parce qu'elle ne voulait pas ressembler à celle qu'elle était avant. Avant tout, avant l'accident, avant qu'elle n'oublie les quatre dernières années de sa vie. Remplacées net par un brouillard épais et sombre. « Enfin, voilà, c'est tout... » ajoute-t-elle en haussant les épaules, et en remettant ses lunettes sur son nez. Ca aussi, c'est une conséquence de l'accident, elle n'avait jamais besoin eu de lunettes jusqu'à sa sortie de l'hôpital. Le docteur Mercier ne veut pas lui dire pourquoi, les détails techniques, il dit que c'est trop compliqué, mais elle devine les grandes lignes à travers ce qu'elle sait de l'ophtalmologie et de ses bribes de souvenirs. Elle devine à peine. Gaëtane chasse alors ces pensées pour se focaliser sur Mallaury. Il évoque le fait qu'elle puisse porter des robes, mais Gaëtane répond en chassant l'idée en secouant les mains. « Oh non, mais c'est... c'est pas pour moi, c'est tout... » C'est tout. Elle veut bien d'une jupe ou d'une robe très simple, confortable, se rapprochant plus du sportswear que de la robe de cocktail, mais c'est tout. Le reste aurait l'air idiot sur elle. Mallaury est apparemment venu faire du sport, mais s'est découragé. « C'est vraiment... pas grand chose, je... » fait-elle, gênée, en se passant une main dans ses cheveux mi-orange, mi-bleu turquoise. « On a tous des niveaux différents, on n'a pas tous eu la même... formation, alors... » explique-t-elle, en haussant les épaules. Ca coule de source, non ? « Il n'y a pas de raison pour que quiconque se moque de toi. Ce n'est pas logique. » Enfin, pas dans sa tête et dans ses explications factuelles, cartésiennes et scientifiques. Peut-être pour quelqu'un d'autre, comme Percy, mais pas pour quelqu'un comme Gaëtane.

Mallaury a l'air gêné d'avoir fait expliquer tout ça à Gaëtane, il ne lui semble pas avoir fait entendre une quelconque nostalgie ou tristesse, pourtant. A vrai dire, ca lui est égal, d'en parler. Puisqu'elle ne peut pas dire grand-chose. Certes ca avait eu un effet non négligeable sur elle, d'oublier toutes ces années, mais passé le contrecoup à la sortie de l'hôpital, elle s'en est bien remise. Elle vit avec et c'est tout, et elle n'en n'est pas malheureuse. Elle connaît les grandes lignes, ce qu'elle a le droit de dire, et c'est tout. Elle hausse les épaules avec une expression détachée, mais relativement neutre. « Oh, ce n'est pas grave. Je ne peux pas être si affectée par quelque chose dont je ne me rappelle pas... » fait-elle. C'est un fait. Si elle se souvenait des détails, peut-être qu'elle n'en parlerait pas aussi facilement. Non, c'est certain, elle ne pourrait même pas. Mallaury revient à la charge avec cette histoire de robe, et ça l'agace un peu. Comme toutes les personnes qui lui répètent qu'elle devrait plus parler, qu'elle devrait être comme ci ou comme ça, que peut-être ça lui irait mieux, que peut-être elle serait moins solitaire... c'est agaçant. Elle n'a pas envie d'être définie juste par son côté timide ou le fait qu'elle soit incapable de porter des vêtements soignés. Pas assez ci, pas assez ça. C'est frustrant. « Peut-être. » Son ton est neutre et fermé. Elle baisse les yeux et attrape sa bouteille. Elle a refermé la carapace. Stop, on arrête de parler d'elle, c'est terminé, ça ne mène à rien, ou alors, juste aux mêmes choses, encore et toujours. Mallaury ne veut pas mal faire, c'est certain, mais lui répéter sans cesse les mêmes choses sur ce ton moralisateur, ça ne lui va pas. Elle préfère encore entendre les plaisanteries idiotes de Ghika, même si elle est incapable de lui rendre la pareille. Au moins, ça donne un ton de légèreté. Comme si ces reproches n'étaient pas si graves, au fond. Ca lui rappelle aussi la discussion qu'elle a eue avec Jaheim la veille, qui lui en a appris beaucoup. Gaëtane prend sa serviette et la passe autour de son cou quand Mallaury avoue ne pas faire de sport, et ne pas savoir quoi faire. Tant qu'on ne recommence pas à parler d'elle, ça ira. Chat échaudé craint l'eau froide. « Je vais... aller courir un peu, sur le tapis, pour terminer alors... si tu veux venir, je peux t'expliquer, » fait-elle en montrant les tapis de la main. Elle s'approche lentement de l'endroit, il suivrait si il le souhaite. Elle pianote sur l'écran du tapis, règle la vitesse pour grimper et se mettre à courir, à une allure modérée. « Tu peux régler la vitesse ici. Là, c'est le timer. Et tu peux aussi utiliser les électrodes pour calculer ton rythme cardiaque, la machine calcule un programme adapté à tes capacités de manière progressive si tu utilises l'un de ces boutons, » fait-elle tout en courant, en désignant un par un les boutons sur son propre panel de contrôle de sa machine. Vocabulaire technique, ton neutre, tout ce qu'il faut pour une conversation qui n'a rien à voir avec qui elle est et qui lui rappelle encore combien elle détonne dans le décor.

Gaëtane est partie, elle a décroché. Elle court, et se focalise là-dessus. Elle a les yeux rivés sur les chiffres sur le cadran de son propre tapis, la vitesse, le timer, les kilomètres. Elle ne remarque pas que Mallaury a du mal à s'y adapter, et c'est quand il prononce son prénom un peu fort qu'elle sort de sa transe. « Oh... » fait-elle en jetant un oeil vers le candidat. Il a déjà abandonné, en fait. Gaëtane indique quand même les instructions, une seconde fois, d'un ton neutre et aucunement importuné, en posant un doigt à côté des boutons. « C'est là pour changer la vitesse. » Quand elle se ferme, ca ne veut pas dire qu'elle se fâche ou qu'elle se vexe. Elle évite simplement les sujets qui fâchent, à savoir, parler d'elle. Mallaury abandonne, donc, et elle ne peut pas vraiment l'en dissuader. « D'accord. » Elle ne le retient pas, il fait ce qu'il veut. Mais lui vient une autre idée. Gaëtane pose ses mains de chaque côté du tapis, sur les deux branches auxquelles on peut s'appuyer, et fait un bond agile sur le côté pour quitter le tapis, qu'elle éteint d'une pression sur le bouton. « Suis moi... » fait-elle en se dirigeant vers le sac de sable. Elle attrape les gants de boxe, ceux qui sont plus grands que ceux qu'elle utilise, parce qu'elle a des mains taille enfant, et pas Mallaury. Elle tend tout au candidat. « Mets ça et frappe... Isaac m'a dit que lui, il pense à ce qui le met en colère quand il veut évacuer son énergie et sa frustration... » fait-elle d'un ton neutre, avec une expression qui l'est tout autant sur le visage. Elle essaie d'adapter son discours aux autres, parce qu'elle, elle ne fonctionne pas de la même manière. C'est un cas particulier. « Je ne fais pas comme ça, parce que... enfin, pour de diverses raisons mais... » commence-t-elle, évitant les justifications inutiles et sur lesquelles elle n'a pas envie de s'étaler. « Peut-être que toi ça peut t'aider. Et ne cesse jamais d'être en mouvement. Tu dois positionner tes jambes de sorte que tu peux être prêt à partir en courant à tout moment. » Sa manière de parler lui rappelle vaguement quelque chose, un frisson lui parcourt le corps et fait hérisser les poils de ses bras. Elle a l'habitude, quand elle fait quelque chose qui est lié d'une manière ou d'une autre à quelque chose qu'elle a oublié. Et pourtant tous ces indices lui sont parfaitement inutiles. « Je me souviens que tu as dis que tu n'aimais pas la violence... moi non plus. Mais... penses-y comme pour le paintball. Même si tu penses à quelqu'un qui te met en colère, garde dans un coin de ton cerveau que ce n'est qu'un sac de sable... » Conseil inutile le jour où il aurait sérieusement envie de boxer quelqu'un, mais elle doute que ce soit le cas pour quelqu'un comme Mallaury.

(désolée pour l'attente )